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02/06/2010

Le poème de la semaine

Paul Claudel


Il est une conception dans la joie, je le veux,

il est une vision dans le rire.

Mais ce mélange de béatitude et d'amertume

que comporte l'acte de création,

pour que tu le comprennes, ami,

à cette heure où s'ouvre une sombre saison,

je t'expliquerai la tristesse de l'eau.


Du ciel choit ou de la paupière déborde

une larme identique.


Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée,

ni ce voile de l'averse obscure.

Ferme les yeux, écoute!

La pluie tombe.


Ni la monotonie de bruit assidu

ne suffit à l'explication.


C'est l'ennui d'un deuil

qui porte en lui-même sa cause,

c'est l'embesognement de l'amour,

c'est la peine dans le travail.

Les cieux pleurent sur la terre qu'ils fécodent.

Et ce n'est point surtout l'automne

et la chute future du fruit

dont elles nourrissent la graine

qui tire ces larmes de la nue hivernale.

La douleur est l'été

et dans la fleur de la vie

l'épanouissement de la mort.


Au moment que s'achève cette heure

qui précède Midi,

comme je descends dans ce vallon

qu'emplit la rumeur de fontaines diverses,

je m'arrête ravi par le chagrin.

Que ces eaux sont copieuses!

et si les larmes comme le sang ont en nous

une source perpétuelle,

l'oreille à ce choeur liquide

de voix abondantes ou grêles,

qu'il est rafraîchissant d'y assortir

toutes les nuances de sa peine!


Il n'est passion qui ne puisse

vous emprunter ses larmes, fontaines!

et bien qu'à la mienne

suffise l'éclat de cette goutte unique

qui de très haut dans la vasque

s'abat sur l'image de la lune,

je n'aurai pas en vain pour maints après-midi

appris à connaître ta retraite,

val chagrin.


Me voici dans la plaine.

Au seuil de cette cabane où,

dans l'obscurité intérieure,

luit le cierge allumé

pour quelque fête rustique,

un homme assis tient dans sa main

une cymbale poussiéreuse.

Il pleut immensément,

et j'entends seul,

au milieu de la solitude mouillée,

un cri d'oie.

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:30 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

Commentaires

Très beau et si dense... Merci !

Écrit par : SophieA | 02/06/2010

Les commentaires sont fermés.