01/02/2014
Lire les classiques - Clément Marot
Clément Marot
Adieu la cour, adieu les dames, Adieu les filles et les femmes, Adieu vous dis pour quelques temps, Adieu vos plaisants passetemps; Adieu le bal, adieu la danse, Adieu mesure, adieu cadence, Tambourin, haubois et violons, Puisqu'à la guerre nous allons.Adieu les regards gracieux,Messagers des coeurs soucieux;Adieu les profondes pensées,Satisfaites ou offensées;Adieu les harmonieux sonsDe rondeaux, dizains et chansons;Adieu piteux département,Adieu regrets, adieu tourment,Adieu la lettre, adieu le page,Adieu la cour et l'équipage,Adieu l'amitié si loyale,Qu'on la pourrait dire royale,Etant gardée en ferme foiPar ferme coeur digne de roi.Adieu ma mie la dernière,En vertus et beauté première;Je vous prie me rendre à présentLe coeur dont je vous fis présent,Pour, en la guerre où il faut être,En faire service à mon maître.Or quand de vous se souviendra,L'aiguillon d'honneur l'époindraAux armes et vertueux faits:Et s'il en sortait quelque effetDigne d'une louange entière,Vous en seriez seule héritière.De votre coeur donc se souvienne,Car si dieu veut que je revienne,Je le rendrai en ce beau lieu. Or je fais fin à mon adieu.
Clément Marot, Adieu aux Dames de la Cour, dans : Pierre Seghers, Le livre d'or de la poésie française (Marabout, 1980)
image: expositions.bnf.fr
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20/01/2014
Lire les classiques - Paul Verlaine
Paul Verlaine
Il est des jours - avez-vous remarqué? -Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau, Plus jeune qu'un enfant, et, vrai! plus gai Que la même gaieté d'un damoiseau. L'on se souvient sans bien se rappeler...Évidemment l'on rêve, et non, pourtant.L'on semble nager et l'on croirait voler.L'on aime ardemment sans amour cependant Tant est léger le coeur sous le ciel clair Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi Dans les autres, que l'on trompe avec l'air D'être plutôt trompé gentiment, soi. La vie est bonne et l'on voudrait mourir, Bien que n'ayant pas peur du lendemain, Un désir indécis s'en vient fleurir, Dirait-on, au coeur plus et moins qu'humain. Hélas ! faut-il que meure ce bonheur? Meurent plutôt la vie et son tourment!O dieux cléments, gardez-moi du malheur D'à jamais perdre un moment si charmant.
Paul Verlaine, Poèmes divers, dans: Oeuvres poétiques complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2000)
image: associationfloribunda.blogspot.com
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09/12/2013
Lire les classiques - Pétrarque
Pétrarque
O belle main qui m'a étreint le coeurEt dans ce peu d'espace enclos ma vie,Main où Nature et Ciel, pour se faire honneur,Ont voulu tout leur art, ont mis tous leurs soins. O doigts, cinq perles, l'Orient par la couleur,Et qui n'êtes cruels que dans mes plaies,Doigts déliés, délicats: Amour, comblant mes voeux,Me permet un instant de vous voir nus. Bien aimé soit ce gant, tout de blanche grâce, Qui couvrait votre ivoire lisse, vos fraîches roses!Qui vit jamais dépouille si voluptueuse? Ah, obtenir autant d'un autre voile!Mais voilà bien l'inconstance de tout:Ce gant n'est qu'un larcin, on vient me le reprendre.Pétrarque, Je vois sans yeux et sans bouche je crie - 24 sonnets traduits par Yves Bonnefoy / édition bilingue (Galilée, 2012)
image: Carolus-Duran, La dame au gant / Détail (ifmparis.blog.lemonde.fr )
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22/11/2013
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
merci à Christiane H
Poète, ta fenêtre était ouverte au vent,Quand celle à qui tout bas ton coeur parle souventSur ton fauteuil posait sa tête:-"Oh! disait-elle, ami, ne vous y fiez pas!Parce que maintenant, attachée à vos pas,Ma vie à votre ombre s'arrête; Parce que mon regard est fixé sur vos yeux;Parce que je n'ai plus de sourire joyeuxQue pour votre grave sourire;Parce que, de l'amour me faisant un linceul,Je vous offre mon coeur comme un livre où vous seulAvez encor le droit d'écrire; Il n'est pas dit qu'enfin je n'aurai pas un jourLa curiosité de troubler votre amourEt d'alarmer votre oeil sévère,Et l'inquiet caprice et le désir moqueurDe renverser soudain la paix de votre coeurComme un enfant renverse un verre! Hommes, vous voulez tous qu'une femme ait longtempsDes fiertés, des hauteurs, puis vous êtes contents,Dans votre orgueil que rien ne brise,Quand, aux feux de l'amour qui rayonne sur nous,Pareille à ces fruits verts que le soleil fait doux,La hautaine devient soumise! Aimez-moi d'être ainsi! — Ces hommes, ô mon roi,Que vous voyez passer si froids autour de moi,Empressés près des autres femmes,Je n'y veux pas songer, car le repos vous plaît;Mais mon oeil endormi ferait, s'il le voulait,De tous ces fronts jaillir des flammes!" Elle parlait, charmante et fière et tendre encor,Laissant sur le dossier de velours à clous d'orDéborder sa manche traînante;Et toi tu croyais voir à ce beau front si douxSourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux,Ton Iliade rayonnante! Beau livre que souvent vous lisez tous les deux!Elle aime comme toi ces combats hasardeuxOù la guerre agite ses ailes.Femme, elle ne hait pas, en t'y voyant rêver,Le poète qui chante Hélène, et fait leverLes plus vieux devant les plus belles. Elle vient là, du haut de ses jeunes amours,Regarder quelquefois dans le flot des vieux joursQuelle ombre y fait cette chimère;Car, ainsi que d'un mont tombe de vivent eaux,Le passé murmurant sort et coule à ruisseauxDe ton flanc, ô géant Homère!Victor Hugo, Pendant que la fenêtre était ouverte, dans: Les Voix intérieures - précédé de: Les Chants du crépuscule, et suivi de: Les Rayons et les Ombres (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
image: Pierre-Auguste Renoir, Young Woman talking (blog.naver.com)
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22/10/2013
Lire les classiques - Alfred de Musset
Alfred de Musset
Avec tout votre esprit, la belle indifférente,Avec tous vos grands airs de rigueur nonchalante, Qui nous font tant de mal et qui vous vont si bien, Il n'en est pas moins vrai que vous n'y pouvez rien. Il n'en est pas moins vrai que, sans qu'il y paraisse, Vous êtes mon idole et ma seule maîtresse;Qu'on n'en aime pas moins pour devoir se cacher, Et que vous ne pouvez, Ninon, m'en empêcher. Il n'en est pas moins vrai qu'en dépit de vous-même, Quand vous dites un mot vous sentez qu'on vous aime, Que, malgré vos mépris, on n'en veut pas guérir, Et que d'amour de vous, il est doux de souffrir. Il n'en est pas moins vrai que, sitôt qu'on vous touche, Vous avez beau nous fuir, sensitive farouche, On emporte de vous des éclairs de beauté, Et que le tourment même est une volupté. Soyez bonne ou maligne, orgueilleuse ou coquette, Vous avez beau railler et mépriser l'amour,Et, comme un diamant qui change de facette,Sous mille aspects divers vous montrer tour à tour; Il n'en est pas moins vrai que je vous remercie,Que je me trouve heureux, que je vous appartiens, Et que, si vous voulez du reste de ma vie,Le mal qui vient de vous vaut mieux que tous les biens. Je vous dirai quelqu'un qui sait que je vous aime:C'est ma Muse, Ninon; nous avons nos secrets.Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c'est vous-même; Pour que je l'aime encor elle vient sous vos traits. La nuit, je vois dans l'ombre une pâle auréole, Où flottent doucement les contours d'un beau front;Un rêve m'apparaît qui passe et qui s'envole; Les heureux sont les fous: les poètes le sont. J'entoure de mes bras une forme légère;J'écoute à mon chevet murmurer une voix; Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère; Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois; O mon unique amour, cette douleur chérie, Ne me l'arrachez pas quand j'en devrais mourir! Je me tais devant vous; - quel mal fait ma folie? Ne me plaignez jamais et laissez-moi souffrir.
Alfred de Musset, A Ninon, dans: Poésies complètes (coll. Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1986)
image: Gustave Jean Jacquet (artrenewal.org)
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13/10/2013
Lire les classiques - Charles Baudelaire
Charles Baudelaire
La rue assourdissante autour de moi hurlait.Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,Une femme passa, d'une main fastueuseSoulevant, balançant le feston et l'ourlet; Agile et noble, avec sa jambe de statue.Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un éclair... puis la nuit! - Fugitive beautéDont le regard m'a fait soudainement renaître,Ne te verrai-je plus que dans l'éternité? Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!
Charles Baudelaire, A une passante - Les fleurs du mal , dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)
image: Une passante / Paris (dinosoria.com)
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04/10/2013
Lire les classiques - Gérard de Nerval
Gérard de Nerval
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie:Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constelléPorte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phoebus?... Lusignan ou Biron?Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:Modulant tour à tour sur la lyre d'OrphéeLes soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gérard de Nerval, Les Chimères / La Bohême galante / Petits châteaux de Bohême (coll. Poésie/Gallimard, 2005)
image: Franck Cadogan Cowper, Vanity (artgalleryartist.com)
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27/09/2013
Lire les classiques - William Shakespeare
William Shakespeare
La musique qu'on entend, pourquoi l'ouïr sans entrain?Le doux se plaît au doux, la joie va à la joie;Comment aimer ce qu'on n'aime qu'à contrecoeur,Ou n'avoir de plaisir qu'à ce qu'on soit fâché?Si la concorde des sons ensemble bien accordés,Par l'hymen réunis, offense ton écoute,Ils te grondent doucement de jouer au singulierLa partition des sons qu'ensemble tu devrais jouer;Entends comme cette corde en épouse une seconde,Comme, par écho mutuel, les autres sont éveillées,On dirait du bonheur d'un fils, son père, sa mère,Chantant à l'unisson une seule mélodie: Chanson privée de mots, ensemble une et plusieurs,Et qui t'avertirait "Toi, tout seul, tu n'es rien."
William Shakespeare, Sonnet VIII, dans : Sonnets - édition bilingue (Grasset, 2013)
traduit de l'anglais par Jacques Darras
image: www.maxisciences.com
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22/09/2013
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
Or, nous cueillions ensemble la pervenche. Je soupirais, je crois qu'elle rêvait. Ma joue à peine avait un blond duvet. Elle avait mis son jupon du dimanche; Je le baissais chaque fois qu'une branche Le relevait. Et nous cueillions ensemble la pervenche. Le diable est fin, mais nous sommes bien sots. Elle s'assit sous de charmants berceaux Près d'un ruisseau qui dans l'herbe s'épanche; Et vous chantiez dans votre gaîté franche, Petits oiseaux. Et nous cueillions ensemble la pervenche. Le paradis pourtant m'était échu.En ce moment, un bouc au pied fourchuPasse et me dit: Penche-toi. Je me penche.Anges du ciel! je vis sa gorge blancheSous son fichu! Et nous cueillions ensemble la pervenche. J'étais bien jeune et j'avais peur d'oser.Elle me dit: Viens donc te reposerSous mon ombrelle, et me donna du mancheUn petit coup, et je pris ma revanchePar un baiser. Et nous cueillions ensemble la pervenche.
Victor Hugo, Toute la vie d'un coeur / 1819, dans: Toute la lyre / Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)
image: Janine Niepce, Le pont des Arts (janineniepce.com)
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14/09/2013
Lire les classiques - Charles Baudelaire
Charles Baudelaire
merci à Raymonde SP
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!J'entends déjà tomber avec des chocs funèbresLe bois retentissant sur le pavé des cours. Tout l'hiver va rentrer dans mon être: colère,Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,Et, comme le soleil dans son enfer polaire,Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé. J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.Mon esprit est pareil à la tour qui succombeSous les coups du bélier infatigable et lourd. Il me semble, bercé par ce choc monotone,Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.Pour qui? - C'était hier l'été; voici l'automne!Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. Et pourtant aimez-moi, tendre coeur! soyez mère,Même pour un ingrat, même pour un méchant;Amante ou soeur, soyez la douceur éphémèreD'un glorieux automne ou d'un soleil couchant. Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,De l'arrière-saison le rayon jaune et doux!Charles Baudelaire, Chant d'automne - Les fleurs du mal , dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)
image: Cologny, Genève / Suisse (2011)
lu par Janico, sur une musique de Samuel Barber: Adagio for Strings and Orchestra
21:18 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |