Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/03/2012

Donna Leon

Bloc-Notes, 25 mars / Les Saules

littérature; roman; policier; livres

Comme souvent dans les enquêtes de Brunetti, l'histoire démarre sur un rythme lent, celui du quotidien qui s'égrène de manière apparemment anodine, au fil d'une soirée chez les Falier, parents influents de son épouse Paola. Il y fait la connaissance de Franca Marinello, une femme bizarre au sourire défiguré et aux expressions indéchiffrables. Fascinante et cultivée - elle l'entretient des Géorgiques de Virgile et de Cicéron - elle est aussi l'épouse de Maurizio Cataldo, avec lequel le comte Orazio Falier hésite à s'associer. Tout naturellement, ce dernier demande à Guido de se renseigner discrètement sur ce personnage. Un travail routinier, sauf que Franca confie du bout des lèvres à notre commissaire quelques frayeurs liées aux affaires de son époux, et que dans la même semaine un transporteur routier est retrouvé assassiné.

Un lien existe-t-il entre les deux enquêtes? Vengeances, règlements de comptes, Mafia? La signorina Elettra et le sergent Vianello jouent à nouveau un rôle important dans cet épisode, mais en habile scénariste, Donna Leon y introduit de nouveaux protagonistes tels le major Guarino et Claudia Griffoni qui assiste Brunetti dans cette aventure. Enfin, Donatella Falier, par ses confidences, donne un éclairage particulier à cette plongée dans le monde de l'argent sale, du trafic des déchets et de la criminalité, suggérant à son beau-fils de ne pas se laisser égarer par les évidences... Et le sourire figé de Franca Marinello, quel secret y est donc enfoui? Vous le saurez dans les dernières pages de ce roman au dénouement tout à fait innatendu qui colle à une réalité évoquée par ailleurs dans le dernier document de Roberto Saviano, Le combat continue - Résister à la mafia et à la corruption et laisse apparaître ces dossiers d'affaires classées dont à aucun moment on ne viendrait à souhaiter la réouverture. Et pourtant, ils recèlent dans leurs pages la clef qui donne tout son sens au titre étrange de ce livre: La femme au masque de chair...

Une réussite et un bien sympathique divertissement pour tous les amoureux de Venise!    

Donna Leon, La femme au masque de chair (Calmann-Lévy, 2012)

Roberto Saviano, Le combat continue - Résister à la mafia et à la corruption (Laffont, 2012) 

image: Les enquêtes de Brunetti - série TV, avec Uwe Kockisch (Guido Brunetti) et Julia Jäger (Paola Brunetti)

22/03/2012

Annie François

Bloc-Notes, 22 mars / Les Saules

littérature; essai; livres

Voici un livre tout à fait épatant, pour vous, amoureux des livres! Souvenirs de ce qu'évoquent ces milliers de pages lues au cours d'une vie: rythmes de nos émotions intimes, échos de notre vie personnelle, dans le couple ou face à la maladie, à la solitude choisie ou subie. Une radiographie affective en miroir pour nous montrer la magie des couvertures, les odeurs de ces papiers de tout âge, la musique des feuillets enchantant nos heures silencieuses, la diversité des typographies selon la nature du livre et des genres. Il y est aussi question d'agacements - la verrue de l'objet du plaisir qu'on appelle code-barre -, de boulimie de lecture alternant avec ces jours de grêve que nous connaîtrons tous jusqu'au dernier jour, ou de ces ingérences extérieures qui gâchent notre félicité et s'approprient l'espace: les bruits de la ville au dehors, l'étranger à notre lecture qui parle au mauvais moment ou même silencieux, a le malheur de tourner ses propres pages.

Décapante et pleine d'humour, Annie François revisite avec une délicieuse sensualité notre mémoire autant que la sienne: à propos du prêt des livres, de l'importance des bibliothèques publiques ou de la pathologie du lecteur. Sur l'édition, elle nous présente une jolie image sur l'imperfection, qu'il faudrait encadrer au-dessus de nos forêts de papier: J'adore que le livre témoigne encore de la faillibilité humaine, du malencontreux hasard. Bien sûr, une lézarde qui fait son chemin à travers les lignes mobilise trop mon attention au détriment de la lecture. Mais elles me fascinent, ces incongruités qui me sont pourtant aussi précieuses qu'aux philatélistes les varietés des timbres.

Alors, les bouquins: une passion exclusive, un vice ou une vertu, un objet de jalousie pour les uns autant que de personnes ou l'atelier secret de ceux qui - comme Georges Perros - pensent que la vraie vie est dans la littérature? Annie François nous en dessine les contours. A nous d'en faire notre propre tableau, avec ces balbutiements de pinceaux et de couleurs qui ne ressemblent à rien d'autre que ce que nous sommes devant notre bibliothèque ou les devantures des librairies: un peu toxicomanes, exaspérants, sectaires, mais aussi amoureux, comblés, heureux. C'est-à-dire uniques, pour tout dire...

Annie François, éditrice au Seuil, nous a quittés en juin 2009. Elle nous laisse, outre Bouquiner - Autobiobibliographie (2000), Fanes, épluchuchures et trognons (Le Zouave, 2000), Clopin-clopant - Autobacographie (Seuil, 2002), Scènes de ménage au propre et au figuré (Seuil, 2004), Contes pour lardons et moutardes (Gallimard Jeunesse, 2007) et Mine de rien - Autobobographie et De Guerre lasse (Seuil, 2012) qui vient de paraître en librairie. Il sera présenté dans ces colonnes, au cours du mois prochain.

Dans la catégorie Morceaux choisis, ici-même, sur La scie rêveuse, vous pouvez retrouver deux extraits de ce merveilleux bouquin.   

Annie François, Bouquiner (coll. Points/Seuil, 2012)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/03/2012

Actualité de la poésie

Bloc-Notes, 18 mars / Les Saules

Thierry Renard.jpg

Comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, la poésie est intensément présente sur le réseau social de Facebook qui m'a ainsi permis de faire plus ample connaissance avec des grands noms de la littérature classique ou contemporaine - tels, pêle-mêle: Alphonse de Lamartine, Anne de Noailles, Abdellatif Laâbi ou Emily Dickinson - et davantage encore avec des auteurs que je n'aurais jamais lus sans la magie de cette toile lumineuse à ses heures et qui recèle de nombreux trésors de plume, pour peu qu'on éprouve le plaisir de les savoir partagés et multipliés à travers ces incomparables amitiés nouées autour de la poésie.

C'est ainsi que je me suis glissé entre les pages de ces jeunes talents - ou moins jeunes mais absents des grandes chaînes de librarie - avec les deux anthologies Le chant des larmes et Les cygnes de l'aube, sous la direction de Abbassia Naïmi, déjà présentés dans ces colonnes. Aujourd'hui, voici quelques récentes acquisitions susceptibles de vous intéresser, même si elles ne sont pas parues au cours de ces derniers mois!

Marie Hurtrel est artiste peintre dans l'Indre - voir ses oeuvres dans les liens de La scie rêveuse - mais se consacre également à l'écriture. On ne vit pas de son art, mais l'art est notre vie, chiche d'un côté et riche en l'autre, écrit-elle sur son site Internet: des mots qui éclairent sa démarche et son ouverture à tous les horizons. Lézards de poussière ressemble un peu au vol du cormoran qui survole les terres amères - celles qui attisent la violence, la révolte, l'injustice - mais aussi les territoires de l'intime, germe d'espoir, de douceur, de paix: Comment te dire ce que tu dis, comment te dire quel ciel je vois, comment écrire cette larme qui ne pleure pas, cette perle des yeux qui te chante?  

Avec Patrick Berta Forgas, né à Montreuil, vous ne rencontrez pas un nouveau venu en littérature. Auteur d'une dizaine de recueils poétiques, il signe avec La chambre des hommes des textes aux contours sombres: le vertige de l'enfer, la brûlure du silence, la mémoire des cassures, les hommes fragiles, les simulacres et les cris, l'ombre des guerres. C'est aussi le chant de la terre perdue, aimée, attendue: Je sais l'effort du vent pour soulager la mer. Je sais la douleur du souvenir rangée au chant amer. Ou encore: L'ombre est l'artère noire de la lumière et le corps du monde, un silence qui pleure ses cris.

Jean-Philippe Miginiac, pour sa part, est à la fois photographe, historien, archéologue, grand admirateur de Paul Eluard, passionné de musique classique et poète lui-même. Dans les liens de La scie rêveuse, vous pouvez aussi découvrir l'ensemble de ses oeuvres. Musiques imaginaires célèbre les amours, la terre, mais aussi la colère devant cette armée des ombres qui incarne pour lui ces fragments d'injustices: le visage des exilés, des étrangers, des mendiants, des rebelles au rythme de leurs infortunes. Si demain, ami, quelqu'un s'inquiète de mon absence, dis-lui que je suis parti dans la nuit chercher d'autres mots, sans attendre que sèche l'encre de mes poèmes, et sans que les dieux en soient informés, dis-lui que je suis parti me perdre où je voulais

Kadour Naïmi - frère de Abbasssia Naïmi - est l'auteur d’essais et de colloques autour du théâtre, réalisateur pour le cinéma et la télévision, poète, prosateur et dramaturge. Il écrit en langue italienne, dont Les mots d'amour, poèmes pleins d'ardeur et de tendresse, pénétrant tels les rayons matinaux du soleil, cet au-delà des sentiments épousant sa variété de couleurs: Si tu veux être mon soleil, je serai ta planète. Si tu veux être mon vent, je serai ta bannière. Si tu veux être mon oasis, je serai ton eau. D'autres pages évoquent l'exil, avec amertume, mais sans haine: Pour ne pas périr, j'ai besoin d'aimer.

Pour les deux derniers auteurs, leur lueur discrète est déjà connue de ceux que la passion de la poésie habite. Véritable passeur en littérature, producteur d'émissions radiophoniques, Thierry Renard a publié à ce jour une trentaine d'ouvrages, parmi lesquels Il neige sur ta face. Toute la vie y remue dans cette poésie du quotidien, où se confondent les rêves, les réminiscences du football, les doutes de l'écrivain, les misères du monde, et la neige - en filigrane tout au long de ce recueil - et l'amour aux formes d'un coeur de lierre. Le mal est fait, le moindre mal. Ecrire est un verbe qui m'est avec le temps devenu familier. Ecrire est un verbe dont j'interroge encore le sens et qui donne du sens à ma vie. La roue tourne, la chance aussi. Avant j'étais zéro, aujourd'hui je ne vole pas bien haut. Demain j'irai sans ma vie lasse, petite cendre dans le vent.

Quant à Jean-Pierre Siméon, on lui doit une quarantaine de livres: recueils de poèmes, essais littéraires, pièces de théâtre et ouvrages destinés aux jeunes. Traité des sentiments contraires explore l'ombre et la lumière, la douleur et l'apaisement, la blessure et la joie: Silence maintenant, immobile et obstiné silence, c'est l'instant timide en vous, l'instant effarouché, où vient tout le ciel immense trouver son appui. On appellerait bien cela un bonheur sans usure, une phrase dans l'air parfaite comme la neige.

Dans la catégorie Morceaux choisis de ce jour, vous trouverez un extrait de ce livre.

Un poème, c'est quoi au juste? C'est presque rien, un silence, une idée, un amour, un élan, une fuite, quelques gouttes d'encre sur la page blanche. (Thierry Renard)

Thierry Renard, Il neige sur ta face (Le bruit des autres, 2001)

Marie Hurtrel, Lézards de poussière (Lire et Méditer, 2011)

Patrick Berta Forgas, La chambre des hommes (L'Harmattan, 2009)

Jean-Philippe Miginiac, Musiques imaginaires (TheBookEdition/J.P.Miginiac, 2010)

Kadour Naïmi, Mots d'amour (Lire et Méditer, 2011)

Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)

image: Thierry Renard (Maxime Roccisano, 2009)

22:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/03/2012

O tempora, o mores 1b

Bloc-Notes, 12 mars / Les Saules

Voici un court extrait du livre de Gospé et Sempinny

Nicolas a bien grandi

actualité; politique; humour; livres

D'habitude, c'est quand on saigne qu'on va à l'infirmerie. Comme la fois où Dominique avait donné un coup de poing à Raffarin et qu'il avait mis du sang partout sur son tablier, même qu'après, il avait un chouette coton qui dépassait du nez. Ou quand Brice s'était pris la porte dans la figure en regardant par le trou de la serrure pour espionner le Potage qui était en train de passer un savon à Ségolène parce qu'elle avait tiré les cheveux de Martine en passant derrière elle dans la cour. Le Potage - c'est notre surveillant, c'est comme ça qu'on l'appelle même si c'est pas son vrai nom -, il avait brusquement ouvert la porte, et Brice avait eu un oeil au beurre noir avec deux points de souture. Il n'était pas beau à voir parce qu'il était tout violet.

Une autre fois, au cours de gymnastique, on avait fait du lancer de poids - c'est un peu comme le jeu de la pétanque en vacances, sauf que là, il n'y a pas de cochonnet et qu'il faut seulement envoyer la boule le plus loin possible -, et Marine l'avait lancé sur la tête de Fanfan. Fanfan, c'est le surnom qu'on lui a donné depuis qu'il y a deux François dans la classe: c'est peut-être à cause de ses grandes oreilles, parce que c'est vrai qu'il ressemble à un lapin, et qu'il aime bien donner des conseils, comme d'arrêter de nous disputer par exemple, et de le choisir comme chef.

Gospé et Sempinny, Le petit Nicolas a bien grandi (Mango, 2012)

00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; politique; humour; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/03/2012

Andrea Camilleri 1b

Bloc-Notes, 1er mars / Les Saules

Voici donc un extrait de l'épisode Le champ du potier, d'après Andrea Camilleri, réalisé par la RAI avec Luca Zingaretti.


Andrea Camilleri, Le champ du potier (Fleuve Noir, 2012)

Andrea Camilleri 1a

Bloc-Notes, 1er mars / Les Saules

littérature; roman; policier; livres

Salvo Montalbano est de retour, en pleine forme, malgré un commissariat à l'ambiance plutôt tendue, avec un Mimi Augello méconnaissable, irascible, amer: allez savoir pourquoi... Pour corser le tout, sur la terre d'une carrière non loin de Vigàta, un corps est retrouvé dans un sac, en trente morceaux. Mais voilà que le sac disparaît, puis réapparaît. Qu'est-ce que cela signifie?

Même si, à chacune de ses rencontres avec la sulfureuse Dolorès - la veuve du mort - notre sympathique commissaire se croit assis sur une chaudière susceptible de mettre à mal son approche rationnelle de l'enquête, il ne cédera pas au chant des sirènes... Une fois n'est pas coutume! Il se désintéresse pourtant de cette affaire - en apparence - qu'il confie officiellement à Mimi Augello, déléguant ses recherches à Fazio, tout à fait dérouté par l'attitude froide ou indifférente de Montalbano: un jeu auquel il doit se prêter sans comprendre ce qui lui arrive.

Dans ce nouvel épisode - et c'est rare - notre ami Salvo, avec l'aide de sa séduisante amie Ingrid, tire les ficelles depuis le début de l'histoire. A la fin de cette partie d'échecs à la sicilienne, il règlera en un seul coup les deux mystères qui le hantent, que ses souvenirs de catéchisme vont éclairer: le mort découvert sur la terre argileuse, et l'inexplicable attitude de son précieux collaborateur, Mimi. Tout cela, avec une générosité de coeur invisible à ses proches. De plus, dans cette enquête, l'humour n'est jamais tout à fait absent, avec le concours de l'inénarrable Catarella. Autre réussite, tous les personnages récurrents de la série des Montalbano y jouent un rôle important, et comme ils sont terriblement attachants, pourquoi bouder notre plaisir?

Une dernière remarque: si vous maîtrisez la langue italienne et le dialecte sicilien, ne manquez pas de vous procurer la collection DVD des aventures de Montalbano, réalisées pour la RAI, dont 22 épisodes sont disponibles. Fidèles aux romans de Andrea Camilleri, ils ont été partiellement diffusés sur les chaînes TV françaises. Luca Zingaretti est très convaincant dans le rôle de Montalbano, de même que Cesare Bocci dans celui de Mimì Augello, Peppino Mazzotta dans le rôle de Fazio, sans oublier Angelo Russo qui interprète le rôle de Catarella. Isabell Sollman, enfin, est une Ingrid pleine de charme. Seule réserve: Katharina Böhm, pas vraiment crédible en Livia, la fiancée éternelle de Salvo...

En annexe, vous pouvez visionner un extrait de cet épisode, Le champ du potier, déjà diffusé à la télévision italienne!

Andrea Camilleri, Le champ du potier (Fleuve Noir, 2012)

19/02/2012

Je tire ma révérence

Bloc-Notes, le 19 février / Les Saules

44323550.jpg

Voici venu le moment de tirer ma révérence professionnelle - à 65 ans chez nous autres, suisses - avec un an d'avance, après 47 ans de passions partagées avec des auteurs, des éditeurs, des représentants, des journalistes et des libraires, tous des maillons indispensables de cette chaîne du livre qui auront largement contribué à mon bonheur de vivre.

J'avais promis qu'en quittant les librairies Payot, j'ouvrirais exceptionnellement ces colonnes aux coups de coeur de mes désormais anciens collègues de Nyon qui poursuivent la route, reprennent courageusement le flambeau en une période délicate pour la profession, avec simplicité, modestie et sincérité, par amour du livre et des lecteurs.

Pour ma part, l'aventure continue, autrement certes, mais elle continue, aussi belle et lumineuse qu'elle le fut jusqu'à ce jour: dans ma vie, auprès de mes amis, sur La scie rêveuse, sur Facebook, dans la revue du Passe MurailleQuand je pense à tous les livres qu'il me reste encore à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux, dit Jules Renard.

Place donc à mes amis libraires! Je reprendrai prochainement la parole sur La scie rêveuse, avec Le poème de la semaine, puis avec un thème plus polémique - qui ne me vaudra pas que des amitiés! - Pourquoi Sarko va gagner selon Eric Brunet (Albin Michel), ainsi que la reprise de chroniques consacrées aux parutions récentes, telles Le champ du potier de Andrea Camilleri (Fleuve Noir), Les lieux et la poussière de Roberto Peregalli (Arléa) et La femme au masque de chair de Donna Leon (Calmann-Lévy).

Belle fin de dimanche à tous! 

image: Dora Maar par Man Ray / Paul Eluard, Le temps déborde (Les Cahiers d'Art, 1947) 

17:19 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/02/2012

Monique Rivet

Bloc-Notes, 10 février / Les Saules

littérature; roman; livres

Nous sommes en Algérie, au milieu des années 50. Laure Delessert, professeur de lettres, est nommée dans le lycée d'une petite ville proche d'Oran, appelée El-Djond. Cette voyageuse sans bagages qui ouvre ses yeux d'enfant sur une réalité qu'elle peine à cerner, va se heurter au coeur des événements - comme on nommait alors la guerre d'Algérie - au conformisme ambiant, aux interdits, voire à l'incompréhension que suscite sa perception libertaire et humaniste du monde qui l'entoure: Ce qu'on appelait glacis, c'était une large avenue coupée d'un terre-plein et bordée, côté indigène, de boutiques arabes. (...) Une frontière non officielle, franchie par qui voulait et gravée pourtant dans les esprits de tous comme une limite incontestable, naturelle, pour ainsi dire, à l'instar d'une rivière ou d'une orée de forêt.  

Malgré une relative protection dont elle jouit grâce à son amie médecin Elena - une femme séduisante et pragmatique, introduite dans les cercles influents - son aventure avec Felipe, un voisin de palier espagnol, ouvrier chez un marchand de meubles de El-Djond, son attachement aux familles Bensaïd, Davout et Tayeb vont la précipiter dans la spirale de la peur, puis de l'enfer: le prix d'un idéalisme importé et d'une naïveté ignorant la patience, qui pèsent lourd en pareilles circonstances. Rien n'avait changé, ni la lâcheté, ni le courage, ni la délirante violence des hommes. La peur, l'ombre dans les yeux de celui qui se retourne et vous regarde au moment où une main se referme sur son bras, et cette main faite pour l'ordre et la mort vous cache à jamais l'être aimé qu'on emmène. Qui a vécu cela ne l'oublie pas.

Dans ce pays qui la désoriente et qu'elle peine à comprendre, Laure ne se résout pas à demander son retour en France, de même que nombreux de ses concitoyens: Quelle est cette ligne de démarcation au-delà de laquelle nous allons déclarer forfait? Célébrer une victoire ou déplorer une défaite? Et après quelle traversée infernale où nous aurons perdu, chacun d'entre nous, un peu de notre estime de nous-mêmes, un peu de notre confiance dans les autres, à force d'avoir épié sur les visages familiers le grignotement douceâtre de la trahison?

Laure sera finalement expulsée - une justice rendue selon elle, beaucoup de chance selon d'autres - et rapatriée en France d'où elle dressera un tableau de son passage en Algérie, nourri par l'amertume, la tristesse et les souvenirs de la guerre. Une évocation poignante dont vous pouvez retrouver un très bel extrait sur La scie rêveuse, dans la catégorie Morceaux choisis.

Le Glacis est une oeuvre sobre et forte, dont le récit nous touche par ce qu'elle nous rapproche, bien au-delà de la guerre d'Algérie, des autres conflits qui ensanglantent la planète, aujourd'hui. Tous les acteurs de ce drame sont crédibles, intéressants, libres de toute caricature, et le personnage de Laure, un peu agaçant au début de l'histoire avec ses provocations un peu puériles - El-Djond n'est pas le Quartier latin - finit par nous émouvoir par sa sincérité et sa générosité: elle qui n'avait pris parti pour rien, s'était intégrée à rien et avait vécu dans un splendide isolement...

Je vais retrouver des villes sans couvre-feu, des campagnes où l'on se promène sans crainte d'être enlevé ou assassiné. Nous irons au théâtre comme c'était prévu et je ne raconterai pas à ma mère comment on vit et comment on meurt dans le pays d'où je viens. Ni à elle ni à personne

Agrégée de lettres classiques et retraitée, Monique Rivet partage son temps entre la région parisienne et les Cévennes. Elle a écrit Le Glacis à la fin des années 50, sans le publier. Du même auteur, vous pouvez lire Caprices et variations, édité chez Flammarion en 1957, ainsi que Les Paroles gelées et La Caisse noire, parus chez Gallimard en 1996 et 1997.

Monique Rivet, Le Glacis (Métailié, 2012)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/02/2012

Vous avez dit 2 euros ?

Bloc-Notes, 5 février / Les Saules

littérature; nouvelles; poésie; correspondance; essais; philosop

Si je ne fais erreur, c'est en 2006 que les éditions Gallimard lancent la collection Folio 2 euros, qui, comme vous le constatez, aborde à prix tout à fait raisonnable les grands noms de la littérature ou de la philosophie de tous les temps, de tous les horizons: de Lucrèce à Renée Vivien, de Miguel de Unanumo à Ian McEwan, de Lao-Tseu à Mario Soldati. 330 titres parus à ce jour, pour la plupart des nouvelles ou extraits d'oeuvres plus importantes, parfois difficiles d'accès dans une autre version.

Les anthologies, au nombre d'une quinzaine environ, jouissent d'une succès mérité. Parmi elles Que je vous aime, que je t'aime! consacré aux plus belles déclarations d'amour. Vous pouvez y retrouver, entre autres, celles d'Ovide, de Madeleine de Scudéry, de William Shakespeare, ou d'Emily Brontë. Dans 1, 2, 3... bonheur! c'est le bonheur en littérature qui est célébré, sous la plume de J.M.G. Le Clézio, André Gide, Oscar Wilde ou Guy de Maupassant. Enfin, Leurs yeux se rencontrèrent nous immerge dans les plus belles premières rencontres en littérature: Guillaume de Lorris, Ernest Hemingway, Louis Aragon ou Alessandro Baricco sont invités dans ce recueil par ailleurs consacré à bien d'autres auteurs.

Parmi les publications récentes, citons L'art du baiser dans la littérature, recueil où figurent Louise Labé, Violette Leduc, Arundhati Roy, David Foenkinos ou encore Pablo Neruda, avec ces vers immortels: Ce qu'il t'en aura coûté de t'habituer à moi, à mon âme esseulée et sauvage, à mon nom que tous chassent. Tant de fois nous avons vu s'embraser l'étoile du Berger en nous baisant les yeux et sur nos têtes se détordre les crépuscules en éventails tournants. Mes paroles ont plu sur toi en te caressant.

Sur un tout autre registre, Ne nous fâchons pas! nous entraîne à l'art de se disputer au théâtre, en compagnie de Molière, Beaumarchais, Alfred de Musset, Edmond Rostand, Georges Feydeau et Eugène Ionesco. Un régal! Pour terminer, Au pied du sapin nous plonge dans les contes de Noël. Cette anthologie est probablement l'une des plus originales, car outre les textes les plus célèbres, on prend plaisir à lire, sur ce thème, Jean Giono, Théophile Gautier, Luigi Pirandello, Fédor Dostoievski ou Alphonse Allais.

Ces Folio à 2 euros, dont la variété des titres est impressionnante, seront la compagnie idéale des voyageurs en transport public, en train et - quand le printemps puis l'été seront des nôtres - à bouquiner sur un banc, au bord d'un lac ou d'une rivière, comme la jeune fille de la photographie...  

Collection Folio 2 euros (Gallimard)

image: Les humeurs de Bernard, Comment faire une pause?

(http://les-humeursdebernard.over-blog.com/article-comment-faire-une-pause-72371682.html)

02/02/2012

Caroline Boidé

Bloc-Notes, 2 février / Les Saules

Caroline Boidé.jpg

Alors que fleurissent les difficultés dans le monde étroit de la librairie et de l'édition française - hausse de la TVA, prix de vente à l'exportation, frein au budget des ménages - il faut saluer le courage de Serge Safran, avec trois titres à son catalogue, à ce jour, et deux ou trois autres à venir par an, nous dit-il. Une approche du livre qui à elle seule mérite qu'on s'y attarde: privilégier, sans que cela soit une contrainte, ni une limite, de nouveaux ou jeunes auteurs, en tout cas des écrivains méritant d’être soutenus et encouragés avec passion

Avec ce troisième texte, Les impurs de Caroline Boidé, il pourrait bien faire pâlir de jalousie d'autres enseignes plus prestigieuses que la sienne, car ce roman, déjà remarqué par les libraires et la presse, est l'un des plus beaux que j'aie lu depuis longtemps! 

Nous sommes en Algérie, à la fin des années 50. David, de confession juive, quitte Batna pour exercer son métier d'ébéniste à Alger. Il y tombe sous le charme de Malek, une musulmane bibliothécaire de la ville, amoureuse des livres. L'attraction est réciproque, absolue, de corps et d'âme: Rien ni personne n'aurait pu la faire changer de cap. Elle était décidée à vivre notre amour jusqu'au bout; aucune de ses faims ne serait abandonnée à mi-route. Par là, elle fracassait les interdits, défiait la bienséance, se moquait des convenances. Sur des feuillets épars, Malek se confie: Mes trop-pleins cognent contre les parois du réel. Je suis l'échevelée de mon père jetée contre une vitre. Je m'ennuie à crever dans la réalité ordinaire où les gens sont en armure. Comme à son ombre tout manque de densité. Je me rue alors en moi, dans les tréfonds, où la vie bouillonnante s'accumule, conduite par le ciel.

Malheureusement, c'est la guerre, et à la ligne pure de Malek répond l'attitude plus craintive de David qui, dans le contexte historique et religieux du pays, ne lui inspire que des craintes pour l'avenir et le contraint à rompre. Un sacrifice au goût amer: Dans la loi de nos pères, Malek et moi étions des pestiférés, des impurs. Pour eux, notre union était une malédiction. Un juif et une musulmane en Algérie auraient fait des vauriens, des bons à lyncher, des mort-nés aux racines calcinées. Nous aurions vécu cachés. Je ne voulais pas fabriquer de pitance pour les chiens.

Avec la mort tout à fait inattendue de Malek - qui nous attriste, car on est conquis par sa personnalité vibrante, sensuelle, indépendante et désespérée - Caroline Boidé relie ses personnages - sans militantisme mi démagogie - à la grande Histoire, qui répand son flot de souffrances, de terreurs, de défaites, même si malgré les événements, subsistent quelques signes de fraternité entre les deux communautés, comme leur précurseurs l'ont vécu: En Algérie, nous dit David, les juifs et les arabes se côtoyaient depuis des siècles, bien avant le XIXe siècle et l'arrivée des français. Nous partagions notre quotidien, parfois même nos maisons. Nous avions des modes de vie similaires et tous des trains de vie modestes.Voilà ce qui nous liait, des jours après jours communs et bariolés et une absence de domination de l'un par l'autre.  

L'angle de vision de Caroline Boidé sur la France vue d'Algérie, prolonge cette réflexion grave avec beaucoup de finesse et de conviction: Ce n'était pas entre nous au départ qu'il y eut dissension. Cette graine de discorde fût semée le jour où l'état français proposa à mes ancêtres juifs d'Algérie de le rejoindre en adoptant la nationalité française. Par là, on nous a forcés à prendre une identité qui n'était pas la nôtre, on nous a définis contre notre gré, retranchés dans un camp politique devenu l'un des côtés d'un champ de bataille.

David ressentira tout cela dans son for intérieur alors que plus tard, marié à Léa, avec sa fille Esther, il devra quitté le pays, aucune autre solution n'étant plus envisageable. Sur le bateau qui l'emmène loin de sa patrie, la plaie jamais guérie de son unique véritable amour, Malek, s'ouvrira à nouveau avec amertume: Mon pays aurait toujours dû permettre que retentissent ensemble le muezzin et le chofar qui se répondaient si bien. Il aurait dû les préférer au chant de deuil traversant la ville, aux ténèbres recouvrant les peuples et au rugissement de la sirène dont les appels stridents déchiraient le silence.

Un roman attachant et généreux, conduit en alternance par le récit de David et les feuillets de Malek, où le monde intime et les rumeurs qui l'entourent s'expriment tout en nuances, servis par une écriture d'une rare qualité émotionnelle, ainsi qu'un souci d'authenticité déjouant les pièges communs du mélodrame ou de la rancune historique. Longtemps après avoir refermé le livre de Caroline Boidé, on songe à la dernière image de Malek, bouleversante: La lune elle-même a barré ses lèvres d'une main bleu nuit comme si elle redoutait qu'on y lise sa détresse.

Un chef d'oeuvre, indiscutablement!

Caroline Boidé est une jeune femme de 30 ans, née d'une mère juive d'Algérie et d'un père originaire de France. Les impurs est son deuxième roman, après Comme un veilleur attend l'aurore, paru chez Léo Scheer, en 2008. Sur La scie rêveuse, sous la rubrique Morceaux choisis, vous pouvez découvrir un bel extrait de son dernier livre: une réflexion sur la nécessité de l'écriture. 

Enfin dans les Liens, vous pouvez consulter le site de l'éditeur Serge Safran: il le mérite vraiment...

Caroline Boidé, Les impurs (Serge Safran, 2012)

12:12 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |