19/06/2012
Morceaux choisis - Vlada Urosevic
Vlada Urosevic
Elle se rêve au mileu d'une salle vide,Fenêtres obscurcies par des étoffes noires.Des tubes au néon s'allument tout autourLeur lumière est blanchâtre et trouble. Elle s'aperçoit qu'elle n'a pas de vêtement.Des papillons de nuit l'effleurentde leurs antennes.Soudain l'étreinte de deux mains de pierrel'emprisonne.Des doigts de marbrecommencent à la caresser. Un cri, alors, de ses lèvres jaillit.A cet instant, très loin,regard fixe, muettes, Frissonnent de passion,sans que nul ne les voie,Les statues d'hommes dans les musées obscurs.
Vlado Urosevic, dans: Les poètes de la Méditerrannée - Anthologie (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
traduit du macédonien par jeanne Angélowski
image: Edvard Munch, Madone / fragment (1894)
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Morceaux choisis - Luis de Camoës
Luis de Camoës
Amour est feu qui brûle et que l'on ne voit pas,C'est blessure cuisante et que l'on ne sent pas,Ravissement qui ne sait pas ravir,Folle douleur qui ne fait pas souffrir. C'est ne plus désirer qu'un seul désir,C'est marcher solitaire dans la foule,Jamais n'avoir plaisir à un plaisir,Penser qu'on gagne alors qu'on se perd. C'est librement vouloir être captif,C'est servir sa conquête alors qu'on est vainqueur,Garder sa loyauté à qui nous tue. Mais comment ses faveurs font-elles naîtreUne amitié entre les coeurs humains,Si Amour à ce point se contrarie lui-même?
Luis de Camoës, Sonnets (Chandeigne, 2011)
traduit du portugais par Anne-Marie Quint et Maryvonne Boudoy
image: Sandro Botticelli / La naissance de Vénus
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18/06/2012
Jean-Denis Bredin
Jean-Denis Bredin, Trop bien élevé (Coll. Livre de poche, 2009)
A travers le regard d’un enfant de dix ans, Jean-Denis Bredin raconte sa propre histoire entre 1939 et 1945 : la mort prématurée de son père, ses camarades dont il cherche les traces, sa mère aimante et aimée, dont les sentiments n’ont jamais véritablement franchi les lèvres… Comme devant une carte postale jaunie par le temps, vous resterez proche de ces instantanés empreints de sensibilité, de courage, hors de toute dérive mélodramatique. Attachant !
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17/06/2012
Morceaux choisis - S.Corinna Bille
S. Corinna Bille
Elle avait choisi de demeurer seule dans sa tanière. La nuit, elle fut réveillée par un bruit d'avion et s'inquiéta. De jour aussi il en passait. "Un pays solitaire dont le ciel est habité." Ces bruits lui indiquaient les heures. "Mes horloges ronflantes."
Elle sortait peu de la cabane, craignant d'être vue, et plongeait dans le sommeil comme on se noie. Ou bien elle parlait à l'homme absent: "Tu m'as réconciliée avec la vie. Ton regard roux, tes taches de son, ta sévérité quand je te raconte des choses qui ne te plaisent pas... Ta douceur adulte. Si rare. Tu dois te courber pour entrer dans ma tanière et toujours tu devras te pencher sur moi. Homme-Soleil. Pour venir jusqu'à toi j'ai traversé les neiges sales, les roches gluantes, je me suis suspendue aux racines et j'avais peur. Dans ces forêts noires, il y a autant de serpents que de racines, les sapins sont d'un vert si sombre qu'ils m'étouffent, ils pourrissent sur la mauvaise rive du torrent, leurs lichens se collent à ma bouche. J'ai désiré mourir. Mais tu es là."
Elle reconnaissait en elle le bourdonnement d'amour. Elle avait des mains chantantes, des mains fermées pleines d'abeilles et très chaudes. Elle avait une poitrine heurtée par les battements d'un coeur dont elle sentait les coups jusqu'au sommet du crâne. Elle avait un ventre tendre, prêt à s'ouvrir. Elle était créée pour des phénomènes de lévitation. Mais ses yeux se bridaient, curieusement alanguis par l'insomnie.
Elle s'aventura vers la source, remplissant le seau, s'y lavant toute, dans une odeur forte de menthe écrasée. Les blessures se cicatrisaient bien. Elle alla dans la prairie, écartant les touffes de ciguës, les jeunes arbres, les buissons d'églantier. Elle renouvela les herbes de sa couche. Elle trouva dans un creux un squelette blanchi de renard. Elle arracha, un jour, d'un geste brusque, une grosse marguerite et se mit à en tirer les pétales: un peu, beaucoup, passionnément; elle s'aperçut en faisant virer la tige, qu'elle oubliait le pas du tout! Tant pis. Le dernier pétale disait: il m'aime un peu. "C'est ça, il m'aime un peu. Tandis que moi..."
L'excès d'amour la rendait farouchement réservée, presque hautaine. Qu'elle eût préféré rire, elle qui était rieuse de nature. Mais devant cet homme, elle ne riait plus, à peine pouvait-elle parler.
"Cette nuit j'ai vu un oiseau blanc. Tu dis qu'il n'existe pas de huppe blanche dans ces bois, ni de pigeon? Pourtant je l'ai vu. Deux fois. A l'aube, il a sauté sur le rebord de la fenêtre. Il est devenu si grand qu'il la remplissait toute. J'ai bien observé ses pattes recouvertes de plumes bouclées et ses énormes serres. Il a un oeil rond très noir. Mais j'ai fait un signe et il s'est envolé."
S. Corinna Bille, La demoiselle sauvage - Nouvelles (Gallimard, 1992)
image: S. Corinna Bille (theweb.ch)
16:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
16/06/2012
Morceaux choisis - René Char
René Char
Hermétiques ouvriers,en guerre avec mon silence,même le givre vous offenseà la vitre associée!Même une bouche que j'embrassesur sa muette fierté. Partout j'entends implorer grâcepuis rugir et déferler;fugitifs devant la torche,agonie demain buisson. Dans la ville où elle existe,la foule s'enfièvre déjà.La lumière qui lui mentest un tambour dans l'espace. Aux épines du torrentMa laine maintient ma souffrance.
René Char, Doléances du feutre (Les Cahiers de la Pléiade/Gallimard, 1949)
08:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
Philippe Jaccottet
Philppe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard, 2008)
Toujours aussi discret, exigeant dans son style et ses émotions, notre plus grand poète suisse vivant poursuit ses réflexions sur le monde, la nature ou le sens de sa propre vie. Le ton est si juste qu’on se croit à ses côtés quand il parle de Verlaine ou de Schubert, de sa sœur Christiane ou de Kafka. Cet ami du silence sait mieux que quiconque parler de la lumière, de l’élan du rossignol, des couleurs du ciel, des églantines. Croyez-moi : Il faut rencontrer ou découvrir Philippe Jaccottet de toute urgence, parmi tant de bruit … Vous ne le regretterez pas.
06:49 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Kafka, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
15/06/2012
Morceaux choisis - Henri Thomas
Henri Thomas
Le poète parle, et tous les commentaires sur ses paroles sont vains, quand ce ne sont pas de lourdes âneries. Le lien entre le poète et qui l'écoute ne s'établit pas à travers la critique, il est infiniment plus direct, profond, ancien; les quatrains de la Fête des arbres et du Chasseur de René Char, les poèmes elliptiques et heurtés d'Armen Lubin, les merveilles précises de Supervielle, par exemple, agissent sur l'esprit comme ont dû le faire de très anciennes rhapsodies chantées sur les routes, un beau poème étant toujours comme ce fragment de statue exhumé, dont Rilke dit qu'il crie sans voix: Tu dois changer ta vie!
C'est ainsi que la poésie se défend, en créant son propre climat, comme le cinéma le sien avec ses cônes de rêves. Dans un monde pressé et catastrophique, elle est ralentissement et affirmation de ce qui demeure; elle peut être aussi l'accélération qui passe outre, vers une immobilité tragique. Mais en satisfaisant les immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise (Baudelaire), elle rejoint dans tous les cas le plus profond de l'homme. Qu'elle disparaisse (c'est toujours possible), tout semblerait pareil peut-être, comme le pastiche est pareil au texte vrai; on n'y verrait que du feu: bizarre perspective, presque tentante, comme tous les passages d'un règne à un autre.
Henri Thomas, Crin-crin critique (Les Cahiers dela Pléiade/Gallimard, 1949)
image: Arthur Rimbaud, Le dormeur du val / Manuscrit (fr.wikipedia.org)
14:24 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Jules Supervielle, Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; poésie; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
Paul Torday
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen (Belfond, 2008)
Les meilleures comédies sont construites sur un fond de gravité, comme en témoigne cette heureuse surprise littéraire. Alfred Jones est chargé de concrétiser un projet de construction au Yémen afin d’y introduire la pêche au saumon. Une pure folie à ses yeux, mais celle du commanditaire, Cheik Muhammad, est contagieuse. Si l’auteur de ce premier roman éreinte les politiques, les manipulateurs de l’économie et les médias, il nous offre aussi quelques pages très poétiques sur la pêche. Son regard croise deux cultures dans lesquelles les motivations aux actes les plus invraisemblables ne reposent pas seulement sur la réussite ou l’argent, mais incluent une bonne dose de patience, d’espoir et même de passion.
Egalement disponible en coll. 10/18 (UGE, 2009)
11:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
Au bar à Jules - De Genève
Un abécédaire: G comme Genève
En Helvétie - comme partout ailleurs - les commentaires solennels, les avis éclairés, les invectives verbales vont bon train en politique aux heures de grande écoute, à la télévision ou à la radio, où il n'est bientôt plus question que de leçons à tirer des élections passées ou de projections sur celles à venir.
Prenez l'exemple plutôt affligeant du canton de Genève: avec ses plus de 12 milliards de dettes - près de deux fois plus que le second mal classé en Suisse: Zurich - où nous nous préparons à élire un nouveau membre du Conseil d'Etat, en remplacement du radical-libéral Mark Müller, empétré dans une affaire privée, et dont la cécité politique, à propos de sa gestion des affaires, aura eu raison de sa fulgurante ascension, amorcée voici douze ans. Et de quoi donc nous entretiennent-ils, les candidats à ce poste très convoité, qu'il s'agisse de la socialiste Anne Emery-Torracinta, du radical-libéral Pierre Maudet, du MCG Eric Stauffer ou du vert-libéral Laurent Seydoux? De responsabilité sociale, d'insécurité, de halte aux privilèges, de qualité de vie, de frontaliers, de quête d'excellence ou de propreté! Ambitieux programme, certes, mais à propos du nerf de la guerre - la santé financière de Genève - un silence éloquent qui en dit long sur les autorités de la République au bout du lac. A croire que l'influence de nos voisins tricolores - pour leurs défauts, mais sans leurs qualités - n'en finit pas de couvrir de son manteau une région qui, décidément si peu suisse, aurait en d'autres temps mérité de s'y réfugier...
Paul Valéry notait déjà, bien avant ma naissance, dans un contexte différent, je vous l'accorde:Tout état social exige des fictions. Et plus pessimiste encore il ajoutait: Ce sur quoi nul parti de s'explique: chacun a ses ombres particulières, ses réserves; ses caves de cadavres et de songes inavouables; ses trésors de choses irréfléchies et d'étourderies; ce qu'il a oublié dans ses vues, et ce qu'il veut faire oublier. (...) Ils retirent pour subsister ce qu'ils promettaient pour exister. Ils se valent au pouvoir, ils se valent hors du pouvoir.
Ainsi, en plein accord avec ce grand homme, aux heures fatidiques des développements de l'actualité, j'éteins la radio et la télévision. Je reprends le fil de mes lectures, avec en toile de fond La musique sur FB, plutôt satisfait d'avoir évité l'incontournable orage médiatique. Mais soyez rassuré: quand, même sur les ondes, les voix de nos chantres de l'information se sont tues, je file sur la toile de l'Internet pour y mesurer ce qui agite l'Europe et le Monde, mais en choisissant avec soin les sujets qui retiennent mon attention. Un exercice qui réclame peu d'efforts et beaucoup de discipline, au quotidien: Trente minutes à peine, éloigné de cette politique dont Paul Valéry - encore lui - disait qu'elle est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde...
Après tout, une pensée autonome est peut-être bien la seule ou la dernière des libertés à me permettre de résister au pire et... d'en rire!
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (coll. Folio Essais/Gallimard, 1988)
image: planetephotos.blog.tdg.ch
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Le monde comme il va, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; politique; livres | | Imprimer | Facebook |
14/06/2012
Morceaux choisis - Luis Nucera
Luis Nucera
A l'approche de la côte de Chanteloup, là où René Vietto gagna la Polymultipliée en 1938, je songeais de nouveau à ces moments de l'enfance qui forment une fraction du personnage que l'on deviendra, qui déterminent un volet de nos passions. Pourquoi celui-ci collectionne-t-il des bagues à cigare et son voisin des papillons morts? Pourquoi cet autre préfère-t-il la pêche à la ligne plutôt que de se joindre à la foule d'un stade en délire? Qu'est-ce qui prélude au choix? Avec une sensibilité bien niaise, je revoyais pour la énième fois l'image du Tour de France 1934, cette image de désolation et de guet où le Roi René, assis sur un muret, le visage grimaçant et baigné de larmes, la main gauche sur la cuisse, l'autre sur son mollet droit, son vélo (amputé de la roue avant) à ses côtés, attendait du secours.
Comment expliquer - sinon en fouillant les replis où l'enfance se calfeutre - que cette photographie, quarante ans plus tard, m'inspirait encore ce solfège de sensiblerie? Quand j'attaquai la côte, une autre photo se superposa: Vietto entraînant Kléber Piot, Robert Chapatte et tout un peloton arc-bouté par l'effort; c'était en 1947 dans le Circuit des boucles de la Seine; mais c'est Bobet qui gagnera. Une impatience physique me faisait oublier que j'aurais dû demander une licence à l'association sportive des fossiles: l'illusioniste chassait en moi le réaliste. Un groupe me rendit à la raison. Il me doubla avec une facilité qui me recroquevilla dans ma petitesse. Je redescendis vers le village, installé sur des coteaux ou s'étagent des vignes, et me consolai en écrivant une carte postale au Roi René. Cette carte, je ne l'expédiai pas. Un catéchumène du cyclisme ne perturbe pas les méditations du grand prêtre...
Luis Nucera, Le Roi René - La passion du vélo (Le Comptoir, 1996)
image: René Vietto (uncp.net)
11:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; sport; livres | | Imprimer | Facebook |