La citation du jour (25/06/2015)
Violette Leduc
Je hais mon dormeur. C'est un mort qui n'a pas dit son dernier mot. Son sommeil est plus fort que ma haine. Donneur de sang, donneur de coeur, épuise ta soif blanche. Je me lève, j'ouvre la fenêtre parce que la nuit se pousse contre la vitre. Elle entre avec sa traîne. La mer avance sans les musiciennes, sans l'écume, sans le bouillonnement. C'est par nuit noire que j'ai découvert la hauteur du ciel et que je suis retombée sur le trésor des fraisiers. C'est par nuit tendre pendant les gelées que, dans les prés traversés, j'ai entendu se propager des craquements d'incendie sous mes pieds. Je te hais, cadavre incomplet. Tu manques de froideur et de raideur. C'est dans le ventre chaud que le tour de force des amertumes a été réalisé. Mourir et renaître. Renaître et mourir. C'est la cadence, c'est l'ambition charnelle, c'est la foire dans le sexe. Sur les banquettes des balançoires le vertige, l'illusion de monter, le point de suspension, la retombée sont les mêmes que ceux de notre plaisir essentiel. Après viennent la rentrée dans le vieux néant, la légèreté d'une faim qui n'a pas changé. Maintenant je te propose le ventre froid. La nuit, avec ses sombreros, se donne mais tu n'en veux pas. Ne dors plus, déplante-toi, scaphandrier allongé. Remonte, habille-toi en homme. Ne dors plus ...
Violette Leduc, Ravages (Gallimard, 1953)
06:59 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |