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07/04/2013

Petite bibliothèque de poésie 1b

Lire les classiques - François Villon

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Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six:
Quand de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre. 
De notre mal personne ne s'en rie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre. 
Ne soyez donc de notre confrérie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 

François Villon,  Epitaphe en forme de ballade, dans: Petite bibliothèque de poésie, coffret hors série de 12 volumes - Choix de André Velter (coll. Poésie/Gallimard et Télérama, 2013)

image: Ludwig Rollmann, Portrait de François Villon (galerie-creation.com)

16:36 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/03/2013

Lire les classiques - Odilon-Jean Périer

Odilon-Jean Périer

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Il pleut. je n'ai plus rien à dire de moi-même 
Et tout ce que j'aimais, comme le sable fin 
Sans peser sur la plage où les vents le dispersent 
(Amour dont je traçais un émouvant dessin)
 
S'évanouit... La seule étendue inutile 
Mais seule, mais unie, en pente vers la mer, 
Me laisse par l'écume aller d'un pas tranquille 
Qu'elle efface après moi. Toi, paysage amer,
 
Paysage marin, le seul où je sois libre, 
Qui parle mieux qu'un homme, avec plus de grandeur, 
Donne-moi, pour un soir, cette raison de vivre, 
Le secret de ta grâce au milieu du malheur:
 
Sans faiblesses, sans fleurs charmantes ni flétries 
Mais tellement plus beau qu'aucun ouvrage humain, 
La terre unie au ciel par la foudre ou la pluie 
Et les quatre éléments tenus dans une main.
 
Vous faites ces beautés, lumières de l'orage, 
Dunes, léger trésor, mouvement des éclairs, 
Mais il reste à traduire un si noble langage 
Et vous n'aurez de sens que celui de mes vers
 
Quand je n'avais plus rien à dire de moi-même 
Ce paysage m'a répondu sagement :
Car la création est le jeu que je mène 
Et jusqu'à mes ennuis doivent former un chant.
 

Odilon-Jean Périer, Le promeneur, dans: Poèmes (Labor, 2005)

image: Denys Puech (larousse.fr)

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25/03/2013

Lire les classiques - Emile Verhaeren

Emile Verhaeren

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Sur la glycine en fleur, que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les milles insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh ! la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leurs corps fins comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d'herbe ou de roseau.
 

Emile Verhaeren, Sur la glycine en fleur, dans: Toute la Flandre - Poésies complètes vol.8 (Renaissance du Livre, 2012)

image: unjardinsurunbalcon.wordpress.com 

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23/03/2013

Lire les classiques - William Shakespeare

William Shakespeare

littérature; poésie; théâtre; anthologie; livres

Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
Nous irons au plus beau des lits nuptiaux
Et il sera par nous béni:
Et la lignée qui y sera créée
Sera heureuse à tout jamais.
 
Ainsi ces trois couples toujours
Seront fidèles en amour;
Et les flétrissures de la nature
Devront épargner leur progéniture.
Ni tache, bec-de-lièvre ou cicatrice,
Aucune des marques funestes
Que l'on redoute à la naissance,
Ne doit atteindre leurs enfants.
 
Que chaque fée vienne répandre
Cette rosée sacrée des champs,
Et qu'elle bénisse chaque chambre du palais
D'une douce paix,
Et que le maître en soit béni.
 

William Shakespeare, Le songe d'une nuit d'été - édition bilingue (coll. Folio Théatre/Gallimard, 2003)

traduction de l'anglais par Jean-Michel Déprats

image: Sandro Botticelli, Simonetta Cattaneo Vespucci, 1974 (robswebstek.com) 

09/03/2013

Lire les classiques - Marguerite de Valois

Marguerite de Valois

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J'ai un ciel de désir, un monde de tristesse,
Un univers de maux, mille feux de détresse,
Un Etna de sanglots et une mer de pleurs.
J'ai mille jours d'ennuis, mille nuits de disgrâce,
Un printemps d'espérance et un hiver de glace;
De soupirs un automne, un été de chaleurs.
 
Clair soleil de mes yeux, si je n'ai ta lumière,
Une aveugle nuée ennuitte ma paupière,
Une pluie de pleurs découle de mes yeux.
Les clairs éclairs d'Amour, les éclats de sa foudre,
Entrefendent mes nuits et m'écrasent en poudre:
Quand j'entonne mes cris, lors j'étonne les cieux.
 
Belle âme de mon corps, bel esprit de mon âme,
Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme,
J'envie à tous les vifs, j'envie à tous les morts.
Ma vie, si tu vis, ne peut être ravie,
Vu que ta vie est plus la vie de ma vie,
Que ma vie n'est pas la vie de mon corps!
 
Je vis par et pour toi, ainsi que pour moi-même;
Je vis par et pour moi, ainsi que pour toi-même:
Nous n'aurons qu'une vie et n'aurons qu'un trépas.
Je ne veux pas ta mort, je désire la mienne,
Mais ma mort est ta mort et ma vie est la tienne;
Ainsi je veux mourir, et je ne le veux pas! ...
 

Marguerite de Valois et Benjamin Jamyn, Stances amoureuses, dans: Conversations amoureuses - Poèmes d'amour choisis par José Belin (Géraldine Martin, 1999)

image: Lucas Cranach l'Ancien, Sybille princesse de Clèves (en.wikipedia.org)

08:49 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/03/2013

Lire les classiques - Jean Racine

Jean Racine

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Saintes demeures du silence,
Lieux pleins de charmes et d'attraits,
Port où, dans le sein de la paix,
Règne la Grâce et l'Innocence;
Beaux déserts qu'à l'envi des cieux,
De ses trésors plus précieux
A comblé la nature,
Quelle assez brillante couleur
Peut tracer la peinture 
De votre adorable splendeur?
 
Les moins éclatantes merveilles
De ces plaines ou de ces bois
Pourraient-elles pas mille fois
Épuiser les plus doctes veilles?
Le soleil vit-il dans son tour
Quelque si superbe séjour
Qui ne vous rende hommage?
Et l'art des plus riches cités
A-t-il la moindre image 
De vos naturelles beautés?
 
Je sais que ces grands édifices
Que s'élève la vanité
Ne souillent point la pureté
De vos innocentes délices.
Non, vous n'offrez point à nos yeux
Ces tours qui jusque dans les cieux
Semblent porter la guerre,
Et qui, se perdant dans les airs,
Vont encor sous la terre 
Se perdre dedans les enfers.
 
Tous ces bâtiments admirables,
Ces palais partout si vantés,
Et qui sont comme cimentés
Du sang des peuples misérables,
Enfin tous ces augustes lieux
Qui semblent, faire autant de dieux
De leurs maîtres superbes,
Un jour trébuchant avec eux,
Ne seront sur les herbes 
Que de grands sépulcres affreux.
 
Mais toi, solitude féconde,
Tu n'as rien que de saints attraits,
Qui ne s'effaceront jamais
Que par l'écroulement du monde:
L'on verra l'émail de tes champs
Tant que la nuit de diamants
Sèmera l'hémisphère;
Et tant que l'astre des saisons,
Dorera sa carrière, 
L'on verra l'or de tes moissons.
 
Que si parmi tant de merveilles
Nous ne voyons point ces beaux ronds,
Ces jets où l'onde par ses bonds
Charme les yeux et les oreilles,
Ne voyons-nous pas dans tes prés
Se rouler sur des lits dorés
Cent flots d'argent liquide,
Sans que le front du laboureur
A leur course rapide 
Joigne les eaux de sa sueur?
 
La nature est inimitable;
Et quand elle est en liberté,
Elle brille d'une clarté
Aussi douce que véritable.
C'est elle qui sur ces vallons,
Ces bois, ces prés et ces sillons
Signale sa puissance;
C'est elle par qui leurs beautés,
Sans blesser l'innocence, 
Rendent nos yeux comme enchantés.

Jean Racine, Louange de Port-Royal, dans: Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)

image: Cloître de Port-Royal / Hôpital Cochin, Paris (en.wikipedia.org)

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25/02/2013

Lire les classiques - H.B. dit Stendhal

H.B. dit Stendhal

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A son inexprimable joie, après une si longue attente et tant de regards, vers midi Clélia vint soigner ses oiseaux. Fabrice resta immobile et sans respiration, il était debout contre les énormes barreaux de sa fenêtre et fort près. Il remarqua qu'elle ne levait pas les yeux sur lui, mais ses mouvements avaient l'air gêné, comme ceux de quelqu'un qui se sent regardé. Quand elle l'aurait voulu, la pauvre fille n'aurait pas pu oublier le sourire si fin qu'elle avait vu errer sur les lèvres du prisonnier, la veille, au moment où les gendarmes l'emmenaient du corps de garde.

Quoique, suivant toute apparence, elle veillât sur ses actions avec le plus grand soin, au moment où elle s'approcha de la fenêtre de la volière, elle rougit fort sensiblement. La première pensée de Fabrice, collé contre les barreaux de fer de sa fenêtre, fut de se livrer à l'enfantillage de frapper un peu avec la main sur ces barreaux, ce qui produirait un petit bruit ; puis la seule idée de ce manque de délicatesse lui fit horreur. Je mériterais que pendant huit jours elle envoyât soigner ses oiseaux par sa femme de chambre. Cette idée délicate ne lui fût point venue à Naples ou à Novare.

Il la suivait ardemment des yeux: certainement, se disait-il, elle va s'en aller sans daigner jeter un regard sur cette pauvre fenêtre, et, pourtant elle est bien en face. Mais, en revenant du fond de la chambre que Fabrice grâce à sa position plus élevée apercevait fort bien, Clélia ne put s'empêcher de le regarder du haut de l'oeil, tout en marchant, et c'en fut assez pour que Fabrice se crût autorisé à la saluer. Ne sommes-nous pas seuls au monde ici? se dit-il pour s'en donner le courage. Sur ce salut, la jeune fille resta immobile et baissa les yeux; puis Fabrice les lui vit relever fort lentement; et évidemment, en faisant effort sur elle-même, elle salua le prisonnier avec le mouvement le plus grave et le plus distant mais elle ne put imposer silence à ses yeux; sans qu'elle le sût probablement, ils exprimèrent un instant la pitié la plus vive. Fabrice remarqua qu'elle rougissait tellement que la teinte rose s'étendait rapidement jusque sur le haut des épaules, dont la chaleur venait d'éloigner, en arrivant à la volière, un châle de dentelle noire. Le regard involontaire par lequel Fabrice répondit à son salut redoubla le trouble de la jeune fille. Que cette pauvre femme serait heureuse, se disait-elle en pensant à la duchesse, si un instant seulement elle pouvait le voir comme je le vois!

Fabrice avait eu quelque léger espoir de la saluer de nouveau à son départ; mais, pour éviter cette nouvelle politesse, Clélia fit une savante retraite par échelons, de cage en cage, comme si, en finissant, elle eût dû soigner les oiseaux placés le plus près de la porte. Elle sortit enfin; Fabrice restait immobile à regarder la porte par laquelle elle venait de disparaître; il était un autre homme.

H.B. dit Stendhal, La chartreuse de Parme (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

image 1: Rodrigo Guirao Diaz et Alessandra Mastronardi, dans: La chartreuse de Parme, téléfilm de Cinzia TH Torrini (2012)

image 2: Gérard Philipe et Renée Faure, dans: La chartreuse de Parme, film de Christian-Jaque (1948)

littérature; roman; morceaux choisis; livres

18/02/2013

Lire les classiques - Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud.jpg

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
 
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Arthur Rimbaud, Sensation, dans:  Poésies, Une saison en enfer, Illuminations (coll. Poésie/Gallimard, 2010)

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01/02/2013

Lire les classiques - François-René de Chateaubriand

François-René de Chateaubriand

Maison-Chateaubriand.jpg

Le temps m'appelle: il faut finir ces vers. 
A ce penser défaillit mon courage. 
Je vous salue, ô vallons que je perds! 
Ecoutez-moi: c'est mon dernier hommage. 
Loin, loin d'ici, sur la terre égaré, 
Je vais traîner une importune vie; 
Mais quelque part que j'habite ignoré, 
Ne craignez point qu'un ami vous oublie. 
Oui, j'aimerai ce rivage enchanteur, 
Ces monts déserts qui remplissaient mon coeur 
Et de silence et de mélancolie; 
Surtout ces bois chers à ma rêverie, 
Où je voyais, de buisson en buisson, 
Voler sans bruit un couple solitaire, 
Dont j'entendais, sous l'orme héréditaire,
Seul, attendri, la dernière chanson. 
Simples oiseaux, retiendrez-vous la mienne? 
Parmi ces bois, ah! qu'il vous en souvienne. 
En te quittant je chante tes attraits, 
Bord adoré! De ton maître fidèle 
Si les talents égalaient les regrets, 
Ces derniers vers n'auraient point de modèle. 
Mais aux pinceaux de la nature épris, 
La gloire échappe et n'en est point le prix.
Ma muse est simple, et rougissante et nue; 
Je dois mourir ainsi que l'humble fleur 
Qui passe à l'ombre, et seulement connue 
De ces ruisseaux qui faisaient son bonheur.

François-René de Chateaubriand, Tableaux de la nature, dans: Pierre Dauzier et Paul Lombard, Poètes délaissés - Anthologie (coll. La petite Vermillon/Table Ronde, 1999)

image: La maison de Chateaubriand, par Serge Mouraret / Châtenay-Malabry, France (jne-asso.org)

06:42 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/01/2013

Lire les classiques - Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

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merci à Christiane H

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. 

Charles Baudelaire, Les fenêtres / extrait, dans: Le spleen de Paris, Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)

image: Bernard Plossu, Mexique / 1981 (lebleuduciel.net)