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20/08/2012

Quentin Mouron 1b

Bloc-Notes, 20 août / Cologny

En marge de ce très beau roman, voici une interview - en deux parties - accordée par Quentin Mouron qui mérite bien tout l'intérêt que suscitent ses textes...





Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci (OlivierMorattel, 2012)

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; entretiens; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Quentin Mouron 1a

Bloc-Notes, 20 août / Thonon-les-Bains

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Il m'arrive de redouter la lecture d'un nouveau roman, parce que j'ai beaucoup aimé le précédent du même auteur - généralement le premier - et que je voudrais, comme dans la vraie vie, réduire au mieux la frange de mes déceptions possibles. Si j'ajoute qu'avant même la parution dudit roman, la presse dans une belle unanimité, crie au chef-d'oeuvre, l'inquiétude grandit. La méfiance aussi, avec cette désagréable impression de n'avoir plus rien à découvrir avant même la première ligne, que les jeux sont faits. Le danger enfin de m'exposer à dire les mêmes choses que tout le monde - le péché d'orgueil cher à nos amis catholiques! - ou oser exprimer que je n'aime pas ce livre, qu'à tout prendre il serait préférable de n'en pas parler, par délicatesse.

Cela m'est arrivé avec Quentin Mouron, mais toutes ces interrogations qui m'ont parcouru, pêle-mêle, se sont dissipées dès les premières lignes de Notre-Dame-de-la-Merci dont il est dit à juste titre qu'elles signent souvent - avec les dernières - un bon livre: C'est un matin de novembre. Les premiers flocons tombent sur la forêt québecoise. Le vieux Pottier a connu l'ennui. Qui dévore les personnes et les choses, les forêts, et qui balaie la neige. L'ennui silencieux, angoissé, que l'on ne peut pas dire parce que les mots nous manquent et qu'ils nous ont toujours manqué.

En quelques lignes, le décor est planté, est condensée toute l'atmosphère de ce qui va par la suite réunir trois antihéros sans ambition ni espoir véritable, qui se contentent de s'arranger avec la vie, parce que les dés sont pipés depuis trop longtemps pour qu'ils puissent se hasarder à autre chose. Il y a Jean, le fils du vieux Pottier qui s'est pendu - à qui il fait les poches pour lui piquer sa montre en or et un billet de vingt dollars -, une brute ivrogne, médiocre, qui voudrait devenir quelqu'un. Et Odette - après le décès de son type - est tombée amoureuse de lui, parce qu'elle croit qu'après tous ses déboires, il pourrait lui montrer qu'elle existe, alors qu'il s'en fout et ne pense qu'au fric qu'elle a amassé en vendant de la coke. Au contraire de Daniel, un ouvrier intermittent et rêveur de ce village de retraités paisibles, qui aime Odette, serait prêt à tout pour la mériter, au bout du compte. Enfin, il y a le narrateur de ce récit, du côté de ces trois-là, qui aimerait leur tendre une main, les retenir, à la corniche, éviter qu'ils ne plongent. C'est à lui que l'on doit l'un des plus beaux passages de ce roman, où il évoque l'église de Notre-Dame-de-la-Merci, la grande embrouille, les questions sans réponse, les nouveaux dieux: ceux qui fourguent leur camelote, le confort même s'il y manque toujours quelque chose. L'éternité peut-être...

En revanche, au regard de personnages si denses que la structure du récit - plus aboutie que dans Au point d'effusion des égouts - et la progression dramatique amplifient à merveille, les réflexions du narrateur manquent parfois de profondeur - à propos de l'hédonisme, du libre arbitre et du destin - ou en voix off prolongent ce que la qualité de l'écriture, la description des personnages, le déroulement de l'action ont si bien rendu sans lui: un tremblement plein de tendresse pour ces amputés du coeur.   

Cette réserve étant faite, malgré une intrigue assez noire et désespérée, une humanité sans fard transpire de cette histoire dont le point d'orgue est la difficulté voire l'impossibilité de traduire en mots les rêves, les désirs, les blessures les plus secrètes. Ainsi Daniel - et c'est une des scènes les plus bouleversantes du livre - transi d'amour devant Odette - mais auprès de laquelle les mots n'arrivent pas (...) Les mots qui comptent lui manquent tous.

Odette et Daniel glissent vers le gouffre qui s'est ouvert entre ce qu'ils sont et ce qu'ils aimeraient être. Cet abîme saignant que chacun vit pour soi, duquel on peut crier mais l'autre ne répond pas. La neige a fini de tomber. Le vent ne souffle plus. Il n'y a que des hommes et la nuit. Et les hommes crient et la nuit se tait. Du bord de la falaise, il serait vain de pointer un vainqueur, de dire que celui-ci va se perdre plus que l'autre, ou qu'un tel va mourir, ou qu'un tel autre vivra. Du haut de la falaise je ne vois que des perdants. Des perdants qui crient. Et la nuit qui les brise.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'ami Vialatte - que Quentin Mouron est grand!     

Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci (Olivier Morattel, 2012)

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/08/2012

Morceaux choisis - Charles-Albert Cingria

Charles-Albert Cingria

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Est arrivé dans ma chambre quelque chose comme un avion cette nuit. J'ai réfléchi que cela devait être un de ces noirs insectes énormes attirés par la lumière. Et je n'ai même pas regardé. Ah mais le lendemain quand le soleil déjà cruellement dardait, quelle chose lamentable s'est offerte à ma vue! Oui, c'était bien un démesuré cétoine, le dos renversé, dont les pattes en l'air et bougeant encore au milieu d'un peuple de sales hideuses petites fourmis qui s'acharnaient pour lui ôter le fil de la vie. Et elles paraissaient y réussir - oui réussir cette chose injuste et monstrueuse - lorsque je compris que j'avais un rôle à jouer oui un rôle de géant, de géant de Gulliver. Je pris l'insecte par le dos et le nettoyai sous le robinet. Cette eau dut lui faire du bien après toutes ces brûlures entre les pattes et les plis de la tête et partout. Mais il était à la mort et ce que je faisais était peut-être inutile. Je n'en continuai pas moins, outré contre les fourmis et plein de déférence pour ce noble animal. Et quand je l'eus rendu à sa dignité et remis dans sa position normle et capable de défensive - s'il en avait encore le sens - j'allai le placer sous les branches d'une plante à l'abri du soleil qui l'aurait encore fait souffrir, et je retournai aux fourmis qui étaient encore massées en quantité innombrable à l'endroit où avait commencé de se perpétrer ce hideux drame. J'étais le géant dans Gulliver. J'empoignai mes savates à semelles de caoutchouc et les exterminai toutes. Pas une ne devait subsister, pas une. Cela me prit au moins dix minutes, mais j'y eusse dépensé une heure et plus s'il eût fallu, tant la révolte contre un procédé pareil avait envahi mon âme. Car c'est superbe un de ces coléoptères comme celui-ci, superbe et de grande taille et noble - noble, je le répète - et digne en tout point de compassion et d'extinction de tout autre sentiment devant des circonstances surtout comme celle-là.

Charles-Albert Cingria, Epiphanies - Chronique caniculaire / Oeuvres complètes vol. 2 (L'Age d'Homme, 2012)

15/08/2012

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Dans un café j'ai mis mon bras sur tes épaules 
Mon bras mes mains
J'ai vu tes yeux dans la carafe de vin noir
La groseille du verre illuminait ta joue
Tu renversais la tête contre le bois
 
La porte s'ouvrait sur des hommes
Ils apportaient le bruit du lac
Et son haleine d'algue en pénétrant ta robe
Brouillait aussi tes yeux faisait battre ton coeur
 
Tu m'apportes la nuit du lac sur tes épaules
Galets polis par la paume des vagues
Ton corps brun comme un jeune bourgeon
de noisetier
Respire avec le calme des animaux sages
 
Tes épaules me donnent la nuit du lac
Tu me donnes le ciel le soleil et la terre
Et je repose en toi comme sur l'eau la barque
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

08/08/2012

Le poème de la semaine

S. Corinna Bille

Comme je te revois bien,
Ce soir dans mes pensées.
Oh! mon tout petit jardin.
 
Je marche lentement
Sur les dalles marbrées
De ton sentier.
Il y a un peu de vent
Dans les peupliers.
Il y a un peu de rose dans le ciel.
Il doit encore y avoir 
Des dents-de-lion dans l'herbe.
Et les grillons
chantent de nouveau, je pense.
Et sur la mosaïque de la fontaine
L'oiseau du paradis
N'a pas encore avalé sa pomme.
Et dans la niche,
La madone en bois peint
Est revenue.
 
Mais sa couronne
A ses pieds est tombée,
Et la "grille du couvent"
est restée entr'ouverte...
 
Oh! pourquoi ce soir
Suis-je dans ce petit jardin?
Qui respire l'odeur de l'air?
Qui sent le vent dans mes cheveux...?

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01/08/2012

Au bar à Jules - De la patrie

Un abécédaire: P comme Patrie

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Lors de mon examen final d'apprentissage en librairie, j'avais à choisir entre deux sujets de rédaction jugés aussi débiles l'un que l'autre - Le 1er août ou Les transports en Suisse - si bien que choisissant Le 1er août, j'avais joué un mauvais tour à mes examinateurs en imaginant deux jeunes compères en chemin pour la montagne du Grütli - à pied - afin d'y célébrer la fête nationale, à leur manière. Le premier n'avait jamais connu son père et cherchait à retrouver dans cet événement une chaleur familiale qui lui était étrangère; son compagnon, quant à lui, venait d'être largué par une jolie danseuse et s'élançait vers les hauteurs avec l'énergie d'un désespoir tout neuf. Au cours de ce pélerinage insolite, nos gais lurons vont faire halte à chaque station au bistrot du village pour se donner du courage, si bien que parvenus au sommet, ils seront ivres au point d'oublier le motif de leur ballade et sombreront dans un sommeil peuplé d'ombres douloureuses et de rêves fracassés, alors que pour les autres, c'est la fête...

Il va sans dire que mon travail fut sanctionné - jugé sans doute irrévérencieux - mais depuis ce temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'enseignement auprès des jeunes générations a connu une évolution plutôt heureuse! 

Aujourd'hui en guerre contre une certaine autoflagellation qui habite le coeur de bon nombre de mes amis suisses et les clichés les plus éculés qui circulent auprès de nos détracteurs hors des frontières - dans la plupart des pays il en va de même - je revendique une fierté patriotique qui m'est venue dans l'éloignement de la terre, au fil de mes séjours à l'étranger: en Italie et en Angleterre, pour l'essentiel. Ce qu'on pourrait nommer autrement la nostalgie du bonheur suisse, qui ne se borne pas aux plaques de Frigor, à la fondue ou au cor des Alpes.

De mon pays, j'apprécie tout particulièrement la cohésion sociale qui, malgré de vives tensions parfois, laisse toujours le dernier mot à la légitimité et à l'expression démocratique; j'aime ce sens discret des responsabilités où toute démarche n'est pas politique et qui sait bien souvent trancher entre des revendications pertinentes et l'intérêt de la nation; enfin, je mesure la chance d'une gouvernance fédérale au sein de laquelle je peux exprimer en toute liberté mes opinions quant au destin que je souhaite pour la Suisse.

On pourra me dire que cette admiration béate peine à cacher les fissures de l'histoire ou les lézardes de notre système. Pêle-mêle: l'or des nazis, le droit d'asile, le blanchiment d'argent, le röstigraben (fossé linguistique), les fonds en deshérence, l'insécurité. Je ne le nie pas et ne prétends nullement que ma patrie ressemble à une cité divine, mais plutôt que de perdre mon temps et le vôtre à poursuivre dans cette voie, je préfère m'attacher à un exemple très symbolique de la réussite en Helvétie.

J'aurais pu vous parler de Nicolas Hayek - entrepreneur suisse d'origine libanaise, né à Beyrouth, fondateur de Swatch Group, contradicteur de cette image qui veut qu'on soit privé d'imagination en Suisse - mais choisis Roger Federer. Pourquoi? Tout simplement parce que j'y retrouve de nombreuses vertus qui caractérisent ce visage de la Suisse que j'aime: l'homme est discret, il croit en lui-même, il se bat pour réussir. Conquérant sans arrogance, il est ouvert et chaleureux, considéré par ses pairs et ses fans comme un gentleman, de par son respect des autres, sa disponibilité - exprimée en trois langues - et sa fidélité en amitié. Son épouse Mirka Vavrinec, d'origine slovaque, concrétise cette séduction d'un ailleurs qui jalonne nos manuels scolaires. Le succès de Roger Federer et son sens des affaires ne l'empêchent pas de s'engager à travers la Fondation Federer pour des projets en Afrique du Sud, au Mali, en Éthiopie ou en faveur des jeunes athlètes suisses. Et il n'en parle que lorsqu'on lui pose la question à ce sujet.

C'est ce visage de la Suisse que je veux retenir pour la décennie à venir, capable de rayonner malgré sa modeste place dans le monde, qui inspire confiance davantage que ses coffre-forts, qui tient le choc contre vents et marées au sein de l'Europe, davantage par son réalisme, sa faculté d'adaptation et sa compétitivité que par les cadeaux empoisonnés des autres...

Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. Nicolas Bouvier

Nicolas Bouvier, Oeuvres (coll. Quarto/Gallimard, 2004)

image: Roger Federer / Wimbledon 2012 (tennisnewsviews.com)

21/07/2012

Morceaux choisis - Charles Ferdinand Ramuz

Charles Ferdinand Ramuz

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Faut-il parler de ce petit voyage? Faut-il dire comment on prend le tramway sur une place tout à côté de la Cannebière, et il ne part pas tout de suite, certes, n'étant pas pressé, mais il fait si beau? C'est un matin d'automne à Marseille, et l'automne y est chaud comme les étés de chez nous, mais une brise vient de la mer; qu'est-ce qu'il y a donc qu'on soit pareillement heureux?

Est-ce l'animation de la rue, toutes ces filles en cheveux, si parfaitement coiffées et chaussées (et le reste va comme il peut), l'heureux débraillé d'une foule qui tourne vite à la cohue, ces uniformes, ces cols bleus, ces turbans, ces robes, ces fez? Mais il se fait, comme ça, tout de suite, un changement dans votre nature: tout vous paraît à sa place, tout vous paraît arrangé pour le mieux. On demande à l'employé quelle est la durée du trajet; il n'y a pas que l'accent qui enchante quand il vous répond sans sourire: Deux heures, sauf "accidents de route". Y croirait-on, qu'ils ne nous feraient pas peur, ces accidents de route-là; on s'amuse d'avance d'un déraillement possible; ou bien est-ce qu'il y aurait des pilleurs de trains, comme dans le Far-West, qui seraient embusqués, quelque part, au bord de la route, guettant l'Anglais cossu, qui, d'ailleurs, fait défaut? 

Je voyage en compagnie de quatre ou cinq jeunes gens du pays, qui viennent de passer devant le conseil de révision, à cause de quoi ils ont arboré à leur boutonnière des flots de rubans tricolores. Ils parlent entre eux posément; ils sont maigres, plutôt grands et pas toujours noirs, graves, avec des gestes sobres. Rien de cette grosse vulgarité, que je craignais de trouver ici; un mélange de réserve et de confiance dans la bonhomie qui tout de suite m'avait frappé, étant juste le contraire de ce à quoi je m'attendais; une apparente naïveté parfois qui n'est qu'un masque mis sur beaucoup de finesse, de l'ardeur peut-être, mais qui se contient.

On longe d'abord par derrière (autant qu'il m'en souvient) les entrepôts du port; ensuite seulement on commence à monter. C'est un quartier d'usines et surtout de savonneries, comme on le devine à l'odeur; de grandes cheminées fument sur notre gauche, sans parvenir pourtant à ternir la pureté du grand ciel, qui est presque noir, tant il est bleu. Plus on va, plus on s'élève: les usines ont fait place à des petites maisons basses, nues, simples de lignes, passées à la chaux, le toit de tuiles jaunes coupé au ras des murs; alors on commence à voir se lever les premières falaises rousses, couronnées de pins; et la mer qui s'aperçoit toujours par les vides entre les feuillages est une mer qu'on domine, une mer vue d'en haut.

Il n'a pas voulu connaître les ports, les mâts entrecroisés, les coques noires des navires, ces hommes qui vont et viennent, une main sur la hanche, courbés sous le poids des sacs: son pays à lui est plus en arrière, son pays est le haut-pays. Une enseigne où on lit: Cézanne, bottier, et dont il aurait aimé la forme des lettres et la couleur, m'a averti qu'on arrivait. On atteint le haut de l'épaulement, tout à coup la pente casse, la route se met à aller à plat devant vous, même elle redescend un peu. Et le plateau tout entier se présente, dont les vallonnements, le hérissement, les cassures et sa quantité de maisons éparses (il n'y a point de villages, il y a partout seulement ces cubes gris et blancs comme posés au hasard), mènent l'oeil plus en arrière à la grande chaîne blanchâtre, au pied de laquelle Aix est assise.

Et tout à coup il m'a semblé rentrer chez moi; au lieu d'être dépaysé par la soudaineté du changement, est-ce que l'impression serait assez précise, si je disais que je me sentais, au contraire, repaysé? Il ne faudrait pourtant pas comprendre qu'on se retrouve et rien de plus: l'accent, l'allure, ces vues plongeantes, le bleu de la mer entrevu n'avaient été qu'une préparation. Il me semble rentrer chez moi, mais un chez moi ou un "chez nous" plus abouti, plus mûri, plus conscient, et s'affirmant enfin dans son intégrité.

Charles Ferdinand Ramuz, L'exemple de Cézanne, dans: Paul Cézanne (Bibliothèque des Arts, 1995)

image:  Atelier de Cézanne / Aix-en-Provence (atelier-cezanne.com)

18/07/2012

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches, 
tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin 
du poème, plus que le premier sera proche 
de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin. 
 
Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches 
ou reprendre souffle pendant que tu écris. 
Même quand tu bois à la bouche qui étanche 
la pire soif, la douce bouche avec ses cris 
 
doux, même quand tu serres avec force le noeud 
de vos quatre bras pour être bien immobiles 
dans la brûlante obscurité de vos cheveux, 
 
elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux, 
de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille, 
elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

08/07/2012

Quentin Mouron

littérature; roman; livresQuentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

Au point d’effusion des égouts, premier roman formidable de Quentin Mouron, nous entraîne dans un road movie à travers les States qui, dans la tête de ce découvreur à couteaux tirés avec la réalité, absorbe le quotidien, l’imaginaire des autres, les paysages à grande vitesse, avec une virtuosité de vieux baroudeur. De Los Angeles à Las Vegas, en passant par Trona, la Death Valley et Beatty, Quentin brosse un portrait souvent pathétique, terrifiant et sans fard de ses lieux de passage, dont Los Angeles, où tout a commencé: C’est la Cité des anges, c’est entendu. Mais des anges poussiéreux, noirs à l’os - et qui tombent à grosse grêle sur le dur des trottoirs.

Le jeune auteur n’est pas plus tendre avec Pasadena - un petit satellite universitaire qui suit en moutonnant les révolutions qui lui échappent - ou Las Vegas: Des centaines d’hystéries qui se tissaient sous chaque enseigne, des pâmoisons. Dans ces décors un peu felliniens, l’un des points culminants du roman se situe à Trona, un bled au milieu de nulle part. Bref, il faut vraiment lire Au point d’effusion des égouts. Vous n’en sortirez pas indemne ou blanchi, mais gonflé comme la voile d’un trois-mâts qui nous aspire vers un ailleurs possible et assouplit nos artères saturées de cholestérol... 

publié dans Le Passe Muraille no 89 - juin 2012

07:53 Écrit par Claude Amstutz dans Le Passe Muraille, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/06/2012

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 89, juin 2012 

littérature; roman; nouvelles; essai; livres

Le dernier numéro de cette revue - comme vous pouvez le découvrir dans l'éditorial de Jean-Louis Kuffer - est, fait exceptionnel, consacré aux écrivains qui prennent la relève en Suisse romande: Après la disparition des figures romandes que furent une Alice Rivaz, un Georges Haldas. un Jacques Chessex, un Maurice Chappaz, ou tout récemment un Jean Vuilleumier, y a-t-il continuité ou rupture entre ceux-là et les auteurs nés après 1980, alors que disparaissent les revues, les rubriques littéraires dignes de ce nom et toute une société de lecteurs attentifs? C'est à ces questions que nous aimerions donner une ébauche de réponse dans cette livraison d'été du Passe Muraille réservée exclusivement, en cette vingtième année, à des auteurs de moins de trente ans.

Lisez, écoutez et partagez ces nouvelles voix, auxquelles répondent aussi de jeunes éditeurs dotés d'un formidable culot comme ont su en faire preuve leurs prédécesseurs en des temps aussi troublés que les nôtres, preuve que l'intuition associée à un grain de folie demeure capable de faire jaillir des fleurs rares entre les terres inhospitalières, aujourd'hui comme hier...

Bonne lecture à tous!

Sommaire du Passe-Muraille no 89

p.1

Notre-Dame-de-la-merci, par Quentin Mouron - Inédit

Ecrire la vie devant soi, par Jean-Louis Kuffer

p.2

Au point d'effusion des égoûts - Quentin Mouron, par Claude Amstutz

p.3

Horizon de paille, par Douna Loup - Inédit

Chroniques de l'Occient nomade - Aude Seigne, par Jean-Louis Kuffer

p.4

Avis d'essai, par Timothée Léchot

Le coup de jeune de l'AJAR, par Jean-Louis Kuffer

Sur des airs de jazz: variations sur trois standards, par Nicolas Lambert

p.5

Ours, merci de libérer les portes, par Daniel Vuataz - Inédit

p.6

Julien Burri, poète et conteur, par Jean-Louis Kuffer

Le droit chemin, par Guy Chevalley - Inédit

p.7

Le retour, par Noémi Schaub - Inédit

p.8

Peut-être l'Afrique, par Bruno Pellegrino - Inédit

Entretien avec Max Lobe: L'Afrique à la Rue de Berne, par Jean-Louis Kuffer

p.9

Le puits, par Elodie Gelrum - Inédit

Sébastien découvreur, par Sébastien Meyer

p.10

Portrait du corps en jeune homme, par Matthieu Ruf - Inédit

Voici le chemin, par Vincent Yersin

p.11

La Grâce, par Fanny Wobmann-Richard - Inédit

Entretien avec Mathias Clivaz: Terre sur terre, par Patrick Vallon

p.12

Visions de Jack, par Maxime Maillard - Inédit

 

image: Quentin Mouron

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

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