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26/10/2014

La citation du jour

Charles Ferdinand Ramuz

citations; livres

Derborence, le mot chante doux; il vous chante doux et un peu triste dans la tête. Il commence assez dur et marqué, puis hésite et retombe, pendant qu'on se le chante encore, Derborence, et finit à vide, comme s'il voulait signifier par là la ruine, l'isolement, l'oubli.

Charles Ferdinand Ramuz, Derborence (Plaisir de Lire, 1996)

image: Derborence, Valais / Suisse (derborence.ch)

25/10/2014

Morceaux choisis - Georges Haldas

Georges Haldas

littérature; essai; morceaux choisis; livres

Parvenu au Rond-Point, impossible de ne pas se diriger vers cet espace inattendu, baptisé en l'occurrence Plaine de Plainpalais. Et qui est au coeur de cette ville, une respiration plus que bienvenue. Providentielle. Enfin un espace où il n'y a rien. C'est-à-dire tout. Un vide salvateur. Une trêve à l'activisme. Grands ciels. Un terrain laissé libre. Avec une alternance de gravier et de gazon un peu pelé. Providence des chiens. Et où jadis de petites équipes de football venaient disputer, le dimanche matin, des matchs comptant pour le championnat ouvrier. Maigre public. Mais donnant de la voix. Un rendez-vous, en ces parties, du zèle sportif et de comiques maladresses. Je ne sais, en attendant, quel décret administratif, téléguidé par les dieux, empêche les urbanistes de remplir cet espace, et, par là même, de nous asphyxier. 

Toujours est-il que chaque année, début septembre, vient rituellement s'installer sur cette Plaine le cirque Knie. Dont la seule arrivée, toujours attendue, toujours surprenante, semble convoquer les constellations de l'automne: rentrée des classes; adieu les vacances. Mais au-dessus de la grande tente, dressée en une nuit, et des roulottes multicolores, il y a le ciel de septembre d'une ineffable délicatesse en son bleu voilé à peine. Avec cette pointe de mélancolie dont Hugo disait si bien qu'elle est le bonheur de la tristesse.

Mais sur cette Plaine, que tous les matins, vers les cinq heures, je traverse pour me rendre dans mon petit café où, Scribe de notre ville intime, j'en consigne les particularités - les longues pluies ou la neige, l'hiver; dure lumière au printemps; soleil, dès les premiers jours de juin, radieux à la fois et écrasant - c'est un léger choc de voir, soudain, quand le cirque est arrivé, se détacher le profil sombre, sur un fond non moins sombre, en leur enclos, de deux chameaux. Immobiles. Et comme figés par ce que nous croyons être, en eux, la nostalgie du désert, alors qu'il s'agit assurément de tout autre chose, que nous sommes bien incapables de deviner et même de concevoir. Tandis que des relents tièdes, venus de la ménagerie, donnent une saveur âcre à l'air ambiant. Ou c'est encore un remuement de chaînes et de soupirs, des appels rauques ou de longs gémissements; comme la plainte de ces bêtes captives dans leurs boxes, mais plus encore, peut-être, celle même de leur condition de bêtes. Et, à travers elle, de la Création tout entière. Prisonnière de l'espace et du temps. Cependant qu'à Noël, alors, et durant les fêtes de fin d'année, en cette même heure, les baraques des forains, figées elles aussi comme par une muette catastrophe, ont l'air d'un village construit en vue d'un décor de film qui ne s'est pas fait et jamais ne se fera.

Mais voilà que tout à coup un merle, égaré dans la saison, et caché dans ce fouillis de toiles et de balançoires, esquisse quelques notes de son tendre chant annonciateur d'un lointain printemps à venir. Mais je m'arrête. Trop de choses qu'il y aurait encore, sur cette Plaine, à dire.

Georges Haldas, Traversée de la Plaine, dans: La légende de Genève (L'Age d'Homme, 1996)

image: Plaine de Plainpalais, Genève / Suisse (arpc167.epfl.ch)

30/09/2014

Morceaux choisis - Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet

littérature; essai; morceaux choisis; livres

Et viennent de nouveau les grands beaux jours...

Une fois encore, la sérénité d'octobre...

L'air entoure, c'est quelque chose qui n'est pas, c'est de la place, de l'espace, c'est une absence d'oppression et de murs: l'air libre.

L'étendue à peine relevée sur ses bords, ses lointains bords, comme un berceau.

C'est l'air qu'on ne voit pas, qu'on boit un peu comme de l'eau fraîche, c'est tout le ciel comme un grand verre d'eau, et l'air est frais, rafraîchissant, désaltérant. On taille les haies, le jardin bleu s'éclaire, et c'est comme si on montait les degrés d'une échelle. Les branches, les herbes sécheront en grands tas que l'on fera brûler plus tard avec joie: grésillement des flammes dans la fumée comme une autre espèce d'air, agressif, agité, coloré, ascendant. Cascade inversée.

Puisses-tu allumer encore quelques feux avec ces feuilles sur la pente du temps... où du fond de l'enfance remonte un bruit de cloches sombres... 

Philippe Jaccottet, Carnets 1968-1979, dans: Oeuvres (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2014)

image: Jeanne-Marie Simon-Chapuis, Beauregard-Baret, France (map-france.com)

22/09/2014

La citation du jour

Anne-Marie Schwarzenbach

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Si nous nous libérons un instant de la croyance angoissante que seul le présent compte, que seule l’heure présente est vivante, alors notre oreille et notre œil s’aiguisent, alors nous sommes à même de sentir à l’œuvre l’esprit du passé envoyant jusqu’à nous ce qu’il a d’immortel, sanctifiant le lieu, enrichissant sa vie, et nourrissant ses forces vives pour aujourd’hui et pour demain.

Anne-Marie Schwarzenbach, De monde en monde - Reportages 1934-1942 (Zoé, 2012)

01:51 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/09/2014

Le poème de la semaine

Georges Haldas

Humbles choses, que je vous aime
Cours désertes
Rues sans voix
Chaises qui sous l'averse, attendez
Attendez quoi?
Comme nous, que survienne
le temps de la rencontre
et celui de l'éclair
qui sera la présence
 
Mais la présence
Elle-même est un nuage
Elle vient et s'en va
Et maintenant vous revoilà
Cours désertes
Rues sans voix
O chaises de l'absence
Qui après la Venue
- comme nous  -
attendez quoi?
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

12/08/2014

Jacques Chessex

Jacques Chessex.jpgJacques Chessex, Pardon mère (Grasset, 2008)

 

Longtemps j’ai eu le temps. C’était quand ma mère vivait. J’étais désagréable avec elle, ingrat, méchant, je me disais: j’aime ma mère. Elle le sait ou elle finira bien par le savoir. J’ai le temps. (…) En attendant, le temps passait. Je rencontrais ma mère, je la blessais parce que tout en elle me blessait. Son esprit était droit, sa pensée juste, son élégance de bon goût, sa taille bien prise, son regard d’un bleu un peu gris était pur et me voyait. Et moi je n’étais pas digne de ce regard. Jacques Chessex

 

Les relations entre une mère et son fils sont souvent uniques, incomparables. Et chacun de nous – les hommes! – aurait pu dire ce vertige de l’origine, ce temps remis à plus tard, ces balbutiements du fils prodigue entre gaucherie et provocation, entre admiration et défi, entre blessure et reconnaissance.. Seulement voilà: Nous n’avons pas le talent littéraire de Jacques Chessex pour mettre en perspective l’inexprimable avec tant de retenue et d’émotion. Alors, contentons-nous de savourer ce bonheur de lecture, à l’abri de rien …

00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/08/2014

Morceaux choisis - Charles Ferdinand Ramuz

Charles Ferdinand Ramuz 

3.jpg 

Aline avait les mains encore maladroites ; tantôt elles appuyaient trop fort et tantôt hésitaient. Il semble qu’un rien va briser ces membres fragiles. Elle se perdait par moment dans ces soins. Alors le monde s’en va. Il n’y a plus qu’un petit enfant sur une table. Elle souriait parfois comme au temps de son bonheur. Elle chantait:

Dodo, l’enfant do,
L’enfant dormira bientôt,
Dodo, l’enfant do,
Pour avoir du bon gâteau.

Son sourire ne s’ouvrait qu’à grand-peine comme sous un fardeau, et sa voix retombait comme un oiseau dans sa cage, parce que l’enfant pleurait. Il était si malingre qu’il faisait pitié.

Et sa douleur revenait. Et un soir encore ce fut la musique au village. Aline était assise près du berceau. On dansait à l’auberge, et ses souvenirs l’entraînèrent en arrière jusque sous le grand poirier. Et une autre fois qu’elle fouillait dans un tiroir, ce furent les boucles d’oreilles que Julien lui avait données dans le petit bois au commencement de l’été. La boîte de carton avec les petits personnages peints dessus était encore enveloppée de son papier de soie. Les grains de corail ressemblaient à deux gouttes de sang pâle. C’était tout ce qui restait de son amour, avec l’enfant. Elle se dit: Et lui où est-il? Ah! il ne pense plus à moi. Les larmes lui vinrent aux yeux et elle se moucha sans bruit.

Elle se soulevait ainsi, aussitôt reprise et ramenée, ayant comme une chaîne qui l’empêchait de fuir. Elle s’encourageait pourtant avec des paroles qu’elle se répétait dans le fond de son cœur, se disant encore: Il faut bien que je l’aime, ce petit, tant l’aimer pour lui faire du bien et qu’il prenne de la vie. C’est un mauvais temps à passer. Quand il aura son année, il ira tout seul. Il faut bien que je l’aime, puisqu’il n’a rien que moi. Maman est vieille, et on ne sait pas, à son âge, ce qui peut arriver. Et puis il deviendra grand, pour quand je serai vieille aussi. Et sa chair tressaillait en se penchant sur lui.

Charles Ferdinand Ramuz, Aline (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 2002)

09/07/2014

Le poème de la semaine

Alexandre Voisard

J’ai dit Amour.
J’ai dit Liberté.
Et tout mon corps se tend, falaise abrupte
Dont les racines tremblent dans le sang des origines.
J’ai dit Amour
Et les forêts ne cesseront plus
De frissonner sous les haillons durables de l’enfance.
 
J’ai dit Liberté
Et la pierre est riche de sa dureté
Et ma voix parcourt sans fin les vallées.
J’ai dit Liberté
Et le pays redevient terre,
Humus propice au verbe renaissant.
J’ai dit Liberté
Et la détresse jamais plus ne sèmera sous la trique.
J’ai dit Liberté
Et jamais plus le fer
N’aura de chance à nos poignets.
J’ai dit Liberté
Et jamais plus mes frères
Ne paraferont la poussière des jougs.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

04/07/2014

Lire les classiques - Henri-Frédéric Amiel

Henri-Frédéric Amiel

1.jpg

Petite perle cristalline 
Tremblante fille du matin, 
Au bout de la feuille de thym 
Que fais-tu sur la colline?
 
Avant la fleur, avant l'oiseau, 
Avant le réveil de l'aurore, 
Quand le vallon sommeille encore 
Que fais-tu là sur le coteau?

Henri-Frédéric Amiel, Poème (poesie.webnet.fr)

image:  Alfred William Strutt, Children of the Hills / 1890 (commons.wikimedia.org)

02/07/2014

Le poème de la semaine

Nicolas Bouvier

Depuis que le silence
n'est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d'avouer
qu'elle ne nous conduit qu'au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut
 
Dans l'oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et Celle qu'on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l'horloge
et les deux battements du sang
 
Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le cœur se brise.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle