Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/08/2012

Quentin Mouron 1a

Bloc-Notes, 20 août / Thonon-les-Bains

573968_674184276_1093074661_n.jpg

Il m'arrive de redouter la lecture d'un nouveau roman, parce que j'ai beaucoup aimé le précédent du même auteur - généralement le premier - et que je voudrais, comme dans la vraie vie, réduire au mieux la frange de mes déceptions possibles. Si j'ajoute qu'avant même la parution dudit roman, la presse dans une belle unanimité, crie au chef-d'oeuvre, l'inquiétude grandit. La méfiance aussi, avec cette désagréable impression de n'avoir plus rien à découvrir avant même la première ligne, que les jeux sont faits. Le danger enfin de m'exposer à dire les mêmes choses que tout le monde - le péché d'orgueil cher à nos amis catholiques! - ou oser exprimer que je n'aime pas ce livre, qu'à tout prendre il serait préférable de n'en pas parler, par délicatesse.

Cela m'est arrivé avec Quentin Mouron, mais toutes ces interrogations qui m'ont parcouru, pêle-mêle, se sont dissipées dès les premières lignes de Notre-Dame-de-la-Merci dont il est dit à juste titre qu'elles signent souvent - avec les dernières - un bon livre: C'est un matin de novembre. Les premiers flocons tombent sur la forêt québecoise. Le vieux Pottier a connu l'ennui. Qui dévore les personnes et les choses, les forêts, et qui balaie la neige. L'ennui silencieux, angoissé, que l'on ne peut pas dire parce que les mots nous manquent et qu'ils nous ont toujours manqué.

En quelques lignes, le décor est planté, est condensée toute l'atmosphère de ce qui va par la suite réunir trois antihéros sans ambition ni espoir véritable, qui se contentent de s'arranger avec la vie, parce que les dés sont pipés depuis trop longtemps pour qu'ils puissent se hasarder à autre chose. Il y a Jean, le fils du vieux Pottier qui s'est pendu - à qui il fait les poches pour lui piquer sa montre en or et un billet de vingt dollars -, une brute ivrogne, médiocre, qui voudrait devenir quelqu'un. Et Odette - après le décès de son type - est tombée amoureuse de lui, parce qu'elle croit qu'après tous ses déboires, il pourrait lui montrer qu'elle existe, alors qu'il s'en fout et ne pense qu'au fric qu'elle a amassé en vendant de la coke. Au contraire de Daniel, un ouvrier intermittent et rêveur de ce village de retraités paisibles, qui aime Odette, serait prêt à tout pour la mériter, au bout du compte. Enfin, il y a le narrateur de ce récit, du côté de ces trois-là, qui aimerait leur tendre une main, les retenir, à la corniche, éviter qu'ils ne plongent. C'est à lui que l'on doit l'un des plus beaux passages de ce roman, où il évoque l'église de Notre-Dame-de-la-Merci, la grande embrouille, les questions sans réponse, les nouveaux dieux: ceux qui fourguent leur camelote, le confort même s'il y manque toujours quelque chose. L'éternité peut-être...

En revanche, au regard de personnages si denses que la structure du récit - plus aboutie que dans Au point d'effusion des égouts - et la progression dramatique amplifient à merveille, les réflexions du narrateur manquent parfois de profondeur - à propos de l'hédonisme, du libre arbitre et du destin - ou en voix off prolongent ce que la qualité de l'écriture, la description des personnages, le déroulement de l'action ont si bien rendu sans lui: un tremblement plein de tendresse pour ces amputés du coeur.   

Cette réserve étant faite, malgré une intrigue assez noire et désespérée, une humanité sans fard transpire de cette histoire dont le point d'orgue est la difficulté voire l'impossibilité de traduire en mots les rêves, les désirs, les blessures les plus secrètes. Ainsi Daniel - et c'est une des scènes les plus bouleversantes du livre - transi d'amour devant Odette - mais auprès de laquelle les mots n'arrivent pas (...) Les mots qui comptent lui manquent tous.

Odette et Daniel glissent vers le gouffre qui s'est ouvert entre ce qu'ils sont et ce qu'ils aimeraient être. Cet abîme saignant que chacun vit pour soi, duquel on peut crier mais l'autre ne répond pas. La neige a fini de tomber. Le vent ne souffle plus. Il n'y a que des hommes et la nuit. Et les hommes crient et la nuit se tait. Du bord de la falaise, il serait vain de pointer un vainqueur, de dire que celui-ci va se perdre plus que l'autre, ou qu'un tel va mourir, ou qu'un tel autre vivra. Du haut de la falaise je ne vois que des perdants. Des perdants qui crient. Et la nuit qui les brise.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'ami Vialatte - que Quentin Mouron est grand!     

Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci (Olivier Morattel, 2012)

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les commentaires sont fermés.