24/06/2015
Le poème de la semaine
Paul-Jean Toulet
Le temps irrévocable a fui. L'heure s'achève.
Mais toi quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t'embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s'embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l'automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah! verrai-je encor se farder ton visage
D'ombre et de soleil?
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:00 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
11/02/2015
Le poème de la semaine
Jules Supervielle
Il vous naît un poisson qui se met à tourner
Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,
Il vous naît une étoile au-dessus de la tête,
Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux
Que ses soeurs de la nuit les étoiles muettes.
Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge,
En plein vol, et cachant votre histoire en son coeur
Puisqu'il n'y a que son cri d'oiseau pour la montrer.
Il vole sur les bois, se choisit une branche
Et s'y pose, on dirait qu'elle est comme les autres.
Où courent-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,
Il n'est pas de chasseur encor dans la contrée,
Et quelle peur les hante et les fait se hâter,
L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,
La biche et le chevreuil soudain déconcertés?
Il nous naît un ami, et voilà qu'il vous cherche
Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux
Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres
Et loge dans son coeur d'étranges battements
Qui lui viennent de jours qu'il n'aura pas vécus.
Et vous, que faites-vous, ô visage troublé
Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,
Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles,
"Si je croise jamais un de ces amis lointains
Au mal que je lui fis vais-je le reconnaître?"
Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence
Et les mots inconsidérés,
Pour les phrases venant de lèvres inconnues
Qui vous touchent de loin comme balles perdues,
Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
04/02/2015
Le poème de la semaine
René Char
L’heureux temps
Chaque cité était une grande famille
Que la peur unissait
Le chant des mains à l’œuvre
Et la vivante nuit du ciel
L’illuminaient
Le pollen de l’esprit
Gardait sa part d’exil
Mais le présent perpétuel
Le passé instantané
Sous la fatigue maîtresse
Otèrent les lisses
Marche forcée au terme épars
Enfants battus chaume dorée
Hommes sanieux
Tous à la roue
Visée par l’abeille de fer
La rose en larmes s’est ouverte
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
03:44 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
08/10/2014
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie
Des masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux
Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Qui jonchent aussi nos aveux
Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine
Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
illustration musicale: Léo Ferré
01:30 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
13/02/2013
Le poème de la semaine
Robert Desnos
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Et pourquoi pas ?
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
11:18 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
10/02/2010
Le poème de la semaine
Henri Michaux
La fortune aux larges ailes, la fortune par erreur
m'ayant emporté avec les autres vers son pays joyeux,
tout à coup, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux,
d'infinis petits pétards dans l'atmosphère me dynamitèrent
et puis des couteaux jaillissant de partout
me lardèrent de coups,
si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie,
à tout jamais la mienne maintenant.
La fortune aux ailes de paille,
la fortune m'ayant élevé pour un instant
au-dessus des angoisses et des gémissements,
un groupe formé de mille caché à la faveur de ma distraction
dans la poussière d'une haute montagne,
un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours,
tout à coup nous étant tombé dessus comme un bolide,
je retombai sur le sol dur de mon passé,
passé à tout jamais présent maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune aux draps frais
m'ayant recueilli avec douceur,
comme je souriais à tous autour de moi,
distribuant tout ce que je possédais, tout à coup,
pris par on ne sait quoi venu par en-dessous et par derrière,
tout à coup, comme une poulie qui se décroche,
je basculai,
ce fut un saut immense,
et je retombai sur le sol dur de mon destin,
destin à tout jamais le mien maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune à la langue d'huile,
ayant lavé mes blessures,
la fortune comme un cheveu qu'on prend
et qu'on tresserait avec les siens,
m'ayant pris et m'ayant uni indissolublement à elle,
tout à coup comme déjà je trempais dans la joie,
tout à coup la Mort vint et dit:
"Il est temps. Viens."
La Mort, à tout jamais la Mort maintenant.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
10:57 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/01/2010
Le poème de la semaine
Pierre Reverdy
La vitre
Où quelques gouttes de rosée brillent encore
S’est brisée
Sous la lampe
Le livre s’est ouvert sur une page blanche
Et l’ombre descendue du toit s’est arrêtée
Elle est bien plus grande qu’un homme
Et dans la chambre basse
Où l’éclair est passé
Une lumière sans pétales
Tremble encore un peu sur sa tige
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:13 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
01/01/2009
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Je suis tombé du temps
sur un livre qui traîne,
lentement,
progressivement,
sans laisser de trace.
Je suis tombé en petites flaques,
mal à l'aise,
entre deux lignes de vie,
sans surprise,
dans la pauvreté,
dans l'insuffisance,
étouffé,
chiffonné au fond de moi-même.
Je suis tombé subitement,
sans me presser
pour ne choquer personne.
A chacun son affaire ...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
05:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |