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25/09/2013

Ann Beattie

Bloc-Notes, 25 septembre / Curio - Cologny

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Ann Beattie est à peu près inconnue chez nous, en Suisse ou en France. Pourtant, cette américaine née en 1947, a immédiatement attiré l'attention, au début des années 70, en publiant des nouvelles dans diverses revues, dont le prestigieux New Yorker. On l'a souvent comparée à Raymond Carver et son succès tient à sa manière personnelle d'appréhender une classe moyenne passive et déboussolée - celle de son époque - qui a perdu ses illusions, revenue de ses rêves d'un meilleur des mondes possible. A ce jour, une dizaine de recueils de nouvelles ont été édités aux Etats-Unis, ainsi que huit romans. En France, seul Promenades avec les hommes a été traduit l'année dernière, avant Nouvelles du New Yorker, que je vous recommande vivement de lire. 

Chez Anne Beattie, s'il fallait déterminer un lien récurrent à tous ses textes, c'est celui d'êtres qui connaissent - ou survivent à - l'érosion de leur couple, sans nécessairement franchir le pas, appuyés au passé qui a souvent l'apparence d'un mensonge, en proie à un inconfort ainsi que l'explique Kate à son nouveau compagnon Howard, dans That's where you will find me: J'ai l'impression d'être un oiseau dont la cage a été recouverte d'un tissu pour la nuit. Je m'apitoie sur mon sort, puis je vois mon bras comme une aile brisée, tout paraît si triste soudain que mes yeux se remplissent de larmes.

A mon âge on n'a pas nécessairement envie de connaître très bien quelqu'un. On veut juste être... en arriver au point où on est compatible, dit la mère à sa fille Ann dans Au suivant, lui annonçant son prochain mariage. Ce mal-être se retrouve de même dans Les estivants, où Tom réfléchit sur son ex-femme, Jo, qui lui manque, mais que même si elle revenait à cet instant, quelque chose manquerait encore.  

Le langage de Ann Beattie est très concret, voisin souvent de la peinture ou de la photographie . L'introspection y joue un rôle mineur, l'auteur se contentant de montrer les failles - et parfois les lueurs - de ce que son oeil perçoit, sans juger. Instantanés de vie baignés de mélancolie, de moments volés sans nécessaire conclusion, captés avec la précision d'une entomologiste pour dire la solitude profonde, l'isolement dans l'espace, les choses qui changent comme dans un puzzle et prennent une direction qui n'a pas été envisagée sous l'angle juste, les rencontres espérées, mais jamais concrétisées. Il en va ainsi de la narratrice de Entre secrets et surprises qui attend ses amis de toujours, Corinne et Lenny: Nos échanges sont souvent ternes, pourtant j'attends leurs visites avec impatience. Ils sont ma famille de substitution.

Ce désarroi est particulièrement sensible dans les personnages masculins, souvent irrésolus, faibles ou fuyant les discussions, se réfugiant dans l'alcool ou autres paradis artificiels. Emouvants, pourtant, à l'image de Drew qui va revoir son ancienne petite amie Charlotte dans Coney Island: Ils sont sortis ensemble pendant deux ans. Un monde les rapprochait. Comment les gens peuvent-ils échanger des propos futiles quand ils ont partagé un monde? Elle l'aimait réellement, et elle en a épousé un autre? Elle s'est lassée d'essayer de le convaincre qu'elle l'aimait?    

La famille - avec ses oeillères et ses fractures entre générations - est un autre thème majeur de ces nouvelles, à l'image de Cynthia dans Rêves de loups, dont les parents prédisent qu'elle ne sera heureuse nulle part, et qui, paupières closes, voit une haute montagne dont elle découvre le sommet enneigé, glacial - haut, immaculé, pas un arbre - et frissonne de froid

Parmi les seize nouvelles de ce recueil, il en est deux particulièrement réussies: La première, La maison de Marie, nous raconte l'histoire de Marie vue par son compagnon qui réalise ses erreurs, son égoïsme, ses rentrées tardives, ses pertes d'argent au jeu et peine à comprendre pourquoi leur couple vole en éclats: Je n'ai jamais quitté ma femme (...) La plupart du temps, nous nous efforçons d'être joyeux. Or, tandis que Marie prépare une réception - qui, croit-il va sceller leur réconciliation - et qu'il attend les invités, il voit Marie descendre l'escalier et lui lancer: Il n'y a pas de réception, dit-elle. Je souhaite que tu comprennes ce que c'est d'avoir préparé de la nourriture - même si ce n'est pas toi qui a préparé la cuisine - et d'attendre ensuite. D'attendre encore et encore. Peut-être qu'alors tu comprendras ce que c'est

Quant à la seconde de ces nouvelles, Le terrier de lapin - une explication plausible, elle rassemble à elle seule, dans toute sa complexité, l'ensemble des thèmes chers à Ann Beattie: Une mère qui a des absences et perd un peu la tête, entre impuissance et rage; une fille - la narratrice - revenue dans ce village de Virginie pour s'occuper d'elle; un fils, Tim, sur le point de se remarier, en retrait sur cette grave situation familiale; et, en point de mire, une intégration en milieu hospitalier au long cours. Plus chaleureuse et compatissante qu'en d'autres textes, Ann Beattie y développe en contrepoint un humour doux-amer. Vic et moi avons pensé à nous marier, dit la narratrice, mais j'avais beaucoup de difficultés à m'occuper de ma mère, et je ne pouvais jamais lui accorder assez d'attention. Lorsque nous avons rompu, Vic a consacré tout son temps au chien de sa secrétaire, Banderas. Je pense que s'il a pleuré, c'était quand il allait au parc canin. 

A cette douleur répond celle de la mère, confiant à sa fille: Peut-être que toutes ces années où nous avons été une famille t'ont paru être une longue fête de Halloween: nous étions costumés en enfants, et ensuite nos déguisements sont devenus trop petits pour nous, car nous avions atteint l'âge adulte. Une éclaircie toutefois, quand celle qui nous raconte cette histoire s'adresse à Vic: Pourquoi penses-tu que ça pourrait marcher? Nous n'avons jamais été bien assortis. J'ai plus de cinquante ans. Ce serait mon troisième mariage, et qu'il lui répond: Allons-y doucement, alors. Tu pourrais m'inviter à t'accompagner le soir de Thanksgiving

Une succession de mises en perpective dans laquelle bon nombre de lecteurs, au-delà des années 70, sauront se reconnaître, au rythme des chansons qui accompagnent les récits de Ann Beattie: In my solitude et Gloomy Sunday de Billie Holiday ainsi que That's where you'll find me de Judy Garland.

Sur La scie rêveuse - dans Morceaux choisis - vous pouvez retrouver un extrait de l'une de ces épatantes nouvelles: Sur une colline du Vermont. Bien du plaisir à tous!

Ann Beattie, Nouvelles du New Yorker (Bourgois, 2013)

Ann Beattie, Promenades avec les hommes (Bourgois, 2012)

traduits par Anne Rabinovitch

 

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19:30 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; nouvelles; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/09/2013

Lyonel Trouillot

Bloc-Notes, 20 septembre / Curio - Cologny

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Parmi les quelques 555 nouveautés de la rentrée littéraire, ce roman de Lyonel Trouillot, Parabole du failli, est sans doute l'un des plus réussis. Des plus bouleversants aussi.

En introduction à son roman, l'auteur nous prévient: Le 12 novembre 1997, le comédien haïtien Karl Marcel Cassèus décédait à Paris dans des circonstances tragiques. Si on peut trouver des ressemblances entre lui et le personnage principal de ce livre, cette oeuvre de fiction ne raconte pas sa vie. Ni sa mort. Car Lyonel Trouillot veut nous raconter bien d'autres choses que le simple plongeon de Pedro - la figure centrale de son livre - qui s'est jeté d'un immeuble de douze étages, à l'étranger, loin de chez lui.

C'est, à la première lecture, l'histoire d'une amitié qui a soudé trois fêlés de la vie: Pedro, le poète et comédien, venu d'une famille aisée rejoindre ses compagnons moins bien lotis que lui dans le quartier pourri de Saint-Antoine - il dit préférer la musique des rues aux vestibules des palais des rois -, seul avec ses manques au bout du compte, alors qu'il rêvait de changer le monde, les yeux plein de pays et funambule des mots - ceux des autres: Baudelaire, Musset, Hikmet, Aragon, Ferré, Trenet ou encore Charles Dumont -, trop libre pour être heureux, le coeur trop grand pour des amours qui l'ont rendu triste; l'Estropié - surnommé ainsi parce que boiteux à la suite des mauvais traitements de son père, le Méchant - qui par ses prédispositions a pu fuir la misère et devenir enseignant; le narrateur enfin, héritier d'un deux-pièces partagé avec ses amis, à la mort de ses parents fauchés par un camion, et à qui, modeste rédacteur nécrologique dans un journal, est confiée la tâche de rédiger un papier sur le défunt Pedro.

Il faut ajouter à ce trio Madame Armand, prêteuse sur gages, aujourd'hui impitoyable en affaires, n'aimant plus les gens - elle avait adoré les contes de fées avant d'étrangler son Armand, dit-on, un minable au cadavre jamais retrouvé - dont le seul plaisir est de jouer aux cartes avec sa femme de ménage, et parfois avec Pedro qui lui rend visite - avec ou sans ses amis - et lui confiant ses écrits personnels, Parabole du failli, dont la restitution au narrateur constitue un des passages les plus émouvants du livre: Il fallait chercher pour la voir, traverser le mur du visage, repérer les yeux perdus, enfoncés, trop petits pour cette grosse tête de masque de carnaval à effrayer les enfants les plus téméraires, aller jusqu'au fond, sous le blanc, dans un coin, pour y reconnaître un petit point d'argent. Une presque larme qui n'osait pas couler, avait honte de sa fragilité, immobile, suspendue, incapable de bouger ni de disparaître

Chacun des personnages de ce roman, a connu son poids d'irrémédiables blessures, de rêves, de rencontres chaleureuses, de désillusions, incarnant tour à tour un des visages de Port-au-Prince, tableau de grands coeurs aux petits destins, de la grisaille et de la pauvreté, mais aussi chant d'amour envers cette terre, pour ses odeurs et couleurs après la pluie.  

De belles images jalonnent ce livre, telles: Tu disais qu'il faut parler aux hommes comme dans le dos du vent, en retard de vitesse, ou Un homme qui tombe de si haut est une défaite sans visage. Un récit épique qui ressemble à un fleuve généreux, servi par un style poétique, flamboyant, où se mêlent le drame, l'innocence et l'ironie.

Avec Parabole du failli, Lyonel Trouillot signe un chef-d'oeuvre, à la fois intimiste et engagé: hommage à un pays, ainsi qu'aux poètes du monde entier, qui adoucissent les brûlures, atténuent les différences et rapprochent les êtres les uns des autres. 

A Pedro, le mot de la fin, avec ce titre, Prophétie: Hommes de malfaisance et de mauvais augures, hommes de lassitude et de désespérance, regardez! Apprenez comme moi à suivre son passage à la distance de son choix. Et, ouverts à l'amour, le regard clair enfin, vous lirez dans ses yeux vos devoirs de merveilles, vous suivrez dans ses mains lignes de chances pour nous tous. Et revenus de vos faiblesses et anciennes frayeurs, vous direz: pardon à toute vie, nous nous étions trompés, nous avons mal aimé.

Sur La scie rêveuse ont été présentés deux extraits de ce texte, dans Morceaux choisis et La citation du jour.

Lyonel Trouillot, né en 1956 à Port-au-Prince, est l'auteur - parmi d'autres ouvrages: une vingtaine! - de Les fous de Saint-Antoine (Deschamps, 1989), Rue des pas perdus (Actes Sud, 1998), L'amour avant que j'oublie (Actes Sud, 2007), Eloge de la contemplation (Riveneuve, 2009), Vanvalou pour Charlie (Actes Sud, 2009),La belle amour humaine (Actes Sud, 2011) et Le doux parfum des temps à venir (Actes Sud, 2013).

Lyonel Trouillot, Parabole du failli (Actes Sud, 2013)

01:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/09/2013

Isabelle Stibbe

Bloc-Notes, 8 septembre / Curio - Cologny

littérature; roman; livres

1934. Bérénice, adolescente juive, entre au Conservatoire contre la volonté familiale. La jeune fille, au prénom prédestiné, entame sa formation théâtrale dans la classe de Louis Jouvet. Sa vie est désormais rythmée par l’apprentissage des plus grands rôles du répertoire; elle croise Jean Gabin, Jacques Copeau, Jean-Louis Barrault… Admise à la Comédie-Française, Bérénice de Lignières devient une comédienne de renom. La montée du fascisme en Europe, les tensions politiques en France, les rivalités professionnelles, les intrigues amoureuses, rien n’entache le bonheur de Bérénice. Mais au tout début de l’Occupation, avant même la promulgation des lois raciales, la maison de Molière exclut les Juifs de sa troupe. La brillante sociétaire, qui avait dissimulé ses origines, est alors rattrapée par son passé. Sous les ors et les velours de la Comédie-Française, au cœur du Paris de l’Occupation, vont se jouer les actes d’un drame inédit: celui d’une actrice célèbre prise au piège d’une impitoyable réalité. Une trajectoire captivante de femme et d’artiste qui rend justice, à sa façon, aux destins brisés par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale...

Une bien heureuse surprise que ce premier roman dont le titre, à lui seul, Bérénice 34-44, résume bien le destin tragique de Bérénice de Lignières, une rebelle face aux siens, puis aux règles érigées par le pouvoir en place de cette triste époque. Au nom de quoi donc? De l'art et du théâtre en particulier ici, défi permanent à la folie des hommes et arme indispensable capable d'exalter la vie: sa beauté, son sens, sa raison d'être, même si le bruit des bottes est tout proche. Jusqu'à quel point? Isabelle Stibbe restitue avec beaucoup de finesse, dans ce contexte historique précis, la confrontation inévitable entre la culture qui revendique sa liberté d'expression et la barbarie qui l'étouffe. Ainsi le camp choisi par son héroïne, prolongeant sa passion et ses convictions, quelles qu'en soient les conséquences sur sa destinée.

A ce portrait bouleversant - parachevé avec soin par ceux de Alain Baron et de Nathan Adelman, ses proches - il faut ajouter qu'on ne boude pas le plaisir de pénétrer en compagnie de Isabelle Stibbe dans les coulisses de la Comédie-Française, dont elle maîtrise parfaitement le sujet, ayant été responsable de ses publications, avant de rejoindre le Grand Palais, puis en qualité de secrétaire générale, l'Athénée Théâtre Louis Jouvet.

Malgré la gravité du sujet - si souvent abordé en littérature - l'auteur évite avec sa sensibilité délicate les clichés et les accents mélodramatiques. Tout au contraire, son récit est pudique, passionné, généreux, et nous fait chavirer - d'exultation en tristesse - du premier mot au dernier avec un incomparable bonheur.

Bérénice, ma femme de musique, j'arrête d'attendre. Un cargo part dans deux mois pour l'Amérique. C'est largement le temps que tu reçoives cette lettre et que tu fasses le voyage pour me rejoindre. Un mot de toi et nous partirons ensemble comme nous aurions dû le faire dès le début. Après il sera trop tard... (...) Nous ferons le trajet plein d'espoir comme les pionniers des temps passés. La statue de la Liberté nous ouvrira généreusement ses bras. L'apercevoir du bateau fera couler nos larmes de joie. Nous habiterons New York ou Los Angeles, nous fréquenterons les artistes qui ont déjà gagné l'Amérique: Darius Milhaud, Lion Feuchtwanger, Pierre Monteux, Otto Klemperer, Bruno Walter. Nous reconstituerons le Paris que nous aimons, celui d'avant la guerre où chaque café était la promesse de rencontrer un frère, où l'on pouvait partager entre artistes un beau soleil, une idée poétique au lieu de parler restrictions, bombardements et abris...

Un grand roman, un vrai!

Isabelle Stibbe, Bérénice 34-44 (Serge Safran, 2013)

18:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/07/2013

Ramon Gomez de la Serna

Bloc-Notes, 27 juillet / Les Saules

littérature; pensées; livres

Je vous ai déjà présenté dans ces colonnes Ramon Gomez de la Serna, en deux extraits - voir Morceaux choisis - tirés de ses Lettres aux hirondelles et à moi-même. Aujourd'hui, avec autant de plaisir, je vous propose Greguerias de ce même auteur, dont la démarche singulière mérite que je cite l'introduction: Dans l'immense production littéraire de Ramon Gomez de la Serna, la "gregueria" est un genre qu'il n'a cessé de cultiver. De 1910 à 1962, les "greguerias" seront publiées dans la presse, citées dans d'autres livres, maintes fois réunies, inédites pour certaines; elles sont de véritables petits chefs-d'oeuvre, des notations délicates, de purs joyaux ciselés dans le laboratoire génial de l'auteur. La "gregueria" est née vers 1910, explique-t-il, un jour de fatigue et de scepticisme où je pris tous les ingrédients qui se trouvaient dans mon laboratoire, flacon après flacon, et les mélangeai. De leur précipité, de leur dissolution radicale, surgit la "gregueria", qui est humour, métaphore ou encore l'urne de mes cendres quotidiennes, un oeillet sur le mur.

Ci-dessous, voici donc, parmi plusieurs centaines d'autres, quelques perles de ces Greguerias:

La lune est un petit miroir impertinent avec lequel la voisine facétieuse renvoie le soleil dans les yeux de son voisin accoudé au balcon. (p. 15)
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Lorsqu'une étoile tombe, on dirait que le ciel a filé ses bas. (p. 20)
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Les bancs publics sont les portées musicales des initiales de l'amour. (p. 22) 
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L'hirondelle est une flèche mystique à la recherche d'un coeur. (p.23)
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La chenille est le plus petit chemin de fer du monde. (p. 24)
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Qu'est-ce qu'une illusion? Un soupir de la fantaisie. (p.24)
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La vie, c'est se dire adieu dans un miroir. (p. 34)
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Les feuilles mortes sont les billets de loterie offerts par l'automne. (p. 38)
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L'horloge est le médaillon du temps. (p. 44)
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L'eau n'a pas de mémoire, c'est pour cela qu'elle est si propre. (p. 50)
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L'arc-en-ciel est l'écharpe du ciel. (p. 50)
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La girafe est un périscope pour scruter l'horizon du désert. (p. 50)
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Grâce aux gouttes de rosée, la fleur a des yeux pour voir la beauté du ciel. (p. 51)
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Les grêlons sont des grains de riz lancés pour célébrer les noces de l'été. (p. 53)
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L'ennui est un baiser donné à la mort. (p. 54)
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Il ne faut pas dire la vérité toute nue. Il faut au moins la couvrir d'un voile léger. (p. 58)
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Le rêve est un dépôt d'objets perdus. (p. 67)
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L'archet du violon a les cheveux blancs de l'expérience. (p. 68)
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La queue de l'écureuil est un plumeau avec lequel il nettoie l'endroit où il s'assied. (p. 69)
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C'est dans la vague que se trouve le miroir des abîmes. (p. 72)
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Le hibou est la lampe de chevet du bois. (p. 74)
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La plus élégante du bal s'était fait une robe dans cette dentelle que tisse sur le sol l'ombre des arbres. (p. 74)
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L'éléphant est la gigantesque théière de la forêt. (p. 75)
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La mer passe son temps à doucher la terre pour essayer de lui faire entendre raison. (p. 80)
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L'hélice est le trèfle de la vitesse. (p. 82)
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Lorsque le marteau perd la tête, les clous éclatent de rire. (p. 82)
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Au petit matin, l'aube glisse une pièce dans la cage de l'oiseau pour qu'il commence à chanter. (p. 84)
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La femme qui dans son mouchoir se taille un chemisier est d'une grande frivolité. (p. 89)
*
L'ombre est le vivant écrin de la silhouette. (p. 98)
*
Les touches noires du piano portent le deuil des pianistes disparus. (p. 127)
*
Les chardons sont les croque-mitaines des marguerites. (p. 146)
*
Il est des femmes qui croient que la seule chose importante chez elles est ce rien d'ombre qui ourle leur décolleté. (p. 148) 

Des pirouettes qui font la part belle à l'imagination, à la poésie, à l'humour, servies par le regard pénétrant et tout en finesse de Ramon Gomez de la Serna, qui ne ressemble à celui de personne...

Ramon Gomez de la Serna, Greguerias (Cent Pages, 2005)

traduit de l'espagnol par Jean-François Carcelen et Georges Tyras

préface de Valery Larbaud

Ramon Gomez de la Serna, Lettres aux hirondelles et à moi-même (André Dimanche, 2006)

traduit de l'espagnol par Jacques Ancet

04:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature espagnole, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; pensées; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/07/2013

Françoise Baqué

Bloc-Notes, 15 juillet / Curio - Les Saules

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Arthur Vergobret, gardien prédestiné du château de Varendes, est convié par la mairie du lieu à assurer la visite culturelle de ce domaine à un groupe de non-voyants composé d'hommes, de femmes et d'enfants, tous munis d'appareils photo, certains arborant des lunettes noires, d'autres n'offrant au regard que leurs yeux semblables à des oeufs écalés. Ils ne peuvent voir, mais sont-ils capables d'entendre? Ainsi commence le nouveau roman de Françoise Baqué, Ce fanal obscur.

La tentation est grande de classer d'emblée ce texte parmi les écrits fantastiques ou gothiques, à l'image de ce rescapé du temps des cendres, espérant le retour du paradis perdu, conscient d'être sans doute le dernier homme sur terre encore capable de penser et d'évoquer le désastre qui a balayé les hommes. Mais on aurait tort de réduire Ce fanal obscur à cette unique dimension plutôt tendance, car le livre de Françoise Baqué ouvre sur bien d'autres perspectives. Ainsi la mémoire des objets et des vieux livres en particulier: Dans les livres, nous étions chez nous, dit Arthur Vergobret, soucieux de préserver ces trésors à l'âge du numérique: Regardez-les. Ils enferment côte à côte les rêves d'un individu, les regrets d'un autre, la description qu'un tel fit de tel fragment du monde visible ou invisible, les idées que tel autre conçut d'un fragment à peine plus grand et qu'il prenait pour le tout. Ils sont serrés les uns contre les autres, leurs odeurs se mêlent, mais bien qu'ils soient remplis de mots ils n'en échangent pas un seul.  

Les livres sont au coeur de ce monologue surgi de la nuit des temps, témoins d'un monde où, dirait-on, Arthur Vergobret n'a su trouver sa place: Les livres dessinaient dans mon esprit les contours d'un autre monde qui sans doute, plein de fureurs, de sang, de joies fugitives et de malheurs inimaginables de notre temps, n'était pas plus enviable mais me paraissait au moins plus intéressant. Nostalgique de tout ce qui est voué à la disparition, scrutant les brumes du passé et retiré de cet univers dans lequel il se sent étranger, le voici qui observe: Oui, le vide a un poids, il est très lourd, écrasant même. A quoi rime la mesure d'un temps qui ne va nulle part, verdoiement posthume d'une tige coupée?

Maintenant le monde se tait. Il ne m'envoie plus de signaux d'aucune sorte. Ce n'est pas le silence, oh non, les animaux font beaucoup de bruit, le vent et la pluie aussi, et vous ne sauriez croire combien les végétaux eux-mêmes sont sonores, la nuit je les entends pousser, craquer, se donner l'assaut dans leurs luttes impitoyables; et la terre, et les pierres, l'eau et le sable du fleuve ne cessent de bruire. Mais de tous ces sons, aucun ne m'est destiné, dit encore Arthur Vergobret.

Si les passages consacrés à l'histoire du château de Varendes souffrent de longueurs ou de répétitions, il n'en demeure pas moins que le roman de Françoise Baqué nous interpelle: Nous avons peu à peu échangé tous nos pouvoirs spirituels contre une puissance matérielle. L'humain volant grâce aux engins qu'il a fabriqués ne sera jamais l'égal de l'oiseau, en revanche il a abdiqué ce qui le rendait supérieur à l'oiseau: le vol sans limites de l'esprit.

Sans épouser la mélancolie du gardien de ce château, prisonnier du passé et désillusionné devant l'avenir, prenons Ce fanal bleu - un dernier inventaire avant liquidation - qui baigne dans une atmosphère à la Henry James, comme un phare dans la nuit qui voudrait murmurer aux uns: prends garde! et aux autres: la commedia è finita! 

Ce fanal m'attire, je marche vers lui, mais à mon approche sa lumière se voile étrangement. Non qu'elle faiblisse, mais la source en devient noire, et au lieu d'éclairer les alentours il y jette, comme un rire, de grands éclats de ténèbres...

Agrégée de lettres et traductrice, Françoise Baqué a publié L'intérieur du désert (Seuil, 1968), Exister le moins possible (Jacqueline Chambon, 2007) et Celle qui détricotait sa vie (chez le même éditeur, 2009). Ce dernier titre a déjà été présenté dans ces colonnes.

Françoise Baqué, Ce fanal obscur (Jacqueline Chambon, 2013)

09:47 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/07/2013

Bel Paese 1a

Bloc-Notes, 12 juillet / Curio - Cologny

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Si vous ne voulez pas égratiner vos plus beaux souvenirs de l'Italie - du Pont des soupirs à Venise à la Via Veneto de Rome, bercé par le chant populaire O Sole Mio ou la musique du film Le Parrain signée Nino Rota - peut-être que ce livre, Bel Paese, qui présente treize auteurs italiens actuels, n'est pas pour vous, car cette anthologie se veut être l'expression d'une génération contestataire, comme le souligne très bien Serge Quadruppani dans son introduction: Tous nous permettent de vérifier qu'en temps de catastrophe, sous des régimes où la culture officielle est entièrement soumise aux forces de l'argent ou prise dans le carcan d'une idéologie, la création en général et la littérature en particulier peuvent incarner une des formes d'opposition réelle et porteuse d'avenir. Des livres peuvent aujourd'hui encore contribuer à résister aux agressions de la vieille société et peut-être contribuer à la changer. Cette Italie-là est bien l'avenir qu'on peut souhaiter au monde.

Tour à tour drôle ou tragique, empruntant la voie de la nouvelle, du conte ou du document, l'ensemble de ces textes est à même de délivrer un message aux italiens, mais aussi aux touristes et aux fervents de littérature. Reflet de la déstabilisation de l'individu dans un ordre du monde qui change, Des gens perdus de Gioacchino Criaco exprime au mieux ce malaise de la société, par la voix de Ciccio Tucci, rattaché au ROS, le service des opérations spéciales: Jusqu'à il y a quelques années, je t'aurais dit que nous avions fait le bon choix. Que nous avons été du bon côté de la barricade. Aujourd'hui, je regarde autour de nous et je ne distingue plus le bien du mal. Malgré nos sacrifices, d'ici peu, nous serons considérés comme de sales canailles. Le monde a pris un tour bizarre ces derniers temps. On nous a donné cet Etat et nous, nous l'avons conservé, s'ils en avaient construit un meilleur, nous l'aurions fait plus volontiers, en nous évitant peut-être le dégoût.

Francesco De Filippo, pour sa part - auteur d'un roman âpre et dur, L'offense - sur fond de misère sociale, d'exploitation des immigrés et de mafias, nous raconte avec Ordures, le scandale des déchets à Pianura, un quartier de Naples. Le monologue grinçant de Totore, un marin qui répond à un journaliste de la RAI, se joue délibérément des clichés attribués aux italiens pour mieux asséner ses quatre vérités, contre ceux qui ont débarqué, ne se contentaient pas de prendre les maisons, les commerces et la terre, mais voulaient tout. Parce que les ordures, c'est une richesse! Cette nouvelle particulièrement réussie, ressemble à un documentaire décrivant méticuleusement les mécanismes du pouvoir, et donne la parole aux victimes anonymes, broyées dans un système offrant peu de perspectives d'espoir: On s'en est même pas aperçus, et on est devenus africains, on a glissé vers le Sud, alors qu'on pensait être immobiles. Y'a rien d'autre à gagner de cette vie: nous sommes Gaza et nous sommes Kochogoro. On meurt comme les thons, enfermés dans la dernière cage, l'air nous manque. Aidez-nous, aidez les gens de bien, passqu'ici, on vit plus...

Cette anthologie fait aussi la part belle à la légèreté, avec un conte de Michele Serio, Noël Trans, où la créature d'un artisan, Geppino Capece, construite avec un tas de terreau trouvé juste à côté de l'entrée de la chapelle de San Severo - et qu'il affuble du nom de Gros Nez - prend vie. Très beau, à la fois homme et femme, il interpelle sans distinction les passants, hommes, femmes, vieux, gamins: Tu veux faire l'amour avec moi? Et voilà qu'il devient rapidement l'amour de tous... Sauf que soudain, de nombreux habitants de cette ville des Pouilles déambulent voilés, en raison d'une brusque proéminence nasale! Une sympathique allégorie sur la beauté, la différence, l'hypocrisie et la vérité.

Enfin, dans ce recueil, vous trouverez quelques textes purement documentaires, tels celui de Giancarlo De Cataldo, L'anti-Italien, consacré à Giuseppe Mazzini, révolutionnaire et patriote, fervent républicain et combattant pour la réalisation de l'unité italienne. Quant à Andrea Camilleri, avec Qu'est-ce qu'un italien?, il s'interroge sur le fascisme et dresse un portrait peu flatteur de l'italien, ayant davantage le sens de l'historiette que celui de l'histoire, plus ignorant aujourd'hui que par le passé, soucieux de choisir soigneusement - en politique, par exemple - sur quel char triomphal sauter à la dernière minute en fonction de de ce qui lui revient en poche. Un peu excessif, tout de même... En revanche, il insiste à juste titre sur un aspect essentiel de la conscience italienne: La méfiance envers la Justice est totale, fondée sur la conviction répandue qu'elle est un instrument des riches.

Le dernier mot revient à Momodou, le héros malheureux de Wu Ming, victime d'une bavure policière: Il se plaignait: le froid, la brume, les journées toutes pareilles. Et la solitude, surtout ça. J'ai pas beaucoup d'occasions de parler avec quelqu'un, disait-il. Le soir, je suis épuisé. Une fois, je suis rentré tard, et j'ai dû rentrer à pied, je suis arrivé en pleine nuit et, à six heures, j'étais déjà à l'usine. Demander qu'on m'emmène, inutile d'essayer: si t'es noir, la seule voiture qui s'arrête, elle a un gyrophare sur le toit. Quelquefois, je vais dans les pubs au village, je bois une orangeade ou un jus de fruits assis au comptoir, mais personne ne m'adresse la parole...

Un pays somme toute semblable au nôtre, et pourtant unique au monde!  

Bel Paese - Introduction, sélection et traduction de Serge Quadruppani (Métailié, 2013)

images: Gioacchino Criaco, Giancarlo De Cataldo, Francesco De Filippo, Michele Serio, Andrea Camilleri

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10/07/2013

Luigi Carletti

Bloc-Notes, 10 juillet / Curio - Cologny

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En Italie - contrairement à la France - le calcio est à bien des égards une radiographie de la société contemporaine, comme le démontre avec beaucoup d'habileté et d'originalité Luigi Carletti avec Six femmes au foot. Toute l'action de ce roman se déroule en une journée, au stade Giuseppe-Meazza - ou San Siro, si vous préférez - lors du derby opposant l'Inter Milan au Milan AC, avec à la clef un possible titre de champion d'Italie à l'issue de la partie. Tout autour de l'arène, la foule aspire au combat et invoque ses héros: Kakà et Materazzi, Balotelli et Seedorf. Si elle le pouvait elle déboulerait des gradins pour les étreindre, les embrasser et s'imprégner de leur sueur. Dans deux heures tout sera terminé. Mais maintenant, des hommes se dressent contre d'autres hommes. Des hommes aux visages transfigurés, prêts à sacrifier toute idée de dignité. Et puis des femmes. Nombreuses. La plupart ne font qu'escorter leurs compagnons, par devoir dominical. D'autres sont ici en habituées, par passion. Mais certaines d'entre elles ne sont pas venues pour voir le match.

Six femmes que tout sépare vont être ainsi, malgré elles, les marionnettes d'un destin qui, le temps d'une fête sportive, les conduira à se rencontrer: pour le meilleur ou pour le pire? Il y a Letizia qui cache un Beretta sous la veste de son tailleur et un Glock 26 à sa cheville droite; Guendalina, belle comme une sainte ou une madone avec ses longs cils et ses lèvres pleines; Annarosa, qui accompagne son mari pour comprendre la crise que traverse leur couple; Lola, la meilleure et la plus belle reporter à la radio, brésilienne de surcroît; Renata, une handicapée en fauteuil roulant qui espère un miracle nommé Materazzi; Gemma enfin, qui parle à son défunt mari, immergée dans ce fleuve humain.

Chacun de ces protagonistes cache soigneusement une part d'ombre qui, le moment venu, rendra le paysage méconnaissable et ceux qui s'y fondent, à tout jamais. Sans vous raconter toute l'histoire - ce serait vraiment dommage - sachez que si ce roman conduit comme un bolide s'apparente à un polar dont la progression dramatique est remarquablement construite, Luigi Carletti y mêle d'autres visages de la réalité italienne, ainsi qu'il l'a fait dans Prison avec piscine: la frontière incertaine entre le bien et le mal, le handicap, l'immigration et la clandestinité, le racisme ordinaire, la volonté d'être autre. Le monde dans lequel nous vivons n'est qu'une vaste foire aux apparences. Chacun de nous, au fond, aimerait passer pour quelqu'un d'autre. C'est un mécanisme naturel, même les plantes et les animaux y obéissent. En général, on le fait pour améliorer son existence. Parfois, c'est une question de survie.

Luigi Carletti pointe aussi du doigt les politiques, évoquant au-delà du rêve multiculturel qui se matérialise sur le terrain, une déshumination qui expose ses dérives identitaires: Si ces nègres et autres crève-la-faim nous envahissent, les coupables sont une bande d'hypocrites qui veulent avoir l'air ouvert et démocrate et leur ont fait croire qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent chez nous! dit Renata, autrefois renversée par deux nigérians exploités par des mafieux. 

Toujours aussi proche des marginaux, des écorchés et des exclus, l'auteur nous parle aussi d'une femme disparue en mer, partie avec son rêve dans le ventre, morte là où deux mers se rejoignent en séparant deux mondes et deux idées du monde

Toute la douleur méditerranéenne prend ainsi, imperceptiblement, le pas sur l'intrigue proprement dite et s'achève tel un conte, semblable à une mer soudain lavée de son sang et qui perpétue l'illusion que malgré la foudre bleue, rien n'a vraiment changé.

Certains signes ont un sens. Ils en ont presque toujours un... 

Luigi Carletti, Six femmes au foot (Liana Levi, 2013)

Luigi Carletti, Prison avec piscine (Liana Levi, 2012)

image: Marco Materazzi (spaziointer.it)

31/05/2013

Carjo Mouanda 1a

Bloc-Notes, 31 mai / Les Saules

littérature; poésie; livres

Sans Abbassia Naïmi - à qui, outre ses propres oeuvres, nous devons déjà deux belles anthologies de poètes d'aujourd'hui:  Le chant des larmes en 2010 et Les cygnes de l'aube en 2011 - Carjo Mouanda demeurerait pour nous un parfait inconnu, et ce serait bien dommage. Né en 1980 à Pointe-Noire, capitale économique du Congo où il fit ses études secondaires, il a, parallèlement à ses activités, poursuivi ses études universitaires au Sénégal, où il réside aujourd'hui.

Après avoir publié en 2007 un premier recueil de poèmes, Couleur douloureuse, voici qu'il nous en offre un nouveau intitulé Cri de douleurs. Un ensemble de textes militants, qui, au-delà d'un constat d'échec sur les rêves et les mensonges des politiques en Afrique - entre autres - exhorte son pays, le Congo tout particulièrement, à se réveiller, à refuser la médiocrité et prendre un nouveau départ. Indigné par le retard pris par sa terre natale, il décoche des flèches acérées contre ce peuple refroidi, passif, oublieux de sa culture et de ses racines dans le sang: La nuit raconte que les veilleurs de paix sont devenus des voleurs de paix...

Pourtant, sa voix ne se borne pas à dénoncer, à fustiger ou s'abandonner au désespoir. Tournée vers les sans-nom qui peuplent le Congo, elle sait demeurer humaine, patiente malgré l'épuisement des attentes déçues, malgré la corruption organisée, et exalte contre vents et marées sa marche vers la vie. Coeur de poète en exil, Carjo Mouanda ne cède pas à la facilité littéraire qui souvent, à force de mots outranciers ou surabondants, annihilent paradoxalement l'impact des écrits poétiques. Rien de tel chez lui: une écriture sobre, concrète, naturelle pour dire, entre ces pages versatiles de l'histoire, la solitude du poète, la liberté baîllonnée, le refus dêtre confondu aux fantômes ou aux traîtres:

Le moment venu
Je vous dirai merci!
(...)
J'aurai la force de mes mains
La paix dans mon coeur
La terre, surtout la patrie
Est pour nous tous.

 Et plus loin:

O ma force
O mon amour
Rebâtissez ma case
Reconstruisez mon village
Je suis moi
Je suis L'Afrique

Puisse son cri de douleur et de combat être entendu... 

Carjo Mouanda, Cri de douleurs (Lire et Méditer, 2013)

préface de Abbassia Naïmi

Carjo Mouanda, Couleur douloureuse (Le Manuscrit, 2007)

pour mieux connaître Carjo Mouanda: http://carjo-mouanda.skyrock.com

pour commander son dernier livre:  http://http://www.lireetmediter.fr

16:43 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/04/2013

La discothèque idéale

Bloc-Notes, 20 avril / Les Saules

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Il en est des discothèques idéales comme des anthologies de poésie: Aucune d'entre elles n'est une référence absolue, tant le choix peut s'avérer - heureusement - subjectif, personnel. Bertrand Dermoncourt et les autres contributeurs à cette nouvelle tentative, ne s'y trompent pas: Une fois la porte d'entrée franchie, c'est à vous de faire le chemin!

Pour le public qui avoue mal connaître certaines oeuvres ou pas du tout les compositeurs autres que les grands noms du répertoire, il trouvera une base dans cette tour de Babel de la musique classique, afin d'y bâtir ses propres fondations, selon les auteurs. On pourra regretter le parti pris de renoncer au mono ou live, privilégiant ainsi la qualité sonore ou technique des enregistrements proposés, au détriment de l'émotion qui peut nous gagner - malgré les imperfections - à l'écoute de certaines versions dites historiques.

Les enregistrements proposés sont généralement d'excellentes sélections, mais - comme dit plus haut - reflètent le choix des critiques de la revue Classica. Il n'est pas indispensable de partager leur avis! Parmi les heureuses surprises, je retrouve Chiara BanchiniRachel Podger, Christophe Rousset, Pierre Hantaï et Christian Zacharias, de même que les Ensembles Sequentia, Musica Nova, A Sei Voci et Concerto Köln, selon les oeuvres présentées. En revanche, je m'étonne de la présence excessive de Gustav Leonhardt ou Scott Ross - pas les meilleurs clavecinistes à ce jour - ainsi que de Anne-Sophie Mutter - même remarque en ce qui concerne le violon - mais à vous de chercher, de découvrir sans préjugés et guidés par vos propres frissons, les oeuvres qui sauront vous émouvoir à tout jamais.

Et si La discothèque idéale de la musique classique - plutôt sommaire - sous la direction de Bertrand Dermoncourt, peut y contribuer, j'en serai le premier ravi! Alors, chemin faisant, comme tant d'autres mélomanes, vous dénicherez à votre tour de nouveaux talents, plutôt rares dans cette présentation. Et c'est bien dommage... 

La discothèque idéale de la musique classique, sous la direction de Bertrand Dermoncourt (coll. Classica/Actes Sud, 2013)

image: Ensemble Sequentia (sequentia.org)

18:33 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Chiara Banchini, Littérature francophone, Musique classique, Rachel Podger | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/04/2013

Petite bibliothèque de poésie 1a

Bloc-Notes, 7 avril / Les Saules

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pour Marie-Louise A

Les anthologies poétiques abondent dans la production littéraire. Aux incontournables, disponibles en librairie - Georges Pompidou, André Gide, Philippe Jaccottet, ou Pierre Seghers - se sont ajoutées de plus récentes, parfois avec bonheur - Jean Orizet, par exemple - ou bien, tout au contraire, avec une fâcheuse tendance à présenter des auteurs inconnus - à juste titre? - ou des célèbres dont le présentateur a choisi volontairement des textes rarement cités, souvent mineurs et peu représentatifs de leurs auteurs - Zéno Bianu, dans une récente anthologie - afin de se démarquer de ses prédécesseurs, à tout prix. 

Toute autre est l'approche de André Velter, qui choisit de nous proposer douze poètes classiques - François Villon, Charles d'Orléans, Maurice Scève, Pierre de Ronsard, Théophile de Viau, Jean de La Fontaine, Marceline Desbordes-Valmore, Victor Hugo, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine - en consacrant à chacun d'entre eux, un petit livre d'une quarantaine de pages dont les poèmes sont précédés d'une biographie succincte, introduisant l'auteur. L'essentiel, pour planter le décor, à l'attention du lecteur.

Chaque volume de surcroît - très soigné dans sa mise en page - porte le titre d'une phrase représentant bien l'écrivain choisi: Paul Verlaine, Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant; François Villon, Frères humains qui après nous vivez; Victor Hugo, Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant, parmi d'autres. 

La Petite bibliothèque de poésie - nous dit André Velter - est un parcours, du XVe au XIXe siècle, en compagnie de ceux qui ont inventé, transformé, célébré, bousculé la langue et le chant poétiques. Choix bien sûr non exhaustif, mais à coup sûr dynamique, éclairant, qui s'en tient à une suite d'auteurs essentiels, en consacrant à chacun un livret particulier afin de mieux respecter son génie propre. C'est une polyphonie de voix singulières qui se fait entendre; c'est l'expression d'une langue commune qui, pourtant, conjugue des tonalités différentes, des accents inédits, des pensées souvent contraires.

Au prix de vente modeste - moins de 29 euros - cette belle anthologie mérite de figurer en bonne place dans la bibliothèque des amis de la poésie!

Petite bibliothèque de poésie, coffret hors série de 12 volumes - Choix de André Velter (coll. Poésie/Gallimard et Télérama, 2013)

Jean Orizet, Anthologie de la poésie française (Larousse, 2010)

Zéno Bianu, Poèmes à dire - Une anthologie de poésie contemporaine francophone (coll. Poésie/Gallimard, 2013)

15:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Littérature francophone, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |