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08/12/2011

Clémence Boulouque

Bloc-Notes, 8 décembre / Nyon

littérature; roman; livres

Certains auteurs, avec une régularité de métronome, nous livrent chaque année, à date fixe pourrait-on dire, leur dernier opus, attendu comme l'incontournable événement de la rentrée littéraire. D'autres occupent rarement le devant de la scène, prennent le temps de peaufiner leur écriture, de soigner la complexité de leurs personnages et la structure de leurs récits en se moquant éperdument du calendrier.

Tel est le cas de Clémence Boulouque qui, d'une expérience douloureuse - le suicide de son père, le juge Gilles Boulouque en 1990 - tire sa passion pour la littérature et sa vocation d'écrivain. Outre La mort d'un silence qui, dans une langue épurée met à nu les résonances affectives de ce drame familial, elle signe deux autres chefs d'oeuvres aux sujets tout à fait différents: Chasse à courre dont l'histoire se déroule dans le milieu impitoyable des chasseurs de têtes, et Nuit ouverte qui nous raconte le destin de Régina Jonas, première femme rabbin ordonnée à Berlin en 1935. Ces deux derniers textes, ainsi que Survivre et vivre - Entretiens avec Denise Epstein, ont déjà été évoqués dans ces colonnes.

Elle nous revient cet automne avec L'amour et des poussières, dont le thème est celui de la recherche du bonheur auquel aspire Dora, après les blessures de l'enfance, après quelques aventures amoureuses qui l'ont étourdie sans la combler. Puisque les gens dansent quand ils sont heureux ou sont heureux quand ils dansent, je prends la vie à son propre jeu et je danse pour que le bonheur vienne à moi. Fake it till you make it. Je m'amuse d'être en vie.

Cette jeune photographe d'une trentaine d'années est parvenue, tant bien que mal, à colmater les brèches du passé, en fixant derrière son objectif un malheur plus ample que le sien: les visages de l'enfance en guerre, sur lesquels on peut lire le temps décomposé, suspendu, ravagé; ceux de l'insupportable paix aussi, où surgit au-delà des viols, des incestes ou de la prostitution, le regard de l'innocence saccagée qui semble chercher dans un ciel vide de quoi se reconstruire et surmonter le désespoir. 

La voici aujourd'hui installée à New York, loin de sa famille et des paillettes parisiennes. Elle reprend ses études - sur le Talmud, et particulièrement le thème du rire de Dieu - auprès de Steve, son professeur de thèse, un ami incomparable qui l'affectionne, la surprend, l'éclaire avec beaucoup de tendresse et de subtilité. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, surgit Ari: L'amour me semblait un repli, une forfaiture, et tout désormais me le prouve et m'en disculpe: rien n'existe plus que lui et moi, je me soustrais à ma ville refuge, et aux heures du monde. Les couleurs du jour et les lumières de la nuit sont un nuancier de nous. Sa voix épouse le rythme de la mienne, achève parfois mes phrases. Il me paraît être tout ce qui, chez moi, est resté inabouti.

Mais l'amour absolu - même s'il permet de retrouver ses rêves - s'accommode-t-il de la liberté d'être, de choisir, de s'ouvrir davantage encore aux murmures du monde? A la fois sage et déterminée dans ses choix de vie, mais fragile et indécise dans sa perception du bonheur, Dora s'apercevra peu à peu que les intentions les plus louables peuvent, dans leur excès, conduire en enfer et que la pire des prisons peut épouser les contours les plus séduisants de la nature humaine: J'ai besoin d'admirer autre chose que nous ou moi, de chercher dans ce monde, même superficiel, ceux qui tentent par toutes ces choses insignifiantes peut-être nées de notre mauvaise conscience, de rendre au monde un peu de sens et de véritable beauté. Sinon je suffoque.

Clémence Boulouque décrit avec beaucoup de véracité l'escalade de cette relation d'amour qui submerge par vagues successives l'identité et la pensée de l'autre, le ravale à un territoire conquis, un trophée de guerre ou une caricature de couple désormais voué à l'incompréhension, à l'asphyxie, à la destruction: Une fine pellicule blanche commence à tout recouvrir, comme un liquide salin séché, une couche de désespoir ou d'indifférence. (...) Il y a peut-être un prix à payer pour être follement aimée.

Au moment où son mentor Steve se meurt, atteint par la maladie de Charcot, lui reviendront en mémoire ses dernières paroles: Sois heureuse. Sois en vie.

Les personnages de Dora et de Steve sont bouleversants d'humanité, en contrepoint au dernier et malheureux héros de ce triangle romanesque, Ari, dès le premier tiers du livre apparu en prédateur, malgré son adoration à la fois désarmante et irréfléchie. Plus tard - alors que Dora peine à s'en défaire - on lui casserait volontiers la figure, ce qui tendrait à souligner que son personnage en clair-obscur, est lui aussi particulièrement réussi! Histoire d'amour, de filiation, de résilience, L'amour et des poussières est servi par une prose à la fois lumineuse et érudite qui nous colle à la peau. La magie opère à merveille, ainsi que dans les autres textes de cet auteur aux apparitions trop rares en littérature... 

Avoir eu peur du vide, voulu m'en protéger, remplacer l'épaule de plus en plus frêle de ma mère, chercher où poser mon front. Un jour, mon front avancera et il n'y aura plus rien. (...) Depuis des milliers d'années, des hommes prient en se balançant d'avant en arrière, à la recherche de pères invisibles, de présences évanouies. Ils arpentent le vide. Moi aussi.

Clémence Boulouque, L'amour et des poussières (Gallimard, 2011)

image: Clémence Boulouque - http://www.germainpire.info/

10:42 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Clémence Boulouque, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/12/2011

Elie Wiesel

Bloc-Notes, 3 décembre / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Il arrive que les livres les plus courts soient les meilleurs. Cela me vient à l'esprit, comme ça, en refermant le récit de Elie Wiesel, Le coeur ouvert: retour sur une année maudite - 2011 - qui commence à la mi-janvier avec une double pneumonie, à laquelle quelques mois plus tard devant un implacable diagnostic - cinq artères bloquées - succède une opération à coeur ouvert: Les infirmières sont prêtes à pousser mon lit à roulettes vers la sortie. Je jette un dernier regard vers la femme avec laquelle je vis depuis plus de quarante-deux ans. Tant d'événements, de découvertes et de projets nous unissent. Tout ce que nous avons accompli dans la vie, nous l'avons fait ensemble. Et voilà une expérience supplémentaire. La dernière?

Au moment de rejoindre le bloc opératoire, Elie Wiesel laisse monter en lui les émotions, les visages, les souvenirs qui l'habitent - malgré l'effroi devant la mort possible - et donnent un sens à sa vie: Ce n'est pas ainsi que j'avais imaginé ma fin. Et puis je ne me sens aucunement prêt. Tant de choses encore à achever. Tant de projets à élaborer. Tant de défis à affronter. Tant de prières à composer. Tant de mots à trouver, de silences à faire chanter.

Elie Wiesel revisite sa mémoire et son présent dans les regards et les gestes les plus simples, porteurs d'espérance et sources de gratitude. De très belles pages consacrées à son épouse jalonnent son texte: Marion, l'unique, est arrivée. Les yeux fermés, je sens sa présence. Je la vois presque. Les qualités de cette femme extraordinaire, douée, motivée. Sa force de caractère. La sensibilité de son intelligence. Son génie? Elle ne cesse jamais de me surprendre. De même à propos de son fils Elisha: Je lui fais signe de s'approcher. Maintenant il se trouve tout près de mon lit, prend ma main dans la sienne et la caresse doucement. J'essaye de la serrer, mais n'y arrive pas. Je sais qu'il désire me transmettre sa force, sa foi en ma guérison. Enfin devant le docteur Patel: C'est fini. Tout s'est bien passé. Vous vivrez... Jamais je n'oublierai le sourire sur son visage.

Entre l'avant et l'après, il s'interroge aussi sur son passé de rescapé, de témoin, de passeur, face à l'ennemi noir qui le presse, face à Dieu: Qui suis-je? Que suis-je devenu? Je sais avoir échappé à la mort. Je sais aussi que ma vie ne sera plus la même. Plus loin, Elie Wiesel ajoute: La différence tient à ce que je sais combien chaque moment est un recommencement, chaque poignée de main une promesse et un signe de paix intérieure. Je sais que toute quête implique l'autre, de même que toute parole peut devenir prière. Si la vie n'est pas une célébration, à quoi bon s'en souvenir?

Malgré la gravité des faits qui ont entraîné l'écriture de ce livre, il en émane une douceur impalpable coulant même entre les pierres du désespoir - parfois avec légèreté ou un certain humour - et dont le fondement se trouve peut-être dans ces mots de l'Ecriture cités par Elie Wiesel: Ubakharta bakhaim - Tu choisiras la vie.

Méfiez-vous des petits livres - celui-ci se compose de 89 pages à peine! - et lisez vite Le coeur ouvert. Puis relisez-le une fois, et encore une autre, car il s'y nichent des trésors de sagesse et matières à réfléchir, à s'émerveiller et se consoler dans l'autre: Le corps n'est pas éternel, mais l'idée de l'âme l'est. Le cerveau sera enterré, mais la mémoire lui survivra...

Dans la catégorie La citation du jour - le 26 novembre 2011 - vous pouvez retrouver un autre extrait magnifique de ce récit de Elie Wiesel

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

image: Marc Chagall, La paix (Sarrebourg, Moselle)

29/11/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

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Bien avant que n'abondent les récits de vie tels qu'on en découvre une dizaine par semaine de nos jours - plus ou moins inspirés - les années 70 auront été marquées par un témoignage d'une force et d'une rage inoubliables: Le pavillon des enfants fous, écrit par une gamine de quinze ans, Valérie Valère.

Elle y relate son internement pour anorexie, à l'âge de treize, dans un grand hôpital parisien. Une vision implacable du monde psychiatrique qui résonne à nos oreilles en écho aux textes fondateurs de l'antipsychiatrie de Ronald Laing - Le moi divisé et Soi et les autres - ou encore au film de Ken Loach, Family Life: En vérité, tout le monde a perdu, je suis là, triste et morose, méfiante et lâche. Je fais semblant de vivre et je me cache pour pleurer. Ils me reprendraient pour dépression nerveuse, ça les amuserait de me revoir. Ils m'ont gardée dans leurs griffes, j'ai conservé l'angoisse d'un emprisonnement, la colère refoulée d'une injustice, la rage de l'impuissance. (...) Je m'acharne à écrire et je retrouve la solitude. Cette volonté de continuer malgré la fatigue, malgré mes doutes et leur menace rejoint l'autre prison. Je suis restée là-bas, dans la chambre vingt-sept, avec mes refus, avec ce mal de vivre. Et je crois bien que je n'arriverai jamais à en sortir.

Elle s'en sortira pourtant, Valérie Valère, à sa manière, jetant un regard lucide et désespéré sur ses deux années d'internement et son avenir possible, à la fin du livre: Et moi, dans votre monde? Je fuis dans la tendresse des salles de cinéma, je rêve devant l'écran magique pendant les quatre séances de l'après-midi. Et dans le métro, l'éclat métallique des rails m'attire, me renverse comme quelque chose venu d'ailleurs, du plus profond de moi-même. Moi-même c'est tout ce qu'il me reste, tout ce que vous m'avez laissé. (...) J'essaie de retrouver un monde, je regarde tous les chemins avant de choisir le mauvais, mais rien n'est indiqué et personne ne veut me tendre la main, ou plutôt, je ne veux en prendre aucune. Une angoisse me serre le coeur. Ici, la solitude est moins belle car elle est fausse tout en ayant l'apparence d'être véritable. Plus douloureuse. Vivre, qu'est-ce que cela veut dire? Je ne sais pas. Je veux dire, je ne sais pas si cette fois-ci j'ai trouvé la vraie route. Je n'arrive pas à oublier et je me réveillerai encore souvent, en criant, pour avoir entendu le petit bruit de la clé tournée dans la serrure.

L'écriture lui aura été d'un grand secours, mais pas suffisamment pour la guérir de son mal-être ou lui apporter le réconfort. Quelques années après la parution de son premier livre, Le pavillon des enfants fous, Valérie Valère s'éteint un certain 17 décembre 1982 dans son sommeil, victime d'une crise cardiaque après une overdose médicamenteuse: une délivrance pour cette écorchée vive de 21 ans à peine, qui, malgré le succès, n'aura jamais connu le bonheur...

Reste l'oeuvre: Outre Le Pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 1983) réédité en 2001, les autres textes de Valérie Valère sont malheureusement tous épuisés. Je vous les mentionne néanmoins ci-dessous, car chez les bouquinistes ou avec un peu de chance dans les bibliothèques, vous pouvez sans doute les dénicher, pour la plupart: Malika ou un jour comme tous les autres (coll. Livre de poche/LGF, 1983), Obsession blanche (coll. Livre de poche, 1992), Laisse pleurer la pluie sur tes yeux (coll. Pocket, 1988), La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort (Bartillat, 1992). Il faut y ajouter un livre qui lui fut consacré, écrit par Isabelle Clerc et Françoise Xénakis: Valérie Valère - Un seul regard m'aurait suffi (Perrin, 2001) indisponible lui aussi.  

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 2001)


27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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25/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 3/3

Bloc-Notes, 25 novembre / Les Saules

En guise de conclusion au livre de Edouard et Marie de Hennezel, je vous propose trois illustrations musicales qui, chacune à sa manière, aborde le thème de la vieillesse: Jacques Brel avec Les vieuxBarbara avec A mourir pour mourir et Daniel Guichard avec Mon vieux. Pour de nombreux témoins de Qu'allons-nous faire de vous?, Barbara exprime davantage qu'un voeu pieux. N'oublions pas, cependant, qu'elle chantait encore cette même chanson à 60 ans, tout comme votre fidèle serviteur qui la compte toujours parmi ses préférées... Alors... à vous de choisir, avec le sourire!






Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011) 

24/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 2/3

Bloc-Notes, 24 novembre / Les Saules

document; témoignage; livres

Ce qui frappe dans les témoignages recueillis par Edouard et Marie de Hennezel face à la vieillesse et la dépendance, tient au constat que notre grand âge ne ressemblera pas à celui de nos parents. Non que les valeurs fondamentales s'en trouvent nécessairement changées, mais la génération montante connaîtra sans doute des années de vie active et professionnelle prolongées; la précarité du travail peut-être, l'emploi à accepter où qu'il se trouve, même à des milliers de kilomètres; des moyens financiers qui, compte tenu d'une longévité accrue, risquent de leur suffire pour eux-mêmes, à peine. Donc insuffisants pour nous entretenir. Et cela change tout.

Aujourd'hui on meurt loin de chez soi, et généralement seul, à l'hôpital, ou sur un brancard dans les services d'urgences. Certainement de moins en moins chez soi, dans son univers familier, entouré des siens, nous confie Marie de Hennezel et pourtant, tout ce que nous disent la plupart des participants à ce livre formidable converge dans une volonté à envisager toutes les solutions, afin de permettre à leurs aînés une fin de vie paisible, même si dans ces intentions généreuses et sincères, ils en oublient souvent l'incontournable conflit de priorités: leur propre vie, leur conjoint, leurs enfants, leur vie professionnelle ou leurs loisirs à ménager avec bienveillance et réalisme.

Edouard de Hennezel résume très bien ce que les quadras attendent de leurs parents ou de leurs familles en général: Faites du ménage dans vos vies. Vous vous allégerez et vous nous allégerez aussi. Ne baissez pas les bras. Vivez votre vieillissement le mieux possible, continuez à célébrer la vie. Ne nous faites pas porter les regrets, les rancunes ou les remords de votre passé. Prenez soin de vous, mais surtout prenez soin de la relation que vous avez avec nous. (...) Se faire léger, ce serait commencer par parler de ces questions taboues - l'avenir - pour qu'elles pèsent moins sur la pensée des enfants. Tout ce qui peut contribuer à une maturité heureuse.

Les plus belles pages traitent du bonheur de la vieillesse: Au fond, nous avons besoin que vous soyez heureux de vieillir et nous savons que vous ne le serez que si vous vous tournez vers le coeur et l'esprit. Vieillir, c'est un travail difficile qu'il faut mener joyeusement. L'essentiel pour une bougie n'est pas l'endroit où elle est posée, c'est la lumière qu'elle irradie jusqu'au bout.

La santé fragilisée n'empêche ni le charme ni la gaieté, ni l'intérêt pour ce qui nous entoure. Certains vieillards font moins vieux que des gens de cinquante ans. On grandit en sagesse, on a du recul, on est de bon conseil: Les personnes âgées et vulnérables peuvent donner et recevoir autre chose, et autrement. La vulnérabilité peut faire appel au meilleur chez l'autre, qui en est le témoin, ajoute Marie de Hennezel.

Il n'empêche que le souci de l'avenir de nos seniors - si nous ne sommes pas des monstres - peut légitimement nous déstabiliser et fondre sur nous à l'improviste, comme la foudre. Tous, dans notre voisinage, connaissons au moins un cas de personne âgée particulièrement difficile à gérer, quand le fil est rompu, comme c'est le cas avec une maladie de Alzheimer, par exemple. Saurons-nous, dans notre propre entourage, accueillir chez nous un parent dépendant? Pourrons-nous franchir la barrière des soins intimes à prodiguer? Accepterons-nous d'envisager d'autres solutions sans culpabiliser ni briser le lien? Parviendrons-nous à jouer la carte de l'apaisement, sans fuir le réel ni connaître l'épuisement?  

Il n'est pas de réponse universelle à ces questions que chacun est amené - le plus tôt possible - à se poser, mais une certitude émane de tout ce qui est dit dans ce livre: la force de solidarité entre générations existe davantage qu'on l'imagine et finalement, comme concluent Edouard et Marie de Hennezel: Quand il y a l'amour, il y a des solutions.

Nous sommes indissolublement égoïstes et altruistes, soucieux comme jamais de notre bien-être individuel, et cependant convaincus qu'il y a parfois plus de joie à donner qu'à prendre, à partager qu'à accumuler. Luc Ferry

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

image: Edouard et Marie de Hennezel

06:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 1/3

Bloc-Notes, 22 novembre / Thonon-les-Bains

document; témoignage; livres

Parler de la vieillesse et davantage encore en tout ce qu'elle implique dans l'avenir de nos proches, demeure bien souvent un sujet tabou, mais curieusement, dans ma propre vie, elle a toujours fait partie d'un décor naturel ou mieux, d'un monde où elle tutoie certes la mort, mais dialogue de même avec les vivants. Quelques impressions douces et agréables - parmi d'autres, beaucoup moins paisibles à cette époque - me reviennent en mémoire au temps de mon adolescence: à dix-huit ans à peine, avec un groupe d'amis toujours les mêmes - cinq ou six - dans ma sphère professionnelle, une fois par mois, nous partions à la découverte de restaurants d'exception, dans la campagne genevoise. Prétexte à dévorer la vie à pleines dents, en bonne compagnie, sans arrière-pensées. Le plus jeune des membres de cette fratrie voisinait la cinquantaine. Un souvenir de bien-être où se mêlaient la nostalgie d'un temps révolu que je ne connaîtrais jamais, la légèreté de l'être, le rire malicieux et une certaine sagesse que je n'éprouvais pas auprès de mes contemporains. Quarante ans plus tard, mon regard n'a pas changé - auprès des hôtes de passage à la librairie ou mes liens familiaux - même si je fais désormais partie du club moi aussi, celui des aînés!

Le second exemple - déjà mentionné dans un autre article - me vient de ma grand-mère paternelle - qui venait habiter chez nous en famille, trois ou quatre fois par an, décidant par elle-même du moment choisi pour réintégrer son foyer, à près de 150 km de chez nous. Devenue dépendante avec une présence et des soins permanents nécessaires auxquels nous ne pouvions répondre durablement, elle a intégré un établissement médicalisé pour personnes âgées et mon père - qui occupait alors une haute fonction professionnelle - soutenu sans réserve par ma mère et accompagné de son fiston, lui rendait visite au moins tous les quinze jours, malgré un horaire de travail frisant les 70 heures par semaine. Un lien jamais interrompu donc, jusqu'à la fin du voyage.

Une dernière image enfin, beaucoup plus récente cette fois-ci - et plutôt négative - se trouve liée au thème de la vieillesse en littérature, reflet à bien des égards de notre société résolument tournée vers la performance, montrant du doigt avec une effarante régularité ce temps comme celui de la fin de la jeunesse, donc de la séduction et de l'espérance dans tous les domaines: la faillite en amour, la maladie qui submerge tout, la maltraitance, la précarité financière, les fractures familiales, la dignité perdue. Que de récits et de témoignages abondent dans ce sens! Rares sont les ouvrages qui, sans occulter une réalité parfois triste ou douloureuse, présentent à contre-courant ce grand âge comme une chance, une promesse tenue, un bonheur toujours possible. C'est le cas - heureusement - avec La grand-mère de Jade écrit par Frédérique Deghelt, Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer ou encore Grandir sous la plume de Sophie Fontanel. Trois auteurs qui pourraient être le fil rouge du livre écrit par Edouard et Marie de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? consacré à la vulnérabilité et à la fragilité liées à la vieillesse. 

A lire absolument, car derrière cette trentaine de témoignages - souvent poignants, sincères, empreints de tendresse et de culpabilité - recueillis par Edouard et Marie de Hennezel, c'est la question des parents qui est envisagée, mais aussi, par projection dans le futur, la nôtre. Vous savez bien: cette génération bénie des dieux qui a connu le plein-emploi, le boum économique, les frasques amoureuses sans le spectre du sida et qui, farouchement individualiste, s'est payé de luxe de faire comme si elle n'allait jamais ni vieillir ni mourir, et voudrait tout à coup donner de la voix quand se profile l'intolérable miroir de la dépendance, face aux quadras qui la juge parfois avec une certaine sévérité, voire de la rancoeur.

Injustes, les jeunes? Pas si sûr...

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade (coll. J'ai Lu, 2011)

Jean-Louis Kuffer, Les bonnes dames (Campiche,  2006)

Sophie Fontanel, Grandir (Laffont,  2010)

image: Edouard et Marie de Hennezel

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Jean-Louis Kuffer, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/11/2011

Actualité de la poésie 2/2

Bloc-Notes, 12 novembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Après avoir évoqué Yves Bonnefoy et Jean-Pierre Lemaire, c'est le poète grec Georges Séféris qui fait l'actualité avec Journal de bord, dont le texte original a paru dans sa version définitive en 1965, à Athènes. Chacun des trois recueils qui le composent est le reflet d'une épreuve subie, nous dit son traducteur, Vincent Barras: les prémices de la guerre (I), la guerre (II) et la crise chypriote (III). On pourrait citer tous les textes de cet ouvrage, tant la beauté de la langue nous entraîne dans le vertige de ses profondeurs: Rossignol timide, dans la respiration des feuilles, / toi qui offres la fraîcheur musicale du bois / aux corps séparés et aux âmes / de ceux qui savent qu'ils ne reviendront pas. / Voix aveugle, qui tâtonnes dans la mémoire surprise par la nuit / pas et gestes; je n'oserais dire baisers; / et l'amère tourmente de la captive effarouchée. Une pure merveille!

Deux anthologies de la poésie méritent aussi d'être citées dans ces colonnes. La première, intitulée Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française - préfacée par Antoine Gallimard - célébre les 100 ans de la prestigieuse maison d'édition. Si le choix des auteurs s'avère assez classique, celui des textes est plus original. On y retrouve aussi certains écrivains injustement oubliés tels Edmond Jabès, Georges SchehadéJean-Philippe Salabreuil ou Georges Perros dont ce court extrait vaut à lui seul ce plaisir de lecture: Ferme les yeux pour mieux la voir / Celle qui blesse ton regard / Celle que tu nommes ta vie / Et qui ne te rendra ses billes / Qu'au bout du grand aveuglement / Qu'au bout de ce monde en dérive / Là-bas, dans le soleil levant.  

La seconde anthologie est très différente dans sa conception et son contenu. Avec des textes choisis par Albine Novarino-Pothier et que les photographies de Michel Maïofiss illustrent avec beaucoup de fraîcheur, Une année de poésie - 365 jours de bonheur permet de retrouver chaque jour de l'année un poème choisi au fil des siècles, en harmonie avec les saisons. Délibérément, me semble-t-il, certains auteurs ont été écartés - René Char par exemple ou Paul Eluard et Louis Aragon réduits à une discrète présence - alors que d'autres sont exhumés par de nombreux poèmes, tels Leconte de L'Isle, Théophile Gautier, Albert Samain, Emile Verhaeren, Maurice Fombeure, Francis CarcoPaul-Jean Toulet ou encore parmi tant d'autres, Anne de Noailles: Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance, / Gai divertissement des guêpes sur le thym, / Tu écartes la mort, les ombres, le silence, / L'orage, la fatigue et la peur, cher matin... Une très belle anthologie - 52 euros, tout de même - et un objet séduisant à la hauteur de ces écrivains de tous les temps. Un livre de chevet à offrir - Noël est proche! - à tous les amoureux de poésie.

Enfin, pour en finir avec ce rapide survol de l'actualité poétique, voici un très court texte de Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke. Cet auteur, qui naît à Bâle en 1891 et s'éteint à Genève en 1974, nous dévoile un fragment de la vie quotidienne du poète qu'il a rencontré à Paris en 1924, ainsi que des réflexions judicieuses de Rainer Maria Rilke sur la littérature, l'art poétique, la création: La limite est dans le fini, l'achevé, et tout ce qui vit vraiment a quelque chose d'exclusif. La nature a un terrible sens de la hiérarchie et l'hirondelle ne se commet pas avec le moineau. Seul l'homme abolit les frontières et estompe l'unicité des formes.

Comme vous pouvez le constater: la poésie est loin d'être moribonde. Et voilà bien la plus réjouissante - et peut-être la seule - des certitudes en cette fin d'année ordinaire...   

Georges Séféris, Journal de bord (Héros-Limite, 2011)

Collectif, Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française (coll. Poésie/Gallimard, 2011)

Albine Novarino-Pothier et Michel Maïofiss, Une année de poésie - 365 jours de bonheur (Omnibus, 2011)

Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke (L'Anabase, 2011) 

image: Rossignol philomèle (http://www.jbnature.com/oiseaux/rossignolphilomele)

11/11/2011

Actualité de la poésie 1/2

Bloc-Notes, 11 novembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Rares sont les magazines qui consacrent leurs colonnes à la promotion de la poésie, et c'est bien dommage car les efforts de qualité chez certains éditeurs - Gallimard, Mercure de France, Corti, Actes Sud, Cheyne, La Dogana, Héros-Limite, Conférence ou Empreintes pour n'en citer que quelques-uns - méritent un coup de pouce au regard de leur engagement financièrement plus délicat que la publication d'un roman, par exemple. Pourtant, comme dans une diététique du corps où rivalisent les sucres rapides - la majorité des oeuvres dites de (auto)fiction au succès souvent volatile - et les sucres lents - la poésie, les essais littéraires lus sans lien d'importance avec l'actualité - lesquels laisseront en nous l'empreinte la plus durable, la plus bénéfique, détachée des modes ou des convenances? A chacun d'y répondre: vraissemblablement un mélange des deux, sauf que, pour reprendre notre image, les sucres rapides sont accessibles en abondance dans les grandes chaînes de librairies, alors que pour les autres - à l'exception de la coll. Poésie/Gallimard - il faut se tourner vers les librairies indépendantes ou... les sites Internet - sans oublier Facebook - qui favorisent, exaltent ou éditent les ouvrages de ces domaines confidentiels désertant les rayonnages de nos professionnels du livre. Tout un débat dont les réponses sont multiples, contradictoires et mouvantes comme... les habitudes alimentaires!

Parmi les nouveautés en poésie, sachez que vient de paraître l'un des plus émouvants recueils de Yves Bonnefoy, intitulé L'heure présente qui, malgré son exigence poétique et son dépouillement, gagne en simplicité au fil des ans, avec ses battements de coeur déclinés au rythme de la nature et des hommes: On dit qu'on fait des feux sur des barques, dans ces pays de montagne. Que ces barques dérivent à travers le lac, tard la nuit. Allons voir, regardons loin devant nous puisque notre maison n'existe pas. D'admirables pages évoquent la haute mer, l'authenticité des choses vues, la sacralisation du livre, le mythe de Vénus et d'Adonis. On trouve également, dans ce volume, deux textes consacrés à la mise en scène de Hamlet - dont Yves Bonnefoy a, par le passé, assuré une traduction devenue célèbre - aux côtés de Raturer outreL'heure présente - qui donne son titre au présent livre -, Frissons d'automne, et Aller, aller encore: à lire et relire avec reconnaissance envers ces pierres rares qui gonflent les poches de notre pardessus et ne vieillissent pas.

La même exigence hante Les marges du jour de Jean-Pierre Lemaire, poète peu connu né à Sallanches - en Haute Savoie - voici 63 ans. Cet éloge de la vraie vie ancrée dans un quotidien en constant mouvement, se rapproche de l'univers d'un Yves Bonnefoy ou d'un Philippe Jaccottet, qui tous deux ont salué la première édition de ce recueil paru en 1977 - très tôt épuisé - et que La Dogana ajoute aujourd'hui à son catalogue. La nuit laisse partout des indices / ces prunes bleues, secrètes sous les feuilles / et tu regardes monter le soleil / sur le balcon en marge du temps... Ces textes essentiels, dignes des plus grands poètes contemporains, sont, dans une préface inédite, présentés par Philippe Jaccottet.

Et le voyage en poésie se poursuit... demain!  

Yves Bonnefoy, L'heure présente (Mercure de France, 2011)

Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour (La Dogana, 2011)

image: Antonio Canova, Vénus et Adonis (http://elbamboso.blogspot.com/2011/02/seduccion.html)

30/10/2011

Gilberte Favre 1b

Bloc-Notes, 30 octobre / Les Saules 

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Voici quelques citations qui illustrent Des Etoiles sur mes chemins de Gilberte Favre. Il en est bien d'autres que je vous laisse découvrir dans son émouvant récit: 

Je ne crois plus aux naufrages
Il y a un masque bleu au fond de tous les puits.
Andrée Chedid
 
*
 
Je ne crains rien, je n'espère rien.
Je suis libre.
Nikos Kazantzaki
 
*

L'important reste à jamais informulable
telle la noisette de poix au fond du gosier.
Alexandre Voisard
 
*

Imaginez lorsque la mort se fait enfant
qu'il neige sur les derniers bruits.
Nadia Tuéni

*

Tout est à la fois trop tard et prématuré pour moi;
mais poussé par un désir sans mesure,
je cherche obstinément au-dessus des vagues
un lieu de paix et d'amour.
Maurice Chappaz
 
*

Le vent ne vieillit pas, la mer n'a pas d'âge.
Le soleil, le ciel sont éternels.
J.M.G. Le Clézio
 
*

Laisse monter mon chant
tout au sommet de la montagne.
Marina Tsvetaïeva

*
 
Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort,
les yeux baissés les mains vides
et la mer dont j'entends le bruit
est une mer qui ne rend jamais ses noyés.
Louis Aragon
 
*

Celui qui rêve
se mélange à l'air.
Georges Schehadé

 

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)

image: Maurice Chappaz (JLK, 24 Heures)