16/06/2012
Morceaux choisis - René Char
René Char
Hermétiques ouvriers,en guerre avec mon silence,même le givre vous offenseà la vitre associée!Même une bouche que j'embrassesur sa muette fierté. Partout j'entends implorer grâcepuis rugir et déferler;fugitifs devant la torche,agonie demain buisson. Dans la ville où elle existe,la foule s'enfièvre déjà.La lumière qui lui mentest un tambour dans l'espace. Aux épines du torrentMa laine maintient ma souffrance.
René Char, Doléances du feutre (Les Cahiers de la Pléiade/Gallimard, 1949)
08:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
Philippe Jaccottet
Philppe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard, 2008)
Toujours aussi discret, exigeant dans son style et ses émotions, notre plus grand poète suisse vivant poursuit ses réflexions sur le monde, la nature ou le sens de sa propre vie. Le ton est si juste qu’on se croit à ses côtés quand il parle de Verlaine ou de Schubert, de sa sœur Christiane ou de Kafka. Cet ami du silence sait mieux que quiconque parler de la lumière, de l’élan du rossignol, des couleurs du ciel, des églantines. Croyez-moi : Il faut rencontrer ou découvrir Philippe Jaccottet de toute urgence, parmi tant de bruit … Vous ne le regretterez pas.
06:49 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Kafka, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
15/06/2012
Morceaux choisis - Henri Thomas
Henri Thomas
Le poète parle, et tous les commentaires sur ses paroles sont vains, quand ce ne sont pas de lourdes âneries. Le lien entre le poète et qui l'écoute ne s'établit pas à travers la critique, il est infiniment plus direct, profond, ancien; les quatrains de la Fête des arbres et du Chasseur de René Char, les poèmes elliptiques et heurtés d'Armen Lubin, les merveilles précises de Supervielle, par exemple, agissent sur l'esprit comme ont dû le faire de très anciennes rhapsodies chantées sur les routes, un beau poème étant toujours comme ce fragment de statue exhumé, dont Rilke dit qu'il crie sans voix: Tu dois changer ta vie!
C'est ainsi que la poésie se défend, en créant son propre climat, comme le cinéma le sien avec ses cônes de rêves. Dans un monde pressé et catastrophique, elle est ralentissement et affirmation de ce qui demeure; elle peut être aussi l'accélération qui passe outre, vers une immobilité tragique. Mais en satisfaisant les immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise (Baudelaire), elle rejoint dans tous les cas le plus profond de l'homme. Qu'elle disparaisse (c'est toujours possible), tout semblerait pareil peut-être, comme le pastiche est pareil au texte vrai; on n'y verrait que du feu: bizarre perspective, presque tentante, comme tous les passages d'un règne à un autre.
Henri Thomas, Crin-crin critique (Les Cahiers dela Pléiade/Gallimard, 1949)
image: Arthur Rimbaud, Le dormeur du val / Manuscrit (fr.wikipedia.org)
14:24 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Baudelaire, Jules Supervielle, Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; poésie; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
Paul Torday
Paul Torday, Partie de pêche au Yémen (Belfond, 2008)
Les meilleures comédies sont construites sur un fond de gravité, comme en témoigne cette heureuse surprise littéraire. Alfred Jones est chargé de concrétiser un projet de construction au Yémen afin d’y introduire la pêche au saumon. Une pure folie à ses yeux, mais celle du commanditaire, Cheik Muhammad, est contagieuse. Si l’auteur de ce premier roman éreinte les politiques, les manipulateurs de l’économie et les médias, il nous offre aussi quelques pages très poétiques sur la pêche. Son regard croise deux cultures dans lesquelles les motivations aux actes les plus invraisemblables ne reposent pas seulement sur la réussite ou l’argent, mais incluent une bonne dose de patience, d’espoir et même de passion.
Egalement disponible en coll. 10/18 (UGE, 2009)
11:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
Au bar à Jules - De Genève
Un abécédaire: G comme Genève
En Helvétie - comme partout ailleurs - les commentaires solennels, les avis éclairés, les invectives verbales vont bon train en politique aux heures de grande écoute, à la télévision ou à la radio, où il n'est bientôt plus question que de leçons à tirer des élections passées ou de projections sur celles à venir.
Prenez l'exemple plutôt affligeant du canton de Genève: avec ses plus de 12 milliards de dettes - près de deux fois plus que le second mal classé en Suisse: Zurich - où nous nous préparons à élire un nouveau membre du Conseil d'Etat, en remplacement du radical-libéral Mark Müller, empétré dans une affaire privée, et dont la cécité politique, à propos de sa gestion des affaires, aura eu raison de sa fulgurante ascension, amorcée voici douze ans. Et de quoi donc nous entretiennent-ils, les candidats à ce poste très convoité, qu'il s'agisse de la socialiste Anne Emery-Torracinta, du radical-libéral Pierre Maudet, du MCG Eric Stauffer ou du vert-libéral Laurent Seydoux? De responsabilité sociale, d'insécurité, de halte aux privilèges, de qualité de vie, de frontaliers, de quête d'excellence ou de propreté! Ambitieux programme, certes, mais à propos du nerf de la guerre - la santé financière de Genève - un silence éloquent qui en dit long sur les autorités de la République au bout du lac. A croire que l'influence de nos voisins tricolores - pour leurs défauts, mais sans leurs qualités - n'en finit pas de couvrir de son manteau une région qui, décidément si peu suisse, aurait en d'autres temps mérité de s'y réfugier...
Paul Valéry notait déjà, bien avant ma naissance, dans un contexte différent, je vous l'accorde:Tout état social exige des fictions. Et plus pessimiste encore il ajoutait: Ce sur quoi nul parti de s'explique: chacun a ses ombres particulières, ses réserves; ses caves de cadavres et de songes inavouables; ses trésors de choses irréfléchies et d'étourderies; ce qu'il a oublié dans ses vues, et ce qu'il veut faire oublier. (...) Ils retirent pour subsister ce qu'ils promettaient pour exister. Ils se valent au pouvoir, ils se valent hors du pouvoir.
Ainsi, en plein accord avec ce grand homme, aux heures fatidiques des développements de l'actualité, j'éteins la radio et la télévision. Je reprends le fil de mes lectures, avec en toile de fond La musique sur FB, plutôt satisfait d'avoir évité l'incontournable orage médiatique. Mais soyez rassuré: quand, même sur les ondes, les voix de nos chantres de l'information se sont tues, je file sur la toile de l'Internet pour y mesurer ce qui agite l'Europe et le Monde, mais en choisissant avec soin les sujets qui retiennent mon attention. Un exercice qui réclame peu d'efforts et beaucoup de discipline, au quotidien: Trente minutes à peine, éloigné de cette politique dont Paul Valéry - encore lui - disait qu'elle est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde...
Après tout, une pensée autonome est peut-être bien la seule ou la dernière des libertés à me permettre de résister au pire et... d'en rire!
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (coll. Folio Essais/Gallimard, 1988)
image: planetephotos.blog.tdg.ch
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Le monde comme il va, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; politique; livres | | Imprimer | Facebook |
14/06/2012
Morceaux choisis - Luis Nucera
Luis Nucera
A l'approche de la côte de Chanteloup, là où René Vietto gagna la Polymultipliée en 1938, je songeais de nouveau à ces moments de l'enfance qui forment une fraction du personnage que l'on deviendra, qui déterminent un volet de nos passions. Pourquoi celui-ci collectionne-t-il des bagues à cigare et son voisin des papillons morts? Pourquoi cet autre préfère-t-il la pêche à la ligne plutôt que de se joindre à la foule d'un stade en délire? Qu'est-ce qui prélude au choix? Avec une sensibilité bien niaise, je revoyais pour la énième fois l'image du Tour de France 1934, cette image de désolation et de guet où le Roi René, assis sur un muret, le visage grimaçant et baigné de larmes, la main gauche sur la cuisse, l'autre sur son mollet droit, son vélo (amputé de la roue avant) à ses côtés, attendait du secours.
Comment expliquer - sinon en fouillant les replis où l'enfance se calfeutre - que cette photographie, quarante ans plus tard, m'inspirait encore ce solfège de sensiblerie? Quand j'attaquai la côte, une autre photo se superposa: Vietto entraînant Kléber Piot, Robert Chapatte et tout un peloton arc-bouté par l'effort; c'était en 1947 dans le Circuit des boucles de la Seine; mais c'est Bobet qui gagnera. Une impatience physique me faisait oublier que j'aurais dû demander une licence à l'association sportive des fossiles: l'illusioniste chassait en moi le réaliste. Un groupe me rendit à la raison. Il me doubla avec une facilité qui me recroquevilla dans ma petitesse. Je redescendis vers le village, installé sur des coteaux ou s'étagent des vignes, et me consolai en écrivant une carte postale au Roi René. Cette carte, je ne l'expédiai pas. Un catéchumène du cyclisme ne perturbe pas les méditations du grand prêtre...
Luis Nucera, Le Roi René - La passion du vélo (Le Comptoir, 1996)
image: René Vietto (uncp.net)
11:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; sport; livres | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
Hector Bianciotti
Un livre ne s'adresse pas aux vivants, encore moins aux générations à venir; il veut consoler les morts, leur rendre justice, leur accorder une dignité, parachever leur vie - la foule des morts qui dévale de partout, nous entoure, se presse, et parfois entre en nous, nous remplissant d'un bavardage qui cherche les mots justes et une cadence pour qu'enfin l'on entende ce qu'ils avaient à nous dire. Ecrire, c'est suivre leur pas sans trace, leur donner la parole, devenir leur écrivain public. Les morts en ont besoin, qui s'égarent sans fin dans un rêve plus grand que la nuit.
Hector Bianciotti, Sans la miséricorde du Christ (Gallimard, 1983)
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
13/06/2012
Le poème de la semaine
Jules Supervielle
C’est tout ce que nous aurions voulu faireet n’avons pas fait,Ce qui a voulu prendre la paroleet n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,Tout ce qui nous a quittéssans rien nous dire de son secret,Ce que nous pouvons toucher et même creuserpar le fer sans jamais l’atteindre,Ce qui est devenu vagues et encore vaguesparce qu’il se cherche sans se trouver,Ce qui est devenu écumepour ne pas mourir tout à fait,Ce qui est devenu sillage de quelques secondespar goût fondamental de l’éternel,Ce qui avance dans les profondeurset ne montera jamais à la surface,Ce qui avance à la surfaceet redoute les profondeurs,Tout cela et bien plus encore,La mer. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
08:11 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
12/06/2012
Morceaux choisis - Michael Cunningham
Michael Cunningham
pour Thierry DS
Il est possible de mourir. Laura pense soudain qu'elle peut - que n'importe qui peut - faire un tel choix. C'est une idée insensée, vertigineuse, quelque peu désincarnée, qui se profile dans son esprit, faiblement mais distinctement, comme le lointain grésillement d'une voix à la radio. Elle pourrait décider de mourir. C'est une notion abstraite, tremblotante, pas vraiment morbide. Les chambres d'hôtel sont des lieux où les gens accomplissent ce genre de choses, n'est-ce pas? Il est possible - cela n'aurait rien d'invraisemblable - que quelqu'un ait mis fin à ses jours ici-même, dans cette pièce, sur ce lit. Quelqu'un a dit: ça suffit, j'arrête; quelqu'un a regardé une dernière fois ces murs blancs, ce plafond blanc et lisse. En allant dans un hôtel, c'est évident, vous laissez derrière vous les détails de votre vie, et pénétrez dans une zone neutre, une chambre immaculée, où mourir n'est pas si étrange.
Ce pourrait être un immense apaisement, se dit-elle; une telle libération: de simplement partir. De dire à tous: Je n'y arrivais pas, vous n'en aviez pas idée; je ne voulais plus continuer. Il y aurait là une beauté effrayante, comme une banquise ou un désert au petit matin. Ele pourrait, ainsi, pénétrer dans cet autre paysage; elle pourrait les laisser tous derrière - son enfant, son mari et Kitty, ses parents, tout le monde - dans ces univers ravagés (il ne retrouvera jamais son unité, il ne sera jamais tout à fait pur), à se dire l'un à l'autre, à dire à ceux qui poseraient la question: Nous pensions qu'elle allait bien, nous pensions que ses chagrins étaient des peines ordinaires. Nous n'avions pas compris.
Elle caresse son ventre. Je ne pourrais jamais. Elle prononce les mots à voix haute dans la chambre silencieuse: "Je ne pourrais jamais." Elle aime la vie, elle l'aime éperdument, du moins à certains moments; et elle tuerait son fils en même temps. Elle tuerait son fils et son mari, et l'autre enfant, qui grandit en elle. Comment s'en remettraient-ils? Rien de ce qu'elle pourrait faire dans sa vie d'épouse ou de mère, rien, aucune défaillance, aucune crise de rage ou de dépression, ne serait comparable à un tel geste. Ce serait tout simplement atroceCela creuserait un trou dans l'atmosphère, à travers lequel tout ce qu'elle a créé - les journées bien ordonnées, les fenêtres éclairées, la table mise pour le dîner - serait à jamais englouti.
Pourtant, elle est contente de savoir (car d'une certaine manière elle sait) qu'il est possible e cesser de vivre. Il est consolant d'être confrontée à la totalité des options; de considérer tous les choix possibles, sans crainte et sans artifice. Elle imagine Virginia Woolf, virginale, l'esprit égaré, vaincue par les impossibles demandes de la vie et de l'art; elle l'imagine entrant dans la rivière, une pierre dans sa poche. Laura continue de caresser son ventre. Ce serait aussi simple, pense-t-elle, que de prendre une chambre dans un hôtel. Aussi simple que ça.
Michael Cunningham, Les heures (coll. 10-18/UGE, 2011)
traduit de l'anglais par Anne Damour
image: Virginia Woolf
23:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
Musica présente 15 - Daniel Barenboim
Daniel Barenboim
pianiste et chef d'orchestre israélien/argentin, né en 1942
*
Ludwig van Beethoven
Symphony No 9 D minor, Op 125 - "Choral"
(Anna Samuil, Waltraud Meier, Michael König, René Pape, National Youth Choir of Great Britain, West Eastern Divan Orchestra)
03:45 Écrit par Claude Amstutz dans Daniel Barenboim, Ludwig van Beethoven, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |