01/06/2014
Lire les classiques - Emile Verhaeren
Emile Verhaeren
Très doucement, plus doucement encore,Berce ma tête entre tes bras,Mon front fiévreux et mes yeux las;Très doucement, plus doucement encore.Baise mes lèvres, et dis-moiCes mots plus doux à chaque aurore,Quand me les dit ta voix,Et que tu t'es donnée, et que je t'aime encore. Le joug surgit maussade et lourd; la nuitFut de gros rêves traversée;La pluie et ses cheveux fouettent notre croiséeEt l'horizon est noir de nuages d'ennui. Très doucement, plus doucement encore,Berce ma tête entre tes bras,Mon front fiévreux et mes yeux las;C'est toi qui m'es la bonne aurore,Dont la caresse est dans ta mainEt la lumière en tes paroles douces:Voici que je renais, sans mal et sans secousse,Au quotidien travail qui trace, en mon chemin,Son signe,Et me fait vivre, avec la volonté,D'être une arme de force et de beauté,Aux poings d'or d'une vie insigne.
Emile Verhaeren, Les Heures d’après-midi, précédé de: Les Heures claires (Mercure de France, 1922)
image: John Charles Arter (1st-art-gallery.com)
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23/05/2014
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête;Son vol éblouissant apaisait la tempête,Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.- Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit?Lui dis-je. - Il répondit: - je viens prendre ton âme. -Et j'eus peur, car je vis que c'était une femme;Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras:- Que me restera-t-il? car tu t'envoleras. -Il ne répondit pas; le ciel que l'ombre assiègeS'éteignait... - Si tu prends mon âme, m'écriai-je,Où l'emporteras-tu? montre-moi dans quel lieu.Il se taisait toujours. - O passant du ciel bleu,Es-tu la mort? lui dis-je, ou bien es-tu la vie? -Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,Et l'ange devint noir, et dit: - Je suis l'amour.Mais son front sombre était plus charmant que le jour,Et je voyais, dans l'ombre où brillaient ses prunelles,Les astres à travers les plumes de ses ailes.
Victor Hugo, Apparition, dans: Les contemplations (coll. GF/Flammarion, 2008)
image: Joseph Mallord William Turner, Angel standing in the Sun (uploads5.wikipaintings.org)
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11/05/2014
Lire les classiques - Rainer-Maria Rilke
Rainer-Maria Rilke
merci à Vasil Q
Éteins mes yeux: je te verrai encoreBouche-moi les oreilles: je t’entendrai encoreSans pieds, je marcherai vers toiSans bouche, je t’invoquerai encoreCoupe-moi les bras: je te saisiraiAvec mon cœur comme avec une mainArrache-moi le cœur et mon cerveau battraEt si tu mets aussi le feu à mon cerveauJe te porterai dans mon sang.Rainer-Maria Rilke, Le Livre des images, dans: Oeuvres poétiques et théâtrales (Bibliothèque de la Pléiade, 1997)
image: http://arbrealettres.files.wordpress.com
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15/04/2014
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
Aimons toujours! Aimons encore!Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.L'amour, c'est le cri de l'aurore,L'amour c'est l'hymne de la nuit. Ce que le flot dit aux rivages,Ce que le vent dit aux vieux monts,Ce que l'astre dit aux nuages,C'est le mot ineffable: Aimons! L'amour fait songer, vivre et croire.Il a pour réchauffer le coeur,Un rayon de plus que la gloire,Et ce rayon c'est le bonheur! Aime! qu'on les loue ou les blâme,Toujours les grand coeurs aimeront:Joins cette jeunesse de l'âmeA la jeunesse de ton front! Aime, afin de charmer tes heures!Afin qu'on voie en tes beaux yeuxDes voluptés intérieuresLe sourire mystérieux! Aimons-nous toujours davantage!Unissons-nous mieux chaque jour.Les arbres croissent en feuillage;Que notre âme croisse en amour! Soyons le miroir et l'image!Soyons la fleur et le parfum!Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,Se sentent deux et ne sont qu'un! Les poètes cherchent les belles.La femme, ange aux chastes faveurs,Aime à rafraîchir sous ses ailesCes grand fronts brûlants et réveurs. Venez à nous, beautés touchantes!Viens à moi, toi, mon bien, ma loi!Ange ! viens à moi quand tu chantes,Et, quand tu pleures, viens à moi! Nous seuls comprenons vos extases.Car notre esprit n'est point moqueur;Car les poètes sont les vasesOù les femmes versent leur coeurs. Moi qui ne cherche dans ce mondeQue la seule réalité,Moi qui laisse fuir comme l'ondeTout ce qui n'est que vanité, Je préfère aux biens dont s'enivreL'orgueil du soldat ou du roi,L'ombre que tu fais sur mon livreQuand ton front se penche sur moi. Toute ambition alluméeDans notre esprit, brasier subtil,Tombe en cendre ou vole en fumée,Et l'on se dit: "Qu'en reste-t-il?" Tout plaisir, fleur à peine écloseDans notre avril sombre et terni,S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,Et l'on se dit: "C'est donc fini!" L'amour seul reste. O noble femmeSi tu veux dans ce vil séjour,Garder ta foi, garder ton âme,Garder ton Dieu, garde l'amour! Conserve en ton coeur, sans rien craindre,Dusses-tu pleurer et souffrir,La flamme qui ne peut s'éteindreEt la fleur qui ne peut mourir!
Victor Hugo, Aimons toujours! Aimons encore!, dans: Les contemplations (coll. Folio/Gallimard, 2010)
image: centruldepsihologie.com
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30/03/2014
Lire les classiques - Charles Baudelaire
Charles Baudelaire
Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté, de charité, et les affirmations les plus effrontées relatives au progrès et à la civilisation. Tout journal, de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle. Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime: le journal, la muraille, le visage de l'homme.
Charles Baudelaire, Mon coeur mis à nu / XLIV, dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)
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09/03/2014
Lire les classiques - Emile Verhaeren
Emile Verhaeren
J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie Comme un soleil fané avant qu'il ne fût nuit, Le jour qu'avec ses bras de plomb, la maladie M'a lourdement traîné vers son fauteuil d'ennui. Les fleurs et le jardin m'étaient crainte ou fallace;Mes yeux souffraient à voir flamber les midis blancs,Et mes deux mains, mes mains, semblaient déjà trop lasses Pour retenir captif notre bonheur tremblant. Mes désirs n'étaient plus que des plantes mauvaises, Ils se mordaient entre eux comme au vent les chardons, Je me sentais le coeur à la fois glace et braise Et tout à coup aride et rebelle aux pardons. Mais tu me dis le mot qui bellement console Sans le chercher ailleurs que dans l'immense amour; Et je vivais avec le feu de ta parole Et m'y chauffais, la nuit, jusqu'au lever du jour. L'homme diminué que je me sentais être,Pour moi-même et pour tous, n'existait pas pour toi;Tu me cueillais des fleurs au bord de la fenêtre,Et je croyais en la santé, avec ta foi. Et tu me rapportais, dans les plis de ta robe, L'air vivace, le vent des champs et des forêts, Et les parfums du soir ou les odeurs de l'aube, Et le soleil, en tes baisers profonds et frais.Emile Verhaeren, Les heures d'après-midi (Deman, 1905)
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02/03/2014
Lire les classiques - Paul Verlaine
Paul Verlaine
C'est l'extase langoureuse,C'est la fatigue amoureuse,C'est tous les frissons des boisParmi l'étreinte des brises,C'est, vers les ramures grises,Le choeur des petites voix. O le frêle et frais murmure!Cela gazouille et susurre,Cela ressemble au cri douxQue l'herbe agitée expire...Tu dirais, sous l'eau qui vire,Le roulis sourd des cailloux. Cette âme qui se lamenteEn cette plainte dormante,C'est la nôtre, n'est-ce pas?La mienne, dis, et la tienne,Dont s'exhale l'humble antiennePar ce tiède soir, tout bas?
Paul Verlaine, Romances sans paroles - suivi de: Cellulairement (Livre de Poche/LGF, 2002)
image: Guy Cambier (art.findartinfo.com)
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24/02/2014
Lire les classiques - Friedrich Schiller
Friedrich Schiller
Sois le bienvenu, doux enfant, délices de la nature; avec ta corbeille de fleurs, sois le bienvenu dans la campagne. Ah! te voilà! que tu es doux et beau à voir! ton aspect nous réjouit et nous courons au-devant de toi. Penses-tu encore à la jeune fille que j’aime? Oh! oui, pense à elle! c’est là qu’elle m’a aimé et qu’elle m’aime encore. Je te demandais bien des fleurs pour elle, je reviens t’en demander encore, et tu me les donneras. Sois le bienvenu, doux enfant, délices de la nature; avec ta corbeille de fleurs, sois le bienvenu dans la campagne.
Friedrich Schiller, Au printemps (L'Harmattan, 2011)
image: Alexei Harlamoff, Faraway Thoughts (pinterest.com)
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16/02/2014
Lire les classiques - Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud
Et la Mère, fermant le livre du devoir,S'en allait satisfaite et très fière sans voir,Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,L'âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour, il suait d'obéissance; très Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traitsSemblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,En passant il tirait la langue, les deux poingsÀ l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.Une porte s'ouvrait sur le soir: à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,Sous un golfe de jour pendant du toit. L'étéSurtout, vaincu, stupide, il était entêtéÀ se renfermer dans la fraîcheur des latrines:Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinetDerrière la maison, en hiver, s'illunait, Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marneEt pour des visions écrasant son oeil darne,Il écoutait grouiller les galeux espaliers.Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiersQui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boueSous des habits puant la foire et tout vieillots,Conversaient avec la douceur des idiots!Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,Sa mère s'effrayait; les tendresses, profondes,De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment! À sept ans, il faisait des romans, sur la vieDu grand désert, où luit la Liberté ravie,Forêts, soleils, rives, savanes! - Il s'aidaitDe journaux illustrés où, rouge, il regardaitDes Espagnoles rire et des Italiennes.Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,- Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,La petite brutale, et qu'elle avait sauté,Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,Car elle ne portait jamais de pantalons;- Et, par elle meurtri des poings et des talons,Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre,Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,Il lisait une Bible à la tranche vert-chou;Des rêves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcôve.Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourgOù les crieurs, en trois roulements de tambour,Font autour des édits rire et gronder les foules.- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houlesLumineuses, parfums sains, pubescences d'or,Font leur remuement calme et prennent leur essor! Et comme il savourait surtout les sombres choses,Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,Il lisait son roman sans cesse médité,Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,Vertige, écroulement, déroutes et pitié!- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,En bas, - seul et couché sur des pièces de toileÉcrue, et pressentant violemment la voile!
Arthur Rimbaud, Les poètes de sept ans, dans: Poésies - suivi de Les illuminations et Une saison en enfer (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
image: Arthur Rimbaud par Paul Verlaine (musessquare.blogspot.com)
illustration musicale: Léo Ferré, Les poètes de sept ans
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11/02/2014
Lire les classiques - Henry Bataille
Henry Bataille
Il y a de grands soirs où les villages meurent Après que les pigeons sont rentrés se coucher. Ils meurent, doucement, avec le bruit de l'heure Et le cri bleu des hirondelles au clocher... Alors, pour les veiller, des lumières s'allument, Vieilles petites lumières de bonnes soeurs, Et des lanternes passent, là-bas dans la brume... Au loin le chemin gris chemine avec douceur... Les fleurs dans les jardins se sont pelotonnées, Pour écouter mourir leur village d'antan, Car elles savent que c'est là qu'elles sont nées... Puis les lumières s'éteignent, cependant Que les vieux murs habituels ont rendu l'âme, Tout doux, tout bonnement, comme de vieilles femmes.
Henry Bataille, Soirs, dans: La chambre blanche (coll. Orphée/La Différence, 1989)
image: www.deco.fr
09:03 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |