22/02/2010
Daniel Barenboim - 1a
Daniel Barenboim, La musique éveille le temps (Fayard, 2008)
Qui ne connaît ce magicien du piano et de la direction d’orchestre, ou ses engagements pour le rapprochement des peuples, de la chute du mur de Berlin à Ramallah ? À travers divers textes ou interviews, il s’attarde sur ses convictions d’homme et de musicien. Les chapitres consacrés à son ami Edward Saïd, aux controverses à propos de Richard Wagner, aux vingt-quatre heures pour changer le monde en Israël, forcent le respect ou l’admiration. Une interrogation pleine d’espérance, mais lucide sur le monde d’aujourd’hui.
06:11 Écrit par Claude Amstutz dans Daniel Barenboim, Documents et témoignages, Littérature étrangère, Musique classique, Richard Wagner | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; témoignage; livres | | Imprimer | Facebook |
20/02/2010
Carlos Liscano
Bloc-Notes, 20 février / Les Saules
Carlos Liscano ne figure pas parmi les auteurs sud-américains les plus connus et c’est bien dommage, car cet écrivain uruguayen qui a connu treize années de captivité à la suite de son arrestation à Montevideo par le régime militaire en 1972, doit à sa réclusion une immersion dans la littérature qui lui confère un style tout à fait unique, quelque part entre Louis-Ferdinand Céline et Dino Buzzati : Romans, nouvelles, récits, poésie et théâtre.
En France ont paru La route d’Ithaque en 2005 (Belfond et coll. 10/18), Le rapporteur et autres nouvelles en 2005 (coll. 10/18) Le fourgon des fous en 2006 (Belfond et coll. 10/18), L’impunité des bourreaux en 2007 (Bourin) et son chef d’œuvre à ce jour, Souvenirs de la guerre récente en 2007 (Belfond et coll. 10/18).
Il nous revient aujourd’hui avec un essai, L’écrivain et l’autre. Dans ce dernier, en proie à la paralysie de la plume, à l’impossibilité de donner corps à un nouveau roman, Carlos Liscano s’interroge sur le métier d’écrivain, son lien à la littérature, de même que son rapport à la liberté, à la vie réelle, à la solitude, à la création.
De l’écriture, il nous dit qu'elle est : Une petite goutte à peine tombée du compte-gouttes. La faire couler, la pousser avec la pointe de la plume. Trouver une forme qui rappelle quelque chose, un visage, une situation. Puis la perdre parce qu’une autre ligne la traverse. Et repartir à la recherche, essayer à nouveau de trouver dans le noir sur le blanc autre chose que le hasard ou l’ennui.
Plus loin, sur le métier, il ajoute : Nous, les petits écrivains, nous savons que nous avons les mêmes inquiétudes et les mêmes souffrances que les grands. Cela ne fera pas de nous des grands, jamais. Mais nous ne pouvons que le reconnaître et continuer.
Même chez nous autres, qui nous essayons - maladroitement la plupart du temps - à la correspondance, aux papiers d’opinion ou aux passions partagées, le miroir qui nous est tendu prête à réfléchir : Ecrire sur l’écrivain et sur la littérature, est-ce de la littérature ? Ce n’est peut-être qu’un prétexte, raconter pour se raconter. Parce que c’est aussi de cette façon qu’on peut prétendre à devenir un autre, qu’on peut prétendre à dire : Je suis là, j’essaie de raconter la seule chose qui ait vraiment du sens, à savoir le combat contre la mort, le désir ardent de tout voir avant de disparaître, de laisser un témoignage de ce que j’ai vu.
L’écrivain et l’autre respire d’une sincérité, d’une recherche, d’une lucidité dont bien des auteurs actuels – francophones, surtout ! – enfermés dans un système d’écriture ou une construction littéraire privée de sens, pourraient s'inspirer, eux qui n’ont bien souvent plus rien à nous dire. Ce qu’on pourrait désigner comme le mensonge en littérature, à soi-même pour commencer, envers le lecteur ensuite...
A Carlos Liscano revient le mot de la fin : Tout récemment, j’ai de nouveau lu par plaisir. Je sens que c’est là que se trouve tout ce dont j’ai besoin pour vivre. Je commence à comprendre pourquoi je ne peux plus écrire : je n’ai plus rien à dire, mais autrefois je pensais que si. Aujourd’hui, je ne le pense même plus.
Un grand monsieur, ne le pensez-vous pas?
Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre (Belfond, 2010)
publié dans Le Passe Muraille no 82 - juin 2010
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le Passe Muraille, Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
17/02/2010
Le poème de la semaine
Alexandre Voisard
Passé mille ans d'errance,
me voici revenu au pays que je n'ai jamais quitté.
Voici la contrée que je ne quitterai plus,
la plaine autrefois parcourue que je retrouve
sans l'avoir à aucun instant perdue.
Voici mon pays tremblant
que j'emporterai vers le secret de l'aube,
mon étendue matinale
qui ne sommeille bien qu'entre mes bras.
Je te retrouve, mon aire chaude
traversée d'odeurs de noix et du bruissement des feuilles.
Tu es semblable à la forêt
où je retourne en sommeillant,
tu es la rivière qui ne cesse de recourir à son enfance.
Mon pays de fougère qui habite ma main
comme une horloge endormie.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:00 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
15/02/2010
Editions Le Cadratin, Vevey (Suisse)
Bloc-Notes, 15 février / Les Saules
Certains éditeurs font un travail absolument merveilleux, même s'il est bien difficile de trouver leurs ouvrages en librairie. Le Cadratin est un atelier traditionnel de typographie, de création établi sur les quais de Vevey. Son éditeur apprécie les beaux papiers et ses travaux sont réalisés de façon artisanale, par pure passion pour cet art ancien, sans contrainte de productivité. Ses ouvrages sont pour la plupart limités dans leur tirage et numérotés.
L'atelier - nous confie Jean-Renaud Dagon - comprend les rangs, tous en bois, garnis de nombreuses casses contenant les diverses polices de caractères en plomb ou en bois, et de casseaux renfermant filets en laiton ou cadres et motifs décoratifs en plomb. Les lingotiers, quant à eux, contiennent lingots et interlignes. Les outils du compositeur sont le composteur, le typomètre, les pinces et la galée. Pour l'impression, il utilise des Heidelberg à platine ou à cylindre des années 1950 et une Phoenix, presse à pédale datant de 1911.
Parmi les fleurons du Cadratin, je vous en cite quelques-uns, dont la qualité des textes rime avec la beauté, la sensualité, la lumière qui se dégagent de l'objet réalisé: Chez Marcel Imsand de Philippe Dubath, Ta belle mort de Nancy Huston, La chiffonière de Maryse Renard, Valais-Tibet de Maurice Chappaz, sans oublier deux classiques: La mouche de William Blake et Voyelles d'Arthur Rimbaud.
Si vous passez par l'attachante ville de Vevey où il fait si bon vivre, ne manquez pas de visiter ce lieu magique qui enchantera les amoureux du livre que vous êtes. Un coin du voile est levé sur le site Internet de l'éditeur dont le lien permanent est intégré à ce blog.
Si vous le consultez, vous serez agréablement surpris par les prix raisonnables de ses livres qui tiennent allègrement la comparaison avec les grands éditeurs parisiens dont la qualité de papier, la typographie ou l'orthographe pour certains - malgré 30 € ou davantage - voisine le 20 minutes... hélas!
06:17 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Maurice Chappaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; livres | | Imprimer | Facebook |
12/02/2010
Noëlle Revaz - Efina 2
Noëlle Revaz, Efina (Gallimard, 2009)
07:07 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Noëlle Revaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
Noëlle Revaz - Efina 1
Noëlle Revaz, Efina (Gallimard, 2009)
Ce qui m‘épate, chez Noëlle Revaz, c’est son aisance – et probablement son plaisir – à prendre des risques ou changer de registre, d’un texte à l’autre, sans s’embourber dans une sempiternelle répétition d’un premier succès, au risque de désarçonner son public, ce qui pour l’heure n’est pas vraiment le cas. Il y a donc parfois une justice en littérature...
Son style demeure aussi magnifique et personnel que dans Rapport aux bêtes ou Quand Mamie, adoptant dans ce récit un angle de vue très original pour nous partager la liaison qui survit au pouvoir destructeur du temps par une correspondance s’étendant sur une vingtaine d’années, entre un acteur de théâtre T. et Efina, une de ses nombreuses admiratrices. Même s’ils partagent une brève aventure pas vraiment inoubliable, leurs chemins les conduisent au détachement, à l’éloignement l’un de l’autre. Pourtant ils ne parviennent pas à renoncer au besoin de s’écrire, scellant par cette fidélité, un sentiment peut-être plus fort que tout ce que la vie leur a donné, chacun de leur côté. Le théâtre s’imbrique dans leur relation tel un clair-obscur déroutant, souvent drôle ou dérisoire, mais au-delà des apparences, terriblement attachant.
00:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Noëlle Revaz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
11/02/2010
Les pièces de Shakespeare - 1b
01:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
Les pièces de Shakespeare - 1a
Comme il vous plaira
Comme il vous plaira est une comédie, ou mieux encore, une romance selon la terminologie anglo-saxonne. Quoique… mais jugez plutôt : Le jeune roi Fréderic, usurpateur du royaume, bannit son propre frère, le Duc qui se réfugie dans la forêt avec ses amis fidèles. Sa fille Rosaline, demeurée à la cour auprès de son amie inséparable Célia, fille de l’usurpateur, tombe sous le charme d’Orlando, lequel éprouve immédiatement les mêmes sentiments envers Rosaline. Mais jalousé, envié par son frère Olivier qui veut le réduire à néant, il part rejoindre le Duc et sa suite. Déguisées en garçons, les deux jeunes filles rejoignent les autres, et il s’en suit des quiproquos amusants – la jeune bergère qui veut épouser Rosaline travestie –, un air de frivolité légère contrastant avec les débuts, dont les thèmes chers à Shakespeare – l’ivresse du pouvoir, la trahison, la jalousie - sont proches de Hamlet ou de La tempête. A la fin de la pièce, Fréderic, converti par un ermite, rend le pouvoir au Duc et les noces de Rosaline et Orlando sont célébrées.
Rosalinde incarne sans doute l’une des plus belles créations féminines, avec son humour, sa générosité, son amour de la vie. Un autre personnage sort du lot : Jacques, qui, ayant abandonné les plaisirs de la cour et fui les mondanités, accompagne le Duc dans sa disgrâce. C’est à lui qu’on doit cette célèbre tirade : Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes n'en sont que les acteurs. Ils ont leurs sorties et leurs entrées et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.
En anglais, la musique des mots est plus enchanteresse :
All the world’s a stage,And all the men and women merely players :They have their exits and their entrances ;And one man in his time plays many parts.(Acte II, scène VII)Un bien agréable divertissement !
traduit par Yves Bonnefoy (Coll. Livre de poche, 2009)
00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
10/02/2010
Le poème de la semaine
Henri Michaux
La fortune aux larges ailes, la fortune par erreur
m'ayant emporté avec les autres vers son pays joyeux,
tout à coup, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux,
d'infinis petits pétards dans l'atmosphère me dynamitèrent
et puis des couteaux jaillissant de partout
me lardèrent de coups,
si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie,
à tout jamais la mienne maintenant.
La fortune aux ailes de paille,
la fortune m'ayant élevé pour un instant
au-dessus des angoisses et des gémissements,
un groupe formé de mille caché à la faveur de ma distraction
dans la poussière d'une haute montagne,
un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours,
tout à coup nous étant tombé dessus comme un bolide,
je retombai sur le sol dur de mon passé,
passé à tout jamais présent maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune aux draps frais
m'ayant recueilli avec douceur,
comme je souriais à tous autour de moi,
distribuant tout ce que je possédais, tout à coup,
pris par on ne sait quoi venu par en-dessous et par derrière,
tout à coup, comme une poulie qui se décroche,
je basculai,
ce fut un saut immense,
et je retombai sur le sol dur de mon destin,
destin à tout jamais le mien maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune à la langue d'huile,
ayant lavé mes blessures,
la fortune comme un cheveu qu'on prend
et qu'on tresserait avec les siens,
m'ayant pris et m'ayant uni indissolublement à elle,
tout à coup comme déjà je trempais dans la joie,
tout à coup la Mort vint et dit:
"Il est temps. Viens."
La Mort, à tout jamais la Mort maintenant.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
10:57 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
09/02/2010
In memoriam
Georges Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette (Le Castor Astral, 2009)
Certains chefs d’œuvres sont indisponibles depuis de longues années. Parmi ceux-ci, heureusement, il en est un récemment réédité, soit la Nouvelle histoire de Mouchette de Georges Bernanos.
Tragédie du mal sous toutes ses formes – conformisme social, matérialisme, violence ou mensonge – ce roman nous dévoile le destin de Mouchette, une jeune fille de 14 ans, confrontée à l’indifférence de sa famille : une mère à l’agonie, un père et ses grands frères qui cherchent dans l’ivresse à oublier leur condition misérable. A la faveur d’une tempête, rentrant de l'école, elle s'égare en forêt et croise le chemin d’Arsène le braconnier qui l'accueille, puis la séduit et sous l'emprise de l'alcool, abuse d’elle. Seule, rejetée dans cet environnement qui ne lui fait aucun cadeau – même son institutrice la livre aux moqueries de ses camarades de classe – elle choisit, pour en finir avec le désespoir, la honte et le dégoût qui submergent son innocence perdue, de mettre fin à ses jours.
Aucun roman contemporain ne m’aura à ce point ébranlé. De toute évidence, ce texte écrit en 1937, transposé dans un contexte plus universel, incite à penser que Mouchette est le visage de la France humiliée, bafouée, en proie à la folie des hommes - leur lâcheté, leur mépris - comme si seule une grâce divine saurait illuminer les ténèbres insinuées dans la moindre des réalités.
Bien des années plus tard, ce roman conserve un étonnant pouvoir de colère, de révolte, de fraternité douloureuse. Dans un autre décor social aussi glaçant que celui qui précède, on peut déceler aujourd’hui dans le drame de Mouchette, l’insupportable vérité des nouveaux pauvres, des exclus de la société, des victimes de la consommation, désormais jugés encombrants ou pire, inutiles …
Ne manquez pas le film de Robert Bresson, Mouchette, réalisé en 1967 d'après l'oeuvre de Georges Bernanos, avec la bouleversante Nadine Nortier. Un des dix plus beaux films de tous les temps! En prime, le Magnificat de Claudio Monteverdi, contrepoint saisissant à la noirceur de l'adaptation cinématographique.
11:09 Écrit par Claude Amstutz dans In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |