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12/04/2010

De l'autre côté du miroir

Bloc-Notes, 12 avril / Les Saules

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Samedi dernier - un peu las du bruit, de l'absence de lumière intérieure, de la vacuité ambiante - j'ai entrepris un voyage avec ces écrivains imprégnés par la nature qui les entoure. Une première lecture à laquelle j'ai pris beaucoup de plaisir avec Jean-Louis Hue, auteur de L'apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Aujourd'hui, ce sont trois autres auteurs que j'évoque, témoins de ces mouvement de la terre capables de mieux nous régénérer qu'un long discours philosophique.

Prenez au hasard, le premier de ces livres: un auteur autrichien étonnant, Paulus Hochgatterer. Dans Brève histoire de pêche à la mouche, trois psychiatres, partent de bon matin ensemble pour une partie de pêche. Une journée d'évasion ou au contraire, un jeu de rôles, une mise à nu de leurs névroses en terre étrangère? Rêves et réalité s'entremêlent dans cette escapade où, quand on ne parle pas de poissons, on parle de femmes et entre hommes, bien sûr: convoitées, imaginées, rencontrées sur le mince fil de conscience qui démêle tant bien que mal l'écheveau obscur de l'équilibre et de la folie... Une comédie farcie de dialogues désopilants - la pêche à la mouche n'est rien d'autre que de la masturbation masculine en bande - au milieu de nulle part.

Une toute autre atmosphère avec Hubert Mingarelli. Son dernier roman, L'année du soulèvement, est la chronique de trois hommes piégés sur une colline, en marge d'une insurrection qui vient de renverser le pouvoir. Chacun à sa manière - deux, Cletus et Daniel, sont des insurgés accompagnant San-Vitto, un officier fait prisonnier - auprès des autres ou dans le bruissement du vent, cherche en son for intérieur,la paix. La fin du livre - le point culminant de l'émotion romanesque - est un hommage à Jack London: Il n'y avait plus de sentier et il s'enfonçait dans la neige. Il arriva au bord du creux et il vit l'église en bois noir, entre les sapins, pas plus grande qu'une maison. Il y descendit par une congère. Il en fit le tour lentement. Le temps de la pluie et le soleil l'avaient noircie. Les planches étaient disjointes. Le bois tendre entre les nervures avait disparu. (...) Le vent avait fait entrer la neige et l'avait poussée contre les murs. Cletus posa son fusil et ressortit. Il coupa des branches de sapin et revint, construisit un feu et l'alluma...

Retour à la pêche enfin, avec la réédition d'un texte jouissif et impertinent signé René Fallet, Les pieds dans l'eau. Adressé à ses compagnons de pêche, cet opuscule parle de rituels - le pain, le café, la ligne, l'aurore du peuple des roseaux - de la magie, de la liberté, de l'impatience: Venu de loin, très loin, le soleil passe. A la guillotine. Une écume de sang bave des vieux nuages, gicle au ciel. Oui, je me fous du monde, et il me le rend bien. A votre bon coeur, le mien bat la breloque, ou la bernique, ou la berlue. Demain il fera nuit. La fin dans le monde, la fin du monde, c'est au bout du couloir à droite, pas moyen de se tromper. J'ai posé ma canne dans l'herbe. Mon bouchon flotte dans un remous vert-de-gris. Pas une touche. Je baîlle. Je m'endors. Il fait très beau...

Paulus Hochgatterer, Brève histoire de pêche à la mouche (Quidam, 2010)

Hubert Mingarelli, L'année du soulèvement (Seuil, 2010)

René Fallet, Les pieds dans l'eau (Le Cherche Midi, 2010)

photo: le lac du Bourget (sur www.lemonde.fr)

01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/03/2010

Perdue de vue

Bloc-Notes, 21 mars / Les Saules

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Sur un quai de gare, il vous semble croiser une amie perdue de vue, depuis combien de temps déjà? Dix ans, vingt ans? Vous reconnaissez sa démarche aérienne, son élégance, ce parfum entêtant qui flotte dans l'air, les dominantes rouges et jaunes de sa parure du jour, le balancement évasif de sa main allumant une cigarette. Alors: Vous plongez? Cédez-vous au plaisir de renouer avec un souvenir agréable, ou feignez-vous l'indifférence, de peur d'être déçu, de gâcher votre souvenir, parce que vous avez changé - dans votre tête, dans votre corps - et que pour elle, il doit en aller de même? Voilà bien le hic!

Je vous abandonne à ce dilemme cornélien et reviens aux livres, car avec eux, la même question se pose, implacablement. Tôt ou tard, j'ai pris le risque de caresser à nouveau certains volumes poussiéreux de ma bibliothèque, m'imprégnant de leur odeur particulière, avant de les feuilleter ou les relire. Frustré, rassuré, émerveillé par cette recherche du temps perdu? Cela, on ne le sait qu'après!

Par exemple, recherchant des textes pour mon anthologie poétique francophone du XXe siècle - Quelques traces de craie dans le ciel - j'ai relu bien des poèmes de Jean-Pierre Duprey, de Jean Daive ou Jacques Roubaud que j'aimais beaucoup. Aujourd'hui, ils ne dégagent plus de vibrations et leurs mots glissent entre mes doigts comme du sable que je ne cherche pas à retenir, malgré la beauté du style qui ne suffit plus à mon bonheur. Plus nuancé, mon attachement aux poèmes de Raymond Queneau, Jean Cocteau ou Pierre-Jean Jouve, dont le choix de textes s'est réduit au fil du temps qui passe.

Parfois, les auteurs sont demeurés présents, mais pas avec les mêmes textes: Chez Albert Camus, je préfère maintenant - et de beaucoup - La chute à L'étranger qui avait pourtant bouleversé mon adolescence. De même pour Georges Bernanos, dont Le journal d'un curé de campagne a failli m'envoyer au séminaire (!) alors qu'en ce 21mars 2010, c'est La nouvelle histoire de Mouchette qui m'émeut aux larmes, ou encore André Malraux dont L'espoir a cédé la place à La corde et les souris qui me laissait de marbre à vingt ans...

Pour certains - parmi les illustres ou les plus modestes - la magie n'a jamais cessé d'agir: René Char, Louis-Ferdinand Céline, François Mauriac, Colette, Georges Perros, Philippe Jaccottet, Maurice Chappaz, Antoine Blondin, Roger Nimier... ce qui tend à insinuer que les livres ne s'apparentent pas à l'immobilisme des pierres tombales mais sont en mouvement et nous tendent, souvent mieux que nos frères humains, un miroir où se reflètent, pour le meilleur ou pour le pire, nos brûlures et notre destin.

photographie: Nusch Eluard, par Man Ray (1935)

13/03/2010

Les écureuils de Central Park - 1

Bloc-Notes, 5 février - 12 mars / Les Saules

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Vous êtes nombreux à me demander, chaque jour ou presque, des nouvelles de Katherine Pancol, dans votre impatience à lire le dernier épisode de la trilogie commencée avec Les yeux jaunes des crocodiles et suivie par La valse lente des tortues. Vous avez rongé votre frein, fumé la moquette, activé vos grigris, à l'affût du moindre signe : Déjà 295 pages d'écrites, puis 450, 600 et plus... Alors ? Alors quoi? Souriez, la vie est belle, car elle arrive enfin, la suite tant attendue, avec un titre qui est à lui seul toute une histoire : Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi. Mais soyez zen, serrez les dents, fermez les yeux, respirez à fond - parole de fan! - car il vous faut patienter encore un peu: Sa parution est annoncée pour le 1er avril... et ce n'est pas une blague!

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, il vous faut sortir vos agendas ou autres blackboards, coller un post-it sur votre frigidaire, inscrire la date à l'encre indélébile au creux de la paume de votre main droite, filer au pressing pour vous parer d'un habit de fêtes, car Katherine Pancol vient nous rendre visite en Suisse et se réjouit de vous rencontrer tous, amis fidèles de longue date ou hôtes de passage, vendredi 30 avril, chez Payot Libraire, Centre La Combe, à Nyon, de 16 h à 18 h.

Et qu'est-ce qu'on dit ? Merci Katherine, bien entendu !

Katherine Pancol, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Albin Michel, 2010)

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07:10 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Katherine Pancol | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/02/2010

Editions Le Cadratin, Vevey (Suisse)

Bloc-Notes, 15 février / Les Saules

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Certains éditeurs font un travail absolument merveilleux, même s'il est bien difficile de trouver leurs ouvrages en librairie. Le Cadratin est un atelier traditionnel de typographie, de création établi sur les quais de Vevey. Son éditeur apprécie les beaux papiers et ses travaux sont réalisés de façon artisanale, par pure passion pour cet art ancien, sans contrainte de productivité. Ses ouvrages sont pour la plupart limités dans leur tirage et numérotés.

L'atelier - nous confie Jean-Renaud Dagon - comprend les rangs, tous en bois, garnis de nombreuses casses contenant les diverses polices de caractères en plomb ou en bois, et de casseaux renfermant filets en laiton ou cadres et motifs décoratifs en plomb. Les lingotiers, quant à eux, contiennent lingots et interlignes. Les outils du compositeur sont le composteur, le typomètre, les pinces et la galée. Pour l'impression, il utilise des Heidelberg à platine ou à cylindre des années 1950 et une Phoenix, presse à pédale datant de 1911.

Parmi les fleurons du Cadratin, je vous en cite quelques-uns, dont la qualité des textes rime avec la beauté, la sensualité, la lumière qui se dégagent de l'objet réalisé: Chez Marcel Imsand de Philippe Dubath, Ta belle mort de Nancy Huston, La chiffonière de Maryse Renard, Valais-Tibet de Maurice Chappaz, sans oublier deux classiques: La mouche de William Blake et Voyelles d'Arthur Rimbaud.

Si vous passez par l'attachante ville de Vevey où il fait si bon vivre, ne manquez pas de visiter ce lieu magique qui enchantera les amoureux du livre que vous êtes. Un coin du voile est levé sur le site Internet de l'éditeur dont le lien permanent est intégré à ce blog.

Si vous le consultez, vous serez agréablement surpris par les prix raisonnables de ses livres qui tiennent allègrement la comparaison avec les grands éditeurs parisiens dont la qualité de papier, la typographie ou l'orthographe pour certains - malgré 30 € ou davantage - voisine le 20 minutes... hélas!

http://www.lecadratin.ch

06:17 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Maurice Chappaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/01/2010

Coup d'oeil dans le rétroviseur

Bloc-Notes, 19 janvier / Les Saules

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Et si je vous parlais, en ce début d’année, des millésimes si chers aux viticulteurs ? Autrement dit, quel serait le livre de l’année, celui défendu becs et ongles, celui dont je ne me séparerais pour rien au monde, celui qui a enchanté mes nuits ou donné un sens à mon quotidien ? Bien sûr, cette attribution de roses rouges est personnelle, subjective, viscéralement liée au fil rouge des humeurs ou émotions, parfois graves, mais souvent légères comme une envolée de ballons dans une fête foraine.

 

Voici donc 11 titres, ceux qui m’accompagnent toujours, dont je ne me lasse jamais, que j’incite à faire découvrir à mes proches, connaissances ou amis de passage. Un bouquet de fleurs sauvages qui commence avec Vu de l’extérieur de Katherine Pancol (1993), suivi par Le jour des abeilles de Thomas Sanchez (2001), Rapport aux bêtes de Noëlle Revaz (2002), Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt (2003), Un amour de jeunesse de Ann Packer (2004), Oublier l’orage de Cédric Morgan et De l’art de conduire sa machine de Steven Carroll (2005), Le pays des ténèbres de Stewart O’Nan (2006), Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel (2007), Les intermittences de la mort de José Saramago (2008) et enfin Lark et Termite de Jayne Anne Phillips (2009).

 

Peut-être y trouverez-vous, dans un monde à certaines heures étrangement artificiel ces quelques vibrations communes qui nous rapprochent les uns des autres, qui sait? Dans tous les cas, livrez-vous à cet exercice jubilatoire et vous serez surpris par les poissons pris à votre hameçon. Pas forcément ceux auxquels vous sembliez pourtant si attachés …

 

La liseuse, de Pierre-Auguste Renoir (1876), Musée du Louvre, Paris

10:53 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jayne Anne Phillips, Katherine Pancol, Noëlle Revaz, Philippe Claudel, Steven Carroll | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/01/2010

Une journée particulière

Bloc-Notes, 13 janvier / Cologny

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Comme dans le film mythique de Georges Lautner, Les tontons flingueurs, je fais sans doute partie de ces étourdis qui ont oublié de lire l’horoscope du jour. A six heures du matin, j’attends donc sous la neige mon bus qui, comme la Madeleinede Jacques Brel, ne vient pas ! Puis, quinze minutes plus tard, le voilà qui arrive : Alléluia ! Joie de bien courte durée, car au moment d’amorcer la côte entre Cologny et Frontenex, il se trouve contraint de croiser avec un bus venu en sens inverse, ce qui n’était pas prévu. Quelques brefs hoquets de moteur, accompagnés par les commentaires avertis de certains passagers – vous n’y arriverez pas !– et plouf : Le silence. Ca se gâte… Le chauffeur apparemment rompu à ce genre de blagues, s’entretient brièvement avec une tête pensante des TPG qui confirme que les deux véhicules ne peuvent ni avancer, ni reculer. Il faut une dépanneuse, et pas n’importe laquelle.

 

A gauche, moins d’un mètre nous sépare de l’autre bus. A droite – côté portes de sorties - nous sommes à moins d’un mètre aussi, mais d’un mur de cinq mètres! Faits comme des rats ! Tout zen pour le commun des mortels, la tempête gronde dans mes cellules, l’angoisse monte, le rythme cardiaque s’accélère, ma claustrophobie aussi… Que faire ? Dans pareil cas, j’ai pris l’habitude – dans les tunnels par exemple – de compter les cailloux pour occuper mon esprit, mais il n’y en a pas dans cette situation inédite.

 

Alors, la mort dans l’âme, je sors de ma besace le roman que je viens d’achever, Les âmes sœurs de Valérie Zenatti, dont je vous parlerai demain. J’en relis un très beau passage où l’une des deux héroïnes – Lila Kovner – décrit son ami Malik : Il avait un corps souple, un corps de danseur. Il souriait souvent, sans raison particulière, c’était comme des guillemets au début et à la fin des phrases, ses yeux se mettaient à briller, son visage s’ouvrait. J’avais l’impression que son sourire se faufilait en ondulant dans mon corps comme une liane toute douce, se blottissait dans mon ventre et le fécondait pour donner naissance à mon propre sourire.

 

Et soudain, dans un souffle, la porte arrière s’ouvre et, les uns derrière les autres, nous pouvons quitter le plateau des catastrophes. Miracle ! La neige ne cesse de tourbillonner comme dans un Noël de légende, entraînant une température douce, une impression de légéreté féérique. Toutes les voies sont fermées à la circulation. J’allume une cigarette avant d’entreprendre une marche allègre, de l’église de Cologny au Centre Ville - un exercice salutaire pour les fumeurs! - soulagé de réaliser que Valérie Zenatti a remplacé avantageusement le Temesta des heures sombres, que son livre est une merveille et que je voudrais réfléchir la qualité de son regard pour imprégner la surface des êtres ou des choses qui peuplent mon propre quotidien.

 

Avec un peu de recul sur les événements, cette aventure inhabituelle a bousculé avec bonheur mes habitudes et somme toute, aurait pu annoncer une bien belle journée. Malheureusement, non! Alors, suivez mon conseil: parfois il vaut mieux se lever tard, le plus tard possible...

 

Valérie Zenatti, Les âmes soeurs (Editions de l'Olivier, 2010) 

23:55 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jacques Brel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |