12/06/2013
Le poème de la semaine
S. Corinna Bille
Valais, tu n’as pas d’OcéanMais quand le foehn s’élance en toi,Il fait plus de bruitQue la chevauchée des vagues…Il te rend plus vaste et plus émouvantQue la mer. Il souffle à nos oreillesL’angoisse des grands départs;Il arrache nos âmesDe nos corps restés sur la terre;Et nos âmes ballottéesSe déchiquètent aux flancs rugueuxDe tes montagnes. Tes éboulements sont les falaisesOù viennent battre les flots vertsDe tes forêts de pins;Tes villages amarrés sur les côtesSont des barques;Et dans le ciel, s’ouvre immenseL’Etoile des Vents. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
11/06/2013
Vendanges tardives - Des nuages
Un abécédaire: N comme Nuages
Ce qui suscite mon étonnement et ma curiosité de presque tous les jours me vient de ce qu'aucun matin ne ressemble à un autre, tels ces nuages suspendus entre ciel et terre, tantôt semblables à des flocons épars se jouant de la lumière et des ombres, tantôt pareils à la barbapapa de mon enfance dansant au-dessus de nos têtes débarrassées pour un temps de leur trouble dans un silence assourdissant. Les oiseaux seuls s'en amusent et me défient de leurs ailes: naturelles et désinvoltes au plus profond de l'espace infini forgeant les rêves en devenir, la transparence des choses, les controverses...
Me reviennent alors en mémoire les vers de Philippe Jaccottet: A la fin d'une journée qui a été très chaude, alors que le soleil est encore haut dans le ciel, celui-ci s'assombrit rapidement à l'ouest, en même temps que se lève avec soudaineté un vent violent. (...) Ils avancent très vite, mais avec une espèce de majesté, d'ailleurs rapidement entamée. On ne sait trop à quoi les comparer pour rendre compte de l'émotion qu'ils vous donnent, vaguement enthousiaste; comme on en éprouve, serait-ce à son corps défendant, devant n'importe quel cortège. Peut-être à des montagnes légères, instables, déracinées, désamarrées; ou à des troupeaux dociles aux cris du vent, se bousculant, fuyant on ne sait quoi. A moins qu'il ne faille voir en eux, plutôt, des inventions du vent, variées, souples, mobiles, une des façons qu'il a trouvées, invisible, de se montrer, à partir de l'humide que la terre exhale.
Alors, comme un fil qui n'en finit pas d'être tiré, je pourrais te parler des nuages vus par Charles Baudelaire, Jean Moréas, Louise Ackermann ou Léon Dierx - ce sera pour une autre fois - mais le texte de Philippe Jaccottet me renvoie plutôt, par ricochets, à celui d'un autre helvète, Jean-Louis Kuffer, qui me sourit aujourd'hui: La beauté est partout et souvent, ce qu’on dit de la beauté cache la beauté, tu vois ce que je veux dire? Un rayon de soleil sur un container tagué, au matin du merle, la vieille qui murmure les airs de "La Traviata" dans le métro, l’adolescent amoureux, tous les clichés que tu relaves à l’eau pure, l’enfant qui dort, les petits cailloux de la marelle des mots d’Enfer à Paradis, enfin tu vois ce que je veux dire…
Et ce soir, Fred, comme dans la pièce de Samuel Beckett, en savourant ma cigarette et un pichet de Dôle partagé en terrasse avec toi, je pourrai dire, la mine réjouie: Quel beau jour encore... pour moi... ça aura été... jusqu'ici...
Philippe Jaccottet, Nuages (Fata Morgana, 2002)
Jean-Louis Kuffer, La beauté au vol, 2013 (facebook.com)
Samuel Beckett, Oh les beaux jours (Minuit, 1960)
image: Ciel de printemps, Vésenaz / Suisse (2013)
11:14 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
30/05/2013
Noëlle Revaz
Noëlle Revaz, Quand Mamie (coll. Mini Zoé, 2011)
Noëlle Revaz signe dans cette revue un court texte, sublime, Quand Mamie (sera morte), qui aurait pu commencer par d’autres mots. Par exemple : Quand je serai à la retraite ou Quand Julie entrera au pensionnat ou Quand papa sera enfin parti. Car, derrière le choix de l’auteur, c’est de prétextes dont il est question, pour imaginer au lieu d’agir, rêver plutôt que résoudre, justifier sans parvenir à infléchir le temps. Une litanie universelle qu’on ne peut s’empêcher de lire à voix haute et qui, depuis sa création a été maintes fois représentée à la scène. Des phrases courtes qui font mouche à tous les coups, une fluidité du langage et une justesse des observations qui l’apparentent à une obsédante musique des mots dont Noëlle Revaz, dans son exigence d’écrivain, est fortement imprégnée. Un ton nouveau, volontiers incisif, teinté d’un humour décapant et d’une sensibilité en constante recherche. Confirmation que la littérature romande n’est, heureusement, pas morte avec ses dinosaures … Après Ramuz, Chappaz et Chessex , la filiation est assurée: Il y a désormais un style Revaz et cela réjouit le cœur.
06:03 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz, Noëlle Revaz | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |
17/04/2013
Le poème de la semaine
Blaise Cendrars
Je suis couché dans un plaidBarioléComme ma vieEt ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossaisEt l’Europe toute entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeurN’est pas plus riche que ma vieMa pauvre vieCe châleEffiloché sur des coffres remplis d’orAvec lesquels je rouleQue je rêveQue je fumeEt la seule flamme de l’universEst une pauvre pensée...Du fond de mon cœur des larmes me viennentSi je pense, Amour, à ma maîtresse;Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsiPâle, immaculée, au fond d’un bordel.
Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.
Elle est douce et muette, sans aucun reproche,Avec un long tressaillement à votre approche;Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête,Elle fait un pas, puis ferme les yeux — et fait un pas.
Car elle est mon amour, et les autres femmesN’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes,Ma pauvre amie est si esseulée,Elle est toute nue, n’a pas de corps — elle est trop pauvre.
Elle n’est qu’une fleur candide, fluette,La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,Tout froid, tout seul, et déjà si fanéQue les larmes me viennent si je pense à son cœur.
Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
28/03/2013
Anne Brécart
Anne Brécart, Le monde d'Archibald (Zoé, 2009)
Peut-on vivre sans la protection d'une maison familiale, qu'elle soit réelle ou fantasmée ? Dans une vieille demeure de famille où tous se réunissent pour célébrer la ronde des étés éternels, la narratrice tombe sous le charme de son oncle Archibald, patriarche incontesté quoique fragile...
Pour apprécier ce court récit, il faut prendre le temps de le lire, de savourer les mots, de se laisser imprégner par l’atmosphère qui se dégage de la maison familiale que fréquente depuis son enfance la narratrice, séduite par la personnalité de l’oncle Archibald, maître des lieux hors du commun, indomptable et philosophe à ses heures. Une quête touchante sur le sens de la vie ainsi que sur la destinée des morts dont la fragilité, la présence, les secrets suintent au-delà des murs de cette maison du lac, comme un reflet du passé capable d’illuminer l’avenir.
aussi en coll. de poche (Poche/Zoé, 2011)
08:50 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
21/03/2013
Pascale Kramer
Pascale Kramer, L'adieu au Nord (Mercure de France, 2005)
Patricia secoua la tête pour aérer ses longs cheveux et lui offrit un chewing-gum, tentant de tromper la gêne où la plongeaient leur silence et son inexpérience à soulager l'érection qui le faisait si évidemment, si indécemment souffrir. Un camion s'était garé devant l'entrée de l'impasse, les enfermant dans cette intimité malcommode où traînait une odeur d'urine. Patricia tourna vers lui un doux sourire de bonté ennuyée. Tout en elle frémissait d'une immense et paniquante insatisfaction. Alain lui pressa le bout des doigts, s'efforçant au moins de ne plus l'importuner par son désir. Il voulut savoir comment elle était venue jusqu'ici, ce que savait son père. Patricia répondait distraitement en donnant de petits coups avec sa tête contre le crépi, et c'est alors qu'elle lui raconta qu'elle avait un plan pour partir bientôt vivre en Angleterre.
Dans la campagne française, entre l’épicerie et la cressonnière, Patricia croise le regard des saisonniers, volontiers gauches, taciturnes, peu bavards et troublés par sa présence, jeune et sensuelle. Atmosphère oppressante pour cette chronique de l’insatisfaction, des non-dits et du mal de vivre. Un texte d’une beauté sombre.
08:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
18/03/2013
Claire Genoux
Claire Genoux, Ses pieds nus (Campiche, 2006)
Sept nouvelles marquées par les blessures non dites, une subtile observation du quotidien, par la difficulté de communiquer et par les sentiments non exprimés, non vécus...
Révélée par ses recueils de poèmes, Soleil ovale en 1997, Saisons du corps en 1999 et L’heure apprivoisée en 2004, Claire Genoux signe ici son second recueil de nouvelles, après Poitrine d’écorce paru en 2000. Un talent fou dans ses deux orientations littéraires, usant d’un style à la fois concret ou réaliste dans certains textes, imaginatif ou presque fantastique dans d’autres. L’imposture, nouvelle majeure de ce nouvel écrit, est à elle seul un petit chef-d’œuvre.
07:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | | Imprimer | Facebook |
17/03/2013
Vendanges tardives - De l'écrivain
Un abécédaire: E comme Ecrivain
Là, Fred, tu as mis dans le mille en glissant dans ma besace le bouquin de Jean-Pierre Rochat, L'écrivain suisse allemand. D'abord parce que le visage de l'auteur me plaît: dans son oeil l'acuité d'un aigle et la tendresse silencieuse d'un amoureux des espaces entre plaine et montagne. Ensuite, il est écrivain et paysan, habite à la Bergerie de Vauffelin, dans le canton de Berne. De quoi me sentir d'emblée proche de son univers, moi qui pendant une cinquantaine d'années, n'ai connu et loué que les bonheurs de la ville avant de me retirer à la campagne, progressivement, loin du tumulte assourdissant des architectes du temps présent et comme soudé au fil des ans aux amis connus et inconnus de mes origines, épris de la terre, de valeurs simples, intemporelles, dont une qualité de regard et d'écoute suffit à débroussailler en moi tant de mots inutiles, d'air rarefié, d'ancrage souvent artificiel dans un réel qui me dépasse.
Roman court - le neuvième ouvrage de cet auteur - L'écrivain suisse allemand vient bouculer l'appréhension du monde et des autres chez un paysan de montagne devenu son ami, prétexte à nous parler de sa terre ingrate, familière et indomptable à la fois. Tiens, par exemple: C'était un jour chaud et lourd avec un effet loupe sur le panorama, à portée de main semblait-il. C'est à crever de beauté, on a beau s'empiffrer, il reste des morceaux de partout. Nous sommes nous-mêmes de petits dieux à vivre ici en haut. C'est grandiose, ça ne marche pas chaque fois, par temps couvert c'est renvoyé, ou d'autres fois on est pas sensibles, on s'en fout, le panorama n'a plus de relief. On pense à autre chose pendant qu'on s'élève. On cherchait l'eau du glacier. Il ajoute, un peu plus loin: Ma liberté, c'est ma foi en la montagne.
Histoire d'une amitié, L'écrivain suisse allemand parle bien sûr aussi de lecture et d'écriture: Le goût des livres, je disais, je les ai tous lus la nuit, des fois même à la bougie. Fatigué j'ai toujours été, mais je prenais un peu de fatigue, mélangée à l'histoire, elle réveille l'imaginaire, enfin des livres, des pages, des gros doigts de paysan. Ami de l'esprit, j'étais en phase de rémission de lecture quand l'écrivain suisse allemand est arrivé pour organiser ma rechute, l'institutrice m'envoyait plus de livres depuis sa maison de retraite, elle n'était pas ma seule source, mais les autres aussi tarissaient, mangées par l'agriculture, par le travail, par la marche infinie en montagne. L'écrivain m'avait dit: quoi, tu lis plus? Comme si j'étais son vieux copain, et il m'a refilé des vieux bouquins en français qu'il avait ramenés dans une caisse et qui était la base de l'édifice. De grands classiques écrits en petits caractères qui s'illuminent quand on persévère. J'aurais pu être un illettré et revendiquer mon illettrisme comme on est tenté de le faire en passant à côté d'un truc, l'écrivain est arrivé à point pour réveiller une passion moribonde, une double vie, une maîtresse en cavale.
Tout dans ce livre respire l'odeur du bon vieux bois de pin, des fromages de l'Alpe et des femmes: celles du paysan et de l'écrivain, la biographe, le souvenir truculent de la femme du boucher! Mais tu as raison, ce roman n'est pas une carte postale pour touriste amateur de fondues et de parcours flechés. Pas le moins du monde. Plutôt une magie qui fait que tu entres dans le tableau que brosse Jean-Pierre Rochat; tu apprends à respirer à son rythme, à partager sa cigarette à l'aube ou son mulet qui s'arrête à la montée.
Drôle, poétique, tendre et sensuel, ce petit bouquin qui tient dans la poche intérieure de ma veste, est ma joie de ce jour...
Jean-Pierre Rochat, L'écrivain suisse allemand (D'Autre Part, 2012)
11:38 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
16/03/2013
Morceaux choisis - Gustave Roud
Gustave Roud
Je pose un pas toujours plus lent dans le sentier des signes qu'un seul froissement de feuilles effarouche. J'apprivoise les plus furtives présences. Je ne parle plus, je n'interroge plus, j'écoute. Qui connaît sa vraie voix? Si pure jaillisse-t-elle, un arrière-écho de sang sourdement la charge de menace. C'est l'homme de silence que les bêtes séparent seul de la peur. Hier une douce biche blessée a pris refuge tout près de moi, si calme que les chiens des bourreaux hurlaient en vain loin de ses traces perdues. Les oiseaux du matin tissent et trouent à coups de bec une mince toile de musique. Un roitelet me suit de branche en branche à hauteur d'épaule. J'avance dans la paix.
Qu'importe si la prison du temps sur moi s'est refermée? Je sais que tu ne m'appelleras plus. Mais tu as choisi tes messagers. L'oiseau perdu, la plus tremblante étoile, le papillon des âmes, neige et nuit, qui essaime aux vieux saules, tout m'est présence, appel; tout signifie. Ces heures qui se fanent une à une derrière moi comme les bouquets jetés par les enfants dans la poussière, je sais qu'elles fleurissent ensemble au jardin sans limites où tu te penches pour toujours. La houle des saisons confondues y verse à tes pieds comme une vague le froment, la rose, la neige pure. Un Jour fait de mille jours se colore et chatoie au seul battement de ta mémoire. Tu sais enfin.
L'ineffable. Et pourtant, l'âme sans défense ouverte au plus faible cri, j'attends encore.
Gustave Roud, Requiem / extrait, dans: Ecrits, 3 volumes (Bibliothèque des Arts, 1978)
image: Blonay / Vaud, Suisse (2013)
22:35 Écrit par Claude Amstutz dans Gustave Roud, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
13/03/2013
Paul Nizon
Paul Nizon, La fourrure de la truite (Actes Sud, 2006)
Stolp est un marginal, un sympathique bon à rien qui aime sa liberté avant tout. Ayant hérité d'un minus-cule appartement à Paris, il y pose ses bagages un peu malgré lui et, plutôt que de prendre possession des lieux, laisse Paris l'apprivoiser. A travers rues et cafés, il faut fuir l'atmosphère pesante de ce nouvel habitat, mais aussi les désespoirs latents d'un amour perdu.
Ce texte court, léger, non dénué d’humour, est un petit bijou ! Un homme déambule dans les rues de Paris. Hanté par un amour perdu, il nourrit l’espoir d’une nouvelle vie et partage, dans les bras d’une femme seule rencontrée dans un bar, une relation éphémère, libératrice, esquisse de sa guérison. A rapprocher d’un autre très beau récit de cet auteur, Maria Maria , situé à Rome, écrit avec Colette Fellous, en 2004.
également disponible en coll. de poche (Babel, 2008)
12:03 Écrit par Claude Amstutz dans Colette Fellous, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |