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05/11/2011

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 87, octobre 2011

vladimir dimitrijevic 2.jpg 

Incontournable figure de la littérature, de la pensée, de l'édition et de la librairie, Vladimir Dimitrijevic laisse un vide incommensurable, pas uniquement aux éditions de l'Age d'Homme. Pour l'avoir brièvement côtoyé de près - six mois à peine - dans sa librairie de Lausanne, j'ai éprouvé pour lui ce qu'à distance, bien plus tôt, je pressentais: une affection presque filiale pour cet homme de passion, de culture, de conviction que, jusqu'à ses contradictions ou ses extrémismes, j'ai toujours admiré, plus qu'aucune autre personne dans le métier. Même si nos rapports ne furent pas les plus faciles - une pudeur réciproque empêchait cette fameuse vibration commune - je conserve de mon passage à l'Age d'Homme dans les années 2000, le souvenir d'avoir retrouvé auprès de lui cette fièvre sans compromissions pour le livre: sa découverte et sa transmission dans un lieu - tous s'accorderont sans doute pour abonder dans mon sens - qui ressemblait à une caverne d'Ali Baba et dégageait une atmosphère unique au monde. Je lui dois, pour une part cruciale, d'être devenu ce que je suis. Aujourd'hui, je n'abrite dans ma mémoire que le meilleur de Dimitri, aussi lumineux et indispensable que les vitraux d'une cathédrale dont les ombres sont absentes, car - autre fait divers - on lui pardonnait tout, à Dimitri, mais cela aussi d'autres vous le confirmeront... 

Vladimir Dimitrijevic s'est éteint le 28 juin 2011. Le Passe Muraille, dans la présente livraison, sous la direction de Jean-Louis Kuffer, lui rend hommage, à travers les personnes qui l'ont rencontré, ont partagé son amitié ou oeuvré auprès de lui. Un ensemble de témoignages qui expose en plein jour les facettes multiples et parfois dissonantes de la personnalité de ce passeur inoubliable. Comme le dit avec beaucoup d'émotion Claude Frochaux: Merci Dimitri

Sommaire du Passe-Muraille no 87, Octobre 2011 - "Dimitri le passeur": 

p.1 

"Une vie et un destin", par Jean-Louis Kuffer

"Le sérieux de la littérature", par Vladimir Dimitrijevic

p.3

"Au découvreur assoiffé", par Georges Nivat

p.4

"Merci Dimitri", par Claude Frochaux

p.5

"Celui qui donne à lire", par Lydwine Helly

p.6

"Les derniers jours", par Richard Aeschlimann

"Russie intérieure", par Patrick Vallon

p.7

"De fulgurantes intuitions", par François Debluë

"On continue", par Claire Hillebrand

p.8

"Dimitri, je me souviens", par Valérie Humbert

p.9

"Le roman du barbare", par Jean-Michel Olivier

p.10

"Sur la route", par Slobodan Despot

p.11

"Vladimir", par Freddy Buache 

"Le passeur en son arche", par Laurence Chauvy

p.12

"Ceux qui se souviennent", par Jean-Louis Kuffer

 

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

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01/11/2011

Daniel Maggetti

9782881088117.gifDaniel Maggetti, Les créatures du bon Dieu (Editions de l'Aire, 2007)

 

A l’ombre des montagnes, un village niché au cœur d’une vallée tessinoise est le théâtre de la rencontre d’un homme d’Eglise et d’une aristocrate alémanique, puis de leur vie en commun, mouvementée et insolite. Témoin complice de leur relation, le narrateur est amené à considérer d’un autre œil l’amour, le savoir, la foi ; don Rodrigo et Marie-Louise l’initient à la tolérance, et peut-être, malgré eux, à la compassion. Empreint de dérision et d’empathie, Les Créatures du Bon Dieu brosse le portrait de deux personnages attachants et hauts en couleur ; mais c’est aussi un roman de formation et la chronique, haletante et pathétique, d’un monde en train de disparaître.


Attachants, drôles et d’une subversion communicative, les deux personnages principaux de ce récit, nous entraînent dans leur dépoussiérage des coutumes ou traditions avec jubilation et mélancolie. L’évocation de leur tardif amour des bêtes à lui seul vaut le détour... Sans oublier les descriptions du Tessin, magnifiques!


également disponible en coll. de poche (coll. L'Aire Bleue/L'Aire, 2011)

09:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/10/2011

Gilberte Favre 1b

Bloc-Notes, 30 octobre / Les Saules 

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Voici quelques citations qui illustrent Des Etoiles sur mes chemins de Gilberte Favre. Il en est bien d'autres que je vous laisse découvrir dans son émouvant récit: 

Je ne crois plus aux naufrages
Il y a un masque bleu au fond de tous les puits.
Andrée Chedid
 
*
 
Je ne crains rien, je n'espère rien.
Je suis libre.
Nikos Kazantzaki
 
*

L'important reste à jamais informulable
telle la noisette de poix au fond du gosier.
Alexandre Voisard
 
*

Imaginez lorsque la mort se fait enfant
qu'il neige sur les derniers bruits.
Nadia Tuéni

*

Tout est à la fois trop tard et prématuré pour moi;
mais poussé par un désir sans mesure,
je cherche obstinément au-dessus des vagues
un lieu de paix et d'amour.
Maurice Chappaz
 
*

Le vent ne vieillit pas, la mer n'a pas d'âge.
Le soleil, le ciel sont éternels.
J.M.G. Le Clézio
 
*

Laisse monter mon chant
tout au sommet de la montagne.
Marina Tsvetaïeva

*
 
Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort,
les yeux baissés les mains vides
et la mer dont j'entends le bruit
est une mer qui ne rend jamais ses noyés.
Louis Aragon
 
*

Celui qui rêve
se mélange à l'air.
Georges Schehadé

 

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)

image: Maurice Chappaz (JLK, 24 Heures)

Gilberte Favre 1a

Bloc-Notes, 30 octobre / Nyon

littérature; récit; livres

Certains livres portent bien leur titre. Ainsi en est-il du récit de Gilberte Favre, Des étoiles sur mes chemins, car davantage que le film d'une vie, c'est d'un chant de reconnaissance qu'il s'agit: hommage à son père de sang trop tôt disparu, un orphelin inconsolable, préférant les grands espaces aux murs de l'école qui, malgré ses lacunes intellectuelles, avait un regard lucide sur la vie, le monde et la nature: ruisseaux, rivières de montagnes, arbres, oiseaux en liberté, couchers de soleil... Surtout, mon père aimait le Silence, et j'ai hérité de ce besoin. Depuis qu'il a disparu, des chants d'oiseaux m'accompagnent. J'essaie de les identifier, hésitant entre le rouge-gorge et la mésange charbonnière, ou serait-ce la fauvette? Mon père qui les aurait tous reconnus avec précision, aurait ri de mes doutes, de mon ignorance. Au fil de ces pages, j'ai pris congé de lui - le vrai, le taiseux, celui que j'ai cherché à découvrir rétrospectivement - tout en pensant à l'Autre, le Père-Poète.

Le Père-Poète, cette rencontre déterminante dans sa vie - il en est d'autres telles Andrée Chedid, Eleni Kazantzaki, J.M.G. Le Clézio ou Ghassan Tueni - a pour nom l'écrivain Maurice Chappaz. Il l'appelle l'hirondelle de vie et irradie tout le chemin de Gilberte Favre de sa présence douce, de ses réflexions marquées par la poésie naturelle et le bons sens, tout particulièrement quand son époux N. - Noureddine Zaza, écrivain et homme politique kurde - se trouve frappé par un cancer: Soyez sûre que ce que vous ferez, direz, il le comprend, mais le côté désespoir crée ce sentiment terrible d'échec, de culpabilité, de rétorsion. En même temps que l'homme est infiniment touché par la bonté de l'autre et emportera pour vous votre bonté dans l'autre monde et vous protégera dans celui-ci. A vous, à tout ce que vous guidez avec le plus grand et le plus constant amour.

Si ce livre peut ressembler parfois à un office des morts - titre d'un ouvrage de Maurice Chappaz - en l'honneur de ceux qui, pour la plupart, ont aujourd'hui quitté ce monde - N., Maurice Chappaz ou Andrée Chedid - il est aussi pétri de cette gratitude qui ne console pas de l'absence, et de la reconnaissance vouée au pouvoir des livres qui ont inspiré son chant du monde, au-delà des épreuves que l'existence a pu lui réserver: J'aime les mots pour leur présence, leur musique, leur signification, leur mémoire. Tout ce qu'ils évoquent et qu'ils cachent, parce qu'ils chantent. Je les aime parce qu'ils sont fidèles, parce qu'ils sont toujours près de nous, en nous. Ils sont la vie et s'ils savent dire la mort, ils sont - de par nature - la négation de la mort.

De la Suisse ou Kurdistan, de la Grèce au Liban, de Chypre au Hoggar, la plume de cette grande voyageuse observe, décrit et intègre à son appréhension du temps de la fracture et du souvenir tout ce qu'elle y découvre d'oppression, de peine ou d'injustice dont elle a déjà rendu compte dans ses écrits antérieurs: J'étais lasse de notre monde civilisé que je voyais peuplé de prétentieux avides et cyniques, de blasés ignorant la caresse fraternelle du soleil comme le frémissement des feuilles sous la chaussure. Et c'est sans doute dans les livres - lus ou écrits - qu'elle a puisé l'énergie et la conviction nécessaires pour réduire les angles discordants.

De nombreux auteurs ont habité Gilberte Favre au fil de son récit Des Etoiles sur mes chemins et, plutôt que de les énumérer tous, vous trouverez en annexe quelques-unes de ces citations qui forgent ses traits ou son vécu et constituent une terre ferme dont elle n'est pas prête à se détourner...

Une note d'Oiseau vaut mieux qu'un million de mots. (Emily Dickinson) 

Journaliste, critique littéraire et écrivain, on doit à Gilberte Favre un livre consacré à la première épouse de Maurice Chappaz, Corinna Bille, le vrai conte de sa vie aux éditions 24 Heures. Elle signe également L'hirondelle de vie - Chronique des enfants du Liban, aux éditions de L'Aire. Suivent deux romans chez le même éditeur: Comme un acte de mémoire et Survivre.

Son blog, consacré pour l'essentiel aux rumeurs du monde et à la poésie, mérite davantage qu'une simple visite de courtoisie: http://itineraires.blog.24heures.ch/ 

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)

23/09/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules

littérature: essais; conférences; livres

La jeunesse de ma grand-mère paternelle semble tout juste tirée d'un roman d'Emile Zola. Issue d'un milieu modeste, elle quitta l'école à l'âge de quatorze ans, pour apporter sa contribution financière à la famille. A son père, plutôt, un pilier de bistrots qui l'attendait en fin de semaine à la sortie de sa blanchisserie, pour lui piquer ses sous. Pas d'études donc, ni d'instruction particulière sinon pratique, comme pour bon nombre de femmes de son époque. Je l'ai toujours connue penchée sur France Dimanche, Ici Paris, Le Détective ou La Feuille d'Avis de Lausanne - devenu par la suite 24 Heures - qui occupaient ses après-midis quand elle nous rejoignait cinq ou six fois par an, pour une quinzaine de jours. Ou plongée dans les romans à l'eau de rose, signés Delly ou Max Du Veuzit que je lui offrais à son anniversaire et à Noël. Une manière comme une autre de réhabiliter cette notion de bonheur qui lui avait été refusée. Un événement pourtant allait chambouler ses habitudes: Une émission TV - en noir et blanc, dans les années 60/70 - intitulée Préfaces, magazine culturel d'une quarantaine de minutes produit par la Télévision Suisse Romande, en collaboration avec l'ORTF, présentée par Albert Zbinden et Guy Dumur, réalisée par Maurice Huelin.

Préfaces consacra en première partie de l'émission des dossiers passionnants à Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau, Michel Simon, Joseph Kessel, Henry de Montherlant, Françoise Sagan ou Ivo Andric - pour n'en citer que quelques-uns - avant de cèder la place, dans un salon où l'on n'entendait pas même bourdonner une mouche, à Henri Guillemin et ses rendez-vous littéraires. Ce catholique engagé, professeur au Caire puis à Bordeaux avant la guerre de 39-45, fuyant la France en 1942 pour s'établir en Suisse - à Neuchâtel - devint pour la petite histoire attaché culturel à l'ambassade de France jusqu'à sa retraite, en 1962. Boudé par les intellectuels français pour sa vision anticonformiste et passionnée, il n'accèda jamais à ce vieux rêve: devenir professeur à La Sorbonne.

Ma grand-mère donc - pour laquelle j'ai toujours éprouvé une immense tendresse - malgré ses études embryonnaires, était vive, intelligente, curieuse. Elle n'a raté aucune des émissons de Henri Guillemin et était capable de résumer chacune de ses interventions - une quinzaine de minutes - avec un lumineux sourire. Je me souviens particulièrement de son évocation de Pascal - pourtant pas facile à décrypter - qui l'avait captivée. Il avait réussi là où tous - notre entourage et les autres - avaient échoué: susciter la soif d'apprendre, aiguiser la curiosité, traquer la vérité...

Une même ferveur chez ma mère, par contre impregnée de littérature et qui m'a transmis entre autres sa passion pour les auteurs russes du XIXe siècle. Préfaces fut pour elle un moment exceptionnel de télévision: elle applaudissait quand Henri Guillemin parlait d'Emile Zola, d'Alphonse de Lamartine, de François Mauriac ou de Charles Péguy avec son drapeau tricolore à la main... Elle lui a écrit plusieurs fois, fière de brandir les réponses du maître à ses interprétations ou critiques. Quant à moi, je me rappelle qu'il avait ressuscité Jules Vallès, tombé à cette époque en désuétude: au lendemain de sa présentation - j'étais alors apprenti libraire - tout le monde voulait découvrir cet illustre inconnu de la Commune, comme s'il s'agissait du dernier lauréat d'un prix littéraire! Plus tard, il m'avait entraîné sur les traces d'un auteur étonnant aujourd'hui - hélas! - oublié: Jean Sulivan, prêtre-écrivain de l'après-guerre, auteur de Car je t'aime ô Eternité et Devance tout adieu.

Avec Henri Guillemin, cela nous amusait de compter les coups. Un peu injustement - parfois, souvent - contre André Gide, par exemple ou pire encore, contre Jean-Jacques Rousseau. Cela dit, son plus grand mérite fut de populariser la littérature - au sens noble du terme - sur les ondes ou à la télévision, de l'avoir rendue accessible hors de la sphère privilégiée des universitaires, avec une élocution et une force de conviction qui n'ont jamais été égalées depuis, pas même par Alain Decaux ou plus tard Bernard Pivot.

Bien sûr qu'il peut lui être reproché d'avoir pris des libertés avec l'histoire, d'avoir été fasciné ou au contraire indigné par certains écrivains et hommes politiques, mais en revanche, sceptique devant les modèles préfabriqués, il aimait chercher ce qui se cache derrière les choses et cela incitait son auditoire à dépasser avec lui les apparences, les lieux-dits, fut-ce dans une autre direction que la sienne, au coeur de l'homme, loin des abstractions.

Parmi une riche bibliographie, il vaut la peine de lire A vrai dire (1956), L'énigme Esterhazy (1962), L'homme des Mémoires d'Outre-tombe (1965), Sulivan ou la parole libératrice (1977) et Charles Péguy (1981).  

Henri Guillemin nous a quittés en 1992, à l'âge de 89 ans et je suis ému qu'en 2011, un auteur lui consacre un vibrant hommage. Il s'agit de Michel Crépu. Dans son dernier ouvrage, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, il note: Henri Guillemin, un inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu, sa manière à lui de l'aimer, multipliant les pièces à charge dans l'espoir d'un rachat de dernière minute, fourni par l'accusé lui-même, si possible malgré lui, bien entendu. Au fond, Guillemin, si acharné en procureur des grandes gloires, ne voulait pas un casier sans tache, ce qu'il voulait c'était pouvoir pardonner. Si la littérature est la littérature, alors qu'elle le prouve. (...) Chez Guillemin, la beauté se gagne au terme d'une entreprise de démolition implacable: à la fin, on veut bien baisser la garde, à condition que la beauté, une fois n'est pas coutume, joue cartes sur table.

Merci pour lui, Michel Crépu: il le vaut bien...

Henri Guillemin, L'énigme Esterhazy (Gallimard, 1962)

Jean Sulivan, Car je t'aime ô Eternité (Gallimard, 1966)

Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)

 Archives de la TSR: http://archives.tsr.ch/dossier-18esiecle

22/09/2011

Jacques Chessex

9782246733614.gifJacques Chessex, Revanche des purs (Grasset 2008)

 

On oublie trop souvent que Jacques Chessex - outre ses romans et récits – est aussi un des plus grands poètes d’expression française de son temps. Dans ce recueil, lisez Revanche des purs, Faire-part, Cours furet ou Le migrateur pour vous en persuader, sans oublier que l’un de ses plus beaux poèmes nous est donné dans son récit Pardon mère - paru au même moment chez Bernard Grasset également - page 190...

08:48 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/09/2011

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Ma plus douce lueur c'est ton corps de feuillage
Et sa limpidité prise aux sources du vent
Odeur de pomme brune et de renard filant
Quand le poids d'une bouche incline vers l'orage
 
Ma plus douce lueur ta peau fière et sauvage
Pays de l'innocence où ma main va rêvant
Ma plus douce lueur mon plus tendre sarment
Quand l'amour et la nuit me soufflent ton image
 
Robe de mon amour marronnier du soleil
Eclair illuminant la voûte du sommeil
En grappes rouge-feu tu flambes sous la pluie
 
Mais quand l'automne triste aux route de bois mort
Abat ses herses de malheur nous sommes forts
Ma plus douce lueur humaine mon amie
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

10/08/2011

Le poème de la semaine

Gustave Roud

Tu ne sens pas ces taches de marbre glacé
là-bas derrière ton épaule.
Et pourtant le dernier sillon
touchait le mur des tombes, tu le sais.
Mais tu vis,
et ce mur aux yeux aveugles des vivants,
c'est un jardin comme les autres qu'il enclôt,
les vieilles roses visitées des mêmes abeilles.
Elles donnent comme les autres
leur miel et leur odeur.
La pluie aux pierres trop lisses
lave et dédore les noms
plus vite que l'oubli.
Pierres toujours froides,
le sang des paumes vivantes
les sépare de votre secret!
 
Quelle main de petite fille dans le brasier d'août
sur vous naïvement posée
(l'autre pleine de roses mortes)
sentira jamais la terrible source profonde
qui glace votre coeur?
 
Le tondeur des buis se retourne sous le porche
et prend joie aux primevères dorées
par le soleil moribond,
sans vous voir grelottantes, 
de roses rayons vainement, grossièrement fardées,
toutes blêmes de votre gel intérieur.
 
vous êtes lourdes comme le temps,
plus légères que le givre,
vous êtes de grands oiseaux fermés
qui épient sans trêve au-delà des siècles
l'embrasement futur de l'autre aurore,
la flèche aiguë des trompettes
qui les transpercera d'un cri.
 
Vivants aveugles!
Ils s'adossent à ce frisson qui monte en vous
nuit et jour de l'affreuse banquise souterraine
et tandis que vous tremblez contre eux
comme le rôdeur d'hiver aux portes fermées,
ils rêvent de repos.
Aveugles et sourds dans ce lieu
où chaque chuchotement de feuille est une parole,
où les lèvres de la plus pauvre fleur
crient un sombre secret d'abîme!
 
Ils respirent comme une innocente fumée
l'odeur des roses
par le vent d'un revers d'aile rabattue;
en vain l'oiseau fait scintiller
sur la grappe des feuillages obscurs
son chant d'étoile!
 
Ils s'en vont,
ils traînent dans le gravier la porte rouillée,
et derrière eux,
sous le baîllon de glaise glaciale,
fouillés de monstrueuses racines,
ceux qui ne parlent plus,
de toutes les fleurs, de tous les oiseaux,
de toutes les feuilles jettent,
jettent au vent leurs appels
comme des graines perdues...
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

06/07/2011

Le poème de la semaine

Claudio Montale

pour Catherine P

quelques traces de craie dans le ciel
sont seuls signes que je laisse
pour tout dire
à qui veut jouer aux enfanteurs de lumière
 
à toi qui n'en as cure
il y a matière à rire
et pour les autres à médire
 
à huis clos
je les abandonne à leurs mauvais stratagèmes
au creux de ta blanche haleine
soudée à la terre vierge
dont je viens et où je vais sans trop frémir
et sans besoin de forger
d'improbables certitudes
 
ma vigne quotidienne et nouvelle
mon aimante
ma fulgurante
l'invention du présent jubile en nous
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

30/06/2011

Reconnaissance à Dimitri - par JLK

Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Age d’Homme, s’est tué sur une route de France

par Jean-Louis Kuffer

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Une figure légendaire de l’édition littéraire européenne vient de disparaître en la personne de Vladimir Dimitrijevic, dont le van commercial est sorti de la route aux abords de Clamecy, dans la soirée du mardi 28 juin, percutant ensuite un autre véhicule et provoquant la mort immédiate du conducteur, seul à bord. Bien connu à Paris et dans les grandes foires du livre, de Francfort à Montréal, le directeur de L’Age d’Homme, âgé de 77 ans, avait fondé sa maison d’édition en 1966 et publié plus de 4000 titres.

Mondialement connu pour son catalogue slave, établi avec la collaboration des professeurs Georges Nivat et Jacques Catteau, L’Age d’Homme avait également redimensionné l’édition romande. À côté de l’intégrale mythique du Journal intime d’Amiel et des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, réunies par Pierre-Olivier Walzer, de nombreux auteurs contemporains y ont publié leurs ouvrages aux bons soins particuliers de Claude Frochaux. En outre, les collections de cinéma, sous la direction de Freddy Buache, de théâtre, de sciences humaines ou de spiritualité, entre autres domaines, ont souvent fait référence au-delà de nos frontières.

Bien au-delà de l’aire romande, Vladimir Dimitrijevic n’eut de cesse de faire partager sa passion de jeunesse pour un titan de la littérature américaine, Thomas Wolfe. La révélation du bouleversant Vie et destin de Vassili Grossman, arrivée en Suisse sous la forme de microfilms miraculeusement sauvés, est également à son crédit. De la même façon, il alla jusqu’à hypothéquer sa maison de hauts de Lausanne afin de publier les pavés d’Alexandre Zinoviev, des Hauteurs béantes au mémorable Avenir radieux (prix Médicis 1976).

Au nombre des auteurs phares vivants défendus par Dimitri, comme tout le monde l’appelait, figurent en outre Georges Haldas au premier rang des écrivains romands, les Français Vladimir Volkoff ou Pierre Gripari, mais l’originalité de L’Age d’Homme a souvent consisté en découvertes dans les périphéries francophones de la Belgique ou du Québec.

Un personnage à la Simenon

La destinée de Vladimir Dimitrijevic, né en 1934 dans la Yougoslavie de Tito, est elle-même un fabuleux roman. Fils d’un artisan horloger-bijoutier jeté en prison en 1945, comme nombre de commerçants, le jeune Vladimir, fou de littérature et de football, fuira la conscription en 1954 pour débarquer en Suisse sous le faux nom d’un personnage de Simenon. Sous le titre d’Autobiographie d’un barbare, Dimitri a d’ailleurs raconté ses années d’enfance et de jeunesse hautes en couleurs en Macédoine puis à Belgrade, dans une série de propos recueillis par le soussigné : Personne déplacée. Arrivé en Suisse le 4 mars 1954 avec 12 dollars en poche, le jeune déserteur de l’armée du peuple devint libraire à Neuchâtel  puis à Lausanne, chez Payot Bourg où son passage laisse un souvenir marquant.

Un homme de passions

Impatient de combler les vides d’un catalogue selon son cœur, Vladimir Dimitrijevic, avec quelques amis et son épouse Geneviève, fonda L’Age d’Homme en 1966 et ne tarda pas à tisser des liens avec Paris, où il se rendait régulièrement avec Algernon, sa camionnette d’éternel errant dans laquelle il serrait son sac de couchage, par mesure d’économie. Les rapports de Dimitri avec l’argent marquaient d’ailleurs une partie de sa légende, autant que ses positions idéologiques...

Orthodoxe croyant et conservateur, Vladimir Dimitrijevic passa ainsi d’un anticommunisme résolu à un nationalisme serbe qui le rapprocha, dès la fin des années 1980, de ceux-là même qui avaient persécuté son père. Devenu l’éditeur des grands romans serbes historico-politiques de Dobritsa Tchossitch, futur président de la Serbie, en relation directe avec Slobodan Milosevic et même Radovan Karadzic, dont il publia les écrits, Dimitrijevic, et son lieutenant Slobodan Despot, animèrent un Institut serbe à vocation de propagande (ou de contre-propagande, selon leur dire) qui entacha durablement la réputation de L’Age d’Homme. Cela étant, l’héritage de cet éditeur sans pareil ne saurait se réduire à de tels choix, si discutables qu’ils aient pu être. 

Un être lumineux et complexe 

La somme des instants où l’on sent les choses devenir sans poids et de la vie émaner un parfum constitue pour moi la preuve de la communion avec Dieu, nous disait Dimitri en 1986, lors de conversations dont il nous reste l’aura d’une présence sans pareille.

Dimitri était un homme inspiré, proprement génial par moments, qui pouvait se montrer d’une extrême délicatesse de sentiments. Ses intuitions de lecteur étaient incomparables et ses curiosités inépuisables. Mais c’était aussi un barbare, selon sa propre expression, qui ne savait pas faire le beau.

Malgré les services exceptionnels qu’il rendit à notre littérature et à notre vie culturelle, aucune reconnaissance publique ne lui a été manifestée. Or il ne s’en plaignait pas, n’ayant rien fait pour flatter. L’opprobre s’accentuant après ses prises de positions de patriote serbe, il sembla même s’en accommoder.

En son antre du Métropole, à Lausanne, nous l’avons connu irradiant et fraternel, puis il s’est assombri. Les lendemains de la guerre en ex-Yougoslavie, la difficulté de survivre dans cet empire du simulacre qu’il fut des premiers à stigmatiser, la perte de l’être lumineux qui avait partagé tant d’années, l’obligation récente de quitter sa tanière tapissée d’icônes, le poids du monde, enfin, ont accentué la part d’ombre de cette personnalité à la Dostoïevski. Une personnalité complexe et parfois insaisissable, croyant jusqu’au fanatisme, tantôt avenant et tantôt impossible, terroriste ou bouleversant de douceur retrouvée.

Un jour que Bernard Pivot, l’accueillant à Apostrophes, lui demandait ce qu’il espérait voir par-delà la mort, Dimitri le mystique lui répondit, devant le public médusé: la face de Dieu.

«Ses» milliers de livres, sur nos murs, en sont comme le reflet, par-delà les eaux sombres de sa mort tragique.

Claude Frochaux
Écrivain et éditeur à L’Age d’Homme

Je connaissais Dimitri depuis cinquante ans. J’ai travaillé à ses côtés trente ans durant, de 1968 à 2001. Notre rencontre, fulgurante, fut celle de deux libraires. Mais immédiatement, nous avons pensé édition. Ensuite, avec son immense personnalité un brin écrasante, il a imposé une vision large qui manquait chez nous. Elle était fondée sur son amour de la littérature. Ce fut un passeur d’exception. Il m’a ouvert au monde. Son rayonnement dépasse de loin nos frontières.

Freddy Buache
Fondateur de la cinémathèque suisse et directeur de collection

Je suis triste à en crever. C’est le seul type au monde pour lequel, sans partager toutes ses idées, j’aurais pu faire n’importe quoi! La mort de Dimitri me frappe au cœur. Pas à cause de ses qualités intellectuelles ou de son talent d’éditeur, insurpassable. Mais il avait des intuitions et des observations qui relevaient de l’ordre de la sensation et de la perception du monde. Tout cela faisait qu’il ne ressemblait à nul autre, ici et maintenant. 

Patrick Besson
Écrivain

Sa mort me cause une grande peine. C’est un des très grands éditeurs européens. L’équivalent slave de Maurice Nadeau. Il a connu deux positions successives et opposées. Après avoir été le chouchou des anticommunistes lorsqu’il publiait des dissidents, il est devenu un paria pour ses positions proserbes pendant la guerre civile yougoslave. Ce dont je veux me souvenir, c’est d’abord qu’il fut un ami, un très grand lecteur et un extraordinaire éditeur. 

Pascal Bacqué
Poète, auteur de L'Age d'Homme

Qu’on me pardonne d’avance : j’ai envie d’écrire ce petit mot comme pour conjurer, pour retenir les commentaires qui ne tarderont pas de tourner leur ronde de nuit autour de la dépouille de Vladimir Dimitrijevic. Dimitri, que je connais depuis quelques années, était mon éditeur ; ce mot, comme tous les mots, est saisi dans la signification qu’on lui donne dans la tribu, où elle n’est jamais très pure, vous savez bien. Editeur, aujourd’hui, cela veut dire : il faut un peu retravailler votre écriture; vous allez bien, en ce moment ? Quand on en est là, on est au sommet. Sinon, cela veut dire : Il faut penser à la demande du public, vous comprenez ?

Editeur, aujourd’hui, est un autre mot pour normalisateur, équarisseur, marchand de soupe et non-lecteur.

Tout le monde savait, chez les éditeurs, que Dimitri lisait mieux que l’immense majorité de ses confrères ; tout le monde savait que, dans son esprit, les livres signifiaient quelque chose qui n’était pas l’objet fétiche de quelques précieuses germanopratines, ni le tube de dentifrice de la civilisation en mal d’écroulement. Dimitri, hanté par l’écroulement, désespéré par le crime commis, toujours davantage, contre l’humain, regardait les livres avec un cœur et un esprit brûlant – peu d’écrivains méritent, il faut bien le dire, qu’on les prenne avec autant de sérieux que celui qu’il accordait à leur livre.

On ne manquera pas, aujourd’hui, dans les colonnes de Libération, du Monde et de toutes les grandes institutions majoritaires, c’est-à-dire, très exactement, du camp adverse de Dimitri qui était profondément minoritaire, de saluer le très grand éditeur, tout en soulignant l’engagement serbe, et, partant, le caractère sulfureux du grand homme. De cette histoire serbe, je vais parler après. Mais quant au concert de louanges, il ne faut jamais oublier que nous vivons en Egypte, je parle de l’Egypte ancienne. Nous vivons dans la civilisation de la mort. Un homme existe s’il est mort, dans la culture, dans celle qu’on conserve pieusement, puisque celle qui vit, on a déjà réussi à la dématérialiser, à la ramener à son concept; Dimitri, donc, a désormais de fortes chances d’exister dans la culture.

Cet homme, avec qui j’ai parlé en juif quand il parlait, absolument parlant, en chrétien - cet homme qui a eu le courage de publier mon poème furieusement antichrétien, cela tout de même en dit long sur la largeur de vue du bonhomme -  ne regardait qu’une chose, nos conversations étaient faites de cela : faut-il encore espérer, quand on veut coûte que coûte assurer le triomphe de la foule, d’une foule qui préfère se noyer dans son angoisse d’être foule, de n’être rien, d’être morte, plutôt que d’affronter la terreur de vivre ?

Dimitri, je crois bien, répondait non. Je crois que Dimitri désespérait. Dimitri était vieux, Dimitri avait perdu son épouse ; Dimitri avait subi l’ostracisme de tous les médiocres, qui le jalousaient, en France et en Suisse, et qui trouvaient dans ses maladresses serbes l’occasion du coup de grâce. La maladresse serbe de Dimitri, c’était celle qu’on rêvait d’un criminel, d’un Milosevic, alors que c’était celle d’un homme, traumatisé par le Nazisme et par le Communisme, et qui voyait dans son pays, la Serbie, un rempart contre l’empire – dans l’histoire plus ancienne, Serbe signifiait non austro-hongrois ; plus tard, pendant la guerre, Serbe avait signifié non-croate, et non-bosniaque ; et il faut dire que croate et bosniaque avait signifié, infiniment plus que le signifiant serbe, barbare et criminel, massacreur de juifs, pour parler franc. Bref, Dimitri se disait que la Serbie était un rempart pour sa foi, pour son désir d’humain. Il se trompait, Dimitri ? Ptêt ben qu’oui ; et, s’il y a encore des happy few, eux sauront compléter : et alors ?

Il y avait aussi de vilains fachos, ou cyniques, qui avaient tourné autour de lui ? Vous savez quoi : je m’en contrefous. Les médiocres, même vilains fachos et cyniques, ont pour métier de tourner autour de ceux qui vivent ; c’est leur substance, c’est leur définition.  Donc que Dimitri, qui fut serbe au nom de ce qu’il voyait de plus beau dans ce mot, de plus haut dans son propre Christianisme, qu’il fût pris au piège du nationalisme laid d’autres serbes, cela est bien possible. Si un grand comme Hölderlin a chanté la Germanie, et s’il a fini dans les paquetages des SS, faut-il en conclure, avec cette distance si confortable que vous offre la doxa, à sa très-grande faute ?

C’est beaucoup plus simple : Dimitri prenait la vie au sérieux, et c’est parce qu’il prenait la vie au sérieux, et qu’il n’y a de sérieux que dans l’esprit, qu’il prenait la littérature très au sérieux. Il n’était un de ces affreux prêtres de Pharaon, experts en sortilèges, experts en culture, qui a dégénéré, aujourd’hui, en tendance. Dimitri était sérieux devant son assiette, devant ses cartons de livres qu’il trimbalait de Lausanne à Clamecy et à Paris, et qui auront eu raison de lui. Dimitri était sérieux devant la beauté des mots et des phrases. Amis journalistes, vous qui avez vécu l’outrage, vous qu’on a formés pour ne jamais prendre au sérieux les mots et les phrases, si jamais vous écoutiez ces propos d’un anonyme prononcés dans le désert, cela ne mériterait-il pas que vous vous absteniez, un bref instant, de jacasser ?

Il n’est qu’une tâche, pour ceux qui ont aimé et compris un peu Dimitri, et pour ceux qui admirent son travail : de le contredire, dans son désespoir, et de le confirmer, dans son travail. Non, Dimitri, jamais il n’est lieu de désespérer, et vous, qui n’avez jamais cessé de travailler pour l’esprit, vous devez savoir que vous n’avez pas agi en vain, et que la vie de l’esprit, même offensée, même traînée dans la boue du lieu commun, de la culture et de la complaisance, se continue, obscure et petite, à l’âge des empires d’argent, et des foules assombries par leur propre défaite ; et parce qu’il n’y a que l’esprit qui soit immortel, c’est l’esprit qui triomphera ; non, Dimitri, vous n’avez pas travaillé en vain ; vous fîtes erreur, comme tout homme, mais comme les rares hommes vivants, vous avez donné à votre erreur la forme d’une demande, furieuse, brûlante, de vie, et qui demande la vie est toujours exaucé.

 Vladimir Dimitrijevic. Personne déplacée (coll. Poche Suisse/L’Age d’Homme, 2010)

article paru dans les quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24 Heures

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