30/11/2013
Morceaux choisis - Lewis Carroll
Lewis Carroll
Au fil d'une onde calme et lisse,Le bateau indolemment glisse,Imbu d'ineffables délices. Chacune des trois douces soeurs,Enchantée, écoutant l'histoire,Est blottie auprès du conteur. Le soleil à l'horizon sombre;L'écho s'assourdit et le sombreAutomne étend déjà son ombre. Mais toujours me hante l'imageD'Alice endormie, en voyageParmi d'étranges paysages. Cependant qu'auprès du conteur,Ecoutant la magique histoireSe pelotonnent les trois soeurs. Rêvant, rêvant au sans pareilPays des Monts et des MerveillesOù brille un nocturne soleil. Laissant s'enfuir l'heure trop brèveDans l'or du beau jour qui s'achève...Vivre, ne serait-ce qu'un rêve?
Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir / extrait, dans: Tout Alice (coll. GF/Flammarion, 1979)
image: Lisbeth Zwerger (hannahbirdillustration.blogspot.ch)
22:43 Écrit par Claude Amstutz dans Contes, Littérature étrangère, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Joë Bousquet
Joë Bousquet, Lettres à une jeune fille (Grasset, 2008)
Quelle chance extraordinaire que celle de Jacqueline Gourbeyre d’avoir reçu d’aussi bouleversantes lettres, empreintes d’émotion, de confiance en la vie et l’homme, malgré les affres que traverse son auteur depuis sa blessure de guerre. Amoureux fou comme un jeune homme – il est alors âgé de 49 ans - de sa correspondante qu’il appelle sa grande rose lointaine, Joë Bousquet l’ouvre à elle-même, à la culture, aux arts, à la littérature, sans aucune forfanterie ni regret ou amertume. Aussi confidentiel après sa mort qu’il fut discret de son vivant, ce poète merveilleux enchante par la beauté de son style, son sens de l’observation et sa faculté de transposer les sentiments que son corps lui refuse à tout jamais. Quel dommage tout de même que les lettres de Jacqueline, elle-même disparue en 1999, n’aient pas survécu au décès de Joë Bousquet … Cette correspondance – parmi les plus beaux textes de ces dernières années, surgis des limbes grâce aux enfants de Jacqueline – fait oublier heureusement cet écho absent, et entraîne vers un parcours d’ombre et de lumière avec une infinie délicatesse.
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; correspondance; livres | | Imprimer | Facebook |
29/11/2013
Marie de Hennezel
Marie de Hennezel, La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller (Robert Laffont, 2008)
A contre-courant de la pensée commune glorifiant la seule jeunesse, Marie de Hennezel ouvre les fenêtres au monde de la vieillesse pour nous dire, avec beaucoup de sensibilité et de réalisme, que cette étape cruciale de la vie n’est pas nécessairement vouée à la souffrance, à la frustration ou à la déchéance. Sans occulter les interrogations incontournables – le défi de la solitude, la question du désir, la peur de mourir – l’auteur de La mort intime et du Souci de l’autre sonde, à travers de nombreux témoignages recueillis au cours de son expérience de psychothérapeute, l’énergie du cœur qui peut, lui, ne pas vieillir, riche de promesses, de sensations nouvelles et de libération. Un merveilleux livre de chevet, parole de sexagénaire!
Egalement disponible en coll. Pocket (Pocket, 2010)
04:01 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livres; sciences humaines | | Imprimer | Facebook |
28/11/2013
Morceaux choisis - Anna Akhmatova
Anna Akhmatova
Moi, comme un fleuve,Une époque de fer m'a détournée.On m'a changé de vie.Elle a suivi un autre lit, vu d'autres paysages,Et mes rivages me sont inconnus. O combien de spectacles j'ai manqués,Que de rideaux levés en mon absence et retombés!Combien de mes amis je n'ai jamais croisés,Combien de villes dont les contoursAuraient pu m'arracher des pleurs,Alors que je n'en connais qu'une,Que je saurais retrouver même en rêveEt à tâtons. Et combien de poèmes que je n'ai pas écrits:Leur choeur secret,Il rôde autour de moi, et un beau jourIl se pourrait qu'il vienne m'étouffer... Je connais tout, commencements et fins,La vie après la fin, et quelque choseQu'il ne faut pas rappeler à présent.Et quelqu'un d'autre,Une femme inconnue a pris ma place, Mon unique place,Et porte ici mon légitime nom,Ne me laissant qu'un surnomDont j'ai fait tout ce que l'on pouvait,je le crois bien. Ma tombe, hélas, ne sera pas pour moi.Mais qu'une folle brise de printemps,Ou deux mots dans un livre de hasard,Ou le sourire de quelqu'un M'entraînent soudainDans cette vie inaccomplie... Cette année-là il serait arrivé ceci, et puis cela:Partir au loin, voir et penser,Se ressouvenir,Entrer comme on ferait dans un miroirDans un amour nouveau,Avec la sourde conscience de trahir,Et une ride nouvelle,Qui n'était pas encore làHier... Si de là-bas pourtantJ'apercevais ma vie de maintenant,Je connaîtrais enfinL'envie...
Anna Akhmatova, Cinquième élégie, dans: Philippe Jaccottet, D'autres astres, plus loin, épars - Poètes européens du XXe siècle (La Dogana, 2005)
image: Anna Akhmatova (beautifulrus.com)
07:03 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
27/11/2013
Le poème de la semaine
Jean Follain
Il arrive que l’on entendefigé sur place dans le sentier aux violettes,le heurt du soulier d’une femmecontre l’écuelle de bois d’un chienpar un très fin crépuscule,alors le silence prend une ampleur d’orgue.Ainsi lorsque l’adolescent,venu des collèges crasseux,perçoit sous les peupliers froidsla promeneuse au frémissement de sa narineémue par le parfum des menthes.Toutes les lueurs des villagesse retrouvent dans le diamant des villes.Dans un univers mystérieuxayant laissé sur ses genouxl’étoffe où s’attachait ses yeux,une fille en proie aux rages amoureusespique de son aiguille le bout de ses doigts frêlesprès d’un bouquet qui s’évapore. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
08:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
26/11/2013
Musica présente - 79 Leonard Bernstein
Leonard Bernstein
chef d'orchestre, pianiste et pédagogue américain, 1918 - 1990
*
Gustav Mahler
Symphony No 1 - "Titan"
(Wiener Philharmoniker)
00:59 Écrit par Claude Amstutz dans Gustav Mahler, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |
25/11/2013
Philippe Jaccottet
Philippe Jaccottet, D'autres astres, plus loin, épars - Poètes européens du XXe siècle (La Dogana, 2005)
Comme dans Une constellation tout près - consacrée aux poètes d'expression française, chez le même éditeur - Philippe Jaccottet nous invite à prendre notre bâton de pèlerin pour le suivre au pays des poètes. Il y a, bien sûr, les incontournables, tels Rilke, Machado, Lorca, Celan, Pessoa, Mandelstam, Akhmatova ou Tsvetaeva, mais dont les textes, choisis avec soin, sont souvent méconnus. Il en est d'autres, rarement évoqués: par exemple Blok, Raine, Trakl, Penna pour n'en citer que quelques-uns. Aussi bel objet que le précédent recueil cité, cette anthologie deviendra bien vite votre livre de chevet, ainsi qu'une fenêtre ouverte sur le monde...
05:26 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
23/11/2013
Morceaux choisis - Yves Navarre
Yves Navarre
J'ai rêvé que j'étais humain et que je portais mon père sur mes épaules, j'ai rêvé que j'étais gosse et qu'Abel me portait sur les siennes. J'ai rêvé que j'entrais dans un bois et qu'aucun oiseau ne s'envolait sur mon passage, la plume et le poil, je les frôlais, ils n'avaient plus peur, je n'existais plus. J'ai rêvé d'une fin de vie, seul, les amies et les amis ne me rendaient plus visite ou ne me faisaient plus signe sous prétexte qu'on n'avait jamais rien pu me dire, que je ne voulais plus voir personne, tant et tant de prétextes par peur du texte vrai, pure et simple peur ou peut-être n'avais-je fait que les distraire, choquer ou amuser, un temps, et c'était la fin, je ne faisais plus que mettre de l'ordre chez moi et je ne me sentais bien que seul, est-il cruel de le noter?
J'ai rêvé d'une terrasse déserte, sous la pluie, au bord du lac Majeur, j'attendais quelqu'un et je ne savais plus qui. J'ai rêvé d'une barque, je ramais, ma mère était en face de moi, elle avait peur de chavirer. Elle avait les bras nus, une robe légère, le soleil s'était couché. Ma mère craignait que nous rentrions en retard et guettait le ponton, le sentier dans les orties. J'ai rêvé d'une valse avec elle et d'un père qui était heureux parce qu'aux repas on lui servait les premières asperges, les premières amandes fraîches, les premières framboises du jardin, des framboises blanches, si parfumées. J'ai rêvé ma vie. Quelle vie? J'étais intransigeant, exalté, moqueur, toujours insatisfait, foutu d'avance. J'ai rêvé de planeurs et de fjords. J'ai rêvé devant les armées de Xian et devant les stèles de Chine. J'ai rêvé d'endroits où je n'étais jamais allé, et de paysages que je n'avais jamais vus. Tiffany venait toujours interrompre mes rêves. Je m'occupais d'elle, même si je ne la léchais plus comme avant, j'essayais d'effacer mes rêves, taches, salissures, trahisons affectueuses. J'étais chat, et c'était mieux ainsi.
J'ai rêvé que j'étais Abel, que j'étais mort et qu'Abel n'avait plus qu'à écrire ma vie. Je lui tenais donc encore compagnie, après. Ou bien étais-je, en fait, entré en lui? Les amis ne faisaient pas la chaîne. Je ne me battais plus que pour tenir le coup et franchir le cap de chaque jour. Je n'avais plus de cerveau mais un grand trou à la place et une mémoire vivace, la mémoire du chat qui peut vivre mille fois.
Tiffany était vraiment très exigeante, pour ne pas dire capricieuse. Les caprices m'ont toujours agacé. Il y eut des fêtes, le dimanche, dès que la nuit tombait et jusque tard le soir. Tiffany allait se planquer derrière le réfrigérateur. Moi, je prenais place sur les manteaux de fourrure, dans la chambre d'amis qui servait de vestiaire. Mais où est le chat? Abel me brandissait devant tout le monde, par la queue, pour rire, ou dans ses bras, front contre front. Et l'autre? Abel disait elle est sauvage ou elle est coquette ou encore elle se fait un raccord-fraîcheur et change de toilette.
Drôles de fêtes. Des thés. Portes ouvertes ça défilait. Beaucoup de monde à chaque fois. Comme une foule. L'appartement était envahi, des jeunes, des vieux, des célèbres, des divines, quelques femmes sublimes et même des stars, le tout sur fond de mounons. Du passage. Vers la fin de chaque fête Cahin-caha cessait de préparer le thé, guettait les derniers départs et quelques têtes connues pour son livre d'or et des autographes. Tiffany ne réapparaissait que lorsque tout le monde était parti. L'appartement avait l'air dévasté. Je crois qu'Abel éprouvait un plaisir prégnant et subtil, aussi fort que celui de recevoir, à tout remettre en place. Comme avant. Ivre de fatigue, tard dans la nuit, il allait se coucher. Dans l'ombre de l'entrée, Tiffany jouait les minettes et s'approchait de moi: Alors, raconte...
Je lui parlais des fourrures, des laines, des châles de soie et des manteaux d'alpaga. Je tombais de sommeil. Elle me pressait de questions. Tu n'avais qu'à être là. Impossible me répondait-elle, c'était la nuit d'un dimanche à un lundi, ils n'aiment pas Abel. Elle l'aimait donc? Encore plus fort que moi? A la manière rebelle? J'ai rêvé qu'Abel était enfant. J'étais humain. Je le portais sur mes épaules. Nous entrions dans une forêt. A chaque fois, le rêve s'arrêtait là.
Yves Navarre, Une vie de chat (Albin Michel, 2013)
00:48 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
22/11/2013
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
merci à Christiane H
Poète, ta fenêtre était ouverte au vent,Quand celle à qui tout bas ton coeur parle souventSur ton fauteuil posait sa tête:-"Oh! disait-elle, ami, ne vous y fiez pas!Parce que maintenant, attachée à vos pas,Ma vie à votre ombre s'arrête; Parce que mon regard est fixé sur vos yeux;Parce que je n'ai plus de sourire joyeuxQue pour votre grave sourire;Parce que, de l'amour me faisant un linceul,Je vous offre mon coeur comme un livre où vous seulAvez encor le droit d'écrire; Il n'est pas dit qu'enfin je n'aurai pas un jourLa curiosité de troubler votre amourEt d'alarmer votre oeil sévère,Et l'inquiet caprice et le désir moqueurDe renverser soudain la paix de votre coeurComme un enfant renverse un verre! Hommes, vous voulez tous qu'une femme ait longtempsDes fiertés, des hauteurs, puis vous êtes contents,Dans votre orgueil que rien ne brise,Quand, aux feux de l'amour qui rayonne sur nous,Pareille à ces fruits verts que le soleil fait doux,La hautaine devient soumise! Aimez-moi d'être ainsi! — Ces hommes, ô mon roi,Que vous voyez passer si froids autour de moi,Empressés près des autres femmes,Je n'y veux pas songer, car le repos vous plaît;Mais mon oeil endormi ferait, s'il le voulait,De tous ces fronts jaillir des flammes!" Elle parlait, charmante et fière et tendre encor,Laissant sur le dossier de velours à clous d'orDéborder sa manche traînante;Et toi tu croyais voir à ce beau front si douxSourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux,Ton Iliade rayonnante! Beau livre que souvent vous lisez tous les deux!Elle aime comme toi ces combats hasardeuxOù la guerre agite ses ailes.Femme, elle ne hait pas, en t'y voyant rêver,Le poète qui chante Hélène, et fait leverLes plus vieux devant les plus belles. Elle vient là, du haut de ses jeunes amours,Regarder quelquefois dans le flot des vieux joursQuelle ombre y fait cette chimère;Car, ainsi que d'un mont tombe de vivent eaux,Le passé murmurant sort et coule à ruisseauxDe ton flanc, ô géant Homère!Victor Hugo, Pendant que la fenêtre était ouverte, dans: Les Voix intérieures - précédé de: Les Chants du crépuscule, et suivi de: Les Rayons et les Ombres (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
image: Pierre-Auguste Renoir, Young Woman talking (blog.naver.com)
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
21/11/2013
André Pieyre de Mandiargues
André Pieyre de Mandiargues, Le musée noir (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1990)
Marceline Caïn: on eût dit qu'elle était mêlée de cendre, de sable et de sang. À quatorze ans, elle n'aimait rien ni personne qu'un gros lapin jaune-orange, touffu, qu'elle appelait Souci. Tous les matins, en cette fin de printemps déjà brûlante, Marceline à peine vêtue et lavée courait ouvrir la porte découpée dans le flanc de la caisse où l'on mettait à dormir Souci pendant la nuit. Et la douceur inaugurale par laquelle elle faisait commencer chaque jour de sa vie était de précipiter la tête et les deux bras à l'intérieur de cette caisse chaude, où les derniers relents de tabac disparaissaient sous une quantité d'effluves domestiques qui, tous ensemble, font la véritable odeur de lapin...
Atmosphère lourde, sensuelle, voire inquiétante pour ces nouvelles dont Le sang de l’agneau est l’une des plus achevées. Par un des meilleurs auteurs français modernes, à l’univers proche du fantastique, mêlant les symboles de la vie, du sexe et de la mort avec l’exercice d’une beauté de la langue incomparable.
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | | Imprimer | Facebook |