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01/01/2009

Le poème de la semaine

Claudio Montale


Je ne connais pas la vie,

je ne te savais pas.

L'univers était flou, sans contrastes,

sans forme ni objet,

dépourvu de base et de sommet,

de profondeur et de surface.


Asphyxié,

je me perdais dans mes notions de valeurs,

mais quelles valeurs?


L'araignée tissait sa toile 

autour de moi.


Etouffement, écœurement,

souvent,

si souvent dans mes déserts

peuplés de vautours

où j'errais avant de te rencontrer.


Solitaire - même au milieu des miens -

j'appris le monde, la vie, les hommes.

Je n'acceptais pas,

alors j'ai préféré partir.


Je cherchais quelque chose

que je devinais important;

mais de cause en effet,

d'innocence en expérience,

je m'évadais sans cesse.


Démence,

appel au salut impossible,

folle inconscience dans ma nuit.


Je vivais, sans que jamais

pourtant

le moindre événement

ne donne un sens à mon existence.


A travers les arrachements,

les cassures, les déchirements,

à travers la stupidité générale,

j'attendais un signe.


Et les voyages encore une fois:

la drogue - qui m'ennuie -,

l'alcool - qui a mauvais goût -.


L'oeuf ne s'est jamais débarrassé 

de sa coquille.


Etranger, hors du coup, 

résolument en marge,

je m'accrochais...


Mais peut-on vraiment

appeler cela: vivre sa vie?


J'avais perdu le sens

de tout rapprochement

avec le monde extérieur.

Puis, un jour,

m'éveillant comme à l'accoutumée,

je vis un rais de lumière.


Et s'il s'agissait d'un mirage?


Mes os ne supportaient plus

ma tête de clown

et le sang,

toujours témoin de ce voyage

incroyablement difficile,

s'égouttait en larges flaques roses.


Alors, tu es venue.

Le cours de ma vie changea.


Je t'aimais déjà,

revenu miraculeusement de je ne sais

quel pays lointain.


Le temps se cassait à l'aube

et sur mon coeur de craie

les lèvres étrangères ne disaient que bonsoir.


Trop longtemps, je vécus en observateur.

Dans mes voyages, 

nulle trace de désir, d'audace

ou d'imagination:

la sève ne montait pas à l'arbre.


Combien de changements

n'as-tu pas déjà provoqués en moi?

Lorsque je pousse la porte de ma chambre,

je n'y trouve point l'écho

d'un souffle de jeunesse et de renouveau.


Je scrute ton regard

et me glisse un instant dans ta vie;

mais si vite, tu retournes

à tes préoccupations

dont je voudrais être le dénouement.


Hélas, je te connais si peu,

et toi, tu es si loin,

tellement absente partout,

alors que chaque heure et chaque jour

ne me parlent que de toi.


Les corbillards de mes années gâchées

gouvernent leurs fantômes

lorsque ta main m'arrache à l'exil.


Si proche et inaccessible pourtant,

dis:

à quoi songes-tu?


Oiseau rare, 

éveille en moi la sincérité.

Eprouve-moi du berceau de ton mystère.

La vérité attend

sur le seuil de ta porte.


Cache-toi, prends patience,

et cela je t'en prie,

car mes mots et mes gestes,

la pluie les traverse.


Cerné par tes multiples présences,

fidèle - oh combien fidèle -

j'attends.


Dans l'hiver de ton oeil,

je ne joue plus.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour C.C.

Le poème de la semaine

Claudio Montale


Je suis tombé du temps

sur un livre qui traîne,

lentement,

progressivement,

sans laisser de trace.


Je suis tombé en petites flaques,

mal à l'aise,

entre deux lignes de vie,

sans surprise,

dans la pauvreté,

dans l'insuffisance,

étouffé,

chiffonné au fond de moi-même.


Je suis tombé subitement,

sans me presser

pour ne choquer personne.


A chacun son affaire ...


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour C.C.

Le poème de la semaine

Claudio Montale


Un visage,

à l'écorce douce et secrète de l'orange,

comme un soleil qui se laisserait éblouir,

après le fléau gelé des larmes,

après le bois-vert des insultes,

après la misère.


Un visage,

comme un appel au large,

quand l'heure est passée,

que s'est éteinte la lanterne de la comédie

dans le lit défait de l'imagination.


Un visage,

ton visage que j'aime et qui vit en moi,

loin des fouillis,

des entassements de bonne famille,

loin de la neige salie de l'enfance,

loin des asiles.


Un visage,

qui soit la fin des asiles,

comme un sursis éphémère au suicide,

mon suicide,

comme un suicide cent fois remis au lendemain

sur le fil cassé de la rancoeur:

mélodie nocturne d'un coeur désillusionné

qui recommence à croire...


Ton visage,

si près de moi que je ne peux le décrire,

ni chaud, ni froid

et que j'engouffre en moi

jusqu'à la déchirure.


Ton visage,

comme une porte cochère,

comme pour oublier que tout n'est qu'illusion,

pour noyer le petit sécateur malmené des mots,

pour oublier qu'on n'oublie rien du tout.


Ton visage,

toi qui trouves la vie insipide,

la drogue sans histoires,

sur la ligne brisée de mes rêves

tu m'imposes l'image d'une étoile qui meurt.


Ton visage,

merveilleux sans fadeur, 

ingénu sans vulgarité,

ironique mais si tendre

tandis que tu bascules et t'attaches

à l'enfer ralenti de mes lèvres.


Ombre de mon ombre,

visage reconnaissable entre tous les visages

dont je ne sais le nom,

visage contre le mien,

tant de fois caressé jusqu'à l'usure de mes paumes.


Un visage,

ton visage.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour C.C.

Le poème de la semaine

Claudio Montale


Mon corps est transparent,

si transparent

que bientôt il y fera jour.

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour C.C.

Le poème de la semaine

Claudio Montale


Le visage d'une amoureuse est sans équivalent

Cerné de toutes parts la nuit l'engloutit

L'inconnu ne réveille pas le mensonge

L'unique langage est celui de l'écolier

qui n'en demandait pas tant

Visage survenu dès la fin du jour

L'homme perd son corps il redevient humain


Sur votre front ramures profondes

j'ai senti le poids de l'irréparable

le frémissement de la terre

le fini est inépuisable


Dans l'écrin de vos yeux la mort est une illusion

l'intelligence un fantasme

l'oubli une imposture

Il n'est plus de ténèbres

l'inaccessible s'évanouit

vertiges vertiges ...


Eventail replié vos lèvres se débattaient

entre savoir et devenir

clou rouillé dans la transparence de l'instant

changé en fontaine

Aiguilles du temps et de la volupté

au balancement subtil du roseau

lorsque la marée montante des désirs

vous griffe avec élégance

fleurs profondes ne vous cassez pas

mais épousez le velours noir de mon incrédulité


Mèches de cheveux

aux ondulations allègres du tournesol

qu'une main écorchant votre peau chassa

volez volez doigts agiles

dans ces broderies sans concurrence


Sous le baiser humide et tendre

vous vous êtes raidie fleur étrange

figée traquée sous la morsure en plein midi

Votre cou s'infléchissait

n'exprimant ni oui ni non

lorsque côte à côte nous dérivions

vers le sommeil vers la mort


La chute des feuilles

comme une épingle retournée m'a dit oui

Parfums caresses ou vents

éclats incandescents de l'amour

pourvoyeurs de signes

balbutiements de mémoire


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour M.M.


Le poème de la semaine

Claudio Montale


Verbe de mémoire,

mon ombre sur la terre,

le gouvernail du temps au hasard des intempéries

a démêlé nos liens.


Branches obscures avides de tout,

nos vies ont emprunté un itinéraire différent,

tantôt fondu à la pierre négligée,

tantôt semblable à l'éclair de midi,

impatient et désespéré.


Au seuil du rude hiver,

il a fallu effacer la trace ancienne,

l'écharde blanche

à la dimension de notre impossible amour.


Silence, intériorité en Dieu,

l'ami et l'hôte inattendu. 


Absence scellée

aux blessures apparentes.


Hors de toi,

le temps s'est raréfié.


A l'épreuve des vents contraires

je n'ai pas fui l'allégresse

des matins réinventés;

mais pourquoi l'ancolie solitaire

- malgré les mains tendues, amies -

ne s'est-elle ouverte, en larmes,

qu'aux restes de notre incomparable union?


Etoile de sang

qu'un pluriel nourrit sous le givre.


Et toi

- ma raison de vivre et de durer -

dans quels miroirs t'es-tu multipliée?

Et quels horizons 

aux signes témaires

ont parcouru ta plaie?


Oiseau vulnérable au profil trop offert,

n'as-tu trouvé de prise sur aucun nid?


Parfois, lumineuse,

l'accalmie des heures communes:

fragments de ta présence aimante,

insoumise, désemparée,

à l'éphémère inondant ma vigne.


Apogée de joie

dans nos yeux et nos rires confondus;

apogée de souffrance

dans le non-dit et le ciel limité.


Nous sommes très proches,

disais-tu:

petit coeur qui ne bat plus,

corps froid ne recueillant que les cendres

de mon être dissous...


Douleur vibrante

au présent consterné.


Rose tardive sollicitant sa tige,

suis-je aujourd'hui, enfin,

à la terre rendu

- difficile apprentissage

des clartés définitives -

quand le pire 

n'est point de vouloir mourir,

mais de si peu tenir à vivre?


J'acquiesce et me tais.

L'espace tremble, il mesure mon pas,

et ton ombre s'étend.


A sa douceur hospitalière,

je m'abandonne

comme la graine austère

qui demande à reposer

au coeur de ce qu'elle aime.


Ligne meurtrie où s'inscrit mon souffle

en s'inclinant vers toi.

 

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

pour C.C.

29/12/2008

La chronique du libraire

Vous avez dit Shakespeare?

 

Ma mère était attirée par la littérature, mais aussi par le cinéma et les acteurs. Le beau Laurence Olivier par exemple – son préféré - dont elle regrettait qu’il soit blond dans Hamlet, ou difforme dans Richard III ! Très jeune donc, j’ai côtoyé Shakespeare, proche de la mélancolie du premier, fasciné par la noirceur séductrice du second. Ce tableau, il est vrai, pas très réjouissant de ma vision du monde allait s’étendre à une autre de ses tragédies, Le Roi Lear pour son évocation poignante de l’ingratitude humaine.

 

Plus tard, alors que je vivais à Londres, j’ai rêvé devant les affiches de la Royal Shakespeare Company et les noms prestigieux qui les habillaient - John Gielgud, Michael Hordern, Derek Jacobi ou encore Helen Mirren – avant de les retrouver, dans l’intégralité des pièces de théâtre diffusées sur une chaîne de la télévision française dans les années 80, en V.O. sous-titrée.

 

Shakespeare, un ami ? Sans aucun doute et le seul, inépuisable, qui ne m’a jamais déçu, tant l’ambivalence de ses personnages ou des situations livrent un visage farouchement moderne. C’est le cas de Coriolan – l’histoire d’un héros poussé par sa famille à faire de la politique et qui, désavoué, s’allie à son pire ennemi pour reconquérir son statut à Rome – interdit en France sous l‘Occupation, tant les réflexions sur le pouvoir, la démocratie ou la trahison apparaissent dans toute leur troublante crudité, quatre siècles plus tard !

 

Aujourd’hui – privilège de la maturité ? – mes préférences vont à une perception plus ironique de la vie, avec Comme il vous plaira, Un conte d’hiver, Le songe d’une nuit d’été ou La tempête. Autant de textes qui, au-delà de la folie des hommes, privilégient les facéties du destin, la truculence, la dérision, la malice, la fragilité des sentiments, le pouvoir rédempteur du temps.

 

Un dernier mot, enfin : si vous voulez découvrir Shakespeare ailleurs qu’au théâtre ou dans les livres, dénichez vite le film Le château de l’araignée réalisé par Akira Kurosawa en 1957 d’après Macbeth, la plus exceptionnelle adaptation de Shakespeare au cinéma !

 

Icône Payot 3.jpg

05:43 Écrit par Claude Amstutz dans La chronique du libraire, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/10/2008

In memoriam

Albertine Sarrazin.jpgUne curiosité à (re-) découvrir

Disparue prématurément en 1967, à trente ans à peine, alors que la vie semblait enfin lui sourire, Albertine Sarrazin laisse derrière elle trois livres essentiels: « L’astragale », « La cavale » et « La traversière » dont seul le premier est encore disponible en librairie. Quelle tristesse … car cette enfant de l’assistance publique, mal aimée et révoltée deviendra un écrivain – un vrai, un grand - en prison où elle séjournera pendant huit ans pour braquage à main armée, prostitution et vol. Ses écrits sont autant de cris de révolte contre une société lâche ou hypocrite et un témoignage sans concession sur le milieu carcéral. Son style unique, instinctif, d’une beauté ténébreuse, alliant la crudité du langage à la tension émotionnelle de sa fragilité intérieure, n’a pas pris une ride. Sa rage de vivre couchée sur papier mérite bien mieux aujourd’hui que d’habiller la poussière d’une obscure bibliothèque de province. Lisez donc « L’astragale » et croyez-moi, certaines de vos lectures récentes prendront « un méchant coup de vieux », tout à coup …

Albertine Sarrazin, L'astragale (Pauvert, 2001)

17:57 Écrit par Claude Amstutz dans Albertine Sarrazin, In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/09/2008

Gérald Tenenbaum

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Gérald Tenenbaum, L'ordre des jours (Héloïse d'Ormesson, 2008)

Nous sommes en 1946. Solange attend le retour de son Max, compagnon de ce dernier et fait la connaissance de Simon, lui aussi fils de déportés. Sur la trace des bourreaux dont nous suivons l’évolution implacable et les révélations, dans un suspense oppressant au dénouement inattendu – pour savoir ou se venger ? – ils apprendront qu’à leur soif de vérité pour la paix des âmes répond un prix lourd à payer. Une belle écriture pour dire la folie ordinaire des hommes.

20:12 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/05/2008

Stéphane Hoffmann

9782226186461.gifStéphane Hoffmann, Des garçons qui tremblent (Albin Michel, 2008)

Dans cette suite à Des filles qui dansent (chez le même éditeur) nous retrouvons Jérôme et Camille, l’amour de sa vie. Moins comédie sentimentale que le volume précédent, sa couleur émotionnelle est plus sombre, la peinture sociale plus crue, cynique parfois, sans concessions. Mais nous suivons toujours avec autant de plaisir nos héros, terriblement naïfs, insoumis et attachants ! Le dénouement de leur histoire peut surprendre...

16:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |