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14/06/2012

La citation du jour

Hector Bianciotti

citations; livres 

Un livre ne s'adresse pas aux vivants, encore moins aux générations à venir; il veut consoler les morts, leur rendre justice, leur accorder une dignité, parachever leur vie - la foule des morts qui dévale de partout, nous entoure, se presse, et parfois entre en nous, nous remplissant d'un bavardage qui cherche les mots justes et une cadence pour qu'enfin l'on entende ce qu'ils avaient à nous dire. Ecrire, c'est suivre leur pas sans trace, leur donner la parole, devenir leur écrivain public. Les morts en ont besoin, qui s'égarent sans fin dans un rêve plus grand que la nuit.

Hector Bianciotti, Sans la miséricorde du Christ (Gallimard, 1983)

13/06/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

C’est tout ce que nous aurions voulu faire
et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole
et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés
sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser
par le fer sans jamais l’atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues
parce qu’il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume
pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes
par goût fondamental de l’éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs
et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface
et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

12/06/2012

Morceaux choisis - Michael Cunningham

Michael Cunningham

littérature; roman; morceaux choisis; livres

pour Thierry DS

Il est possible de mourir. Laura pense soudain qu'elle peut - que n'importe qui peut - faire un tel choix. C'est une idée insensée, vertigineuse, quelque peu désincarnée, qui se profile dans son esprit, faiblement mais distinctement, comme le lointain grésillement d'une voix à la radio. Elle pourrait décider de mourir. C'est une notion abstraite, tremblotante, pas vraiment morbide. Les chambres d'hôtel sont des lieux où les gens accomplissent ce genre de choses, n'est-ce pas? Il est possible - cela n'aurait rien d'invraisemblable - que quelqu'un ait mis fin à ses jours ici-même, dans cette pièce, sur ce lit. Quelqu'un a dit: ça suffit, j'arrête; quelqu'un a regardé une dernière fois ces murs blancs, ce plafond blanc et lisse. En allant dans un hôtel, c'est évident, vous laissez derrière vous les détails de votre vie, et pénétrez dans une zone neutre, une chambre immaculée, où mourir n'est pas si étrange.

Ce pourrait être un immense apaisement, se dit-elle; une telle libération: de simplement partir. De dire à tous: Je n'y arrivais pas, vous n'en aviez pas idée; je ne voulais plus continuer. Il y aurait là une beauté effrayante, comme une banquise ou un désert au petit matin. Ele pourrait, ainsi, pénétrer dans cet autre paysage; elle pourrait les laisser tous derrière - son enfant, son mari et Kitty, ses parents, tout le monde - dans ces univers ravagés (il ne retrouvera jamais son unité, il ne sera jamais tout à fait pur), à se dire l'un à l'autre, à dire à ceux qui poseraient la question: Nous pensions qu'elle allait bien, nous pensions que ses chagrins étaient des peines ordinaires. Nous n'avions pas compris.

Elle caresse son ventre. Je ne pourrais jamais. Elle prononce les mots à voix haute dans la chambre silencieuse: "Je ne pourrais jamais." Elle aime la vie, elle l'aime éperdument, du moins à certains moments; et elle tuerait son fils en même temps. Elle tuerait son fils et son mari, et l'autre enfant, qui grandit en elle. Comment s'en remettraient-ils? Rien de ce qu'elle pourrait faire dans sa vie d'épouse ou de mère, rien, aucune défaillance, aucune crise de rage ou de dépression, ne serait comparable à un tel geste. Ce serait tout simplement atroceCela creuserait un trou dans l'atmosphère, à travers lequel tout ce qu'elle a créé - les journées bien ordonnées, les fenêtres éclairées, la table mise pour le dîner - serait à jamais englouti.

Pourtant, elle est contente de savoir (car d'une certaine manière elle sait) qu'il est possible e cesser de vivre. Il est consolant d'être confrontée à la totalité des options; de considérer tous les choix possibles, sans crainte et sans artifice. Elle imagine Virginia Woolf, virginale, l'esprit égaré, vaincue par les impossibles demandes de la vie et de l'art; elle l'imagine entrant dans la rivière, une pierre dans sa poche. Laura continue de caresser son ventre. Ce serait aussi simple, pense-t-elle, que de prendre une chambre dans un hôtel. Aussi simple que ça.

Michael Cunningham, Les heures (coll. 10-18/UGE, 2011)

traduit de l'anglais par Anne Damour

image: Virginia Woolf

23:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Musica présente 15 - Daniel Barenboim

Daniel Barenboim

pianiste et chef d'orchestre israélien/argentin, né en 1942

*

Ludwig van Beethoven

Symphony No 9 D minor, Op 125 - "Choral"

(Anna Samuil, Waltraud Meier, Michael König, René Pape, National Youth Choir of Great Britain, West Eastern Divan Orchestra)


 

03:45 Écrit par Claude Amstutz dans Daniel Barenboim, Ludwig van Beethoven, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/06/2012

Morceaux choisis - Marcel Proust

Marcel Proust

partition.jpg

Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d'eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n'est qu'en la dédaignant qu'il la trouve, quand il entonne ce chant singulier dont la monotonie - car quel que soit le sujet qu'il traite, il reste identique à soi-même - prouve chez le musicien la fixité des éléments, tout ce résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l'ami à l'ami, du maître au disciple, de l'amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu'il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu'ense limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l'art, l'art d'un Vinteuil comme celui d'Elstir, le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l'art nous ne connaîtrions jamais? Des ailes, un autre appareil respiratoire, et qui nous permissent de traverser l'immensité, ne nous serviraient à rien, car si nous allons dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d'eux voit, que chacun d'eux est; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d'étoiles en étoiles.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu - La prisonnière (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1954)

image: http://sososan.wordpress.com

23:19 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Musica présente | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Actualité de la poésie 1/2

Bloc-Notes, 10 juin / Les Saules

littérature; poésie; livres

Après les cinq premiers livres tirés de la besace offerte par mes libraire préférés, en voici cinq autres qui ne manqueront pas d'intéresser tous les passionnés de poésie.

Honneur à la littérature suisse, pour commencer, avec Figures de la patience sous la plume de ce grand poète et prosateur qu'est François Debluë. Des méditations, réflexions, pensées ou poèmes courts traversent ces pages autour de l'attente, de la soif, de la nature et des êtres gonflant les voiles... de nos impatiences. Vrai que la beauté peut être mortelle: celle d'un paysage, celle d'un corps, celle d'un chef-d'oeuvre. Mais ce n'est pas tant la beauté même qui nous atteint si dangereusement, que l'imposibilité où nous sommes de la rejoindre, de l'épouser. L'impossibilité que nous éprouvons des joies éternelles de noces sans fin...

Un seul geste de Laurence Verrey - née à Lausanne - emprunte un style à la fois sensuel, sobre, fiévreux pour dire l'ivresse et la fusion possible avec la nature, avec l'autre: une quête douloureuse, fulgurante comme le désir, éphémère et changeante comme le vent dans les arbres. A toi la fenêtre, les mains blanches de la lune, à vous les sables, le toucher subtil du graveur, l'écriture du Christ sur le sol: ce jour-là, aucune pierre ne fut ramassée pour lapider une femme. A toi la terre effleurée, ces signes tracés dans le silence. Rime légère, c'était le doigt d'un roi.

Avec L'invention des désirades et autres poèmes, nous quittons l'Helvétie. Daniel Maximim  - poète, romancier et essayiste guadeloupéen - le texte ressemble à une danse où se mêlent soleil, musique, corps à coeur et bonheur présent, malgré les heures fragiles, le doute, la solitude. Les chants les plus beaux - donc - ne sont pas forcément les plus désespérés: Fidèle pour ma part j'écoute ton silence: une embellie de confidence en lisant dans tes lucioles tout ce qu'il y a de ferveur dans une désirade, ce qu'il y a de justice dans une mémoire bonne, ce qu'il y a de fertile dans nos frissons, de fontaines dans ta forêt, de sentiers dans nos destinées.

Autre petit bijou que ce recueil de Julie Delaloye, Dans un ciel de février. Une beauté intérieure où les mots empruntent la trajectoire des heures et saisons, telle une respiration naturelle qui saurait fixer sur le papier ce que - sans talent créateur - nous devons nous contenter de ressentir: Elle entre à peine, s'adosse à la fraîcheur, souveraine, sortie de l'obscur des sapins. Comme elle la respire, cette lumière, cachée dans l'embrasure de ses songes apaisés. Fragile instant, avant le jour, dont on recueille l'élan, le souffle si simple, entre les formes du vent et de sa voix claire.

Pour terminer ce tour d'horizon, voici L'heure injuste - Anthologie poétique. Présenté par Valère Staraselski, ce volume se décline en thèmes - L'heure injuste, Pays d'écueil, Avenirs solitaires, Avenirs des espérés - et regroupe une vingtaine d'auteurs qui, Thierry Renard excepté, sont peu connus et dont la voix, à l'image de Marc Rousselet, ravit le lecteur de poésie: Vous osez, gens de maraude à rêves d'épiciers, bluter les scories d'un passé casqué. Rendez-vous est pris. A ce jour, nous n'avons à vous opposer que l'arc de notre âme romane et la flèche bleue de nos cyprès. Mais entre Montmirail et Vetoux germe notre cri de ralliement. Le bruit de vos actes avoue vos ténèbres, il vous désigne du carnage et du charnier. Des dèmain nous apprendrons des renardeaux l'art de vous traiter.  

Une bien belle gerbe de poèmes que vous réservent les auteurs présentés hier et aujourd'hui, pas toujours faciles à trouver en présentation, chez nos amis libraires...   

François Debluë, Figures de la patience (Empreintes, 1998)

Laurence Verrey, Un seul geste (Empreintes, 2010)

Daniel Maximin, L'invention des désirades et autres poèmes (coll. Points/Seuil, 2009)

Julie Delaloye, Dans un ciel de février (Cheyne, 2008)

Valère Staraselski, L'heure injuste - Anthologie poétique (La Passe du Vent, 2005)

image: Thierry Renard


20:18 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/06/2012

Actualité de la poésie 1/1

Bloc-Notes, 9 juin / Les Saules

littérature; poésie; livres

La poésie continue de nous réserver de bien belles surprises au fil des parutions récentes. Parmi celles-ci, peuvent être citées deux anthologies intéressantes, parues dans la collection Points, aux éditions du Seuil. La première, conçue par Abdelmadjid Kaouah, nous présente Quand la nuit se brise - Anthologie / Poésie algérienne. Une opportunité de découvrir une cinquantaine d'auteurs, dont la plupart - à l'exception de Rachid Boudjera, Mohammed Dib, Tahar Djaout, Assia Djebar, Nabile Farès ou Jean Sénac - sont inconnus du grand public, tels Mohammed Haddadi: Il a neigé gris sur nos coeurs. Toutes nos peines ont germé, au mépris des saisons. Le jour s'est revêtu de sa très fade ardeur. Le ciel est noir... 

La seconde anthologie - en édition bilingue - aux bons soins de Jean Amrouche, s'intitule Chants berbères de Kabylie - Poésie kabyle. Regroupés par thèmes - l'exil, l'amour, la satire, le travail, la danse, la méditation - ces chants témoignent, ainsi que le mentionne l'auteur dans sa présentation, de l'appartenance à un peuple: ses épreuves, ses misères, son humiliation, sa gloire secrète, ses espoirs, sa volonté de survivre: Comment exhumer la joie souterraine sans la déraciner du jour, comment fleurir le combat sans tarir les larmes? Qu'aimer soit notre seule gloire à tout jamais éternelle, qu'aimer soit notre seule prière au plus divin de l'humain

Autres publications valant mieux qu'un détour, deux recueils parus aux éditions Lire et Méditer. Sous la plume de An Ishtar et Abbassia Naïmi, voici De l'amertume fleurissent les jasmins, célèbrant la blessure, la révolte, l'indignation, mais aussi l'amour, la musique intérieure, le langage: cette graine d'espoir capable de traverser même les murs. A quoi bon parler quand ils ne peuvent écouter, à quoi bon crier pour ceux qui ne peuvent entendre, pourtant se taire et laisser faire je ne peux le comprendre...

Signé Marie Hurtrel, Un tilleul au Cameroun chante la magie que lui inspire ce pays, ses points de convergences et de contradictions, avec des mots égrenés sur le ton de la confidence et souvent de l'anecdote, où la petite histoire - personnelle - rejoint par des chemins imprévus la grande: Je voudrais briser les frontières de la vie et la terre, voler aux palombes leurs ailes, prendre le premier nuage qui passe, je voudrais suivre le vent...

Enfin, dans la collection Poésie chez Gallimard, est édité Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française, sous la direction de Zéno Bianu. L'intérêt de cet ouvrage est de nous présenter un vaste panorama de l'érotisme en poésie - près de 600 pages - du Moyen-Age à nos jours, avec parfois des textes rares d'auteurs connus - Robert Desnos ou Edmond Jabès, par exemple - mais l'ensemble de ce choix assez inégal pèche par manque de rigueur, bon nombre de textes en prose se mêlant à la poésie. De plus, certains écrivains modernes - chez les surréalistes surtout - ne méritent pas vraiment d'être exhumés, leur qualité littéraire étant avec le recul du temps, plutôt affligeante, à mon sens. Mais à vous de juger!

Demain, suite de ce voyage en poésie, avec quelques autres perles rares: pas liées au calendrier des parutions, cette fois-ci... 

Abdelmadjid Kaouah, Quand la nuit se brise - Anthologie / Poésie algérienne (coll. Points/Seuil, 2012)

Jean Amrouche, Chants berbères de Kabylie - Poésie kabyle (coll. Points/Seuil, 2012)

An Ishtar et Abbassia Naïmi, De l'amertume fleurissent les jasmins (Lire et Méditer, 2011)

Marie Hurtrel, Un tilleul au Cameroun (Lire et Méditer, 2012)

Zéno Bianu, Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012)

image: Quint Buchholz, Art on Books - http://www.libriantichionline.com/


23:53 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Morceaux choisis - Edouard Zarifian

Edouard Zarifian

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Il y a deux choses que personne ne peut faire à votre place: désirer et engager votre volonté. Ne laissez pas les autres désirer pour vous et n'attendez que de vous la mise en oeuvre de votre volonté. C'est difficile, c'est vrai. Surtout au début. Mais, dès que vous avez commencé, sans vous lasser, en sachant attendre un peu, les premiers changements vous encouragent à persévérer et vous n'avez plus besoin de personne pour vous encourager. Or, dans notre société, tout est fait pour dissuader de l'effort et de la volonté. La raison est simple: cela ne se vend pas dans la société marchande. La volonté est même le concurrent le plus puissant de la publicité, de l'objet vendu, de l'illusion d'une possession matérielle.

C'est pourquoi on ne vous dira jamais que cette force existe en vous et que vous avez tort de dire: "Moi, je n'y arriverai jamais." La seule chose qui devrait être encouragée et fortifiée à l'école, c'est le culte de l'effort et de la volonté. Angélisme? Idéalisation? Non, arme terrible à laquelle rien ne résiste. Obtenir tout sans effort est tellement tentant que cette idée est facile à vendre. Ne vous occupez de rien. Achetez. Je vous vends la santé, la beauté, la jeunesse. L'intelligence, c'est plus difficile à vendre et, de nos jours, cela ne tente pas grand monde. Alors, précipitez-vous sur les recettes (toujours miracles), les appareils (être musclé en huit jours), les régimes (toujours sans effort), le bonheur en gélules, la beauté en crème, que sais-je encore... Il suffit d'ouvrir les yeux, chez soi, dans la rue, à la télévision, sur les routes, partout où une annonce peut accrocher votre intérêt pour se voir proposer l'illusion du réel et les symboles de la réussite. A condition de payer...

Il est légitime que certains, les plus nombreux, préfèrent une vie sans effort. Pourquoi modifier mon alimentation si je peux maigrir en ne changeant rien à mes habitudes? Pourquoi marcher tous les jours, éliminer ce qui m'est nocif, cultiver ma volonté? C'est vrai, pourquoi prendre le temps de vivre vraiment, puisqu'on doit mourir un jour? La réponse, vous l'aurez au moment où vous dresserez le bilan de ce que cette attitude de refus de l'effort vous a apporté, ou quand il sera déjà trop tard...

Je sais, mon discours n'est pas facile. Je ne vends rien, pas même ce livre puisque c'est déjà fait et que vous le lisez. Je n'ai à vous proposer aucun produit sur Internet, aucune recette à effet immédiat, aucune illusion. La volonté, votre volonté, c'est de l'effort prolongé dans le temps. L'effort et le temps forment une alliance qui vous surprendra.

Edouard Zarifian, Le goût de vivre - Retrouver la parole perdue (coll. Poche/Odile Jacob, 2007)

02:24 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sciences humaines; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Kim Thuy

9782867465321.gifKim Thuy, Ru (Liana Levi, 2010)

Le parcours de Nguyen An Tinh ressemble à celui de nombreuses autres femmes, contraintes à fuir le Vietnam à l'arrivée des communistes au pouvoir, pour se réfugier au Québec ou aux Amériques. Pourtant, l'auteur de ce premier roman, par ses souvenirs ou anecdotes puisées dans la quotidien, sait montrer, avec beaucoup de lucidité, de fraîcheur, de contrastes, la singularité de son héroïne qui n'a reçu, pour tout héritage, que la mémoire prolongeant la vie de sa mère jusqu'à l'exil, qui la rend à son tour étrangère aux siens. Au fil de sa destinée où s'entremêlent guerre et paix, elle fait sienne le proverbe qu'elle a autrefois entendu: La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite. Sa survie, puis ses moments de bonheur, n'ont su lui épargner le pire qu'à ce prix.

En français, ru signifie petit ruisseau et au figuré, écoulement (de larmes, de sang, d'argent). En vietnamien, ru signifie berceuse, bercer. (note de l'auteur)

également disponible en format de poche (coll. Piccolo/Liana Levi, 2011 et Livre de Poche/LGF, 2012)

02:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Morceaux choisis - Mahmoud Darwich

Mahmoud Darwich

Mahmoud Darwich 2.jpg

Si cet automne est le dernier,
demandons pardon
pour le sac et le ressac de la mer,
pour les souvenirs...
pour ce que nous avons fait
de nos frères avant l'âge du bronze.
Nous avons blessé tant de créatures
avec des armes faites des os de nos frères,
pour devenir leurs descendants près des sources.
Demandons pardon
à la harde de la gazelle
pour ce que nous lui avons fait subir
près des sources,
quand un filet de pourpre serpenta sur l'eau.
Nous ne savions pas que c'était notre sang
qui consignait notre histoire
dans les coquelicots de ce bel endroit.
 
Si cet automne est le dernier,
unissons-nous aux nuages
pour apporter la pluie aux plantes suspendues
au-dessus de nos chants,
pour pleuvoir sur les troncs des légendes...
sur les mères revenues à leur enfance,
pour recouvrer notre récit
de conteurs qui ont rallongé
les épisodes de la migration.
Nous aurions pu les modifier un peu
que s'apaisent en nous les cris des palmiers.
 

Mahmoud Darwich, Nous choisirons Sophocle et autres poèmes (Actes Sud, 2011)

traduit de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar

01:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Mahmoud Darwich | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |