06/09/2013
Lire les classiques - Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine
O terre, vil monceau de boueOù germent d'épineuses fleurs,Rendons grâce à Dieu, qui secoueSur ton sein ses fraîches couleurs! Sans ces urnes où goutte à goutteLe ciel rend la force à nos pas,Tout serait désert, et la routeAu ciel ne s'achèverait pas. Nous dirions: A quoi bon poursuivreCe sentier qui mène au cercueil?Puisqu'on se lasse en vain à vivre,Mieux vaut s'arrêter sur le seuil. Mais pour nous cacher les distances,Sur le chemin de nos douleursTu sèmes le sol d'espérances,Comme on borde un linceul de fleurs! Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre,Où chantaient de si fraîches voix;Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendreCouvert de charbons noirs et froids, Ah!laisse refleurir encoreCes lueurs d'arrière-saison!Le soir d'été qui s'évaporeLaisse une pourpre à l'horizon. Oui, meurs en brûlant, ô mon âme,Sur ton bûcher d'illusions,Comme l'astre éteignant sa flammeS'ensevelit dans ses rayons!
Alphonse de Lamartine, Les fleurs, dans: Poésies diverses, précédé de: Méditations poétiques et Nouvelles méditations poétiques (coll. Poésie/Gallimard, 2000)
image: Schynige Platte, Oberland Bernois / Suisse (2007)
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05/09/2013
Lire les classiques - Emily Brontë
Emily Brontë
C’était l’un de ces sombres jours ennuagésQui traversent parfois la flambée de l’été,Où du ciel rien ne tombe, où la terre est tranquilleEt d’un vert plus profond se revêt la colline. Deux arbres dans un champ désertMe chuchotent un sortilège:Lugubre est le secret que leur sombre ramureAgite avec solennité. Qu’est-ce que la fumée sans relâche qui rouleLà-bas sur la pente fauve de la colline? Comme elle regardait, les nuages de ferS’écartant, le soleil brilla dans l’intervalle,Mais lugubrement étrange, et pâle et froid. Il ne jettera plus d’éclat,Sa triste course est achevée:J’ai vu, du froid soleil brillant,S’abîmer la lueur dernière. Ancien manoir d’Elbë, maintenant en ruine, solitaire,Maison où la voix de la vie jamais plus ne s’en reviendra,Salles sans couvert, désolées, où croissent la ronce et le lierre,Fenêtres aux cintres brisés où les vents de nuit mènent deuil,Demeure des défunts, des défunts d’un temps révolu.Emily Brontë, Poèmes - édition bilingue (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
traduit de l'anglais par Pierre Leyris
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10/08/2013
Lire les classiques - John Keats
John Keats
Tout objet de beauté est une joie éternelle:Le charme en croît sans cesse;jamais Il ne glissera dans le néant,mais il gardera toujours pour nous une paisible retraite,un sommeil habité de doux songes,plein de santé, et qui paisiblement respire. Aussi, chaque matin, tressons-nous des guirlandes de fleurspour mieux nous lier à la terre,malgré les désespoirs et la cruelle disettede nobles natures, malgré les sombres journéeset tous les sentiers malsains et enténébrésouverts à notre quête;oui, malgré tout cela, une forme de beautéécarte le suaire de nos âmes endeuillées. Tels sont le soleil, la lune, les arbres vieux ou jeunesqui offrent le bienfait de leurs printaniers ombragesaux humbles brebis;tels sont encore les narcisses et le monde verdoyant où ils se logent,les ruisseaux limpides qui se bâtissent un frais couverten vue de l'ardente saison.
John Keats, Endymion / extrait, dans: Poèmes choisis - édition bilingue (Aubier, 1968)
traduit de l'anglais par Albert Laffay
image: Antonio Corradini, Endymion (theartnewspaper.com)
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02/08/2013
Lire les classiques - Gérard de Nerval
Gérard de Nerval
Il est un air, pour qui je donnerais,Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber. Un air très vieux, languissant et funèbre,Qui pour moi seul a des charmes secrets! Or, chaque fois que je viens à l'entendre,De deux cents ans mon âme rajeunit...C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendreUn coteau vert, que le couchant jaunit; Puis un château de brique à coins de pierre,Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,Ceint de grands parcs, avec une rivièreBaignant ses pieds, qui coule entre les fleurs; Puis une dame à sa haute fenêtre,Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,Que dans une autre existence peut-être,J'ai déjà vue...et dont je me souviens!
Gérard de Nerval, Fantaisie, dans: Claire Julliard, Petite anthologie des plus beaux poèmes du bonheur (L'Instant Cupcake, 2013)
image: Edmund Blair Leighton, The End of The Song (canvaspaintingforsale.com)
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26/07/2013
Lire les classiques - Paul Verlaine
Paul Verlaine
Va, chanson, à tire-d'aileAu-devant d'elle, et dis-luiBien que dans mon coeur fidèleUn rayon joyeux a lui, Dissipant, lumière sainte,Ces ténèbres de l'amour:Méfiance, doute, crainte,Et que voici le grand jour! Longtemps craintive et muette,Entendez-vous? La gaîté,Comme une vive alouette,Dans le ciel clair a chanté. Va donc, chanson ingénue,Et que, sans nul regret vain,Elle soit la bienvenueCelle qui revient enfin.
Paul Verlaine, Va, chanson, à tire-d’aile, dans: La bonne chanson, Jadis et naguère, Parallèlement (coll. Poésie/Gallimard, 2007)
image: Eugène Carrière, Paul Verlaine / 1891 (eugenecarriere.com)
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14/07/2013
Lire les classiques - Emily Dickinson
Emily Dickinson
Sous la lumière, très en dessous,Sous l'herbe et la boue,Sous la cave du scarabéeSous la racine du trèfle, Plus loin que ne s'étend un brasMême celui d'un géant,Plus loin que ne pourrait le soleilSi le jour durait une année, Par-dessus la lumière, très au-dessus,Par-dessus l'arc que décrit l'oiseau -Par-dessus la cheminée de la comète -Par-dessus la tête de cent coudées, Plus loin que ne peut galoper la conjecturePlus loin que ne peut chevaucher l'énigme -Comment calculer la courbe de la distanceEntre nous et les morts!Emily Dickinson, "Poésies complètes, 1865", édition bilingue (Flammarion, 2009)
Traduction: Françoise Delphy
image: Gabriel Joseph Ferrier, Evening (1911)
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01/07/2013
Lire les classiques - François de Malherbe
François de Malherbe
Beauté de qui la grâce étonne la nature,Il faut donc que je cède à l'injure du sort,Que je vous abandonne, et loin de votre portM'en aille au gré du vent suivre mon aventure. Il n'est ennui si grand que celui que j'endure:Et la seule raison qui m'empêche la mort,C'est le doute que j'ai que ce dernier effortNe fût mal employé pour une âme si dure. Caliste, où pensez-vous? qu'avez-vous entrepris?Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris,Qui de ma patience indignement se joue? Mais, ô de mon erreur l'étrange nouveauté,Je vous souhaite douce, et toutefois j'avoueQue je dois mon salut à votre cruauté.
François de Malherbe, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1997)
image: Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, La baigneuse (s644.photobucket.com)
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24/06/2013
Lire les classiques - Charles-Marie Leconte de Lisle
C.M.R. Leconte de Lisle
Merci à Mira K
Mélodieuses voix qui chantiez mon aurore,Extase, amour, génie, ô mes rêves perdus,O mes rêves si doux, reviendrez-vous encore?Essaims éblouissants, qu’êtes-vous devenus?... Qu’êtes-vous devenus, parfums de ma jeunesse,Qui jetiez sur ma vie une éclatante ivresse,O rayons de mon âme, élans impérieux,Qui, sur vos ailes d’or, m’emportiez dans les cieux?...Oh! vous n’êtes donc plus, émotions berçantes,Charmes intérieurs, promesses ravissantes,Qui me faisiez, devant un avenir si doux,Ainsi que devant Dieu, plier mes deux genoux?...O rêves, pour mon cœur maintenant solitaire,Le bonheur inconstant a déserté la terre,Et, laissant se flétrir mon primitif amour,Sur votre aile il a fui vers l’immortel séjour!... Doux oiseaux, dont l’essaim se nomme poésie,Vous qui m’avez sevré des gouttes d’ambroisie,Et qui, portant au loin votre essor gracieux,A mon regard éteint avez caché les cieux,Songes jeunes et beaux, rayons lointains de gloire,Intimes souvenirs que garde ma mémoire,Espérance, bonheur que je pleure tout bas,Adieu, tout est fini ;... vous ne reviendrez pas!...Sur mon joyeux matin le soir jette son ombre;Mon riant horizon devient muet et sombre;Tout me fuit : ciel natal, doux espoir, frais amour...Et mon cœur attristé s’est fermé sans retour. Mélodieuses voix qui chantiez mon aurore!Extase, amour, génie, ô mes rêves perdus,O mes rêves si doux, reviendrez-vous encore?...Essaims éblouissants, qu’êtes-vous devenus?...Charles-Marie Leconte de Lisle, Premier regret, dans: Oeuvres complètes vol. 1 (Honoré Champion, 2011)
image: www.picstopin.com
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16/06/2013
Lire les classiques - Louise Michel
Louise Michel
Hirondelle qui vient de la nue orageuseHirondelle fidèle, où vas-tu? dis-le-moi.Quelle brise t’emporte, errante voyageuse?Ecoute, je voudrais m’en aller avec toi, Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,Vers les astres errants qui roulent dans les airs. Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailesTu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concertsDes forêts et des vents tu réponds des tourelles,Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers. Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime!Je ne sais quel écho par toi m’est apportéDes rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.
Louise Michel, A travers la vie et la mort (La Découverte, 2001)
image: Jari Peltomäki, Hirondelle de rivage (vogelwarte.ch)
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14/06/2013
Lire les classiques - Louise Ackermann
Louise Ackermann
Levez les yeux! C’est moi qui passe sur vos têtes,Diaphane et léger, libre dans le ciel pur;L’aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes,Je plonge et nage en plein azur. Comme un mirage errant, je flotte et je voyage.Coloré par l’aurore et le soir tour à tour,Miroir aérien, je reflète au passageLes sourires changeants du jour. Le soleil me rencontre au bout de sa carrièreCouché sur l’horizon dont j’enflamme le bord;Dans mes flancs transparents le roi de la lumièreLance en fuyant ses flèches d’or. Quand la lune, écartant son cortège d’étoiles,Jette un regard pensif sur le monde endormi,Devant son front glacé je fais courir mes voiles,Ou je les soulève à demi. On croirait voir au loin une flotte qui sombre,Quand, d’un bond furieux fendant l’air ébranlé,L’ouragan sur ma proue inaccessible et sombreS’assied comme un pilote ailé. Dans les champs de l’éther je livre des batailles;La ruine et la mort ne sont pour moi qu’un jeu.Je me charge de grêle, et porte en mes entraillesLa foudre et ses hydres de feu. Sur le sol altéré je m’épanche en ondées.La terre rit; je tiens sa vie entre mes mains.C’est moi qui gonfle, au sein des terres fécondées,L’épi qui nourrit les humains. Où j’ai passé, soudain tout verdit, tout pullule;Le sillon que j’enivre enfante avec ardeur.Je suis onde et je cours, je suis sève et circule,Caché dans la source ou la fleur. Un fleuve me recueille, il m’emporte, et je couleComme une veine au coeur des continents profonds.Sur les longs pays plats ma nappe se déroule,Ou s’engouffre à travers les monts. Rien ne m’arrête plus; dans mon élan rapideJ’obéis au courant, par le désir poussé,Et je vole à mon but comme un grand trait liquideQu’un bras invisible a lancé. Océan, ô mon père! Ouvre ton sein, j’arrive!Tes flots tumultueux m’ont déjà répondu;Ils accourent; mon onde a reculé, craintive,Devant leur accueil éperdu. En ton lit mugissant ton amour nous rassemble.Autour des noirs écueils ou sur le sable finNous allons, confondus, recommencer ensembleNos fureurs et nos jeux sans fin. Mais le soleil, baissant vers toi son oeil splendide,M’a découvert bientôt dans tes gouffres amers.Son rayon tout puissant baise mon front limpide:J’ai repris le chemin des airs! Ainsi, jamais d’arrêt. L’immortelle matièreUn seul instant encor n’a pu se reposer.La Nature ne fait, patiente ouvrière,Que dissoudre et recomposer. Tout se métamorphose entre ses mains actives;Partout le mouvement incessant et divers,Dans le cercle éternel des formes fugitives,Agitant l’immense univers.Louise Ackermann, Nuage, dans: Oeuvres (L'Harmattan, 2005)
image: Ciel de Yens, Vaud / Suisse (2013)
07:53 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |