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21/06/2014

Philippe Jaccottet

images.jpegSébastien Labrusse, Au coeur des apparences - Poésie et peinture selon Philippe Jaccottet / précédé de: En compagnie des peintres - Entretien avec Philippe Jaccottet (Editions de la Transparence, 2012)

Précédé d'un entretien avec Philippe Jaccottet - En compagnie des peintres - tout le mérite de Sébastien Labrusse revient à débroussailler et mettre en perspective l'univers de l'auteur de La promenade sous les arbres à travers quelques motifs rarement traités, tels le contraste entre la force de l'émotion transcrite et l'insignifiance de ce qui la cause; le sens du sacré et son approche du paradis récusant toute représentation; enfin, le thème de la joie dans ses écrits en contrepoint à la finitude omniprésente dans toute son oeuvre: Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. (Cahier de verdure)

Approche du paysage, regard d'un peintre des mots, des frontières visibles et invisibles qui l'épanouissent ou le hantent - à l'épreuve de la mort - Philippe Jaccottet est admirablement cerné, autant qu'il se peut, dans cet essai de Sébastien Labrusse dont l'intelligence est d'accorder un vaste espace à la parole de l'auteur lui-même, dont on se réjouit de mieux découvrir les textes qui à ce jour auraient échappé à notre curiosité: Sur le jeune figuier épargné par l'incendie, une première feuille verte, tel un nouveau phénix. Plus que jamais est-on tenté de relire, après Silesius: Dieu est le vert des prés. (La seconde Semaison)  

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/03/2014

Le poème de la semaine

Anne Perrier

Si j'étais la vallée profonde
Je vous cacherais dans mes fleuves
Si j'étais la mer
Je vous emporterais vers mes abîmes
Si j'étais le torrent
Je me jetterais en vous
Si j'étais le sentier
J'irais me coucher à vos pieds
Si j'étais la vigne et le vin
Je vous enivrerais toute la nuit
Si j'étais le blé mûr
Je vous couvrirais d'or
Si j'étais l'abeille de juin
Je vous butinerais le coeur
Si j'étais le lézard
Vous me trouveriez dans vos murs
Mais que suis-je?
Rien rien
Pour toujours ce visage en larmes
Blotti dans vos mains
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08/02/2014

Jacques Chessex

9782246743514.gifJacques Chessex, Un juif pour l'exemple (Grasset, 2009)

Nous sommes en 1942: l'Europe est à feu et à sang, la Suisse est travaillée de sombres influences. A Payerne, rurale, cossue, ville de charcutiers, le chômage aiguise les rancoeurs et la haine ancestrale du Juif. Autour d'un gauleiter local, le garagiste Fernand Ischi sorti d'une opérette rhénane, et d'un pasteur sans paroisse proche de la légation nazie à Berne, le pasteur Lugrin s'organise un complot de revanchards au front bas, d'oisifs que fascine la virilité germanique. Ils veulent du sang. Une victime expiatoire. Ce sera Arthur Bloch, marchand de bestiaux...

A lire ce récit, je ne peux manquer de penser au roman Le rapport de Brodeck écrit par Philippe Claudel, paru en 2007 chez Stock. Même trouble d’une mémoire devenue inutile aux collectivités, même remord, même justification ou déni des individus qu’une abjecte réalité dérange. Dans un style concis, évocateur et respirant les lieux du drame, Jacques Chessex nous invite à  revisiter une histoire bien de chez nous contre l’effacement, la banalisation et finalement l’oubli. Avec rage et conviction, comme lui seul sait le faire.

Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2010)

01:10 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/01/2014

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Musique ruisselante, pluie heureuse
Qui s'obscurcit de chute en chute, haletante
Jusqu'à cette limite où les cordes s'étranglent,
S'enrouent à devenir une musique blanche,
La voix de sable au bord de la douleur
Qui dit l'enfance irrémédiable, dit l'amour
Inaccessible à l'instant même où il se chante,
Une anémone fermée sur l'aile de la mer,
Distend l'accord, sépare
Les cordes soeurs, les cordes fières, jusqu'au cri...
Puis le bruit sec de la cassure et le silence. 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

22/01/2014

Le poème de la semaine

Maurice Chappaz

Notre vie avec ses oeuvres
ne dure pas plus qu'un paquet de tabac,
y compris le pays où j'attends;
telle la petite fumée qui s'échappe
comme si j'étais cette petite fumée
au moment où la pipe reste chaude dans la main
après avoir été expirée.
 
Les années s'éteignent.
 
Le savoure la dernière braise.
 
Je trébuche après avoir fumé
entre un "Pater" et un "Ave".
J'ouvre, je ferme les yeux.
Tout se mélange,
et dans ma mémoire qui s'efface
je me retrouve avec les petits lacs
qui bougent dans les montagnes
telles des paupières.
 
Le soleil à peine disparu,
il y eut une giclée de lune:
le croissant s'infléchit très jaune
dans une échancrure de la montagne,
une gorge l'avale.
 
Elle surgit,
brille de plus en plus,
m'éblouit.
 
D'un instant à l'autre,
je vois deux lunes
qui voisinent puis s'enfoncent.
 
De nouveau une seule lèche les ténèbres.
Un brasier de feu remue,
enfin quelques tisons se dissipent dans les rochers.
 
Mes pensées me dépassent,
filent en moi, obscures, tronquées,
s'évanouissent en traits plus noirs que la nuit.
Elle limpidement obscure.
 
Il y a des traits noirs.
 
Ces traits noirs sont de petits oiseaux inconnus,
leurs ailes cernent en allées et venues
les parois du chalet,
à peine ai-je le temps de les apercevoir. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

18/01/2014

Morceaux choisis - Pierre-Alain Tâche

Pierre-Alain Tâche

Dans l'embellie à peine moins frileuse,
où tremble un vol de moucherons,
je vis dans l'échancrure des bourgeons.
 
On dira qu'une abeille m'égare:
des fleurs, encore des fleurs...
Et qu'en est-il des cris, des pleurs,
des vies que l'on vole aux quatre vents?
 
J'assume la futilité de ma bouche.
Elle ne fut jamais infidèle
aux leçons de l'insecte, au devoir de louer,
dans la tourmente de mon temps
- et quand bien même j'entendais.
 
Car le pire eut été, face à l'horreur,
de renoncer; et d'éconduire la beauté.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle 

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/12/2013

Conrad Ferdinand Meyer

images.jpegConrad-Ferdinand Meyer, Jürg Jenatsch (Coll. Poche Suisse/L'Age d'Homme, 1989)

Un pasteur réformé du canton de Suisse « Les Grisons », devenu chef de bande, assassin, puis héros national, colonel dans l’armée du Duc de Rohan, rénégat et négociateur de traités internationaux entre l’Espagne et la France de Richelieu, traître à la foi par amour exclusif de sa petite patrie et qui meurt assassiné par des voyous au soir de sa plus grande victoire, voilà un personnage de l’histoire suisse, troublant et difficilement compréhensible qui bouleverse toutes les idées reçues.

Un épisode de l'histoire des Grisons et en même temps une tragique histoire d'amour qui n'est pas sans rappeler les romans de cape et d'épée d'Alexandre Dumas. D'une écriture vive et éloquente, un chef d'oeuvre des lettres alémaniques du XIXe siècle.

publié dans le supplément La bibliothèque idéale des vaudois / 24 Heures

14/12/2013

La citation du jour

Jean-Louis Kuffer

citation; livres

Un livre c’est comme une lumière qui montrerait tout à coup les couleurs du vitrail, un livre, c’est comme une fleur de papier qui s’ouvre dans l’eau, ou c’est comme l’eau que tu découvres toute nue et toute fraîche et toute froide et toute tonique après le coup de hache dans la glace de la nuit.

Jean-Louis Kuffer, L'échappée libre (L'Age d'homme, 2014)

image: page manuscrite de Robert Denoël à propos de Louis-Ferdinand Céline (thyssens.com)

00:12 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/12/2013

Le poème de la semaine

Denise Mützenberg

Ne dis rien
ne dis pas d'où tu viens
ni quel vent t'a souffletée
quand tu rentres
au matin
quand tu te glisses dans ma vie
plus proche du coeur que l'aubier
 
Ne retire pas ton tablier
garde les mains dans la farine
 
La prophétie lèvera doucement
comme un gâteau que tous pourront manger

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07/12/2013

Morceaux choisis - Gustave Roud

Gustave Roud

3.jpg

Où es-tu?

Que de fois crié, cet appel vers un être, du fond de l'abîme intemporel où ma maison a glissé doucement comme un navire perdu. L'absolu triomphe dans cette chambre, fomenté par le feu blanc des neiges. Les portraits parlent, les poèmes chantent. Toute une vie immobile s'illumine au miroir profond de la mémoire. Tout éclate et se fige en un inexorable présent. Le coeur sous la pointe du doigt s'exténue et s'arrête. J'appelle, à travers des lieues, des années, et sans songer même à la dérision de ma voix close, un coeur qui bat.

Et pourtant je sais la route vers le nord qui touche au bout de longues heures la grange où brûle encore le froment que tu fauchais. Je partirais les yeux fermés. Mais la nuit est venue avec la lune et toute l'horreur des marches d'autrefois dans la neige infinie ressuscite. L'été pour mentir encore à l'adolescent qui n'a pas eu la force de dire oui tout de suite à sa solitude. Un oiseau chante pour lui; les fleurs frôlent ses mains nues. Le vent lui jette au visage toute une prairie de juin comme un bouquet d'odeurs. Il faudra, pour qu'il sache enfin, la traversée pas à pas des nuits extrêmes de décembre parmi les cadavres de ses pensées, quand son souffle, qui est pourtant un souffle d'homme, monte comme une buée vide, une vaine vapeur vers les étoiles (Orion, toujours Orion sur l'épaule de la colline illuminée!) et qu'il heurte enfin du front la vitre couleur de miel qui l'appelait à travers l'ombre comme une autre étoile, la transparente muraille infrangible qui le sépare à jamais du bonheur des hommes.

A quoi bon repartir ce soir, puisque c'est toujours la même réponse au bout de la neige et de la nuit, la même lampe vers quoi les hommes tendent leurs mains endormies, les lèvres ouvertes sur des paroles qu'ils échangent en riant? Toi seul par qui j'ai pu croire une heure qu'il n'est pas mortel de regarder vivre au lieu de vivre, que c'est encore une espèce de vie - et la plus belle -, je l'appellerais en vain là-bas de seuil en seuil. Les chiens comme autrefois savent bondir de leur sommeil, les rauques bêtes hurlantes à bout de chaîne, et ce n'est plus eux, mais la maison, mais les villages, mais toute la nuit qui aboient! J'ai perdu coeur. Je t'appelle ici près de ma lampe morte, les lèvres closes, les yeux fermés.

Tu vivais. Ah! qui me dira si tu respires encore, que si mon coeur s'arrête, le tien bat toujours, faucheur au bord de l'orage, que j'ai vu jadis à l'instant même du premier éclair me sourire. La première goutte de pluie étoile ton épaule et fait frissonner ton adieu. Pour toute une heure, le temps de notre halte sous le toit de tuiles ruisselantes, les pieds dans la poussière pleine de brins de paille, de fragiles empreintes d'oiseaux, il m'a paru que je pouvais vivre encore. Et plus encore que la vie, ce qui de ta chaude et fraîche épaule coulait jusqu'à mon coeur qu'il comblait comme d'une calme musique retrouvée, c'était le repos vivant dans la plénitude atteinte, auprès de quoi celui de la mort ne peut être qu'une grimace.

Où es-tu?

Gustave Roud, Appel d'hiver / extrait, dans: Jean Orizet, Anthologie de la poésie française (Larousse, 2010)

image: Orcières, Hautes-Alpes / France (confidentielles.com)