Lire les classiques - Victor Hugo (22/11/2013)
Victor Hugo
merci à Christiane H
Poète, ta fenêtre était ouverte au vent,Quand celle à qui tout bas ton coeur parle souventSur ton fauteuil posait sa tête:-"Oh! disait-elle, ami, ne vous y fiez pas!Parce que maintenant, attachée à vos pas,Ma vie à votre ombre s'arrête; Parce que mon regard est fixé sur vos yeux;Parce que je n'ai plus de sourire joyeuxQue pour votre grave sourire;Parce que, de l'amour me faisant un linceul,Je vous offre mon coeur comme un livre où vous seulAvez encor le droit d'écrire; Il n'est pas dit qu'enfin je n'aurai pas un jourLa curiosité de troubler votre amourEt d'alarmer votre oeil sévère,Et l'inquiet caprice et le désir moqueurDe renverser soudain la paix de votre coeurComme un enfant renverse un verre! Hommes, vous voulez tous qu'une femme ait longtempsDes fiertés, des hauteurs, puis vous êtes contents,Dans votre orgueil que rien ne brise,Quand, aux feux de l'amour qui rayonne sur nous,Pareille à ces fruits verts que le soleil fait doux,La hautaine devient soumise! Aimez-moi d'être ainsi! — Ces hommes, ô mon roi,Que vous voyez passer si froids autour de moi,Empressés près des autres femmes,Je n'y veux pas songer, car le repos vous plaît;Mais mon oeil endormi ferait, s'il le voulait,De tous ces fronts jaillir des flammes!" Elle parlait, charmante et fière et tendre encor,Laissant sur le dossier de velours à clous d'orDéborder sa manche traînante;Et toi tu croyais voir à ce beau front si douxSourire ton vieux livre ouvert sur tes genoux,Ton Iliade rayonnante! Beau livre que souvent vous lisez tous les deux!Elle aime comme toi ces combats hasardeuxOù la guerre agite ses ailes.Femme, elle ne hait pas, en t'y voyant rêver,Le poète qui chante Hélène, et fait leverLes plus vieux devant les plus belles. Elle vient là, du haut de ses jeunes amours,Regarder quelquefois dans le flot des vieux joursQuelle ombre y fait cette chimère;Car, ainsi que d'un mont tombe de vivent eaux,Le passé murmurant sort et coule à ruisseauxDe ton flanc, ô géant Homère!Victor Hugo, Pendant que la fenêtre était ouverte, dans: Les Voix intérieures - précédé de: Les Chants du crépuscule, et suivi de: Les Rayons et les Ombres (coll. Poésie/Gallimard, 2002)
image: Pierre-Auguste Renoir, Young Woman talking (blog.naver.com)
00:06 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |