08/06/2012
Sophie Fontanel
Sophie Fontanel, Grandir (coll. Livre de poche/LGF, 2012)
La narratrice de ce récit a beaucoup de chance. auprès d'une mère comme la sienne - avec son sourire qui donne accès à la splendeur du monde - et elle le lui rend bien, à ce moment crucial de l'existence que nous redoutons tous, pour autant que nous aimions nos parents: La vieillesse, les accidents, la maladie, la dépendance réciproque, la proximité de la perte, le deuil.
A la première chute de sa maman, elle est désemparée. Le ciel lui tombe sur la tête: Une mère à terre, je pensais qu'il suffisait de la soulever (à deux, avec la gardienne de l'immeuble), de la remettre dans son lit pour que ça se tasse. Que le rétablissement se goupille de lui-même. Eh bien, j'ai appris. Dans son lit, avec deux fractures et des ligaments déchirés, ma mère se laissait mourir. Elle refusait que j'appelle une ambulance. Refusait le médecin. Refusait les soins. Refusait la nourriture. Refusait l'eau comme s'il se fût agi d'un breuvage où l'on aurait glissé des gouttes susceptibles de tuer sa résistance. Une porte blindée, ma mère. Refusait bien sûr de sourire, et quelle naïveté aussi j'avais de le lui demander dans une pareille détresse.
Pourtant, elle tient bon. Par amour pour sa mère de quatre-vingt six ans, indépendante, qui n'aime pas déranger, elle accepte de s'occuper d'elle au quotidien, subissant de plein fouet ses chutes répétitives, ses pertes de mémoire aussi. Elle connaît les couloirs des hôpitaux, les infirmières et les aides ménagères - dont elle parle avec une bienveillance naturelle - puis les maisons de repos, les soins. L'équilibre de sa propre vie s'en trouve mis à rude épreuve. Un jour, une de ses amies donne un sens à sa douleur et à son impuissance, en lui confiant: Ta maman est tombée encore une fois? Pauvre, pauvre, maman, je sais ce que tu ressens. Oh je sais que la vieille personne c'est toi-même. C'est à toi dans ces moments-là chaque minuscule vertèbre qui sort du dos de la personne âgée, des épines d'hippocampe, et ça lui fait si mal si on oublie de lui mettre les coussins. C'est à toi cette défaite, c'est ta pesanteur, et c'est toi aussi qui pèses ce poids de la vieille personne, et je sais que même la plus légère est insupportable, c'est à toi cette fin de vie...
Si le sujet du livre de Sophie Fontanel - probablement une autofiction - est grave, il est cependant parcouru par un formidable élan d'amour et de gratitude qui, la plupart du temps, transfigure jusqu'aux instants les plus pénibles. S'y ajoute une écriture pleine de fraîcheur qui vole de page en page comme une canne invisible auprès de cette mère qui ne veut pas disparaître: Sa meilleure amie sur terre. Elle saisit avec beaucoup de tendresse et d'humour les petits riens de ce quotidien à l'étroit qui font toute la différence: Sa gourmandise, ses coquetteries, ses espiègleries, ses rêves, ses désirs de croquer la vie à pleines dents, aujourd'hui, auprès de sa fille chérie.
Cette dernière grandira. Elle apprendra qu'être solidaire, c'est anticiper; que ce temps qui s'inverse, où la mémoire s'en va, paradoxalement s'accompagne d'une lucidité accrue; qu'une mère à de droit de céder au découragement; que l'amour partagé distille la force, le courage, le rire. Reste l'interrogation, à l'adresse de nous qui pour un temps encore foulons avec allégresse la terre sous nos pieds: Je pense qu'un jour moi aussi, je serai âgée, moi aussi je passerai un cap et je devrai m'en remettre à la bienveillance d'autrui. Lorsque ce jour viendra, qui dans ce monde pourra faire pour moi ce que je fais pour ma mère? Qui sera présent? Qui me soutiendra quand, à mon tour, je serai une personne vulnérable? Et est-ce que je me tuerai un jour, pour cause de ce manque d'amour très particulier qui est le manque d'aide?
L'amour vrai est éternel, selon Balzac, infini et toujours semblable à lui-même. Il est égal et pur, sans démonstrations violentes: On le voit avec les poils blancs et est toujours jeune au coeur.
Une première clef qui ouvre bien des tiroirs secrets...
07:26 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
07/06/2012
Stefan Zweig
Stefan Zweig, Le voyage dans le passé (Grasset, 2008)
Tout Stefan Zweig est contenu dans cette longue nouvelle – ou ce court roman – inédite en français, auquel l’éditeur joint le texte original en langue allemande. Admirable peintre des sentiments, l’auteur de Lettre à une inconnue s’interroge sur la survivance du désir, de la passion, de l’amour : fidélité à la personne ou vivacité du souvenir, de la silhouette de l’Autre qui nous étreint encore ? Beaucoup de pudeur et de délicatesse pour cette histoire qui n’a pas d’âge.
Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2010)
06:29 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Stefan Zweig | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
François de La Rochefoucauld
L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres. C'est un artifice de l'orgueil qui s'abaisse pour s'élever et, bien qu'il se transforme en mille manières, il n'est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que lorsqu'il se cache sous la figure de l'humilité.
François de La Rochefoucauld, Maximes et reflexions diverses (coll. GF/Flammarion, 1977)
06:28 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
06/06/2012
Morceaux choisis - Raphaël Jerusalmy
Raphaël Jerusalmy
Après le rituel des accordements, des partitions qu'on pince sur les pupitres, des ultimes toussotements, Böhm a fait son entrée de maestro. Stefan a failli se lever pour se mettre au garde-à-vous. J'ai dû le retenir par la manche. Le pauvre était trop tendu pour profiter de l'ambiance magique qui règne dans une salle juste avant la représentation. Mais dès que la musique a commencé il a été envoûté, hypnotisé même. Pas moi. Jerger m'exaspère. Quelle lourdeur! Quel kitsch! Du lyrisme de boulevard, sans élan, du baroque de pâtisserie viennoise à la crème.
Et puis ça a été le tour de Mozart. J'ai pleuré. De joie. De colère. Notre Mozart! Pas le leur. Böhm s'est bien défendu et Schneiderhan était en pleine forme. Inspiré. Son violon menait l'orchestre avec assurance. Böhm a eu l'élégance de s'effacer, de laisser le jeune virtuose donner libre cours à son enthousiasme. Ce n'était pas splendide, non, mais convaincant. Bien maîtrisé. A prendre ou à laisser. J'ai pris. J'ai applaudi bien fort avec tout le monde. Et Stefan a hurlé des bravos comme seul un gars des montagnes sait le faire. A en décrocher les lustres.
Quel n'a pas été mon étonnement quand Schneiderhan est revenu sur scène, sans Böhm et, ayant demandé le silence, a annoncé qu'il allait jouer une courte pièce en solo. Hans avait donc lu la partition et le comité accepté qu'elle soit interprétée comme je l'avais suggéré. Pour marquer la fin du concerto moins abruptement, pour prolonger un peu la sauce avant l'entracte, avant Tchaïkovski. Pour sauver Mozart!
Dès les premiers accords, entraînants, immédiatement vivaces, sans aucun prélude, l'auditoire a semblé ravi. Sauf Stefan qui tendait le cou comme s'il avait du mal à entendre Schneiderhan, lui, était en train de gagner son pari. Le public, au début un peu surpris, un peu désemparé par ce morceau inconnu, a tout d'abord cherché un repère. Un arrangement, une improvisation, une première? Et puis Schneiderhan a emporté la salle d'un coup, tout souriant. Il a lancé un clin d'oeil charmeur à l'assistance et s'est mis à taper du pied. Invités à ce moment de licence, les officiers se sont aussitôt joints à lui, frappant le sol de leurs bottes. Les autres claquaient des mains en cadence. Le Mozarteum résonnait de gaieté, d'amour simple et pur pour la musique. Un hommage! Et pas seulement à Mozart.
Stefan s'est raidi de tout le corps. Il s'est tourné vers moi, choqué, incrédule. Il avait reconnu la mélodie dès les premières notes, la ritournelle du vieux, le vieil air yiddish. Les juifs n'étaient plus là, ni à Salzbourg, ni dans sa campagne. On s'en était débarrassé, comme il avait dit. Mais leur musique tonnait maintenant en plein Festspiele, au Mozarteum, tournant les nazis en bourrique. Je me suis levé, me montrant fort exalté par le talent de Schneiderhan, emballé. Alors,petit à petit, rangée par rangée, ils se sont tous mis debout, applaudissant, reprenant le refrain. Dans tout ce vacarme, j'ai murmuré les paroles, tant bien que mal, en yiddish. Comme une prière. Pour demander pardon à ceux qui les avaient chantées jadis, dans les mariages, les fêtes de communion. Pour m'excuser de cette fraude.
Ne suis-je pas moi-même comme cette chanson? Une contrefaçon. Un pot-pourri. Pas tout à fait juif, pas vraiment athée, mi-autrichien, mi-silésien, pas encore mort et pourtant déjà banni du monde des vivants.
Ils n'y ont vu que du feu. Même Hans à qui j'ai fait croire que cet air était une ancienne mélodie du Tyrol. Une perle du folklore germanique. Mozart l'aurait tournée à sa manière, en sonate. Elle a maintenu le vieux de la clinique en vie, pour un temps. Désormais, c'est à moi qu'elle offre un sursis, une sorte de rémission. Et maintenant, elle va aussi trotter dans la tête de quelques soldats allemands, de quelques SS, tel un écho lointain. Un fantôme.
Stefan n'a pas trouvé cela amusant. Il n'a pas ri, même quand la salle s'est mise à accompagner Schneiderhan. Il m'a ramené au sanatorium sans piper mot. Tout renfrogné. Je crains qu'il ne me dénonce. Mais n'est-il pas complice? Il a fourni l'encre, le papier, m'a escorté au concert. Et Hans? Et Schneiderhan? Le comité du Festspiele n'admettra jamais une telle bavure.
Tu vois, Dieter, ce geste un peu idiot, ce canular d'étudiant aura été mon seul acte de résistance. Je n'ai pas tué Hitler. Ni sauvé Mozart. J'ai pourtant le sentiment d'avoir accompli mon devoir. J'ai juste voulu empêcher qu'une voix soit tue. Une seule voix parmi des milliers d'autres mais qui, si elle avait été étouffée, aurait éteint la musique en moi. Et toute musique.
Un oratorio entier se ressent de l'absence d'un unique choriste. Il sonne faux malgré le retentissement de l'orchestre, la résonance du ténor. Cette lacune crie. Cette absence se fait entendre malgré tout. Comme un piano auquel il manque une touche. Il n'y a pas de musique par défaut.
Le Talmud dit que celui qui sauve une âme, c'est comme s'il avait sauvé le monde. Je n'ai sauvé l'âme de personne. Ai-je seulement sauvé la mienne?
Raphaël Jerusalmy, Sauver Mozart - Le Journal d'Otto J. Steiner (Actes Sud, 2012)
image: Salzburger Festspiele, 1938
11:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
René-Guy Cadou
Pour atteindre le ciel A travers ce feuillageIl faut que tous les yeuxSe soient réunis là Je dis les yeux d’enfants Pareils à des parvenchesOu à ces billes bleus Qui roulent sur la mer On va dans les alléesComme au milieu d’un rêve Tant la grand-mère a mis De grâce dans les fleurs Et le chat noir et blanc Qui veille sur les rosesSonge au petit oiseau Qui viendrait jusqu’à lui C’est un jardin de féesOuvert sur la mémoireAvec des papillons Epinglés sur son coeur Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/06/2012
Donna Leon 1b
Bloc-Notes, 5 juin / Les Saules
En complément à la présentation du livre-CD de Donna Leon consacré à Georg Friedrich Haendel, voici Vieni, o caro, che senza il tuo cuore de l'opéra Rinaldo de Georg Friedrich Haendel, avec Ann Hallenberg et l'orchestre Il Complesso Barocco, sous la direction de Alan Curtis. Cet extrait ne figure pas sur le CD d'accompagnement!
Donna Leon, Le bestiaire de Haendel (Calmann-Lévy, 2012)
00:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georg Friedrich Haendel, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |
Donna Leon 1a
Bloc-Notes, 5 juin / Les Saules
Voici un Donna Leon sans le célébrissime commissaire Brunetti, et pour cause: car elle aborde ici une autre de des passions, l'opéra. En l'occurence, Georg Friedrich Haendel, son compositeur préféré. Dans son avant-propos, elle nous dit: Enlevez le moteur. Faites-le disparaître de votre conscience: coupez tout, carrément. Puis jetez un regard neuf sur le monde ou - pour mieux dire - regardez le monde tel qu'il était avant d'avoir été bouleversé par l'introduction du moteur et par tous les changements qui l'ont accompagnée. Le degré d'importance accordé à certaines choses va soudain changer. Qui a besoin de pétrole? Où puis-je trouver un bon cheval? L'une des premières réévaluations exigées par l'absence de moteurs sera une redéfinition de l'ordre de la création, dans laquelle les animaux retrouveront leur ancienne importance.
Elle s'attache ainsi à l'un des aspects les plus originaux des opéras de Haendel, soit les animaux qu'elle nous présente au fil de ce modeste ouvrage - 140 pages - illustré par Michael Sowa et accompagné d'un CD contenant les extraits des oeuvres évoquées, avec l'Ensemble Il Complesso Barocco sous la direction de Alan Curtis. Il ne s'agit pas d'un traité de musicologie dans ce bestiaire, mais plutôt d'une promenade amoureuse que Donna Leon veut partager avec les esprits curieux, bien au-delà de la musique. Citant souvent les Saintes Ecritures, les historiens ou les poètes, elle nous tend ainsi le miroir de ces compagnons parfois mal-aimés qui sont autant de miroirs ou de visages de nos impulsions profondes.
Pari réussi, car à la fin de ce livre, on se sent moins bête, soucieux d'en savoir davantage sur les opéras et oratorios de Haendel qui ont éclairé son propos, entre autres: Giulio Cesare in Egitto, Judas Maccabaeus, Arianna en Creta, Berenice regina in Egitto, Deidamia, Alcina ou Theodora.
Une lecture agréable et pleine de charme!
Donna Leon, Le bestiaire de Haendel (Calmann-Lévy, 2012)
00:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georg Friedrich Haendel, Littérature étrangère, Littérature italienne, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; musique; livres | | Imprimer | Facebook |
04/06/2012
Morceaux choisis - Alexandre Dumas
Alexandre Dumas
Mon cher Maximilien,
Il y a une felouque pour vous à l'ancre. Jacopo vous conduira à Livourne où M. Noirtier attend sa petite-fille, qu'il veut bénir avant qu'elle vous suive à l'autel. Tout ce qui est dans cette grotte, mon ami, ma maison des Champs-Elysées et mon petit château du Tréport sont le présent de noces que fait Edmond Dantès au fils de son patron Morrel. Mlle de Villefort voudra bien en prendre la moitié, car je la supplie de donner aux pauvres de Paris toute la fortune qui lui revient du côté de son père, devenu fou, et du côté de son frère, décédé en septembre dernier avec sa belle-mère.
Dites à l'ange qui va veiller sur votre vie, Morrel, de prier quelquefois pour un homme qui, pareil à Satan, s'est cru un instant l'égal de Dieu, et qui a reconnu, avec toute l'humilité d'un chrétien, qu'aux mains de Dieu seul sont la suprême puissance et la sagesse infinie. Ces prières adouciront peut-être le remords qu'il emporte au fond de son coeur.
Quant à vous, Morrel, voici tout le secret de ma conduite envers vous: il n'y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d'un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l'extrême infortune est apte à ressentir l'extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, Maximilien, pour savoir combien il est bon de vivre.
Vivez donc et soyez heureux, enfants chéris de mon coeur, et n'oubliez jamais que, jusqu'au jour où Dieu daignera dévoiler l'avenir à l'homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots: Attendre et espérer!
Votre ami.
Edmond Dantès, Comte de Monte-Christo
Alexandre Dumas, Le comte de Monte Cristo - 3 volumes (coll. Livre de poche/LGF, 1998)
16:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
Au bar à Jules - De la fête
Un abécédaire: F comme Fête
Peu de gens connaissent l'oeuvre prolifique de Marcel Jouhandeau, dont la plupart des soixante-dix ouvrages - les fameux Journaliers, entre autres - sont presque tous épuisés. Dans l'un de ces volumes, Que la vie est une fête, publié en 1966, il note à propos de l'amour, qui lui inspira ses plus belles pensées: Ce que je cherche, ce n'est ni tout à fait l'amour, ni la beauté, ni le plaisir, mais une sorte de défi à l'orgueil et l'occasion de vaincre quelqu'un par une suprême élégance du coeur.
Dans un autre extrait, il ajoute: Ceux qui peuvent haïr ou songer à se venger ne savent pas ce que c'est que le coeur, ne savent pas ce que c'est que d'aimer. Le coeur sous le sarcasme de ceux qui le broient aime toujours.
L'amour - même douloureux - la plus belle des fêtes? Il sait en parler mieux que personne, et pourtant, Marcel Jouhandeau, secret et controversé, catholique et quelque peu mystique, homosexuel et néanmoins marié à Elisabeth Toulemont - dite Elise dans ses oeuvres - en a connu la plupart des limites, des contradictions, des artifices, des mystères et des voluptés. Sans doute pour tous ces chemins de traverse, sa sensibilité d'écorché vif peut-elle émouvoir, interroger ou plaire, bien davantage - en contrepoint aux relations ambigües avec son épouse: quarante ans de scènes de ménages - qu'au temps de son vivant, débarrassée de l'image sulfureuse de son auteur qui, par ailleurs, l'avait peut-être imprudemment entretenue. Aimer, c'est une présence qui domine sur tout ce que nous sommes. (...) La bonté consiste à vivre avec ceux qui nous ont meurtris, comme si de rien n'était.
Cet écrivain à la recherche de la grandeur de l'homme, ennemi de l'hypocrisie et du mensonge, a pourtant aussi sa part d'ombre: un suicide raté dans sa jeunesse et la publication en 1938 d'un opuscule intitulé Le péril juif, écrit semble-t-il sous l'influence d'Elise, farouche et active antisémite. Un livre qu'il tenta de faire disparaître, mais sans en renier une seule ligne...
De quoi gâcher la fête - hélas! - en ce qui me concerne... Malgré ces réserves, il vaut la peine de lire La prudence Hautechaume et Chaminadour, deux de ses chefs d'oeuvres par l'originalité des récits, la qualité du style et l'acuité du regard, à la fois magnanime et cruel sur les vertiges de la nature humaine.
Marcel Jouhandeau, Chaminadour - Contes, nouvelles, récits (coll. Quarto/Gallimard, 2006)
Marcel Jouhandeau, Que la vie est une fête - Journaliers VIII / 1961 (Gallimard, 1966)
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récits; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
01/06/2012
Morceaux choisis - Malek Haddad
Malek Haddad
Je me souviens des routes bleuesLa mer était gentilleLa montagne gardait un sourire bourruTa main tremblait comme une angoisseIl faisait chaud sur les baisersLes raisins rosissaientUne cascade en chevelure avait mouillé mes yeuxIl reste sur la route un air de mandolineEt quand le soir dort dans mes yeuxJe ne rêve jamaisTellementLa cascade a le goût des aurores
Malek Haddad, Le malheur en danger (Editions Bouchene/Alger, 1988)
image: Marcel Dreyfus, Marcel Dyf, 1899-1985 / Jeune femme a la mandoline (artvalue.com)
09:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |