Je vous écris du Vél d'Hiv (09/06/2011)
Bloc-Notes, 9 juin / Les Saules
Presque 70 ans après l'épisode tragique de la rafle du Vél d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, sont exhumées et publiées dix-huit lettres de juifs arrêtés. Adressées à leurs familles, voisins ou amis, elles sont bouleversantes de simplicité, d'émotion, de désarroi: Des lettres sur papier chiffonné, griffonnées à la hâte dans le coeur noir de la rafle, nous dit Tatiana de Rosnay dans sa préface, des lettres qui sont miraculeusement parvenues à leurs destinataires, grâce à quelques mains bienveillantes, celles des infirmières, des pompiers, des passants. (...) Dix-huit lettres qui se retrouvent aujourd'hui dans ce recueil, infiniment précieuses, fragiles messages d'amour et d'espoir, d'angoisse et de doute. Lettres qui témoignent avec force, et malgré elles, d'une des pages les plus sombres de l'histoire de France.
Parmi ces textes qui brûlent les mains et le coeur, cette lettre d'une amie de Paulette envoyée à la soeur de cette dernière, Nana, dispense de tout commentaire: Je te fais écrire ces mots, la police est venue nous arrêter, avec tous les juifs de la maison. On nous a enlevés, moi et mes deux enfants. Je t'écris pour te dire que nous allons être transportés au vélodrome d'hiver, je te demande d'aller chez moi, (...) de te faire donner les clefs par la concierge et tu n'as qu'à emmener tout ce qu'il y a: prends toutes mes affaires, tout ce que tu trouveras. Mon petit gars a oublié sa carte d'identité, si tu la trouves, apporte-nous cette carte au vélodrome d'hiver, dans le XVe arrondissement. C'est sur le boulevard de Grenelle, il faut descendre à la station Dupleix. Apporte-moi quelques boîtes de conserves et apporte-moi quelques jupes de rechange. Chère soeur je compte sur toi.
Ailleurs, Maurice parle à son épouse Flora de l'état de désolation dans lequel il se trouve: Parqués là pires que des bêtes, sans aucun soin d'hygiène; deux cabinets toujours occupés pour des milliers de personnes. Il faut attendre des heures son tour. Pour l'eau, c'est pareil. Si l'on ne nous sort pas d'ici le plus tôt, les gens seront tous malades. Pourtant, on s'occupe de nous. Hier, on nous a distribué du pain deux fois, du bouillon cube, même du macaroni bien cuit. Un bout de chocolat et un petit gâteau. On nous gâte...
Tous les documents présentés et retranscrits - textes, fac-similés et photographies de leurs auteurs - situent sobrement l'histoire de ces familles, ainsi que le contexte de leur arrestation par la police française. Conservées au Mémorial de la Shoah, ces lettres méritaient bien un livre. Elles sont tout ce qui nous reste, écrit encore Tatiana de Rosnay.
Enfin, quelques témoignages - un sapeur-pompier, une infirmière de la Croix Rouge, l'arrivée des enfants à Drancy - contribuent à mieux éclairer le lecteur sur un temps qui peut lui sembler si flou ou étranger: Douloureux souvenirs d'une époque qui devient lointaine. Vieux papiers jaunis, histoires d'autres temps, d'autres gens, ajoute Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah.
Une lecture indispensable et poignante, qui laisse sans voix...
Je vous écris du Vél'd'Hiv - Les lettres retrouvées / préface de Tatiana de Rosnay (Laffont, 2011)
Image: Monument commémoratif de la rafle du Vél d'Hiv, Quai de Grenelle, Paris
00:16 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |