10/01/2010
L'affaire Chessex, Acte 1
Bloc-Notes, 10 janvier / Cologny
Il faut croire que, décidément, il ne se passe rien en Suisse Romande, pour que les médias consacrent autant de pages à la désormais affaire Chessex, où le tout Suisse Romande y va joyeusement de sa chansonnette. Dernier épisode dans l'édition du 9 janvier, sur deux pages dans les colonnes du quotidien Le Matin. Une large place y est consacrée aux stratégies de marketing, dont différents intervenants vantent l’efficacité sur le plan publicitaire et commercial. Encore un effort, et vous verrez qu’affublé de lunettes caractéristiques, Jacques Chessex ressemblera un jour à Harry Potter…
Je rappelle que le récit posthume de Maître Jacques, Le dernier crâne de M. de Sade- publié par les éditions Grasset et distribué par Diffulivre, diffuseur pour le marché suisse – se vend sous cellophane avec la mention « réservé aux adultes ».
Dans cette affligeante surenchère verbeuse, trois réflexions me semble-t-il s’imposent : La première, évidente, est qu’on ne parle que de l’emballage, nulle part du contenu. La seconde, pour dire que dans le journal cité un seul interlocuteur a remis l’église au milieu du village, soit Michel Moret, directeur des éditions de l’Aire : « En le vendant sous plastique, on prend aussi le lecteur suisse pour un arriéré et un pudibond. Et on met en doute la qualité de l’œuvre littéraire en la présentant comme une revue de sex-shop. »
La troisième pour rappeler que de nombreuses œuvres littéraires de qualité, par exemple Histoire de Juliette ou les prospérités du vice de D.A.F. de Sade, Trois filles et leurs mères de Pierre Louÿs, Histoire d’O de Pauline Réage ou plus récemment Putain de Nelly Arcan, n’ont pas joui de ce traitement de faveur.
Enfin, pourrait être décelée, plus subtilement, une analogie entre le plastique du livre et celui du préservatif, celle qui montre du doigt le danger du désordre dont parle C.F. Ramuz dans un très court mais admirable texte qui n'a pas pris une ride, Conformisme, préfacé par un certain... Jacques Chessex.
Mais, trêve de sarcasmes : Demain, je vous parlerai de littérature, promis, juré, avec Le dernier crâne de M. de Sade !
00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; bloc-note; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
02/01/2010
Rahel Hutmacher
Rahel Hutmacher, Fille (José Corti, 2010)
Ma fille est partie. Elle m’a arraché la moitié de mon cœur alors que je dormais, et elle est partie avec. Ma voix, elle me l’a volée dans ma bouche, alors que je l’appelais. Maintenant je ne peux plus crier Reviens. Je vous en supplie : Rendez-moi ma fille …
Ainsi commence ce singulier récit de la zurichoise Rahel Hutmacher qui explore, sur le mode d’un conte, en quarante-huit variations poétiques, la violence des relations filiales. Une cérémonie des adieux jamais achevée où la mère et la fille, comme au théâtre, empruntent tour à tour l’habit de la princesse, celui de la sorcière ou de l’esprit malin. Une impression douce baigne cette histoire troublante, incantation sans fin ni commencement, pour dire la douleur de la séparation, la fascination et la frayeur des territoires inconnus, les liens indéfectibles du sang.
En langue originale allemande, ce texte a paru en 1983.
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Contes, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
24/12/2009
Les bonnes dames, Acte 1
Bloc-Notes, 23 décembre / Les Saules
Les bonnes dames, cela vous rappelle quelque chose ? Non mais, souvenez-vous de l’histoire de Marieke, Clara et Lena qui décident un beau jour – pour changer de l’Italie ou du Général Guisan entre Ouchy et Evian - d’aller se royaumer en Egypte ? Pimpantes, pas amères pour deux sous, reconnaissantes envers la vie, les voici embarquées pour une aventure inoubliable. Même si les fissures du passé aux secrets trop longtemps cachés leur inspirent parfois un brin de mélancolie, ces bonnes dames ne se laissent pas aller, bien décidées à ne pas végéter dans un mouroir. Elles inspirent à la fois de la curiosité, de l’admiration et une immense tendresse. Leurs péripéties ou anecdotes parfois très drôles – l’histoire du boa qui mange l’âne – font écho à un quotidien traversé par les fragilités de l’âge, mais qui vient à bout de la banale adversité par un sens de la vie plutôt concret: Ne pas se plaindre de crainte d’ajouter à ce qui cloche dans le monde, ne pas demander un œuf à deux jaunes…
Si vous ne l’avez lu au moment de sa parution, rattrapez le temps perdu avec ce roman touchant de Jean-Louis Kuffer, plein d’humour, de douceur, de vérité qu’à chaque fois je relis avec bonheur et qui voisine La grand-mère de Jade et Rose sainte-nitouche dans ma bibliothèque, autres récits avec pour toile de fond, ce bel âge de la vie !
Jean-Louis Kuffer, Les bonnes dames (Bernard Campiche, 2006)
Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade (Actes Sud, 2009)
Mary Wesley, Rose sainte-nitouche (Héloïse d’Ormesson, 2009)
06:34 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, Littérature suisse, Mary Wesley | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: romans; livres | | Imprimer | Facebook |
20/12/2009
Barbara Fournier
Barbara Fournier, L'étreinte (Edimento, 2009)
La littérature et l’édition suisses savent parfois demeurer créatifs, comme en témoigne ce récit illustré avec beaucoup de finesse par Tatiana Chhirikova, qui nous conte la passion de Marina pour le séduisant Oleg, en dépit de son mari parti se battre en Crimée. Dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler Tchekhov ou Tolstoï – maintes fois cités par Marina au cours de ses lectures – située au début du XXe siècle, nous suivons cette belle histoire d'amour, à la fois intimiste et respirant la fraîcheur des grands espaces, quête d'un absolu bien éloigné – hélas – des perceptions de notre temps, si peu disposé aux élans déraisonnables… Un magnifique portrait de femme amoureuse qui s’expose dans toute sa fragilité, mais avec une force de vie qui n’en révèle que davantage sa singularité.
Son auteur, Barbara Fournier, passionnée par la culture russe – on s’en serait douté ! – signe avec L’étreinte son premier roman.
23:53 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
16/11/2009
Noëlle Revaz
Noëlle Revaz, Quand Mamie (Nouvelle Revue Française no 991, Gallimard, 2009)
Noëlle Revaz signe dans cette revue un court texte, sublime, Quand Mamie (sera morte), qui aurait pu commencer par d’autres mots. Par exemple : Quand je serai à la retraite ou Quand Julie entrera au pensionnat ou Quand papa sera enfin parti. Car, derrière le choix de l’auteur, c’est de prétextes dont il est question, pour imaginer au lieu d’agir, rêver plutôt que résoudre, justifier sans parvenir à infléchir le temps. Une litanie universelle qu’on ne peut s’empêcher de lire à voix haute et qui, depuis sa création a été maintes fois représentée à la scène. Des phrases courtes qui font mouche à tous les coups, une fluidité du langage et une justesse des observations qui l’apparentent à une obsédante musique des mots dont Noëlle Revaz, dans son exigence d’écrivain, est fortement imprégnée. Un ton nouveau, volontiers incisif, teinté d’un humour décapant et d’une sensibilité en constante recherche. Confirmation que la littérature romande n’est – heureusement ! - pas morte avec ses dinosaures … Après Ramuz, Chappaz et Chessex , la filiation est assurée: Il y a désormais un style Revaz et cela réjouit le cœur.
Dans ce même numéro, vous pouvez également retrouver des lettres inédites et instructives de Louis-Ferdinand Céline, matière à se souvenir que s’il demeure un immense écrivain, l’homme continue d’alimenter ses rapports ambigus avec la morale, l’idéologie et l’histoire.
22:00 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Louis-Ferdinand Céline, Maurice Chappaz, Noëlle Revaz, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelle; livres | | Imprimer | Facebook |
01/01/2009
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Je ne connais pas la vie,
je ne te savais pas.
L'univers était flou, sans contrastes,
sans forme ni objet,
dépourvu de base et de sommet,
de profondeur et de surface.
Asphyxié,
je me perdais dans mes notions de valeurs,
mais quelles valeurs?
L'araignée tissait sa toile
autour de moi.
Etouffement, écœurement,
souvent,
si souvent dans mes déserts
peuplés de vautours
où j'errais avant de te rencontrer.
Solitaire - même au milieu des miens -
j'appris le monde, la vie, les hommes.
Je n'acceptais pas,
alors j'ai préféré partir.
Je cherchais quelque chose
que je devinais important;
mais de cause en effet,
d'innocence en expérience,
je m'évadais sans cesse.
Démence,
appel au salut impossible,
folle inconscience dans ma nuit.
Je vivais, sans que jamais
pourtant
le moindre événement
ne donne un sens à mon existence.
A travers les arrachements,
les cassures, les déchirements,
à travers la stupidité générale,
j'attendais un signe.
Et les voyages encore une fois:
la drogue - qui m'ennuie -,
l'alcool - qui a mauvais goût -.
L'oeuf ne s'est jamais débarrassé
de sa coquille.
Etranger, hors du coup,
résolument en marge,
je m'accrochais...
Mais peut-on vraiment
appeler cela: vivre sa vie?
J'avais perdu le sens
de tout rapprochement
avec le monde extérieur.
Puis, un jour,
m'éveillant comme à l'accoutumée,
je vis un rais de lumière.
Et s'il s'agissait d'un mirage?
Mes os ne supportaient plus
ma tête de clown
et le sang,
toujours témoin de ce voyage
incroyablement difficile,
s'égouttait en larges flaques roses.
Alors, tu es venue.
Le cours de ma vie changea.
Je t'aimais déjà,
revenu miraculeusement de je ne sais
quel pays lointain.
Le temps se cassait à l'aube
et sur mon coeur de craie
les lèvres étrangères ne disaient que bonsoir.
Trop longtemps, je vécus en observateur.
Dans mes voyages,
nulle trace de désir, d'audace
ou d'imagination:
la sève ne montait pas à l'arbre.
Combien de changements
n'as-tu pas déjà provoqués en moi?
Lorsque je pousse la porte de ma chambre,
je n'y trouve point l'écho
d'un souffle de jeunesse et de renouveau.
Je scrute ton regard
et me glisse un instant dans ta vie;
mais si vite, tu retournes
à tes préoccupations
dont je voudrais être le dénouement.
Hélas, je te connais si peu,
et toi, tu es si loin,
tellement absente partout,
alors que chaque heure et chaque jour
ne me parlent que de toi.
Les corbillards de mes années gâchées
gouvernent leurs fantômes
lorsque ta main m'arrache à l'exil.
Si proche et inaccessible pourtant,
dis:
à quoi songes-tu?
Oiseau rare,
éveille en moi la sincérité.
Eprouve-moi du berceau de ton mystère.
La vérité attend
sur le seuil de ta porte.
Cache-toi, prends patience,
et cela je t'en prie,
car mes mots et mes gestes,
la pluie les traverse.
Cerné par tes multiples présences,
fidèle - oh combien fidèle -
j'attends.
Dans l'hiver de ton oeil,
je ne joue plus.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
06:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Je suis tombé du temps
sur un livre qui traîne,
lentement,
progressivement,
sans laisser de trace.
Je suis tombé en petites flaques,
mal à l'aise,
entre deux lignes de vie,
sans surprise,
dans la pauvreté,
dans l'insuffisance,
étouffé,
chiffonné au fond de moi-même.
Je suis tombé subitement,
sans me presser
pour ne choquer personne.
A chacun son affaire ...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
05:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Un visage,
à l'écorce douce et secrète de l'orange,
comme un soleil qui se laisserait éblouir,
après le fléau gelé des larmes,
après le bois-vert des insultes,
après la misère.
Un visage,
comme un appel au large,
quand l'heure est passée,
que s'est éteinte la lanterne de la comédie
dans le lit défait de l'imagination.
Un visage,
ton visage que j'aime et qui vit en moi,
loin des fouillis,
des entassements de bonne famille,
loin de la neige salie de l'enfance,
loin des asiles.
Un visage,
qui soit la fin des asiles,
comme un sursis éphémère au suicide,
mon suicide,
comme un suicide cent fois remis au lendemain
sur le fil cassé de la rancoeur:
mélodie nocturne d'un coeur désillusionné
qui recommence à croire...
Ton visage,
si près de moi que je ne peux le décrire,
ni chaud, ni froid
et que j'engouffre en moi
jusqu'à la déchirure.
Ton visage,
comme une porte cochère,
comme pour oublier que tout n'est qu'illusion,
pour noyer le petit sécateur malmené des mots,
pour oublier qu'on n'oublie rien du tout.
Ton visage,
toi qui trouves la vie insipide,
la drogue sans histoires,
sur la ligne brisée de mes rêves
tu m'imposes l'image d'une étoile qui meurt.
Ton visage,
merveilleux sans fadeur,
ingénu sans vulgarité,
ironique mais si tendre
tandis que tu bascules et t'attaches
à l'enfer ralenti de mes lèvres.
Ombre de mon ombre,
visage reconnaissable entre tous les visages
dont je ne sais le nom,
visage contre le mien,
tant de fois caressé jusqu'à l'usure de mes paumes.
Un visage,
ton visage.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
04:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Mon corps est transparent,
si transparent
que bientôt il y fera jour.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
03:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Le visage d'une amoureuse est sans équivalent
Cerné de toutes parts la nuit l'engloutit
L'inconnu ne réveille pas le mensonge
L'unique langage est celui de l'écolier
qui n'en demandait pas tant
Visage survenu dès la fin du jour
L'homme perd son corps il redevient humain
Sur votre front ramures profondes
j'ai senti le poids de l'irréparable
le frémissement de la terre
le fini est inépuisable
Dans l'écrin de vos yeux la mort est une illusion
l'intelligence un fantasme
l'oubli une imposture
Il n'est plus de ténèbres
l'inaccessible s'évanouit
vertiges vertiges ...
Eventail replié vos lèvres se débattaient
entre savoir et devenir
clou rouillé dans la transparence de l'instant
changé en fontaine
Aiguilles du temps et de la volupté
au balancement subtil du roseau
lorsque la marée montante des désirs
vous griffe avec élégance
fleurs profondes ne vous cassez pas
mais épousez le velours noir de mon incrédulité
Mèches de cheveux
aux ondulations allègres du tournesol
qu'une main écorchant votre peau chassa
volez volez doigts agiles
dans ces broderies sans concurrence
Sous le baiser humide et tendre
vous vous êtes raidie fleur étrange
figée traquée sous la morsure en plein midi
Votre cou s'infléchissait
n'exprimant ni oui ni non
lorsque côte à côte nous dérivions
vers le sommeil vers la mort
La chute des feuilles
comme une épingle retournée m'a dit oui
Parfums caresses ou vents
éclats incandescents de l'amour
pourvoyeurs de signes
balbutiements de mémoire
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour M.M.
02:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |