Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/07/2010

Adieu à Gutenberg

Bloc-Notes, 19 juillet / Les Saules

apple-ipad.jpg
J'aime décidément beaucoup les chroniques de Frédéric Beigbeder, dans la revue Lire, intitulées De mauvaise foi. Dans son dernier article - numéro de juillet/août 2010 - qui fait suite à Celsius 233 le mois dernier, il poursuit son survol de l'histoire du livre pour atterrir sur l'iPad, et pas pour nous rabâcher les oreilles avec des lieux communs, ni jouer les prophètes comme le font bon nombre de professionnels du livre, notamment aux Etats-Unis.

Son propos contrasté, toujours plein d'humour ou d'impertinence, mérite d'être évoqué dans ces colonnes: L'invention de Gutenberg a duré cinq cent cinquante-huit ans. J'ai essayé de lire sur iPad: c'est très amusant. Un ingénieur chez Apple a pensé faire en sorte que l'écran tactile émette un bruit de papier froissé quand on glisse son doigt sur la surface. On vit une époque de malades ou pas? Toute la Bibliothèque d'Alexandrie tiendra bientôt dans la poche de mon blouson. Parfois je me dis que je dois être vraiment un vieux con pour penser une seule seconde qu'une telle invention n'est pas un progrès.

Mais il interpelle vraiment tous les lecteurs potentiels avec le prolongement suivant: On pourrait dire que le livre de Gutenberg implique un cérémonial silencieux, une forme de lenteur, un mode de vie moins stressé, plus détaché. Lire sur le papier est une lutte contre l'éparpillement, le livre sur écran est une fenêtre ouverte sur le zapping. (...) Mais il y a surtout une grande différence, plus grave. Il me semble que le numérique égalise tous les livres alors que le papier sacralise le texte. Lire sur papier suppose qu'on respecte l'auteur comme un être admirable, génial ou talentueux, bref, meilleur que soi; l'écran en fait un semblable, un pote, un mec normal, presque un blogueur, donc n'importe qui! En supprimant le papier, on banalise l'écrivain.

Contrairement à ce que je viens de vous citer, je crois que les moyens actuels pour accéder à la culture en général, ne rejettent pas aux oubliettes nos bons vieux livres, mais au contraire élargissent notre horizon, réduisent nos préjugés et nous surprennent bien davantage que les médias traditionnels qui, hélas trop souvent, disent à peu de choses près la même chose, au même moment et sur les mêmes livres, ce que j'appelle le diktat de la nouveauté. J'ajoute que, pas plus vieux con que Frédéric Beigbeder, j'ai découvert parmi mes amis sur Facebook, bon nombre d'oeuvres littéraires que spontanément, je n'aurais pas fait l'effort d'approcher.

En revanche, je ne lis jamais... un texte sur ordinateur! Le parcourir, à la rigueur, mais pas davantage car je sais que je ne me souviendrai pas de ce que j'ai lu: La toile est éphémère... Aussi, j''imprime les pages de son auteur et les lis à mon rythme, selon l'humeur du jour sur une chaise de jardin, dans l'autobus, dans le train ou dans mon lit, ravi de tenir entre mes mains un morceau de papier résistant à la déferlante des actualités. A l'étape suivante, ayant aimé un écrivain présenté, je m'empresse de me procurer le texte dans son intégralité, sur papier - Mahmoud Darwich, Addellatif Laâbi ou André Velter pour les plus récents - avec la dédicace invisible de la personne qui a servi de trait d'union à cet aboutissement, et à laquelle je pense avec une infinie reconnaissance.

Gutenberg a encore de beaux jours devant lui, croyez-moi! Le bûcher attendra...

 


00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va, Mahmoud Darwich | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; presse; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/07/2010

Georges Perros 1a

Bloc-Notes, 17 juillet / Les Saules

images.jpeg

Georges Perros est un immense écrivain, malgré lui, pourrait-on dire, car cet homme atypique qui se tourne plutôt vers le piano et l'art dramatique dans sa jeunesse, doit aujourd'hui sa célébrité aux trois volumes de Papiers collés, recueil de notes, réflexions ou commentaires rédigés sur des bouts de papier, des tickets de métro, des boîtes d'allumettes ou les pages d'un livre, comme une petite blessure qui n'attend pas d'être cicatrisée.

Loué pour son style épuré, sa sensibilité peu commune et son regard lucide, parfois grinçant sur le monde qui l'entoure ou le parcourt, la rigueur, la liberté de ton et l'honnêteté de sa démarche poétique sont reconnaissables entre mille dans les cinq entretiens radiophoniques réalisés avec la complicité de Jean Daive, Jean-Marie Gibbal et Michèle Cohen en 1975 parus sous le titre Graver sur le mur du vent, où son oeuvre poétique est aussi évoquée, La vie ordinaire par exemple ou les Poèmes bleus:

Peut-être que le poème est le fragment de langage le plus utile à l'homme qui veut changer le monde. Peut-être. Aujourd'hui, c'est peut-être ça. Je ne sais pas.

J'écris à ras de ligne, dit Georges Perros, ou encore: Ecrire c'est rayer la vitre. Sur son prolongement - la lecture - il ajoute enfin: La lecture, c'est l'écriture remise en mouvement, en fait. (...) C'est un des fragments de l'écriture de l'auteur. (...) C'est pour ça que c'est passionnel. On ne peut pas lire sans passion.

Dans ce même livre, vous pouvez découvrir deux dessins, un poème et trois lettres - inédits - de Georges Perros, un texte de Michel Butor et un cahier de photographies signées par Jacqueline Salmon, le tout formant un objet précieux, propre aux éditeurs de poésie, inspirant un sentiment de gaieté, si chère à cet auteur qui, dans ma bibliothèque, est le voisin de René Char...

Georges Perros, Graver sur le mur du vent (Marcel Le Poney, distr. Actes Sud, 2010)

Georges Perros, Papiers collés I, II, III (coll. Imaginaire/Gallimard, 1989-1999)

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/07/2010

In memoriam

Bloc-Notes, 13 juillet / Les Saules

9782221085301.gif

Peu de jeunes lecteurs savent qui était Henri-François Rey, disparu en 1987 à l'âge de 67 ans. Pourtant, de son oeuvre assez inégale, il faut bien le dire, il est triste que La fête espagnole - Prix des Deux Magots 1959 - Les pianos mécaniques - Prix Interralié 1962 - ou encore Les chevaux masqués ne soient plus disponibles, parmi une quinzaine d'autres titres ayant subi le même sort.

Par bonheur, il subsiste encore un roman dans les librairies - un seul! - à mon sens le chef d'oeuvre de son auteur, écrit en 1960 et intitulé La comédie. Il nous raconte l'histoire de Franck, un alcoolique qui, de bar en bar recherche dans l'ivresse l'oubli de ses angoisses, de sa désespérance, de son vide intérieur. Un jour, il rencontre Kim, dont le regard cristallise en lui un possible attachement, peut-être plus durable que les autres. Pourtant, même avec elle, c'est la dérive continuelle, l'abime tout proche qui le précipite en cure de désintoxication. Guéri en apparence, il entreprend un voyage en Espagne où la fête anéantira ses efforts, le replongera dans un univers où, malgré les efforts de Kim, ses humeurs noires et autodestructrices noyées dans l'alcool lui apporteront la paix, définitivement.

Ce récit nous réserve des pages magnifiques, terribles ou bouleversantes sur le mal de Franck: Enfin je sais de quoi je souffre et de quoi je crève. Enfin je suis sûr de moi.C'est encore sournois, mais je sais que quelque chose s'est installé en moi qui va me détruire. Un oiseau a fait son nid à l'intérieur de moi-même. (...) J'ai l'impression de descendre un immense escalier, toujours plus bas, toujours plus profond, encore des marches. En bas, j'entre dans une pièce, il fait bon, il y a une odeur de géranium. Les portes se ferment derrière moi. Je suis tranquille, je suis à l'abri. Je suis sauvé.

L'une de ses dernières crises est décrite avec une lucidité implacable: Ca tremblait devant ses yeux, c'était flou, la table et le bout du lit, et les vêtements sur la chaise de paille. Des petites lueurs comme des cristaux qui dansaient et le narguaient. Des mouches de glace qui se poursuivaient et, derrière, des visages qui se déformaient très vite et devenaient hideux, de la gélatine poisseuse qui coulait. Et les masques défilaient, le regardant, l'épiant. Mais les plus atroces étaient ceux qui détournaient les yeux et faisaient semblant de ne pas le voir.

De cette descente aux enfers subsiste cet écrit poignant auquel un autre - non moins célèbre - fait écho: Le repos du guerrier de Christiane Rochefort, inspiré sans doute de sa relation avec un certain Henri-François Rey...

Henri-François Rey, La comédie (Robert Laffont, 1960)

Christiane Rochefort, Le repos du guerrier (coll.Livre de poche, 1992)

 

 

00:44 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/07/2010

Brian Freeman

Bloc-Notes, 5 juillet / Les Saules

images-2.jpeg

Je n'aurais pas dû, non, je n'aurais pas dû ouvrir ce livre. A cause de lui, j'ai trop fumé, trop lu malgré une chaleur caniculaire, pas assez dormi, renvoyé au lendemain pêle-mêle activités et rencontres,  car vous l'aurez compris: Je n'ai pu le lâcher qu'à la page 426, la dernière... J'étais pourtant prévenu, car le premier roman de Brian Freeman traduit en français, Jamais je ne reviendrai - paru en 2007 chez le même éditeur - m'avait déjà conquis sans réserve. Je lui avais par ailleurs consacré une modeste contribution dans ces colonnes, à l'époque.

Alors, de quoi est-il question cette fois-ci? Imaginez, au coeur de cet hiver toujours aussi rude du Minnesota, l'inspectrice Maggie Bel qui, après une soirée bien arrosée, retrouve chez elle le corps sans vie de son mari. Le fait que son arme ait servi au meurtre désigne Maggie comme le principal suspect. Prise au piège, elle appelle en désespoir de cause le lieutenant Jonathan Stride, son ami, pour lui demander de l'aide. Si Stride ne doute pas un instant de l'innocence de sa partenaire, il sent néanmoins que la jeune femme lui cache quelque chose. Et le silence dans lequel elle s'enferre ne plaide pas en sa faveur...

Avec sa compagne Serena Deal - femme-flic devenue détective privé - le sympathique Jonathan Stride va plonger dans les secrets bien gardés de la petite ville de Duluth, dont le dénominateur commun pourrait être le sexe, à moins que... car derrière ce faisceau de présomptions se profile une autre silhouette, un fantôme en quelque sorte, celui de Blue Dog, un criminel vicieux qui mijote une terrible vengeance dont Serena pourrait être l'objet, allez donc savoir pourquoi! Et pour ne rien arranger, Stride, mis sur la touche - car trop impliqué personnellement dans cette affaire - devra composer avec l'inspecteur Abel Teitscher, dont la conviction est presque acquise à propos de la culpabilité de Maggie.

Le premier chapitre - l'apparition de Blue Dog - et la dernière partie du roman - intitulée La Dame en Moi - sont terrifiants. Le suspense est soutenu, ne faiblit à aucun moment de l'histoire, ménageant des surprises même aux esprits les plus perspicaces, avec des personnages crédibles, aboutis jusque dans ses rôles secondaires, le tout baignant dans une violence sourde, sauf lors du coup de théâtre final.

Cette troisième enquête de Jonathan Stride est une réussite indiscutable pour ce roman policier qui, s'il était adapté au cinéma, mériterait tout de même un solide triangle rouge!

Brian Freeman, Le prix du péché (Presses de la Cité, 2010)

 

12:18 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; romans; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/07/2010

In memoriam 1a

Bloc-Notes, 1er juillet / Les Saules

images-4.jpeg

en souvenir de C.C.

Trop tôt disparue - en 1968, à la suite d'un excès de barbituriques et d'alcool - à l'âge de 27 ans, la voix fascinante et grave de Gribouille - de son vrai nom Marie-France Gaite - hante encore ma mémoire, avec ses coups de gueule, son désespoir et ses élans de tendresse, comme le rappelle Françoise Mallet-Joris dans la préface de ce livre qui lui est consacré. Remarquée par Jean Cocteau, elle débute dans la chanson à 16 ans, se produit au Boeuf sur le toit, à L'Ecluse, au Don Camillo et d'autres cabarets de l'époque. On la compare souvent à Jacques Brel ou Barbara. En fait, elle ne ressemble à personne.

Après avoir collaboré avec des compositeurs tels Charles Dumont, Georges Chelon ou Jacques Debronckart, elle écrit dans les années 60 ses plus belles chansons: Mourir demain, Mathias, Les rondes, Pauvre Camille, Grenoble ou Ostende.

Dans cet ouvrage, vous pouvez retrouver la préface mentionnée plus haut, une émouvante contribution de Marie-Thérèse Orain, un cahier de photographies de Gribouille réalisées par Claude Mathieu, ainsi que nombreux de ses textes, dont certains méconnus parmi lesquels Le mal d'amour et Si je ne fais pas de toi:

Si je ne fais pas de toi mon plus beau souvenir, dont on parlait parfois, c'est que je vais mourir. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi...

Il reste aujourd'hui de cette chanteuse bouleversante le souvenir d'un diamant brut, trop lourd pour s'envoler vers le ciel, trop léger pour s'enraciner dans la terre.

Ne manquez pas de consulter - si le coeur vous en dit - le bel hommage qui lui est rendu sur Internet, à l'adresse http://rochambeau.blogs.sudouest.fr/tag/Gribouille


Gribouille, Je vais mourir demain (Christian Pirot, 2001)

Gribouille, Mathias (EMI Music France, 1997)

 

29/06/2010

Anna Cabana

Bloc-Notes, 25 juin / Grindelwald

images-3.jpeg

Vous cherchez un roman intelligent, sensible, mouvementé, agréable à lire pendant vos vacances? Le voici tout trouvé: C'est Inapte à dormir seule, écrit par Anna Cabana. Le titre peut inspirer les pires craintes et le 4e de couverture - qui ne dit rien de l'histoire! - ne rassure pas vraiment. Pourtant, l'histoire d'Eva, la trentaine, sur le point de se marier, est touchante comme un bijou lumineux et fragile. Elle se remémore son passé: Une famille juive venue du Maroc; un père adoré mais divorcé, mal-aimant - et soumis à sa nouvelle épouse - qui la repousse pour son bien; sa dépendance affective jamais assouvie auprès de ses amoureux.

En désespoir de cause, elle s'invente de nouveaux parents: Marguerite Duras - la mère sécheresse comme elle l'appelle - que dans son imagination, elle rêve de marier à Albert Cohen, le père prodigue de Solal, son père de coeur. Un miroir qui la juge, la méprise ou l'apaise, et sous lequel elle tente maladroitement de grandir, désespérément seule, avec sa peur du noir, son besoin d'être veillée et qu'aucun de ses amants ne parvient à comprendre ni combler. Jusqu'à Laurent, un garçon seul comme elle - un goy - qui a su la désarmer et adoucir ses blessures d'enfance dont elle retient que la marelle est une imposture et la réalité d'aujourd'hui, une alchimie dont il est difficile de ne garder au coeur que l'essentiel, en habillant de légèreté tout ce qui gravite autour. Pour lui, elle est prête à s'assagir, mais non à renoncer à sa liberté. Le passage du livre où Eva fait la conquête du rabbin pour qu'il célèbre son mariage est très drôle, révélateur aussi de sa détermination à ne pas tricher avec ses sentiments ou ses convictions.

L'ironie est omniprésente, elle aussi, parfois mordante, dans ce récit. Par exemple, sur son désir fiévreux d'être belle, intelligente comme les autres - et non une métèque - elle jette un regard lucide: La France, c'est la normalité. Les français, ce sont les autres. Ceux qui appellent leurs enfants Edouard ou Eglantine. (...) Elle a beau faire, jamais elle ne sera tout à fait des leurs, une vraie française, acceptée et considérée comme telle. Sur ces déracinés qui lui ressemblent, elle note encore: Quoiqu'ils fassent, ils sentiront toujours le miel d'eucalyptus, l'huile d'argan, les bougainvilliers et les hibiscus. Connaître Rimbaud et Yourcenar sur le bout des doigts et du coeur n'y peut rien changer.

Chronique de la reconstruction d'une femme de caractère, dont les émotions à fleur de peau, volontiers excessives, cachent une tendresse qui peine à assourdir la rage, la provocation et la révolte, ce premier roman réconcilie avec la littérature actuelle, avec autant de bonheur qu'Eva le sera - réconciliée - au terme de l'histoire, avec son propre destin.

Anna Cabana, Inapte à dormir seule (Grasset, 2010)

00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/06/2010

Rentrée littéraire

Bloc-Notes, 18 juin / Les Saules

images-2.jpeg

Avant même de boucler nos valises - départs en vacances oblige - fleurissent déjà, dans les colonnes des journaux et dans les catalogues des éditeurs, les noms des auteurs représentatifs de la rentrée littéraire, située entre le 15 août et le 15 septembre environ, comme chaque année.

Parmi ces nouveautés, je m'attarderai, de préférence, sur quelques curiosités dont les médias ne se feront pas nécessairement l'écho: Black Rock d'Amanda Smyth (Phébus), l'histoire d'une adolescente violée par un père alcoolique qui se réfugie chez une tante à la Trinité pour y réapprendre la tendresse; Le troisième jour de Chouchana Boukhhobza (Denoël) situé à Jérusalem et qui nous raconte l'histoire d'une musicienne et de son élève, à la recherche d'un bourreau nazi dont a été victime l'une des deux protagonistes; Toute une histoire de Hanan el-Cheikh (Actes Sud) dont le portait de la mère dans les années 30 au sud du Liban, laisse apparaître une femme pleine de courage et de dignité; Le sourire du marin inconnu de Vincenzo Consolo (Grasset) qui nous parle du soulèvement des paysans et de la trahison garibaldienne dans la Sicile de 1860; Ma vie de Sophie Tolstoï (Les Syrtes) une autobiographie capitale pour mieux comprendre son père écrivain; Le village d'Ivan Alexeevitch Bounine (Bartillat) premier roman et prix Nobel en 1933; Atteinte à la liberté de Juli Zeh et Ilija Trojanow (Actes Sud) un essai consacré à l'obsession sécuritaire; Débutants de Raymond Carver (L'Olivier) un recueil de nouvelles inédites exhumées par la veuve de l'auteur.

J'y ajoute avec joie Une femme célèbre de Colombe Schneck (Stock) qui sous une forme romanesque dessine le portrait de Denise Glaser, incomparable femme de télévision, célèbre puis oubliée; ainsi que Celles qui attendent de Fatou Diome (Flammarion) où l'émigration est décrite du point de vue des femmes qui restent au pays et attendent leurs époux; enfin Bifteck de Martin Provost (Phébus) qui nous narre les exploits d'André, un boucher de la première guerre mondiale assumant le devoir conjugal des hommes partis au front et ne prévoyant pas qu'à l'armistice, il se retrouverait père de sept enfants...

Bien sûr, il est aussi question, dans cette rentrée littéraire, d'oeuvres attendues: Une forme de vie d'Amélie Nothomb (Albin Michel), Le coeur régulier d'Olivier Adam (L'Olivier), C'est une chose étrange à la fin que le monde de Jean d'Ormesson (Laffont), Un Véronèse d'Etienne Barilier (Zoé), Soufi mon amour d'Elif Shafak (Phébus), Un océan de pavots d'Amitav Ghosh (Laffont), Point Omega de Don DeLillo (Actes Sud), Les jeux de la nuit de Jim Harrison (Flammarion), Suites impériales de Bret Easton Ellis (Laffont), sans oublier le nouveau Michel Houellebecq (Flammarion) dont on ne sait rien, pas même le titre, selon les recettes d'un ridicule markéting à la française!

Je garde pour la fin L'amour est une île de Claudie Gallay (Actes Sud) qui a connu, enfin, une consécration méritée avec Les déferlantes. Son récit parle d'une actrice célèbre qui retrouve sa ville natale - Avignon - après dix ans d'absence. Elle y a vécu jadis un amour passionnel avec le directeur d'un théâtre du festival, qu'elle a quitté pour faire carrière...

Plusieurs de ces textes brièvement évoqués ici, feront ultérieurement l'objet de commentaires, chroniques ou notices dans ces colonnes.

photographie: Claudie Gallay (PIerre Abensure)

00:41 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/05/2010

Erri de Luca

Bloc-Notes, 30 mai / Les Saules

images-6.jpeg

Il m'arrive de dire, parfois - tant pis si je me répète - que je viens de connaître un moment de bonheur absolu à la lecture d'un roman au charme et à la qualité d'écriture hors du commun. Tel est le cas du dernier roman de Erri de Luca, l'auteur de Trois chevaux et Montedio (Gallimard) parmi d'autres.

Il nous raconte ici dans le Naples de l'après-guerre, l'histoire d'un orphelin qui, sous la protection généreuse et attentive du concierge de l'immeuble - Don Gaetano, orphelin lui aussi - distille ses souvenirs d'enfance, puis, adulte, deviendra le narrateur de cette histoire troublante. Il se remémore ses années d'école où il y avait les pauvres et les autres, ceux dont on rasait la tête à cause des poux et les autres - enfants de familles aisées - qui gardaient leurs cheveux tout au long de l'année. Deux évenements, au cours de cette période, vont bouleverser sa vie: La première, quand par curiosité il pénètrera dans une grotte, en réalité un entrepôt de contrebande avec un lit de camp et des livres où Don Gaetana avait caché un juif pendant la guerre. Dans ce lieu naîtra sa passion pour les livres, avec la complicité du libraire du village, Don Raimondo, qui lui en prêtera gratuitement, à condition qu'il lui partage ses impressions de lecture.

Le second événement surgira lors d'une partie de football, quand il apercevra, derrière un balcon, une fillette de huit ans, Anna, aux yeux écarquillés et dont la pensée ne le quittera jamais: Devant les buts à défendre s'étalait une mare, due à une fuite d'eau. Au début du jeu, elle était limpide, je pouvais y voir le reflet de la petite fille à la fenêtre, pendant que mon équipe attaquait. Je ne la croisais jamais, je ne savais pas comment était fait le reste de son corps, sous son visage appuyé sur ses mains.

Dix ans plus tard, il la retrouvera mais, fréquentant un jeune de la Camorra en prison, Don Gaetano tentera bien de l'avertir du danger, mais l'adolescent passera outre. Ainsi, réunis une seule fois pour le meilleur et pour le pire, nos deux tourtereaux connaîtront leur premier acte d'amour, comme une dette payée au désir de leur enfance, mais aux conséquences irréversibles. Je n'en dis pas davantage: Vous les apprendrez en chemin! Le jour après le bonheur, j'étais un alpiniste qui titubait dans la descente, dira notre amoureux...

En marge de cette délicate musique du coeur, ce roman, par la voix de Don Gaetano, témoigne de la douleur et de la dureté des temps de guerre à Naples - où moururent davantage de civils que de soldats - dont le narrateur, par son écoute attentive, fidèle, admirative, deviendra le témoin indirect. C'est aussi l'histoire d'une ville, d'une appartenance, d'un code d'honneur qui peu à peu deviendront un reflet unique de l'âme de notre héros. A Naples, le soleil aime ceux qui vivent en bas, là où il n'arrive pas. Plus que tous, il aime les aveugles et leur fait une caresse spéciale sur les yeux. Le soleil n'aime pas les adorateurs qui se mettent à nu sous son abondance et s'en servent pour colorer leur peau. Lui veut réchauffer ceux qui n'ont pas de manteau, ceux qui claquent des dents dans les ruelles étroites. Il les appelle dehors, les fait sortir de leurs petites pièces froides et les frictionne jusqu'à ce qu'ils sourient sous la chatouille. (...) Les vitres sont ses marches d'escalier, la lumière les descend par amour pour toi. C'est signe que le soleil te protège... parole de Don Gaetano!

Et de protection, justement - un couteau offert par le vieil homme - notre héros en aura besoin pour grandir dans la douleur et laver son honneur, à la napolitaine...

Ce livre enchanteur rappelle beaucoup son chef d'oeuvre - à mon sens - Tu mio (Rivages) , l'histoire d'un adolescent de seize ans qui découvre l'amour, la guerre et la mer auprès d'un pêcheur et qui sera prochainement évoqué sur ce site.

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur (Gallimard, 2010)

publié dans Le Passe Muraille no 83 - mars 2010

28/05/2010

George Steiner

Bloc-Notes, 28 mai / Les Saules

images-5.jpeg

Avec un certain retard sur le calendrier - la première parution, chez Albin Michel, remonte à 2003 - je découvre avec émerveillement et reconnaissance ces entretiens entre Cécile Ladjali et George Steiner. Un bon nombre des thèmes abordés ici, sont évoqués dans d'autres ouvrages de cet amoureux de la vie, de la littérature, de la philosophie, de la musique. Peu importe, car l'éclairage n'y est jamais tout à fait le même.

Tout ce qui est souligné dans ce livre bien modeste - 130 pages à peine - est essentiel à mes yeux: La tradition orale dans le drame et la poésie, la connaissance des langues étrangères, la vertu des classiques, l'importance du silence et plus que tout, la passion d'apprendre, de transmettre, de partager le savoir, avec honnêteté et clairvoyance.

Ces quelques passages peuvent nourrir notre réflexion, nous convaincre que tout n'est pas perdu et que l'espoir demeure:

Ce que vous avez appris par coeur change en vous et vous changez avec, pendant toute votre vie. Personne ne peut vous l'arracher. Parmi les salauds qui gouvernent notre monde, la police secrète, la brutalité des moeurs, la censure, ce que l'on posède par coeur nous appartient. C'est une des grandes possibilités de la liberté, de la résistance.

*

Je crois passionnément que chaque langue est une ouverture sur un monde totalement nouveau.

*

Que veut dire classique? Cela signifie strictement un texte inépuisable. On le relit, on le redit, on le réinterprète, et, tout à coup, il est presque toujours nouveau. (...) On reprend un grand moment de Dante, d'Homère, de Shakespeare, de Racine, et on se dit: "Mais oui, je connais ça par coeur" et je ne connais pas du tout; je n'avais pas compris. Cette puissance de renouveau est une des définitions du classique.

*

C'est celui qui murmure, qui balbutie, qui parle mal, qui jouit de la réputation d'être un honnête homme. (...) Mal parler, ça veut dire: voilà quelqu'un qui dit la vérité. A l'inverse, trop bien parler,c'est le symptôme même de la malhonnêteté. C'est une chose importante, et qui pourrait avoir des conséquences allant loin au-delà du contexte actuel.

*

Personne ne peut prédire quelles vont être les crises de déplacements de populations et de cultures entières. De cela pourrait surgir un oecuménisme de l'enchantement, c'est-à-dire une sorte de chance.

Avec un tel professeur, vous l'aurez compris, je n'aurais été sur mes bancs d'école, ni cancre, ni paresseux! Hélas...

George Steiner et Cécile Ladjali, Eloge de la transmission - Le maître et l'élève (Coll. Pluriel/Hachette, 2007)

22/05/2010

Editions La Dogana, Chêne-Bourg (Suisse) - 1a

Bloc-Notes, 22 mai / Les Saules

window.jpg

Connaissez-vous les éditions de la Dogana? Florian Rodari - discret comme le sont souvent les amis des poètes - la présente comme suit:

Les Éditions La Dogana ont été créées à Genève en 1981 dans le but de mieux faire connaître toute espèce de textes entrant en relation avec la poésie : recueils en langue française ou étrangère, cycles de poèmes, essais, souvenirs, méditations et proses rythmées et même lieder chantés, qui répondent à la sensibilité des lecteurs et amis qui se sont regroupés pour rendre viable ce projet. Lieu de transit plus que de contrôle, favorable aux échanges et qui accorde littéralement un visa à la parole, La Dogana – la douane, en italien – souhaite particulièrement mieux faire connaître les poètes de Suisse romande en France et dans les autres pays francophones, comme elle s’efforce de diffuser l’œuvre de poètes français qui n’ont pas encore pu se faire entendre à l’intérieur de nos frontières. Cet élargissement de l’espace, les éditions souhaitent l’étendre également au temps, puisqu’elles s’efforcent de multiplier les traductions de textes anciens ou lointains qui résonnent à nos oreilles d’aujourd’hui comme singulièrement modernes et proches. Ce n’est pas par le nombre de publications que nous souhaitons nous distinguer, mais par leur qualité et la cohérence des choix. Et pour cette même raison que la poésie demeure à nos yeux – au sein des discours scientifiques, didactiques ou idéologiques dont nous sommes trop souvent devenus la proie – une des rares paroles à la fois légère, durable et nécessaire, nous avons accordé un soin particulier à l’aspect extérieur de nos livres : afin d’aboutir à une sorte de point d’équilibre entre la petite masse de papier, de colle et d’encre et l’énorme densité des œuvres qui s’y trouvent inscrites.

Parmi les très belles publications de cet éditeur, citons Simple promesse d'Ossip Mandelstam, Reliques de Pierre-Alain Tâche, Les élégies de Duino de Rainer-Maria Rilke, La parole est moitié à celuy qui parle de Jean Starobinski, Hyperion de John Keats, Libretto, Truinas, Le bol du pélerin, Une constellation tout près, D'autres astres plus loin de Philippe Jaccottet, Les solitudes de Gongora, Arbres, chemins, fleurs et fruits d'Anne-Marie Jaccottet, 47 poèmes d'Emily Dickinson, Les fleurs et les saisons de Gustave Roud. La plupart de ces ouvrages seront évoqués - s'ils ne le sont pas à ce jour - dans ces colonnes, au fil du temps qui passe.

Aujourd'hui, je voudrais tout particulièrement attirer votre attention sur trois livres-disques parus à ce jour. Le premier, en 2004, est consacré au Tombeau d'Anacréon de Hugo Wolf. Outre les poèmes de Goethe, Mörike, Eichendorff, Byron et Keller qui ont inspiré ces Lieder en version bilingue, vous y trouverez un essai de Florian Rodari et Frédéric Wandelière (le traducteur) et, cerise sur le gâteau, un CD avec pour interprètes Angelika Kirchschlager (mezzo-soprano) et Helmut Deutsch (piano).

Le second, plus connu, en 2006, s'intitule L'amour et la vie d'une femme de Robert Schumann. Les Lieder, d'après Chamisso, Goethe, Marie Stuart, Mosen, Heine, Rückert, Mörike, Kerner et Eichendorff, sont également proposés en version bilingue, signés par le même traducteur, accompagnés par un essai de Hédi et Feriel Kaddour, ainsi qu'un CD avec les mêmes interprètes que celui consacré à Hugo Wolf.

Le dernier à ce jour, en 2009, fait honneur à Gustav Mahler et s'appelle A jamais. Cette fois-ci, les Lieder s'articulent autour des poèmes de Rückert, Mong-Kao-Jen et Wang-Wei, toujours en version bilingue assurés par le même traducteur, un essai de Jean Starobinski et Pierre Michot. Le CD qui accompagne cet ouvrage a pour interprètes Bo Skovhus (baryton) et Stefan Vladar (piano).

Ces trois ouvrages sont magnifiquement réalisés, mis en page et illustrés, tout à l'honneur de la poésie allemande et de la musique classique. Comme l'a dit Hermann Hesse, l'art n'est rien d'autre que la contemplation du monde pénétré par la grâce...

http://www.ladogana.ch