14/01/2013
Lire les classiques - Marc-Aurèle
Marc-Aurèle
Il ne tient qu'à toi de te retirer à toute heure au-dedans de toi-même. Nulle part l'homme ne saurait trouver une retraite plus douce et plus tranquille que dans l'intimité de son âme, surtout s'il possède au-dedans de lui ces biens précieux que l'on ne peut considérer sans goûter aussitôt un calme parfait et, par ce calme, j'entends la tranquillité d'une âme où tout est en ordre et à sa place. Jouis donc sans cesse de ta solitude et reprends-y de nouvelles forces.
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert vol. 1 / Solitudes (Rémy Magermans, 1973)
image: Buste de Marc-Aurèle (fr.wikipedia.org)
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09/12/2012
Lire les classiques - William Shakespeare
William Shakespeare
Contemple en moi ce moment de l'annéeOù ont jauni puis sont tombées les feuilles,Et peu en restent, chapelle en ruine, nue,Où les chantres, ce furent tard des chants d'oiseaux. Contemple en moi la journée qui s'achève,La trace de soleil que les ténèbres,Cette autre mort, vont effacer, qui cousentPour le repos les paupières de tout. Contemple en moi le rougeoiement d'un feuQui gît parmi les cendres de sa jeunesse,Ce lit de mort où il faut qu'il succombe,Usé par cela même qui l'a nourri. Contemple, et contempler fasse ton amourPlus fort, d'aimer ainsi, beaucoup, ce qu'il faut perdreWilliam Shakespeare, Sonnet LXXIII, dans: Les Sonnets / précédé de: Vénus et Adonis - Le Viol de Lucrèce (coll. Poésie/Gallimard, 2007)
traduit par Yves Bonnefoy
image: Frank Bernard Dicksee, Miranda (pre-raphaelite.diandian.com)
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11/11/2012
Lire les classiques - Odilon-Jean Périer
Odilon-Jean Périer
Ecoutez-moi si vous m'aimez:Je suis sauvé lorsque je chante; Et toi, surtout, que j'ai formé De ma plus douce voix vivante:Tes beaux cheveux bien éclairés Comme le feu dans la poussière Te font pareil aux oliviers, Tes mains connaissent un mystère Dont il reste de l'or aux doigts... Si tu es dieu, révèle-toi. Garde ton sang, bouche mordue, J'y vois la trace de ton coeur:Sur la voie que tu as perdue Je t'ai suivi comme un chasseur. Es-tu cette étoile sauvage? Je te salue, ô visiteur, Dans la lumière et la douleur, Visage doux comme une plage Usée, habituée aux vagues... Tu es l'amour aux mains profondes:Partageons ce pain et ce sel... Salut, dans le milieu du monde, Salut à mon ami mortel. Puis-je mourir, quelle folie! N'entends-tu pas ma poésie Et ce coeur battre, ô bouche d'or? Je suis le berger de ces ombres Et le principe de ces choses Ayant fait oeuvre de mon corps Je suis vainqueur, il se repose, Et je retourne à mes trésors. Homme enfermé, l'orgueil t'égare Libre et vivant, devant un mur. Accorde-moi ce corps avare, Ne sois, enfin, qu'un esprit pur. Amour, ce serait par faiblesse... Mais, par faiblesse, sois heureux. Laisse ces ruses sans noblesse J'ai vu la flamme dans tes yeux... Alors, il me prend par la tête, Porte la nuit dans mes fénêtres, Porte sur moi son souffle ardent, Par les genoux brise ma force Et, comme un cheval qui s'emporte, Jette ses cheveux dans le vent... Je suis seul. Je serre les dents. Plus tard, un soir comme les autres, La poésie monte et se pose, L'eau merveilleuse monte en moi, Le dieu se pose dans ma chambre, Tout est changé, c'est que je chante:Amour, entendez-vous ma voix?Mais le Démon n'écoute pas, Il pleure dans ses mains profondes... Les poètes sont seuls au monde.
Odilon-Jean-Périer, Ecoutez si vous m'aimez, dans: Poèmes (Labor, 2005)
image: Bruxelles (endroits.blogspot.com)
09:44 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
19/10/2012
Lire les classiques - Marcel Proust
Marcel Proust
Par l'art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et qui bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont ils émanaient, qu'il s'appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient leur rayon spécial.
Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher maintenant, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie. En somme, cet art si compliqué est justement le seul art vivant. Seul il exprime pour les autres et nous fait voir à nous-même notre propre vie, cette vie qui ne peut pas s'observer, dont les apparences qu'on observe ont besoin d'être traduites, et souvent lues à rebours, et péniblement déchiffrées. Ce travail qu'avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d'imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c'est ce travail que l'art défera, c'est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs, où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous...
Marcel Proust, Le temps retrouvé (coll. Livre de poche/LGF, 1999)
image: Marcel Proust, Le temps retrouvé - Manuscrit (agodin.wordpress.com)
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13/10/2012
Lire les classiques - Gustave Flaubert
Gustave Flaubert
La lune se leva; alors la cithare et la flûte, toutes les deux à la fois, se mirent à jouer. Salammbô défit ses pendants d'oreilles, son collier, ses bracelets, sa longue simarre blanche; elle dénoua le bandeau de ses cheveux, et pendant quelques minutes elle les secoua sur ses épaules, doucement, pour se rafraîchir en les éparpillant. La musique au-dehors continuait; c'étaient trois notes, toujours les mêmes, précipitées, furieuses; les cordes grinçaient, la flûte ronflait; Taanach marquait la cadence en frappant dans ses mains; Salammbô, avec un balancement de tout son corps, psalmodiait des prières, et ses vêtements, les uns après les autres, tombaient autour d'elle.
La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d'eau qui coule le long d'un mur, rampa entre les étoffes répandues, puis, la queue collée contre le sol, il se leva tout droit; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.
L'horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d'abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Shahabarim, elle s'avança; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu'à terre. Salammbô l'enroula autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu'au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l'envelopper d'un brouillard d'argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l'eau; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d'or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement; puis la musique se taisant, il retomba.
Taanach revint près d'elle; et quand elle eut disposé deux candélabres dont les lumières brûlaient dans des boules de cristal pleines d'eau, elle teignit de lausonia l'intérieur de ses mains, passa du vermillon sur ses joues, de l'antimoine au bord de ses paupières, et allongea ses sourcils avec un mélange de gomme, de musc, d'ébène et de pattes de mouches écrasées...
Gustave Flaubert, Salammbô (coll. Livre de poche/LGF, 2011)
image: Jean Antoine Marie Idrac, Salammbô (Musée des Augustins, Toulouse)
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05/10/2012
Lire les classiques - Jean Racine
Jean Racine
Le soleil est toujours riant, Depuis qu'il part de l'Orient Pour venir éclairer le monde.Jusqu'à ce que son char soit descendu dans l'ondeLa vapeur des brouillards ne voile point les cieux;Tous les matins un vent officieux En écarte toutes les nues:Ainsi nos jours ne sont jamais couverts; Et, dans le plus fort des hivers, Nos campagnes sont revêtues De fleurs et d'arbres toujours verts. Les ruisseaux respectent leurs rives,Et leurs naïades fugitivesSans sortir de leur lit natal,Errent paisiblement et ne sont point captivesSous une prison de cristal.Tous nos oiseaux chantent à l'ordinaire, Leurs gosiers n'étant point glacés; Et n'étant pas forcés De se cacher ou de se taire, Ils font l'amour en liberté.L'hiver comme l'été. Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,La lune, au visage changeant,Paraît sur un trône d'argent,Et tient cercle avec les étoiles,Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.
Jean Racine, Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
image: Elly Wright, Campagne (http://www.art-en-france.eu/ellywright.html)
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31/08/2012
Lire les classiques - Jean Richepin
Jean Richepin
Le jour où je vous vis pour la première fois,Vous aviez un air triste et gai: dans votre voixPleuraient des rossignols captifs, sifflaient des merles;Votre bouche rieuse, où fleurissaient des perles,Gardait à ses deux coins d'imperceptibles plis;Vos grands yeux bleus semblaient des calices remplisPar l'orage, et séchant les larmes de la pluieA la brise d'avril qui chante et les essuie;Et des ombres passaient sur votre front vermeilComme un papillon noir dans un rais de soleil.Jean Richepin, Les caresses (poesie.webnet.fr)
photo: Robert Doisneau, Mademoiselle Anita
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28/08/2012
Lire les classiques - Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud
Seigneur, quand froide est la prairie, Quand dans les hameaux abattus, Les longs angelus se sont tus... Sur la nature défleurie Faites s’abattre des grands cieux Les chers corbeaux délicieux. Armée étrange aux cris sévères, Les vents froids attaquent vos nids! Vous, le long des fleuves jaunis, Sur les routes aux vieux calvaires, Sur les fossés et sur les trous Dispersez-vous, ralliez-vous! Par milliers, sur les champs de France, Où dorment des morts d’avant-hier, Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver, Pour que chaque passant repense! Sois donc le crieur du devoir, Ô notre funèbre oiseau noir! Mais, saints du ciel, en haut du chêne, Mât perdu dans le soir charmé, Laissez les fauvettes de mai Pour ceux qu’au fond du bois enchaîne, Dans l’herbe d’où l’on ne peut fuir, La défaite sans avenir.
Arthur Rimbaud, Vers nouveau - Une saison en enfer (coll. GF/Flammarion, 2007)
image: Henri Fantin-Latour, Arthur Rimbaud (marmellatadistreghe.wordpress.com)
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13/08/2012
Lire les classiques - John Keats
John Keats
Le jour s'est enfui - et toutes les douceurs avec lui!Douce voix, douces lèvres, douce main, seins plus doux encore,Souffle chaud, soupirs de transe, tendre chuchotement,Oeil brillant, forme accomplie, taille langoureuse!Enfuis la fleur et ses charmes rêvésEnfuie de mes yeux la vue de la BeautéEnfuie de mes bras la forme de la BeautéEnfuies, la voix, la chaleur la blancheur paradisiaquesDisparues sans attendre, avec la lumière,Quand le jour et la nuit ont commencé à tisserLa trame épaisse d'ombre du Plaisir secret.Mais j'ai lu tout le jour le missel de l'AmourEt il me laissera dormir, voyant que je jeûne et prie.
John Keats, Les Odes (Arfuyen, 2009)
traduit de l'anglais par Alain Suied
image: Jean-Baptiste Perronneau, Mademoiselle Huquier, 1747 (eurocles.com)
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10/08/2012
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
pour Catherine P
Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilliOh! quel bonheur profond, intime, recueilli!Amour! hymen d'en haut! ô pur lien des âmes!Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.Il fait, des souvenirs de leur passé commun,L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre.Chérie, n'est-ce pas? cette vie est la nôtre!Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,Et devient l'amitié tout en restant l'amour!Victor Hugo, Toute la lyre - Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)
image: Chemin de Ruth, Cologny
08:59 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |