04/05/2015
Morceaux choisis - Marguerite Yourcenar
Marguerite Yourcenar
Accepter que tel ou tel être, que nous aimions, soit mort. Accepter que tel ou tel être ne soit qu'un mort parmi des millions de morts. Accepter que tel et tel, vivants, aient eu leurs faiblesses, leurs bassesses, leurs erreurs, que nous essayons vainement de recouvrir de pieux mensonges, un peu par respect et par pitié pour eux, beaucoup par pitié de nous-mêmes, et pour la vaine gloire d'avoir aimé seulement la perfection, l'intelligence ou la beauté. Accepter leur indépendance de morts, ne pas les enchaîner, pauvres ombres, à notre char de vivants. Accepter qu'ils soient morts avant leur temps, parce qu'il n'y a pas de temps. Accepter de les oublier, puisque l'oubli fait partie de l'ordre des choses. Accepter de s'en souvenir, puisqu'en secret la mémoire se cache au fond de l'oubli. Accepter même, mais en se promettant de faire mieux la prochaine fois, et à la prochaine rencontre, de les avoir maladroitement ou médiocrement aimés.
Marguerite Yourcenar, En pélerin et en étranger (Gallimard, 1989)
00:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
C'est un texte magnifique, qu' il fallait avoir le courage et l'immense honnêteté d'écrire,mais ce n'est pas surprenant de la part de cette grande dame,n'est-ce-pas?
Merci pour ce texte que je ne connaissais pas.
Écrit par : Boulanger | 28/10/2012
je partage en effet le commentaire de BOULANGER .....texte magnifique vraiment à la dimension de cette grande dame !
Écrit par : helene SERRES | 28/10/2012
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