Anna Cabana (29/06/2010)
Bloc-Notes, 25 juin / Grindelwald
Vous cherchez un roman intelligent, sensible, mouvementé, agréable à lire pendant vos vacances? Le voici tout trouvé: C'est Inapte à dormir seule, écrit par Anna Cabana. Le titre peut inspirer les pires craintes et le 4e de couverture - qui ne dit rien de l'histoire! - ne rassure pas vraiment. Pourtant, l'histoire d'Eva, la trentaine, sur le point de se marier, est touchante comme un bijou lumineux et fragile. Elle se remémore son passé: Une famille juive venue du Maroc; un père adoré mais divorcé, mal-aimant - et soumis à sa nouvelle épouse - qui la repousse pour son bien; sa dépendance affective jamais assouvie auprès de ses amoureux.
En désespoir de cause, elle s'invente de nouveaux parents: Marguerite Duras - la mère sécheresse comme elle l'appelle - que dans son imagination, elle rêve de marier à Albert Cohen, le père prodigue de Solal, son père de coeur. Un miroir qui la juge, la méprise ou l'apaise, et sous lequel elle tente maladroitement de grandir, désespérément seule, avec sa peur du noir, son besoin d'être veillée et qu'aucun de ses amants ne parvient à comprendre ni combler. Jusqu'à Laurent, un garçon seul comme elle - un goy - qui a su la désarmer et adoucir ses blessures d'enfance dont elle retient que la marelle est une imposture et la réalité d'aujourd'hui, une alchimie dont il est difficile de ne garder au coeur que l'essentiel, en habillant de légèreté tout ce qui gravite autour. Pour lui, elle est prête à s'assagir, mais non à renoncer à sa liberté. Le passage du livre où Eva fait la conquête du rabbin pour qu'il célèbre son mariage est très drôle, révélateur aussi de sa détermination à ne pas tricher avec ses sentiments ou ses convictions.
L'ironie est omniprésente, elle aussi, parfois mordante, dans ce récit. Par exemple, sur son désir fiévreux d'être belle, intelligente comme les autres - et non une métèque - elle jette un regard lucide: La France, c'est la normalité. Les français, ce sont les autres. Ceux qui appellent leurs enfants Edouard ou Eglantine. (...) Elle a beau faire, jamais elle ne sera tout à fait des leurs, une vraie française, acceptée et considérée comme telle. Sur ces déracinés qui lui ressemblent, elle note encore: Quoiqu'ils fassent, ils sentiront toujours le miel d'eucalyptus, l'huile d'argan, les bougainvilliers et les hibiscus. Connaître Rimbaud et Yourcenar sur le bout des doigts et du coeur n'y peut rien changer.
Chronique de la reconstruction d'une femme de caractère, dont les émotions à fleur de peau, volontiers excessives, cachent une tendresse qui peine à assourdir la rage, la provocation et la révolte, ce premier roman réconcilie avec la littérature actuelle, avec autant de bonheur qu'Eva le sera - réconciliée - au terme de l'histoire, avec son propre destin.
Anna Cabana, Inapte à dormir seule (Grasset, 2010)
00:10 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |