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25/04/2011

Quasi une fantasia 1/3

Bloc-Notes, 25 avril / Les Saules 

littérature: essai; voyages; livres

Tout avait pourtant bien commencé, ce jour-là. Emergeant d'un sommeil prolongé - recommandé depuis quelques semaines par la faculté de médecine! - écartant les rideaux de ma chambre, je pressentais une belle journée, tandis que le chant multiple des oiseaux, tout alentour, me confortait dans l'idée que le bonheur goûté en silence, me prive de diffuser, de partager ou de fuir tant de niaiseries, de bêtises ou de banalités qui, pour sûr, une heure plus tard, ne manqueraient de fondre sur moi comme un vol têtu de mouches insouciantes de tacher cette magnifique et changeante robe du ciel où s'ébattent ces amis de frère François, auxquels, soit dit en passant - c'est ma forme de gratitude - je fournis le gîte et le couvert, même quand les saisons sont clémentes.

Le temps de glisser une musique pour mes amis sur Facebook, me voici, empruntant le chemin de Ruth où j'habite, afin de rejoindre l'autobus au chemin des Princes. Un premier désagrément aurait dû éveiller ma méfiance et me suggérer de rebrousser chemin: Je croise une femme, plutôt une zombie accompagnée d'un chien bien vivant dont je ne conserve aucun souvenir - entendez par là une de ces nouvelles riches qui prolifèrent à foison depuis le débarquement des oligarques russes - pour qui répondre au bonjour d'un proche voisin, constitue une faute de rang impardonnable. La scène se reproduit à l'arrêt des transports publics, mais avec quelques nuances: Cette fois-ci, il s'agit d'enfants prêts à emprunter le minibus du réputé collège privé de Florimont. A leur propos, je n'ai rien à dire, mais Ils sont accompagnés d'une femme entre deux âges, philippine sans doute, qui imite la zombitude de ma rencontre précédente, comme si ce signe malin - un copier/coller vide et creux - ferait d'elle une des leurs. Une membre de la classe dirigeante. Quelle ignorance revancharde, quelle affligeante imbécillité, et cela, de si bon matin!

Dans mon autobus chéri - qui me réserve souvent des moments de lecture privilégiés - un nouvel incident se produit, à l'arrêt de La Rippaz: Une africaine avec un landau ne prend pas garde que dans les anciens modèles de transport, seule une porte est aménagée pour accéder au véhicule. Elle en emprunte une autre, et là, l'enfer se matérialise. Le chauffeur, une espèce de Rocky VI ou VII manifestement contrarié ou excédé, quitte sa place, se plante devant ladite passagère, la sermonne vertement sur sa responsabilité en cas d'accident, les interdictions à observer dans les transports publics, les retards occasionnés sur l'horaire et que sais-je encore. Elle l'écoute avec attention et respect. Dans le balancement gracieux du cou qui s'harmonise avec son regard discret empreint d'une douce mélancolie, je devine qu'elle a l'habitude de ces dérapages, qu'ils n'ont pas trop d'importance et qu'elle en a probablement connu de bien pires, sous nos latitudes inhospitalières. Un peu plus loin, lui traduisant en des termes un peu plus civilisés les propos du conducteur, j'apprends qu'elle ne comprend que la langue anglaise...

Sur le quai de la gare Cornavin où j'attends le chemin de fer qui m'emmènera à Nyon, je vitupère intérieurement contre tous ceux qui s'acharnent à gâcher ma si belle journée naissante, ici au milieu d'un autre type de zombies: les adeptes de la pensée unique avec leur 20 minutes - quotidien gratuit - ou leur natel manipulé à l'infini, oublieux du silence et de l'immobilité auxquels fort heureusement fait obstacle un club de randonneurs du troisième âge dont l'oeil, malicieux et rieur, témoigne d'un reste d'humanité dans cette foire au béton. Comme pour enfoncer définitivement le clou de mon exaspération, j'apprends par la manchette d'un quotidien lausannois que les fumeurs, sur les quais de gare, incommodent de plus en plus les autres, candidats à l'immortalité. Sinon, pour quoi d'autre? Ah la sage Helvétie au sein de laquelle le mot verboten - interdit - résonne comme un anesthésiant puissant et salvateur. La canne blanche des futurs zombies... complément recherché de la désormais célèbre phrase de Georges Clemenceau reprise par Paul Claudel: la tolérance, il y a des maisons pour ça!

Arrivé sur mon lieu de travail, j'apprends enfin que, la veille, je n'ai pas respecté une procédure quelconque - je les envoie systématiquement valser dans la poubelle la plus proche avec une désinvolture persistante - et voilà: Ma journée est, semble-t-il, définitivement pourrie...

Mais là encore, je me serai trompé. Au cours de la matinée, un de mes jeunes et sympathiques collègues m'apprend qu'une de mes récentes commandes de livres, vient d'être honorée. Il s'agit de Albergo Italia, de Guido Ceronetti, qu'un ami m'avait chaleureusement recommandé et là, j'oublie tout. Un moment de grâce commence...

A suivre... 

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

Commentaires

"dans le balancement gracieux du cou qui s'harmonise avec son regard discret empreint d'une douce mélancolie" ..Qui est-il ce malapris qui s'est permis de mal parler à cette élégance-là??? Moi, je déteste les transports en commun, justement pour ce genre de bêtises-là... et puis j'ai trés peu d'affection pour l'humain quand il se rassemble étranger l'un à l'autre, dans un lieu commun, ça donne souvent l'expression du Vilain... Mais votre papier m'a fait sourire (c'est déjà ça), je comprends tout.. c'est du vécu pour moi votre point de vue, Mr Claude! Au bout du bout c'est bon, ça finit par un moment de grâce... Au bout du bout c'est bon, j'ai aimé "quasi une fantasia"..

Écrit par : Kass | 25/04/2011

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