03/07/2012
Musica présente - 19 Blandine Verlet
Blandine Verlet
claveciniste française et professeur, née en 1942
*
Jean-Philippe Rameau
Suite en Mi
(Allemande - Courante - Gigues en rondeau - La Villageoise - Le Rappel des Oiseaux - Musette en rondeau - Rigaudon et double - Tambourin)
05:54 Écrit par Claude Amstutz dans Blandine Verlet, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |
02/07/2012
Morceaux choisis - Henri Calet
Henri Calet
Les Suisses, même dans les villes,recherchent plus les jouissances de la vie intérieureque les plaisirs brillants de la société.Le goût de la musique est très répandu chez eux.
(Cours de Géographie)
Le 14 juillet à Paris, le 1er août en Suisse: deux fêtes nationales coup sur coup, j'étais comblé. Les réjouissances commençèrent à la tombée du jour, au passage à niveau. C'est là que se groupa le cortège. Trois gendarmes en tête (ou ce que je pris pour des gendarmes) suivis par L'Instrumentale, bannière au vent - il n'y avait pas de vent -, après venaient quelques sapeurs-pompiers du genre dragons d'Alcala, puis ensuite un groupe de marins à pompons rouges, des gymnastes, les autorités civiles que j'allais oublier, le drapeau fédéral et sa garde d'honneur casquée, habillée de cet uniforme gris qui ne me plaît pas beaucoup, enfin des dames et demoiselles en costumes vaudois et une ribambelle de gosses portant des lampions. L'ensemble était pittoresque.
Et nous partîmes, au pas, en musique, en direction du château de Chillon tandis que je sentais grandir en moi un patriotisme tout nouveau. A notre approche, le boucher fit éclater deux pétards. Plus loin, le fruitier embrasa sa devanture. On déboucha devant le château, où des guirlandes électriques multicolores avaient été tirées entre les arbres. Une tenture rouge marquée à la croix blanche formait toile de fond.
Un monsieur monta dans une sorte de chaire pour nous lire le programme. Une intense émotion rendait son élocution des plus particulières. En outre, il coupait son discours de pauses inexplicables. Il me sembla que deux mots revenaient assez souvent: ... croissants chauds... croissants chauds... On allait bénéficier d'une distribution de croissants chauds. Une vieille coutume suisse, possiblement.
Là-dessus, L'Instrumentaliste joua Au Drapeau et puis un pot-pourri. Bonne soirée. Un des musiciens s'affaissa soudain, sans bruit. On le porta à l'écart, en bordure de la voie ferrée. Nous nous dîmes qu'il avait trop bu et la fête continua. Un autre monsieur était en chaire; il allait nous faire l'allocution patriotique attendue. Il s'exprimait bien. Nous écoutâmes une longue harangue dans laquelle il fut question d'une conférence importante qui se tenait à Paris, de l'industrie hôtelière, de l'armée suisse, et de bien d'autres sujets. Pendant ce temps, le musicien se roulait par terre en se griffant la poitrine. Il paraissait souffrir. Le monsieur arrivait à la péroraison...
- Tous pour un, un pour tous! s'écria-t-il.
Personne ne s'inquiétait du musicien toujours occupé à se contorsionner dans l'herbe. Une courte phrase pour conclure:
- J'ai dit!
Nous applaudîmes sans excès de chaleur. Après cela, des adolescents firent des mouvements de gymnastique rythmique et des sauts aux barres parallèles... On se décida à transporter le musicien hors de la foule. C'était un homme assez grand, jeune encore, très pâle; il fermait les yeux, comme s'il allait mourir. Je me demande quel effet cela produit en soi d'avoir très mal ainsi parmi une cohue joyeuse, au grand air. L'Instrumentale exécuta le Cantique suisse. Et nous nous séparâmes sans qu'il y eût aucune distribution de croissants chauds. J'avais du mal à comprendre.
Le musicien était étendu sur un matelas, entouré de petits enfants curieux. Il est mort là, une nuit de fête nationale, sans faire de bruit, et sans même que l'on s'en aperçut, en grande tenue à brandebourgs de trombone de L'Instrumentale. Certes, nul ne choisit son instant ni son coin pour cela. Qui sait où et quand il nous adviendra de nous mettre à agoniser et à mourir. Il n'est pas certain que nous nous y prenions aussi simplement, aussi dignement que le trombone ni que nous ayons des enfants tout autour de notre lit - si, par chance, nous avons un lit - ni que l'on joue le Cantique suisse à notre intention, ni que l'on éclaire le ciel de fusées roses et vertes...
Henri Calet, Rêver à la Suisse / 1948 (Pierre Horay, 1984)
image: François Boçion, La promenade devant Chillon /1868 (www.huma3.com)
11:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; voyages; livres | | Imprimer | Facebook |
01/07/2012
Au bar à Jules - De la joie 1b
Un abécédaire - J comme Joie
Une illustration musicale signée Barbara: Chapeau bas. Un document de l'ORTF pour l'émission Cabaret du soir, réalisé le 3 janvier 1959...
17:49 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Barbara, Chansons inoubliables | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique; variété | | Imprimer | Facebook |
Au bar à Jules - De la joie 1a
Un abécédaire - De la Joie
Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann, parle de la Sonate de Vinteuil - entendue pour la première fois chez les Verdurin - comme d'un plaisir à la fois sensuel, affectif et spirituel capable de laisser ressurgir des fragments de la vie de son narrateur, moments de la mémoire retrouvée, à la fois uniques par leur empreinte indélébile et hors d'atteinte par leur fixation dans le temps, désormais: ici, le reflet de son amour pour Odette de Crécy.
Les instants - souvent brefs ou sans objet particulier - témoignant d'heures heureuses dans ma vie sont de même, autant qu'il m'en souvienne, liés à une phrase musicale. Ainsi en est-il d'un jour pluvieux à Paris non loin des Champs-Elysées où, très tôt le matin, dans un magasin de disques déserté par les clients, j'ai été saisi par le timbre pur, aérien, presque irréel de Teresa Stich-Randall, interprétant le Exultate Jubilate de Mozart. Une minute d'éternité et de joie intérieure mémorables. Bien des années, plus tard, à Londres dans Oxford Street, chez HMV, la même impression, plus ancrée dans le réel, me laisse un arrière-goût tonique et rageur - en pleine phase de reconstruction personnelle - en entendant Cindy Lauper chanter Time after Time, ou David Bowie et son We are the Dead.
En live, trois images de plénitude et de joie mêlées, ne m'ont jamais quitté: Au Grand Théâtre de Genève, où dans un silence impressionnant au milieu de fans désarmés et au bord des larmes, j'ai vécu le plus beau des concerts de Barbara, en véritable osmose avec son public quand elle joua les premières notes de Chapeau bas: quelque chose de charnel et presque mystique jamais plus éprouvé depuis lors; dans une toute autre ambiance, ce fut The last Night of the Prom's à l'Albert Hall - à Londres encore - sous la conduite de John Pritchard avec le Jerusalem de Parry repris en choeur par tous les spectateurs, dans un climat de fierté, de liesse généreuse et de ferveur comme seuls les britanniques en pareilles circonstances savent l'exprimer; enfin lors d'une retraite à l'Abbaye cistercienne de Hauterive, dans le canton de Fribourg - un 1er août - après l'Office des Complies, l'organiste dans un silence monastique extrêmement émouvant avait interprété à l'orgue l'Hymne National Suisse, seule dérogation au rythme habituel des heures, avant l'extinction des feux: un temps fort de proximité et de distance avec le monde...
De même - dans la joie partagée mais aussi dans la douleur - les visages de mes plus belles rencontres évoquent souvent une couleur musicale: Schubert, Mahler, Beethoven, Mozart, Berlioz, Chopin ou Liszt, mais de même les airs tsiganes, le tango, Jacques Brel ou Bob Dylan. Un habillage qui ne change rien aux souvenirs ou au temps présent, mais qu'ainsi nul autre ne dessine dans sa relation à l'autre, d'une manière identique, comme un invisible ADN...
Les joies du monde sont notre seule nourriture. La dernière petite goutte nous fait encore vivre. (Jean Giono)
Marcel Proust, Du côté de chez Swann (coll. Folio/Gallimard, 2001)
Jan Giono, Que ma joie demeure (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 2011)
image: Barbara (theinkbrain.wordpress.com)
16:49 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Barbara, Franz Schubert, Frédéric Chopin, Gustav Mahler, Hector Berlioz, Jacques Brel, Ludwig van Beethoven, Marcel Proust, Teresa Stich-Randall, Wolfgang Amadeus Mozart | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; musique; variétés; livres | | Imprimer | Facebook |
30/06/2012
Le Passe Muraille
Le Passe Muraille, no 89, juin 2012
Le dernier numéro de cette revue - comme vous pouvez le découvrir dans l'éditorial de Jean-Louis Kuffer - est, fait exceptionnel, consacré aux écrivains qui prennent la relève en Suisse romande: Après la disparition des figures romandes que furent une Alice Rivaz, un Georges Haldas. un Jacques Chessex, un Maurice Chappaz, ou tout récemment un Jean Vuilleumier, y a-t-il continuité ou rupture entre ceux-là et les auteurs nés après 1980, alors que disparaissent les revues, les rubriques littéraires dignes de ce nom et toute une société de lecteurs attentifs? C'est à ces questions que nous aimerions donner une ébauche de réponse dans cette livraison d'été du Passe Muraille réservée exclusivement, en cette vingtième année, à des auteurs de moins de trente ans.
Lisez, écoutez et partagez ces nouvelles voix, auxquelles répondent aussi de jeunes éditeurs dotés d'un formidable culot comme ont su en faire preuve leurs prédécesseurs en des temps aussi troublés que les nôtres, preuve que l'intuition associée à un grain de folie demeure capable de faire jaillir des fleurs rares entre les terres inhospitalières, aujourd'hui comme hier...
Bonne lecture à tous!
Sommaire du Passe-Muraille no 89
p.1
Notre-Dame-de-la-merci, par Quentin Mouron - Inédit
Ecrire la vie devant soi, par Jean-Louis Kuffer
p.2
Au point d'effusion des égoûts - Quentin Mouron, par Claude Amstutz
p.3
Horizon de paille, par Douna Loup - Inédit
Chroniques de l'Occient nomade - Aude Seigne, par Jean-Louis Kuffer
p.4
Avis d'essai, par Timothée Léchot
Le coup de jeune de l'AJAR, par Jean-Louis Kuffer
Sur des airs de jazz: variations sur trois standards, par Nicolas Lambert
p.5
Ours, merci de libérer les portes, par Daniel Vuataz - Inédit
p.6
Julien Burri, poète et conteur, par Jean-Louis Kuffer
Le droit chemin, par Guy Chevalley - Inédit
p.7
Le retour, par Noémi Schaub - Inédit
p.8
Peut-être l'Afrique, par Bruno Pellegrino - Inédit
Entretien avec Max Lobe: L'Afrique à la Rue de Berne, par Jean-Louis Kuffer
p.9
Le puits, par Elodie Gelrum - Inédit
Sébastien découvreur, par Sébastien Meyer
p.10
Portrait du corps en jeune homme, par Matthieu Ruf - Inédit
Voici le chemin, par Vincent Yersin
p.11
La Grâce, par Fanny Wobmann-Richard - Inédit
Entretien avec Mathias Clivaz: Terre sur terre, par Patrick Vallon
p.12
Visions de Jack, par Maxime Maillard - Inédit
image: Quentin Mouron
Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/
06:33 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Le Passe Muraille, Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; nouvelles; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
29/06/2012
Dominique Fernandez
Dominique Fernandez, L'art de raconter (Grasset, 2007)
Un exercice personnel, passionnant, tout à fait accessible, qui peut réjouir beaucoup d’amoureux de la littérature. Bien sûr, Fernandez évoque Stendhal, Dickens ou Morand, mais il attire souvent aussi l’attention sur quelques phénomènes tels Traven - Le trésor de la Sierra Madre, Le chagrin de Saint Antoine - ou Chase, pour certains de ses titres de gloire - Pas d’orchidées pour Miss Blandish, L’abominable pardessus, Un beau matin d’été - injustement dépréciés. Le chapitre consacré à Simenon et à son étude parallèle sur Gide mérite à lui seul de rafraîchir notre mémoire! Enfin, pour conclure, sa chronique consacrée aux œuvres ultimes - Proust, Michel-Ange ou Verdi – est foisonnante, sensible, pertinente.
Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2008)
05:38 Écrit par Claude Amstutz dans H.B. dit Stendhal, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
28/06/2012
Au bar à Jules - De l'indignation
Un abécédaire - I comme Indignation
Certains mots, tant galvaudés dans les conversations, le commerce ou dans les médias, semblent perdre toute signification, toute saveur, toute perspective. Un exemple parmi tant d'autre, vécu dans mon activité professionnelle, se trouve dans le terme coups de coeur - appliqué au livre, au CD ou au cinéma - devenu l'emblème des restaurateurs, des bouchers, des géants de la distribution en produits alimentaires ou activités de loisirs. Ce qui à l'origine relevait d'un lien personnel entre une personne et une autre, s'est mué en stéréotype collectif. Donc, sans intérêt désormais en ce qui concerne le terme, ce qui ne s'applique pas - bien sûr - à la démarche.
Un autre aperçu de cette banalisation recouvre le terme de l'indignation, retrouvant miraculeusement près de quatre millions d'adeptes, grâce à Stephane Hessel dont l'opuscule consacré à ce sujet, s'est vendu dans près de cent pays. L'expression d'un résistant, d'un honnête homme engagé et convaincu, un phénomène de l'édition, me direz-vous. Un mécanisme de contagion auprès du grand public? Oui, peut-être, mais sous conditions: tant que l'indignation n'est pas une leçon de morale obligée, tant qu'elle n'est pas le quotidien reflet des seules intentions, tant qu'elle ne traduit pas uniquement une pensée convenue ou le sentiment d'une bonne conscience bien vite reléguée aux oubliettes de l'histoire: celle d'un dogme monocolore valable pour tous.
Socrate pourrait nous redire à son exemple, que l'indignation, c'est déjà ne pas accepter la règle du jeu - à commencer par celle des politiques de tous bords -, de passer à l'épreuve du feu les faits davantage que les idées afin de réformer, ou mieux, stimuler nos actes, notre propre sens de la justice, nos convictions intimes à découvert.
Pour tous ceux, de plus en plus nombreux, à qui il ne reste que l'indignation - alors qu'ils ont perdu tout le reste - la révolte est parfois, trop rarement, capable d'interpeller les scandalisés du système et les lecteurs de Stéphane Hessel, de concrétiser l'inacceptable et lui donner un sens universel. Hannah Arendt nous laisse une réflexion qui devrait faire son chemin, aujourd'hui encore: Ce ne sont pas la fureur et la violence, mais leur absence évidente, qui devient le signe le plus évident de la déshumanisation.
L'indignation, n'est que le premier pas - en s'abstenant d'offenser ou de haïr comme le rappelle Epictète - contre l'hypocrisie ou pire, l'indifférence...
Stéphane Hessel, Indignez-vous! (Editions Indigène, 2010)
Hannah Arendt, Du mensonge à la violence (coll. Agora/Pocket, 2007)
image: Socrate / Académie d'Athènes (www.123rf.com)
17:32 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
Morceaux choisis - François Mauriac
François Mauriac
Fernand regarda autour de lui: c'est bien la chambre où Mathilde est morte. Voici le cadre en coquillages où elle ne sourit pas. Un oiseau grimpeur chante avec sa voix de printemps. Matinée pleine de fumée et de soleil. Pour rejoindre Mathilde, il lui faut remonter des profondeurs de sa vie à l'extrême surface du passé le plus proche. Il essaie de s'attendrir, songeant comme ils ont peu vécu ensemble. Maintenant la bru n'a plus sur la belle-mère l'avantage d'être morte: sa vieille ennemie l'a rejointe dans le troisième caveau à gauche, contre le mur du fond. L'une et l'autre appatiennent désormais à ce qui n'est plus; et Fernand s'irrite de la petite part de sa vie dévolue à l'épouse, alors que la mère couvre de son ombre énorme toutes les années finies.
Il achève de s'habiller, erre au jardin, regarde à la dérobée la fenêtre du bureau où ne l'irritera plus une vieille tête à l'affût. Est-ce parce qu'il ne se sait plus ainsi épié, qu'il éprouve si peu le désir de rejoindre Mathilde? Fallait-il que cet immense amour obsédant de sa mère le cernât de ses flammes pour que, traqué, il descendit en lui-même jusqu'à Mathilde? Voici que l'incendie est éteint. Ce brasier, qui le rendait furieux, soudain le laisse grelottant au milieu de cendres. Il existe des hommes qui ne sont capables d'aimer que contre quelqu'un. Ce qui les fouette en avant vers une autre, c'est le gémissment de celle qu'ils délaissent.
François Mauriac, Génitrix (coll. Livre de Poche/LGF, 1979)
07:02 Écrit par Claude Amstutz dans François Mauriac, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
27/06/2012
Le poème de la semaine
Jules Supervielle
(Lettre à l'étoile) Tu es de celles qui saventLire par dessus l'épauleJe n'ai même pas besoinPour toi, de chercher mes mots,Depuis longtemps ils attendent,A l'ombre de mon silenceDerrière les lèvres closesEt les distances morosesA force d'être si grandes.Mais, vois, rien ne les dénonce,Nous ne sommes séparésPar fleuves ni par montagnes,Ni par un bout de campagne,Ni par un seul grain de blé. Rien n'arrète mon regardQui te trouve dans ton gîtePlus vite que la lumièreNe descend du haut du cielEt tu peux me reconnaitreA la luisante penséeQui parmi tant d'autres hommesElève à toi toute droiteSa perpicace fumée. Mais c'est le jour que je t'aimeQuand tu doutes de ta vieEt que tu te réfugiesAux profondeurs de moi-mêmeComme dans une autre nuitMoins froide, moins inhumaine. Ah sans doute me trompé-jeEt vois-je mal ce qui est.Tu n'auras jamais douté,Toi si fixe et résistanteEt brillante de durée,Sans nul besoin de refugeLorsque le voile du jourA mon regard t'a célée,Toi, si hautaine et distraite,Dès que le jour est tombéEt moi qui viens et qui vaisD'une allure passagèreSur des jambes inquiètes,Tous les deux faits d'une étoffeCruelllement différenteQui me fait baisser la têteEt m'enferme dans ma chambre. Mais tu as tort de sourireCar je n'en ai nulle envie,Tu devrais pourtant comprendrePuisque tu es mon amie. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
09:29 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Morceaux choisis - Georges Feydeau
Georges Feydeau
Ventroux: Tu allumes dans ton cabinet de toilette... et tu ne fermes même pas les rideaux!
Clarisse: Oh! quand?
Ventroux: Mais... hier!
Clarisse: Ah! bien, oui, hier.
Ventroux: Parce que tu ne vois plus au dehors, tu es comme l'autruche: tu t'imagines qu'on ne te voit pas du dehors.
Clarisse: Oh! qui veux-tu qui regarde?
Ventroux: Qui? Mais Clémenceau, ma chère amie!... Clémenceau, qui demeure en face!... et qui est tout le temps à sa fenêtre!
Clarisse: Bah! il en a vu bien d'autres, Clémenceau!
Ventroux: C'est possible!... C'est possible, qu'il en ait vu d'autres, mais j'aime autant qu'il ne voie pas celle-là. Ah! ben, je serais propre!
Clarisse: En quoi?
Ventroux: En quoi? Mais tu n'y songes pas! Tu ne connais pas Clémenceau! c'est notre premier comique, à nous. Il a un esprit gavroche! Il est terrible! Qu'il fasse un mot sur moi, qu'il me colle un sobriquet, il peut me couler!
Clarisse: T'as pas ça à craindre, il est de ton parti.
Ventroux: Mais, justement! c'est toujours dans son parti qu'on trouve ses ennemis! Clémenceau serait de la droite, parbleu! je m'en ficherais!... et lui aussi!... mais, du même bord, on est rivaux! Clémenceau se dit qu'il peut redevenir ministre!... que je peux le devenir aussi!...
Clarisse: Toi?
Ventroux: Quoi? Tu le sais bien! Tu sais bien que, dans une des dernières combinaisons, à la suite de mon discours sur la question agricole, on est venu tout de suite m'offrir... le portefeuille... de la Marine.
Clarisse: Oui, oh!...
Ventroux: Ministre de la Marine! tout de même, hein? tu me vois?
Clarisse: Pas du tout!
Ventroux: Naturellement!
Clarisse: Ministre de la Marine! tu ne sais même pas nager!
Ventroux: Qu'est-ce que ça prouve, ça? Est-ce qu'on a besoin de savoir nager pour administrer les affaires de l'Etat?
Clarisse: Pauvres affaires!
Georges Feydeau, Mais n'te promène donc pas toute nue (Mille et une nuits, 2001)
image: theatre-laluna.fr
00:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |