25/01/2013
Actualité de la poésie
Bloc-Notes, 25 janvier / Les Saules
En littérature, quand je parle d'un roman, il m'est souvent facile de dévoiler le sujet, de raconter la vie de ses personnages, afin d'en exprimer la résonance et de susciter l'enthousiasme - ou le rejet - auprès des lecteurs possibles; de même pour les ouvrages scientifiques ou politiques en principe ancrés dans le concret, où prévaut l'analyse des faits et des actions, avec leurs répercussions éventuelles sur une manière de pensée ou de vivre. Rien de tel avec la musique ou la poésie: autour de ces deux arts de la solitude qui tutoient l'invisible, il est difficile de prolonger les lignes et d'échapper aux mots communs. Banal me direz-vous? Pourtant, derrière celle ou celui qui prononce ou écrit l'un de ces mots ordinaires pour commenter une sonate, un poème, se manifeste un accent de sincérité bien réel qui recouvre, à chaque fois, une réalité différente pour chacun, et dont la somme laisse présager un arc-en-ciel aux teintes méconnues dont les contours ne seront jamais évidents pour tout le monde. Et je n'échappe pas mieux que les autres à ce décalage entre l'intensité fusionnelle que suscite une note de musique ou un vers, et les limites du langage pour l'extérioriser et la partager. Ce qui explique qu'en règle générale, je préfère publier les textes des poètes plutôt que d'en parler. Ainsi, à propos de poésie dans cet article, je vais me contenter de vous présenter, sans plus, quelques belles parutions de découverte récente, appartenant à ce monde de la poésie, aussi nécessaire à l'âme que l'eau, le sang et les rêves.
Bona Mangangu - comme les autres auteurs mentionnés sur cette page à l'exception de Jean-Pierre Siméon - est connu des utilisateurs de Facebook, entre autres, à travers une suite d'articles que Jean-Louis Kuffer lui a consacré l'an dernier. Né en 1961 à Kinshasa, ce peintre et écrivain vit et travaille aujourd'hui à Sheffield, au Royaume-Uni. Ce que disent mes mains sur la toile, est son premier livre paru en langue française. Dans ce recueil, la plupart des poèmes de l'auteur s'imposent en miroir de peintures, de musiques - une autre de ses passions vives - ou d'autres écrivains pour filtrer la lumière qui le traverse. Dans certains vers, on peut y reconnaître un langage proche de celui de René Char: Sonde ton coeur, sa part irrésolue. Au fond de toi une étreinte ajournée hante l'azur de mon élan, ô toi la dérobée et la toujours désirée. Mon coeur pélerin entretient toujours la flamme des jours vagabonds que ton mutisme avait allumé. Très beau, n'est-ce pas?
Jean-Pierre Siméon - dont plusieurs poèmes ont été choisis sur La scie rêveuse - a obtenu le prix Max Jacob 2006 pour Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur. Un titre qui se définit lui-même dont voici une magnifique illustration: Toute vie est un paysage, tout amour sa rivière possible et puisse être la mort, cette chemise d'eau qui glisse du bras après la nage, et que soit la tristesse, cette lumière répandue dans l'herbe et qui fera le soir venu un autre ciel à la mémoire. Né à Paris en 1950, Jean-Pierre Siméon, auteur d'une quarantaine d'ouvrages pour adultes et enfants, mériterait enfin d'occuper une place plus juste au panthéon des poètes contemporains! Lisez-le, vous ne le regretterez pas...
Avec une préface de Paul Nwesla Biyong, le dernier recueil de Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore, convoque une fois encore la guerre et son cortège de sang qui semble se répéter à l'infini, pour dénoncer les dérives du pouvoir, le refus de la résignation, l'espoir aussi, davantage présent que dans ses oeuvres précédentes: Me voilà perdu aux multiples appels de l'inconnu. Appuyé, mais seul. Je suis las. Comme un oubli fort de ses cris. Je veux écrire le livre qui signe l'abandon des voix! Et puis, reprendre la route qui fait le pélerinage du doute pour remonter l'avalanche des espoirs. Je suis vivant. Et, plus loin il ajoute: Il faut sauver le grain qui veut grandir, celui du coeur et du vent. L'auteur signe ici son dixième ouvrage et lui aussi, il serait temps de reconnaître sa voix!
S'il n'est plus nécessaire de présenter Thierry Renard - lui aussi, souvent cité et publié sur La scie rêveuse - il faut signaler que sa démarche traduit toujours une grande générosité et une ouverture au monde des autres. Ainsi est né Un monde à l'envers, dialogue à deux voix avec Ahmed Kalouaz - auteur d'une trentaine de livres à ce jour - autour de la poésie, de visages lus, de politique, de femmes, de mémoire et de l'air du temps. L'un voulait changer le monde. L'autre le gagner, souligne Yvon Le Men dans sa préface. Deux auteurs et amis qui parlent en parrallèle et finissent par se croiser, s'épouser sans dérailler. Un bel extrait signé Ahmed Kalouaz, peut vous laisser entrevoir la tonalité de l'ouvrage: Une branche d'aubépine se balance dans l'air doux de janvier. Hier on m'a dit, voilà ton âge dans le sac. A prendre ou à laisser. J'ai laissé de peur de trop prendre. Pour marcher la tête haute j'ai besoin d'un tapis de fleurs d'hiver, d'une mousse verdâtre, d'un rugueux tronc d'amandier. Je laisse les mystères au temps. Mes lilas ont l'air si triste, et pourtant mai les verra refleurir. Mon âge est une vague. Un jour une larme, un autre le sourire. Je ne saurai plus courir comme hier et pourtant. Mon âge ? Qu'il entre, je l'attends. Une tasse pour l'amitié, une autre pour l'adieu. La douceur ira se lire sur d'autres bouches. Y répond, en confidence, Thierry Renard: C'est une chanson qui te ressemble, mon ami couvert de bras. Une chanson où les petits riens donnent le change, où les petits riens vont bien ensemble. Une chanson où quand tu n'es pas là je meurs. Où, quand tu n'es pas là, je pleure. Ah! mon ami, mon ami couvert de bras... Un vrai plaisir d'être la troisième voix - celle qui écoute - de cette lecture qui interroge, affirme et se souvient.
Pour conclure, voici Impoésie de Abed Manseur, poète algérien plus connu sous le nom de Nadire Seurman, sur Facebook où ses textes sont régulièrement publiés. Un auteur qui s'amuse avec les mots qu'il détourne et fait danser, dont l'écriture n'est simple qu'en apparence, comme le relève Thierry Renard dans sa préface. Un livre composé par Monique Delord, découvreuse attentive de poésie: Aux pieds de tes lettres sublimes je déposerai les armes, brûlant comme des champs d'honneur sur le vent porteur de flamme. Je t'enverrai les cendres de la guerre, je lyncherai tous ses livres d'histoire, n'en laisserai que ton univers. Je suis tes lunes où qu'elles aillent. Je suis toit sous ta belle étoile.
Assurément, parmi tous ses textes, il y a matière à ces étonnements heureux que la poésie sait nous réfléchir comme de fragiles rayons de soleil arrachés au néant...
Bona Mangangu, Ce que disent mes mains sur la toile (L'Harmattan, 2002)
Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur (Cheyne, 2002)
Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore (L'Harmattan, 2012)
Ahmed Kalouaz et Thierry Renard, Un monde à l'envers - Correspondances (Le bruit des autres, 2010)
Abed Manseur, Impoésie (Blurb, 2013)
image: Bona Mangangu, Pietas / Sheffield Institute of Arts, UK (bonamangangu.webs.com)
12:29 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
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