16/02/2014
Lire les classiques - Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud
Et la Mère, fermant le livre du devoir,S'en allait satisfaite et très fière sans voir,Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,L'âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour, il suait d'obéissance; très Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traitsSemblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,En passant il tirait la langue, les deux poingsÀ l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.Une porte s'ouvrait sur le soir: à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,Sous un golfe de jour pendant du toit. L'étéSurtout, vaincu, stupide, il était entêtéÀ se renfermer dans la fraîcheur des latrines:Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinetDerrière la maison, en hiver, s'illunait, Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marneEt pour des visions écrasant son oeil darne,Il écoutait grouiller les galeux espaliers.Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiersQui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boueSous des habits puant la foire et tout vieillots,Conversaient avec la douceur des idiots!Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,Sa mère s'effrayait; les tendresses, profondes,De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment! À sept ans, il faisait des romans, sur la vieDu grand désert, où luit la Liberté ravie,Forêts, soleils, rives, savanes! - Il s'aidaitDe journaux illustrés où, rouge, il regardaitDes Espagnoles rire et des Italiennes.Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,- Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,La petite brutale, et qu'elle avait sauté,Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,Car elle ne portait jamais de pantalons;- Et, par elle meurtri des poings et des talons,Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre,Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,Il lisait une Bible à la tranche vert-chou;Des rêves l'oppressaient, chaque nuit, dans l'alcôve.Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourgOù les crieurs, en trois roulements de tambour,Font autour des édits rire et gronder les foules.- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houlesLumineuses, parfums sains, pubescences d'or,Font leur remuement calme et prennent leur essor! Et comme il savourait surtout les sombres choses,Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,Il lisait son roman sans cesse médité,Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,Vertige, écroulement, déroutes et pitié!- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,En bas, - seul et couché sur des pièces de toileÉcrue, et pressentant violemment la voile!
Arthur Rimbaud, Les poètes de sept ans, dans: Poésies - suivi de Les illuminations et Une saison en enfer (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
image: Arthur Rimbaud par Paul Verlaine (musessquare.blogspot.com)
illustration musicale: Léo Ferré, Les poètes de sept ans
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Chansons inoubliables, Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; chanson; variétés;anthologie;livres | | Imprimer | Facebook |