Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2011

Coup de gueule

Bloc-Notes, 3 juillet / Les Saules

document; témoignage; livres

Emmanuel Delhomme est un libraire en colère. Patron de la librairie Livre Sterling, à deux pas lu rond-point des Champs-Elysées, il vide son sac, en proie aux difficultés financières qui s'emparent des commerçants indépendants en général - et pas seulement dans le domaine du livre -, face à une culture en pleine mutation qui le plonge, dirait-on, en plein désarroi.

Contemporain d'Emmanuel Delhomme, mais au parcours différent, dans un autre pays - la Suisse romande, au sein des librairies Payot - je peux mesurer ce qui nous sépare, mais aussi ce qui nous rapproche, à commencer par cet amour sans réserve de l'écrit, parfois d'un titre particulier - on s'attache à un livre, et il fait partie intégrante de votre vie -, instants inoubliables d'émerveillement et de reconnaissance partagés avec les clients et les proches qui font confiance à nos choix et à leur tour, en font l'éloge auprès d'autres personnes. Un vrai plaisir, pour l'auteur qui ne roule pas toujours sur l'or, lui non plus, avec ce sentiment réconfortant que notre métier n'est pas inutile. Les rencontres exceptionnelles font aussi partie de ce paysage inoubliable: Isabelle Adjani pour lui, Anouk Aimée ou Dirk Bogarde pour moi, autrefois, à Londres...

Cela n'occulte pas pour autant certaines interrogations. Il est vrai que le temps manque au livre - pour les hommes surtout: allez savoir pourquoi? - et que les femmes représentent le 80% des lecteurs actuels, une réalité incontournable qui se vérifie sur les réseaux sociaux tels Facebook où l'élan culturel, la passion de partager des choix de textes, de critiques ou de citations, connaît une fréquentation dans les mêmes proportions. Il est vrai aussi que si l'édition nous réserve autant d'heureuses surprises, les mauvaises sont en constante augmentation et tendent - si nous n'y prenons garde - à noyer les titres qui nous tiennent à coeur.

En revanche, je ne souscris pas du tout à cette mort annoncée du livre, qui depuis plus de vingt ans alimente les conversations de salons. Souvenez-vous de la période où explosa la bande dessinée, puis l'apparition des jeux vidéo qui n'inspiraient pas moins de craintes hier que les multiples chaînes de télévision ou les heures passées sur Internet aujourd'hui. Enfin, les jeunes lisent bien davantage que dans les années 70. Le livre a donc, quoiqu'on en dise, des lendemains riches de promesses...

David Servan-Schreiber, dans son émouvant On peut se dire au revoir plusieurs fois, parle des métiers ou services proposés qui contribuent au bien-être des gens, comme une pierre apportée au bonheur d'autrui. Le milieu un peu marginal de la librairie, correspond pour une bonne part à cette image, pour autant que l'on respecte son interlocuteur, qu'il désire s'instruire, se distraire, se faire peur, trouver remède à ses problèmes personnels ou se laisser surprendre. Or, dans Un libraire en colère, que de mépris et d'amertume, somme toute: Indécrottables, les hommes ne veulent plus de livres. Dans leur habitacle robotisé, ils vont décider de l'avenir du monde... Avec pour point d'orgue ce commentaire d'Emmanuel Delhomme sur le livre de Charles Dantzig Pourquoi Lire: Pour être moins con.

Et si le con, d'une certaine manière, c'était lui? Les grandes surfaces ont vu le jour, en partie grâce à cette école de librairie, imbue de son savoir et percluse de jugements sur la société. Emmanuel Delhomme avec ses airs d'outre-tombe semble convaincu que la désertification de sa librairie est due à la désaffection du livre. Il se trompe sans doute. Qu'est-ce qu'une librairie pour eux aujourd'hui? Un endroit austère, sinistre, il n'y a pas d'écran sur les murs, ça ne hurle pas dans les oreilles, et il faut pour comprendre l'objet l'ouvrir... 

Les clients vont ailleurs, tout simplement, et pas seulement pour sacrifier aux modes ou tendances! Dans la jeune génération des libraires indépendants - et des autres - Dieu merci, l'approche du métier est devenue moins sacrée peut-être, mais plus humble, moins pleurnicharde, plus imaginative et conviviale. La librairie est devenue un espace où il fait bon vivre... Les temps restent durs, mais à des degrés divers, ne l'ont-ils pas toujours été?

Voilà bientôt trente ans que je suis sur la terre, et j'en ai passé dix à chercher un libraire. Pas un être vivant n'a lu mes manuscrits. (Alfred de Musset) Alfred de Musset

Emmanuel Delhomme, Un libraire en colère (L'Editeur, 2011)

19:28 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/06/2011

David Servan-Schreiber

Bloc-Notes, 27 juin / Les Saules

document; témoignage; livres

Tumeur ou oedème, cette chose qui prospérait dans mon lobe frontal droit menaçait directement ma vie. En quittant le centre de radiologie, j'ai enfourché mon vélo, parfaitement conscient du risque que je m'apprêtais à courir. J'ai eu soudain besoin de tester mon courage. Aussi fou, aussi inconsidéré qu'il puisse paraître, le test du vélo a rempli sa fonction: j'ai senti que mon plaisir de vivre était intact, et avec lui ma détermination. J'ai su que je n'allais pas baisser les bras.

Ainsi peut se résumer le premier chapitre du témoignage de David Servan-Schreiber: une alchimie de douleur, de réalité et d'espoir, fil conducteur du récit où l'auteur de Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse et de Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit, apprend la mauvaise nouvelle, celle de la rechute grave de son cancer du cerveau survenu près de vingt ans plus tôt.

Ce qui frappe d'emblée dans On peut se dire au revoir plusieurs fois, tient en quelques mots: L'honnêteté, l'absence d'arrogance, la franchise. Pas de faux-fuyants. Il a connu - et connaîtra encore, peut-être - à certains moments la peur, les larmes, le désarroi qu'il a si souvent lus sur le visage de ses patients. Il ne s'en cache pas. De même envers ses multiples activités, parfois harassantes: Je n'ai pas pris assez soin de moi, et ce depuis bien des années. Les témoignages d'intérêt et de reconnaissance que j'ai reçu m'ont rendu si heureux que je me suis donné à fond à la défense de ces idées. J'en étais venu à me sentir quasi invulnérable. Or, il ne faut jamais perdre son humilité face à la maladie. J'ai commis l'erreur de croire que j'avais trouvé la martingale gagnante.

A la lumière de ce qui précède, oserai-je dire qu'il se dégage de son dernier livre une lueur d'espoir, un appétit de vivre, une reconnaissance qui importent tant, dans la processus de guérison? David Servan-Schreiber insiste - dans sa thérapie de la douleur - sur le besoin de calme intérieur, d'images gratifiantes, d'activité physique, de distraction qui permet, grâce aux amis et aux proches, de continuer de faire partie du club des vivants qui font des choses et vivent leur vie

De très belles pages traitent des gestes de l'émotion partagée - j'ai besoin que tu continues à être dans ma vie - et du temps qui passe avec toutes ces choses, grandes ou petites, qui ont été agréables, qui ont apporté du plaisir, de la joie ou simplement de l'amusement. Les passages consacrés à ses amis Bernard Giraudeau et Guy Corneau sont eux aussi, empreints de tendresse et de gratitude.

Ce témoignage, tonique et grave à la fois, devrait tous nous interpeller, malades saisonniers ou au long cours, devant le sujet tabou qui, un jour ou l'autre, fera irruption dans notre vie: Est-ce que vous vous posez parfois la question de savoir ce qui se passerait si le traitement ne marchait pas?

Au moment de refermer ce livre, je pense aux deux DVD de Georges Lautner, Les barbouzes et Les tontons flingueurs, avec les inénarrable Bernard Blier, Lino Ventura et Francis Blanche. Ces deux films sont ma thérapie personnelle aux jours de découragement, de révolte ou d'impuissance, et lorsque, peut-être pour la centième fois je les reverrai après avoir reçu ma mauvaise nouvelle, je penserai à David Servan-Schreiber très fort, comme à un ami de longue date, lui qui parle tout au long de son livre de l'importance de la légèreté, de la détente et du rire... malgré tout!   

David Servan-Schreiber, On peut se dire au revoir plusieurs fois (Laffont, 2011)

David Servan-Schreiber, Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse (coll. Pocket Evolution, 2011)

David Servan-Schreiber, Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit (coll. Pocket Evolution, 2011)

23:52 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/06/2011

Franz Liszt 1b

Bloc-Notes, 25 juin / Thonon-les-Bains

Voici l'exemple d'une oeuvre méconnue de Franz Liszt, un Ave Maria, dont l'interprétation - très belle - n'est malheureusement pas identifiée sur YouTube.


 

10:22 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Franz Liszt, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

Franz Liszt 1a

Bloc-Notes, 25 juin / Thonon-les-Bains

musique classique; livres 

En librairie, les parutions consacrées à la musique classique sont, depuis plusieurs années, une denrée rare. Les éditions Jean-Claude Lattès ont abandonné cette orientation, de même que l'Age d'Homme; les éditions d'Aujourd'hui ont disparu; quant à la grande distribution, seules les éditions Gallimard et Actes Sud assurent des parutions régulières, capables de raviver les braises... 

Eh bien, justement: dans l'excellente collection Classica de ce dernier - qui compte environ 35 titres - voit le jour, sous la plume de Jean-Yves Clément, un volume consacré à l'un de mes compositeurs préférés, Franz Liszt. Comme le souligne son auteur, ce livre répare une injustice envers ce visionnaire souvent incompris de son vivant, dont la vie et l'oeuvre sont marqués par le sceau de l'amour: Il y a mille manières de ressentir l'amour, mille modes pour le pratiquer, mais, pour ceux dont l'âme a soif d'absolu et d'infini, il est un, éternellement un, sans commencement ni fin. S'il se manifeste quelque part sur terre, c'est surtout dans cette haute confiance de l'un dans l'autre, dans cette invincible conviction de notre nature angélique, inaccessible à toute souillure, impénétrable à tout ce qui n'est pas lui.

Aujourd'hui encore, que sait-on de lui hormis sa relation passionnelle avec Marie d'Agoult, son amitié tumultueuse avec Richard Wagner sous les regards croisés de sa fille Cosima ou ses mondanités, ses excès? Du compositeur que retient-on d'autre que le Rêve d'amour, les Concertos pour piano et orchestre, les Rhapsodies hongroises, la Sonate en si mineur et les Années de pèlerinage?

Le grand mérite de cet ouvrage consiste à suivre le parcours hors du commun de ce génie, pianiste, transcripteur, compositeur et enseignant, novateur dans l'expression musicale autant - si ce n'est davantage - qu'Hector Berlioz. Les moments cruciaux de sa vie, illustrés par ses nombreux écrits, éclairent ainsi nombreuses de ses oeuvres moins connues, telles le Cantique d'amour, la Via Crucis, les Nuages gris ou la Bagatelle sans tonalité, préfigurant la musique contemporaine.

Celui qui a tant consacré son art au service des autres - les lumineuses transcriptions de Schubert, Schumann, Beethoven, Verdi, Berlioz ou Wagner - n'a guère joui d'une juste récompense, de son vivant. Jean-Yves Clément note avec beaucoup de justesse: Chopin, tant respecté et enseigné par Liszt, qui lui consacra de si nobles pages, n'aima personne vraiment, mais tout le monde l'aimait; Liszt, lui, joua et aima tout le monde, mais peu l'aimèrent vraiment. Si c'est une loi du monde, convenons qu'elle n'est guère divine dans le ciel de la musique...

En annexe à cette concise réhabilitation salutaire, vous trouverez les repères chronologiques de la vie de Franz Liszt et de précieuses indications discographiques, de même qu'un index des personnes citées.  

Si vous voulez en savoir davantage sur Franz Liszt, je peux vous recommander quelques lectures parmi lesquelles: la biographie écrite par Guy de Pourtalès, La vie de Franz Liszt (coll. Folio/Gallimard, 1983), ainsi que l'essai signé par Pierre-Antoine Huré, Liszt en son temps (coll. Pluriel/Hachette, 2005). Pour les mélomanes, trois ouvrages peuvent retenir votre attention: celui du même Pierre-Antoine Huré, Franz Liszt (Fayard, 2003), le court essai de Vladimir Jankélévitch, Liszt - rhapsodie et improvisation (Flammarion, 1998), enfin les deux volumes de Alan Walker, Franz Liszt (Fayard, 1998), 1'850 pages tout de même...

Sur ce blog - sous catégorie/La musique sur Facebook - les extraits musicaux 3, 16, 30, 52, 55, 88, 95 et 101 sont voués à Franz Liszt. 

Jean-Yves Clément, Franz Liszt ou la dispersion magnifique (coll. Classica, Actes Sud, 2011)

image: portrait de Franz Liszt, par Henri Lehmann

20/06/2011

Relire Boris Vian

Bloc-Notes, 20 juin / Les Saules

littérature; roman; livres 

Et si l'enfer était un monde sans rêves? Telle est peut-être bien la question centrale que soulève L'arrache-coeur, plus de trente ans après une première lecture. Tout commence avec le héros de cette histoire, Jacquemort, intrigué par les cris provenant d'une maison à l'écart d'un village littoral indéterminé. Il se trouve ainsi confronté à Clémentine, sur le point d'accoucher, et même s'il est psychiatre de formation, il connaît suffisamment les rudiments de la médecine pour lui venir en aide. Les nouveaux-nés sont au nombre de trois: Noël et Joël - vrais jumeaux - ainsi que Citroën, plus grand que les deux autres.

Jacquemort décide de s'installer au coeur de cette curieuse famille dont le père, Angel, après cet événement, est rejeté à tout jamais par son épouse. En effet, Clémentine ne vit plus désormais que pour ses enfants: un bonheur forgé à l'abri des autres, des dangers naturels et des mauvais désirs propres à l'univers des adultes. Il faut leur construire un monde parfait, un monde propre, agréable, inoffensif, comme l'intérieur d'un oeuf blanc posé sur un coussin de plumes. Cette soif d'amour pour sa progéniture, obsédante, exclusive, absolue, met Jacquemort mal à l'aise. 

Il n'est pas au bout de ses surprises, car au village, le voici qui assiste à la foire aux vieux - une dégradante vente aux enchères - et à la crucifixion d'un étalon - puni pour avoir fauté - sans que la moindre parcelle d'émotion des habitants ne soit ébranlée. Enfin, il ne parvient pas à oublier l'apprenti du menuisier, mort à force de trimer et d'être maltraité, qu'Angel charge dans une caisse et qu'il abandonne au cours lent du fleuve, sans autre cérémonie... 

L'un des points forts du roman est sa rencontre avec La Gloire, ce passeur du fleuve des morts comme le définit si bien Raymond Queneau. Lorsqu'il fut au niveau de la barque, il vit l'homme s'accrocher au bord et s'efforcer d'y remonter. L'eau du ruisseau rouge passait sur ses vêtements, en perles vives, sans les mouiller. (...) C'était un homme assez âgé. Il avait un visage creusé, des yeux bleus lointains. Il était entièrement rasé et ses cheveux blancs et longs lui donnaient une expression à la fois digne et débonnaire, mais sa bouche, au repos, se marquait d'amertume. Il se lie avec lui, au-delà de ce qu'il aurait pu espérer, et devant son affirmation de vouloir rester au village, son interlocuteur le met en garde: Alors, vous serez comme les autres. vous aussi vous vivrez la conscience libre, et vous vous déchargerez sur moi du poids de votre honte. (...) Vous serez comme eux. Vous ne me parlerez plus. Vous me paierez. Et vous me jetterez vos charognes. Et votre honte.

Un éclairage sombre de cet envers de nous-mêmes - refoulé ou exalté à certaines heures - dont le jugement inflexible et cruel, peut engendrer les horreurs les plus ordinaires. Une étrange préfiguration de société familière - la nôtre - où la lâcheté, la peur et l'absence de valeurs morales dévoile parfois un visage aussi inhumain que celui de L'arrache-coeur.

Contre les pouvoirs du rêve refusant d'intégrer le monde absurde des adultes, les murs ou les grilles ne suffisent pas et Clémentine - sainte pour les uns, monstre pour les autres - saura trouver, au nom de l'amour, la parade qui empêchera ses jeunes enfants de voler en pourchassant les oiseaux: Il aperçut les trois cages. Elles s'élevaient au fond de la pièce vidée de ses meubles. Elles étaient juste assez hautes pour un homme pas très grand. Leurs épais barreaux carrés dissimulaient en partie l'intérieur, mais on y remuait. Dans chacune, on avait mis un petit lit douillet, un fauteuil et une table basse. Une lampe électrique les éclairait de l'extérieur. (...) Ca devait être merveilleux de rester tous ensemble comme ça, avec quelqu'un pour vous dorloter, dans une petite cage bien chaude et pleine d'amour.

Plutôt mal accueilli lors de sa parution, en 1953, L'arrache-coeur est pourtant un chef-d'oeuvre mêlant le langage poétique à des impressions crues ou fortes, dont la modernité est stupéfiante. Encore aujourd'hui... 

Boris Vian, L'arrache-coeur (coll. Livre de poche/LGF, 2001)

23:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/06/2011

Mary Wesley

Bloc-Notes, 16 juin / Les Saules

littérature; roman; livres 

Matilda, la cinquantaine, a soigneusement préparé son coup. Elle a arrosé une dernière fois son jardin, laissé un intérieur propre et bien rangé, réduit en cendres la correspondance qu'elle entretenait avec son mari. Maintenant que Tom n'est plus là, rien ne m'attache plus à la vie. Les enfants ne veulent pas de moi. Je me suis retrouvée seule avec mon chien, le chat et Gus. Le chien est mort, il y a quatre mois, la chatte s'est prise dans un piège et a été victime d'un empoisonnement de sang. Gus aurait pu durer encore vingt ans. Je lui ai déniché une bonne maison, tranquille, où il y a une flopée d'oies. J'ai tout prévu, tout est en ordre. Je n'ai plus rien à faire ici-bas. Je m'en vais.

Sans regrets envers sa progéniture: Louise vit à Paris, Marc à Paris, Claud aux Etats-Unis et Anabel toujours par monts et par vaux. Ils m'appellent de temps à autre. Ils n'ont pas vraiment envie de discuter avec moi, ni moi avec eux. Que pourrions-nous nous dire? (...) J'aurais aimé qu'ils se posent des questions sur nous - Tom et Matilda - mais ils ne s'intéressent qu'à eux.

Sur le pont dominant l'endroit du village où le fleuve se précipite dans la mer, elle s'apprête donc à se bourrer les poches de pierres avant de se jeter à l'eau comme Virginia Woolf, mais sur le point de tirer sa révérence en beauté, son destin est contrarié par la rencontre de Hugh sur la falaise, un trentenaire recherché par la police après avoir bousillé sa mère avec un plateau à thé. Les articulations qui craquent, la fatigue, le dentier qui bringuebale, les taches brunes, le derrière fripé: vous lui avez évité cela...

Entre notre morte en sursis et Hugh vont se nouer des liens doux-amers, prétextes à laisser craquer le vernis des apparences - même celui des souvenirs - avec un humour caustique qui, de même que dans les précédents romans de Mary Wesley, La pelouse de Camomille, Rose sainte-nitouche et Les raisons du coeur - chez le même éditeur - ouvre à des dialogues truffés d'une délicieuse malice à l'anglaise. Un des passages les plus drôles du roman met en scène le postier, pas même joli garçon, aujourd'hui marié comme tous les autres gars et qui à la vue de l'écriture de Claud, se rappelle des choses... Claud, gay dans tous les sens du terme - le préféré de Matilda - qui a chipé en son temps tous les petits amis de ces demoiselles!

Baissant peu à peu sa garde, Matilda avouera à Hugh bien des secrets gardés tout au long de ces années, dont celui d'un meurtre commis autrefois, en toute impunité: une oeuvre de salubrité publique dit-elle, envers toutes les femmes trompées, écornant l'image de son premier et unique amour, Tom. 

Outre une évocation subtile de la vieillesse, cette bonne dame indigne réglant ses comptes avec le passé, laisse s'épanouir un savoureux parfum de liberté, de tendresse et d'insoumission que même la fin de l'histoire - que je vous laisse découvrir - ne ternit pas. On prendrait bien la place de Gus, le jard: un esprit drôle, fidèle, indépendant, voué à sa maîtresse qui lui témoigne en retour une affection dont aucun humain n'aura été - sans déception aucune - l'heureux bénéficiaire...  

Dans ces colonnes - sous catégories/Mary Wesley - vous pouvez retrouver, à propos du même auteur, les notices consacrées à Rose sainte-nitouche et Les raisons du coeur.

Mary Wesley, La resquilleuse (Héloïse d'Ormesson, 2011)

03:40 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Mary Wesley | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/06/2011

Je vous écris du Vél d'Hiv

Bloc-Notes, 9 juin / Les Saules

Vel d'Hiv.jpg 

Presque 70 ans après l'épisode tragique de la rafle du Vél d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, sont exhumées et publiées dix-huit lettres de juifs arrêtés. Adressées à leurs familles, voisins ou amis, elles sont bouleversantes de simplicité, d'émotion, de désarroi: Des lettres sur papier chiffonné, griffonnées à la hâte dans le coeur noir de la rafle, nous dit Tatiana de Rosnay dans sa préface, des lettres qui sont miraculeusement parvenues à leurs destinataires, grâce à quelques mains bienveillantes, celles des infirmières, des pompiers, des passants. (...) Dix-huit lettres qui se retrouvent aujourd'hui dans ce recueil, infiniment précieuses, fragiles messages d'amour et d'espoir, d'angoisse et de doute. Lettres qui témoignent avec force, et malgré elles, d'une des pages les plus sombres de l'histoire de France

Parmi ces textes qui brûlent les mains et le coeur, cette lettre d'une amie de Paulette envoyée à la soeur de cette dernière, Nana, dispense de tout commentaire: Je te fais écrire ces mots, la police est venue nous arrêter, avec tous les juifs de la maison. On nous a enlevés, moi et mes deux enfants. Je t'écris pour te dire que nous allons être transportés au vélodrome d'hiver, je te demande d'aller chez moi, (...) de te faire donner les clefs par la concierge et tu n'as qu'à emmener tout ce qu'il y a: prends toutes mes affaires, tout ce que tu trouveras. Mon petit gars a oublié sa carte d'identité, si tu la trouves, apporte-nous cette carte au vélodrome d'hiver, dans le XVe arrondissement. C'est sur le boulevard de Grenelle, il faut descendre à la station Dupleix. Apporte-moi quelques boîtes de conserves et apporte-moi quelques jupes de rechange. Chère soeur je compte sur toi.

Ailleurs, Maurice parle à son épouse Flora de l'état de désolation dans lequel il se trouve: Parqués là pires que des bêtes, sans aucun soin d'hygiène; deux cabinets toujours occupés pour des milliers de personnes. Il faut attendre des heures son tour. Pour l'eau, c'est pareil. Si l'on ne nous sort pas d'ici le plus tôt, les gens seront tous malades. Pourtant, on s'occupe de nous. Hier, on nous a distribué du pain deux fois, du bouillon cube, même du macaroni bien cuit. Un bout de chocolat et un petit gâteau. On nous gâte...

Tous les documents présentés et retranscrits - textes, fac-similés et photographies de leurs auteurs - situent sobrement l'histoire de ces familles, ainsi que le contexte de leur arrestation par la police française. Conservées au Mémorial de la Shoah, ces lettres méritaient bien un livre. Elles sont tout ce qui nous reste, écrit encore Tatiana de Rosnay.

Enfin, quelques témoignages - un sapeur-pompier, une infirmière de la Croix Rouge, l'arrivée des enfants à Drancy - contribuent à mieux éclairer le lecteur sur un temps qui peut lui sembler si flou ou étranger: Douloureux souvenirs d'une époque qui devient lointaine. Vieux papiers jaunis, histoires d'autres temps, d'autres gens, ajoute Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah.

 Une lecture indispensable et poignante, qui laisse sans voix...

Je vous écris du Vél'd'Hiv - Les lettres retrouvées / préface de Tatiana de Rosnay (Laffont, 2011)

Image: Monument commémoratif de la rafle du Vél d'Hiv, Quai de Grenelle, Paris

00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/06/2011

Daniel Fazan

Bloc-Notes, 2 juin / Les Saules

littérature; récit; livres

Le prince Selim Djem, dans la postface au récit Vacarme d’automne, a bien saisi la personnalité de Daniel Fazan, quand il évoque un être charmant, attentif, souriant, toujours à l’écoute des autres et d’une sensibilité à fleur de peau. Pascal Vandenberghe, dans sa préface, parle d'un homme qui a pu faire de son amour des plaisirs de la vie et des autres, son métier.

Et c'est tout à fait l'image que je me suis fait de lui lors de ses émissions sur RSR La Première, Intérieurs. Quand je l'ai rencontré, rien ne m'a vraiment alerté, sinon un humour facétieux, un brin mélancolique, mais mordant comme un fruit vert de première jeunesse, un don naturel pour les pirouettes qui lui permettent de couper court, en public, à la manifestation de ses fragilités, de ses inquiétudes, de ses colères. L'expression d'une pudeur toute masculine, sans doute.

Dans son livre au contraire, il se lâche, Daniel Fazan. Avec sa difficulté parfois à vivre sur terre, son rejet des modèles - surtout ceux de son âge - et son aspiration à une tranquillité pleine de rébellion, Loulou, le narrateur de son récit, ressemble un peu à un emmerdeur qui prend sa place quand elle n'est pas offerte et la refuse quand le siège est encore chaud. Et comme il sent la vieillesse gagner du terrain, il se mue en vieille branche geignarde, mécontent de son sort, insatisfait de ce que le temps lui réserve, abîmé dans ses souvenirs qui lui semblent demeurer son unique trésor. A ce point-là?

Il est vrai que malgré la sympathie que j'éprouve pour Daniel Fazan, Loulou m'a souvent agacé, viscéralement. Non qu'il me déplaise, mais parce que ses coups de gueule décalés ou ses jérémiades à répétition me sont étrangement familiers, tout à coup, à moi qui suis à peine de deux ans plus jeune que lui... Après avoir ravalé ma salive, un peu déçu - de moi-même: je pensais avoir mieux réussi que lui! - je souris finalement, comme auprès d'un frère malicieux, à ce personnage où le tragique se mêle à la fantaisie et à la légèreté: Il me semble que je repique, comme ce lilas flétri reçu ce mai de lumière, dont j'ai entaillé les branches grises trempées dans l'eau chaude. Il relève la tête et ouvre ses grappes d'étoiles

Loulou a encore de belles années devant lui. En fait, hormis les autres qui veulent le réduire à un dinosaure, le médecin qui doit plus souvent que par le passé ajuster la bécane, il a le coeur d'un adolescent: pourfendeur de l'ennui et du renoncement, un peu à côté de la plaque dans un univers qui vire à la conformité, sans oublier la passion qui, au bout du compte, retarde en lui avec élégance le poids de l'inéluctable et le mot de la fin: Chacun m'a donné sa perception du monde, ses sensations terrestres et mystiques, confié ses entrailles mémoriales avec une confiance délicieuse. J'ai, en contrepartie, offert mon moi, à chaque fois, avec la plus grande sincérité. (...) Leurs voix sont mes Schubert, mes Mozart, elles sont les concertos où leurs instruments brillent dans la nuit humaine des destins contrariés ou pacifiés. (...) Je les entends tous vibrer et les reconnaîtrais dans la multitude des voix anonymes

La lumière, je vais la créer, elle sera mienne. Elle éclairera mon crépuscule. Lointain...

Un petit conseil cependant à Daniel Fazan qui, comme le rappelle Pascal Vandenberghe, est vieux et n'aime pas qu'on le lui dise: qu'il ne lise jamais - une rechute n'est jamais impossible - le roman de Adolfo Bioy Casares, Journal de la guerre au cochon puisqu'on y traque avec allégresse afin de les exterminer, les vieux de plus de... cinquante ans! Pauvres et vulnérables bien sûr...  

Daniel Fazan, Vacarme d'automne (Olivier Morattel, 2011)

Adolfo Bioy Casarès, Journal de la guerre au cochon (coll. Bouquins/Laffont, 2001)

23:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/05/2011

Jean-Pierre Otte

Bloc-Notes, 31 mai / Les Saules 

littérature; récit; livres

Certains auteurs, irrésistiblement, donnent envie de les connaître, pour de vrai. Jean-Pierre Otte fait partie de ceux-là. Amoureux de la vie et de tous ses bienfaits, esprit curieux intéressé par les êtres qui sont en eux-mêmes toute une histoire et ne ressemblent à personne, il nous raconte aujourd'hui une de ses belles rencontres, celle de Mehdi Mansour: un visage fascinant, de conciliation et d'ouverture (...), un de ces êtres fluides capables de se jouer de toutes les serrures.

A Lespinas, un hameau dans le Haut Quercy, en bordure du Cantal, ce dernier a créé un cercle des lecteurs - une quinzaine de personnes environ - qui se réunissent pour débattre autour de thèmes variés - la présence au monde, la philosophie, le bonheur ou l'écriture - de livres aimés, échangés, partagés - une centaine d'ouvrages à travers les siècles et mentionnés en fin de volume - conviant notre auteur dans cette oasis, un petit monde oublié du monde, une ambiance faite de quiétude, d'entrain et de camaraderie dans la proximité du feu. 

Si Jean-Pierre, Mehdi et les autres ont en commun la passion de l'écrit, le refus du piétinement et de la stagnation, c'est sous le signe de l'amitié, de mets savoureux et de vins délicats que s'opère la magie. Si vous suivez un régime, ce livre sera une torture pour vous, car au fil des lieux et des saisons, vous humerez la tarte au citron de Maylis, le tiramisu de Bella, le quatre-quarts au chocolat d'Eliane, le vin chaud à la muscade et aux bâtons de cannelle de Mehdi, les crêpes au pommes flambées au kirsch de Petite Ourse... La fête, tout simplement!

Truffé d'anecdotes sur l'histoire de ces compagnons singuliers, souvent drôles et pas conventionnels pour un sou, ce récit nous délivre aussi quelques pensées merveilleuses. Sur la philosophie: Philosopher, c'est dans une volonté d'allégresse, apprendre à vivre au mieux la vie qui nous est échue en partage quand apprendre à mourir n'est pas nécessaire, puisqu'on y réussit fort bien la première fois. Sur l'importance des livres: Certains livres sont d'une telle fertilité que lorsqu'on y plonge la tête la première, ils remplissent le vide, délivrent, détruisent insensiblement toute impression d'isolement. On se croyait séparé de tout, en rade, laissé pour compte, et on se retrouve réuni, accordé à tout, au diapason même de l'univers. C'est cela, le plaisir par excellence.

Sur l'écriture, Jean-Pierre Otte nous partage une jolie image: Si tous les livres lus sont autant d'échappées belles sur les routes du monde, écrire, c'est s'inventer des chemins vierges. Alliance spontanée de la maturité et de la jeunesse, c'est de cette dernière, à propos de l'éducation, que jaillit peut-être le plus beau passage de ce livre: Nous les avons éduquées à baptiser les rêves de noms d'oiseaux, à construire des rires avec le sable, à semer le trouble dans l'obscur, à chanter avec l'eau, à ne jamais écouter leurs parents; nous leur avons tout appris, sauf à devenir. Grandir, j'espère que ce ne sera jamais le projet de nos filles

Et si c'était cela, le bonheur?

Minna vous le dira bien mieux que moi, à la fin de Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes: Au bout du jardin de mon enfance, il y avait une rivière. Les cailloux chatoyants au fond du courant me fascinaient: leurs formes fluides, leurs formes indéfinies. Un jour, j'ai retiré des cailloux et les ai posés sur l'herbe de la berge. En séchant au soleil, ils devenaient ternes, terreux, avaient perdu leur caractère enchanté. Et pourtant, il suffisait de les rendre à la rivière, de les rentrer dans le courant pour qu'ils recouvrent instantanément leur magie...

Jean-Pierre Otte est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, parmi lesquels L'amour au jardin (coll. Libretto/Phébus, 2002), L'épopée amoureuse du papillon (Julliard, 2007) et La vie amoureuse des fleurs dont on fait les parfums (Julliard, 2009), déjà évoqué sur La scie rêveuse

Jean-Pierre Otte, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes (Julliard, 2011)

00:34 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/05/2011

Christian Bobin

Bloc-Notes, 27 mai / Les Saules  

littérature; récit; livres

Le fond bleuté des yeux des vagabonds commence à geler. L'argent serre les mâchoires. Le monde est une plaque de plâtre qui se décolle d'un mur: ce qui apparaît dessous est d'une dureté de fer. Ne resteront bientôt de tendres que les nuages, les fleurs et quelques visages de loups - de ces visages que la main manucurée de l'argent n'a pas encore nettoyés, qui gardent la parure d'une sauvagerie divine.

Ainsi s'ouvre le champ des méditations à travers lesquelles Christian Bobin, au gré de ses promenades, visites ou recueillements, laisse librement courir sa plume. A la beauté de la nature, des arts, des rencontres, il nous tend un miroir: celui de son étonnement, de la grâce de moments furtifs et inoubliables qui, chez lui, prennent tout leur sens dans une spiritualité souriante. Trop souriante, me direz-vous? Parfois, peut-être, mais qu'elle dispense de la chaleur dans cet âge du mépris, de la surdité et de l'acier!

Parmi les perles de son récit, on peut relever celle-ci: Chaque jour est une lutte avec l'ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère. Ou encore: Le rouge-gorge trouvé mort devant la porte du garage retient sous son duvet la chaleur des jours heureux. Dieu est un assassin blanc comme neige 

Enfin, les amoureux de la musique reconnaîtront en lui un frère quand il nous dit que Jean-Sébastien Bach a dans son dos une clé en or qu'il tourne plusieurs fois par jour.

Paru peu de temps après Carnet du soleil, Un assassin blanc comme neige n'est sans doute pas son meilleur livre. Pourtant, ne serait-ce que pour quelques escarbilles glanées au fil de ses rêveries, votre journée n'aura pas été vaine en son amicale compagnie...

Christian Bobin, Un assassin blanc comme neige (Gallimard, 2011) 

Christian Bobin, Carnet du soleil (Lettres vives, 2011) 

04:54 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |