Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/05/2015

Morceaux choisis - Jules Supervielle

Jules Supervielle

76916838.jpg

Quand je vais à pied dans la campagne, force m'est d'avouer que j'ignore le nom de la plupart des arbres, bien qu'on m'ait souvent renseigné à leur sujet. Mais je n'écoute pas toujours aussi fort que je le voudrais. Et en fait d'arbres, je ne connais personnellement que le chêne, le platane, l'ombu, le peuplier - encore faut-il qu'il soit d'Italie - et les arbres fruitiers dans la saison des fruits. La campagne me devient presque tout de suite intérieure grâce à je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, à quoi ne participe pas seulement l'esprit, mais aussi les yeux, le nez, la bouche. Et j'ai l'impression d'avancer dans le paysage comme dans mon propre monde mental, soit que l'air très léger semble n'avoir pas touché terre, être l'odeur même du ciel, ou qu'il s'épaississe, au voisinage des fermes, jusqu'à devenir presque aussi nourrissant que du lait frais tiré.

Sur la route de Jaxu, je m'arrête devant un ancien manoir. Une vigne rampe sur le haut du mur peint à la chaux et que le sulfate a bleui: je voudrais comprendre le langage de cette ferme d'un autre temps, dirait-on. Elle s'exprime aujourd'hui par une chèvre qui en sort, et, deux minutes après, par ces jeunes porcs agitant leur tête, et enfin, par une carriole et un homme.

Et que signifie cette poule juchée sur le dos de ce porc à plaques noires? Ces associations provisoires d'animaux de différentes espèces me touchent presque toujours. Qui déchiffrera ces hiéroglyphes momentanés? Je songe aussi à l'oiseau hornero que je vis un jour sur les cornes d'un taureau, en Uruguay.

Pourquoi retourner ainsi, chaque jour, voir cet étang, cette ferme pleine pour moi de murmures, de sons qui ont du mal à s'articuler. Que s'est-il passé là? Peut-être qu'un jour, ici même, mon père... ou ma mère... Ou peut-être que rien, absolument rien.

Nous montons à Aradoy. A nos pieds, les fumées indolentes de la ville, ancienne capitale de la Basse-Navarre, semblent nous dire qu'avec de la patience (et du feu) presque tout est possible, qu'il n'y a jamais lieu de désespérer (ni d'espérer) complètement, non plus peut-être que de s'endormir (ni de se réveiller) tout à fait.

Jules Supervielle, Les Pyrénées / extrait, dans: Boire à la source (R.A.Corrêa, 1933)

image: Jaxu, Pyrénées / France (www.cartesfrance.fr)

Commentaires

J´aime beaucoup Claude.
Moi qui vais très souvent dans cette belle région, cela m´a fait affluer tant de souvenirs, pensées.
Belle journée

Écrit par : alba | 30/04/2013

Les commentaires sont fermés.