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25/03/2012

Morceaux choisis - Guy de Maupassant

Guy de Maupassant

littérature; roman; livres

L'établissement, unique dans la petite ville, était assidûment fréquenté. Madame avait su lui donner une tenue si comme il faut; elle se montrait si aimable, si prévenante envers tout le monde; son bon coeur était si connu, qu'une sorte de considération l'entourait. Les habitués faisaient des frais pour elle, triomphaient quand elle leur témoignait une amitié plus marquée; et lorsqu'ils se rencontraient dans le jour pour leurs affaires, ils se disaient: A ce soir, où vous savez, comme on se dit : Au café, n'est-ce pas? après dîner. Enfin la maison Tellier était une ressource, et rarement quelqu'un manquait au rendez-vous quotidien.

Or, un soir, vers la fin du mois de mai, le premier arrivé, M. Poulin, marchand de bois et ancien maire, trouva la porte close. La petite lanterne, derrière son treillage, ne brillait point; aucun bruit ne sortait du logis, qui semblait mort. Il frappa, doucement d'abord, avec plus de force ensuite; personne ne répondit. Alors il remonta la rue à petits pas, et, comme il arrivait sur la place du Marché, il rencontra M. Duvert, l'armateur, qui se rendait au même endroit. Ils y retournèrent ensemble sans plus de succès. Mais un grand bruit éclata soudain tout près d'eux, et, ayant tourné la maison, ils aperçurent un rassemblement de matelots anglais et français qui heurtaient à coups de poings les volets fermés du café. Les deux bourgeois aussitôt s'enfuirent pour n'être pas compromis, mais un léger pss't les arrêta: c'était M. Tournevau, le saleur de poisson, qui, les ayant reconnus, les hélait. Ils lui dirent la chose, dont il fut d'autant plus affecté que lui, marié, père de famille et fort surveillé, ne venait là que le samedi, securitutis cuuia, disait-il, faisant allusion à une mesure de police sanitaire dont le docteur Borde, son ami, lui avait révélé les périodiques retours.

C'était justement son soir et il allait se trouver ainsi privé pour toute la semaine. Les trois hommes firent un grand crochet jusqu'au quai, trouvèrent en route le jeune M. Philippe, fils du banquier, un habitué, et M. Pimpesse, le percepteur. Tous ensemble revinrent alors par la rue aux Juifs pour essayer une dernière tentative. Mais les matelots exaspérés faisaient le siège de la maison, jetaient des pierres, hurlaient ; et les cinq clients du premier étage, rebroussant chemin le plus vite possible, se mirent à errer par les rues.Ils rencontrèrent encore M. Dupuis, l'agent d'assurances, puis M. vasse, le juge au tribunal de commerce ; et une longue promenade commença qui les conduisit à la jetée d'abord. Ils s'assirent en ligne sur le parapet de granit et regardèrent moutonner les flots. L'écume, sur la crête des vagues, faisait dans l'ombre des blancheurs lumineuses, éteintes presque aussitôt qu'apparues, et le bruit monotone de la mer brisant contre les rochers se prolongeait dans la nuit tout le long de la falaise.Lorsque les tristes promeneurs furent restés là quelque temps,M. Tournevau déclara: Ça n'est pas gai. Non certes, reprit M. Pimpesse; et ils repartirent à petits pas.

Après avoir longé la rue que domine la côte et qu'on appelle Sous-le-Bois, ils revinrent par le pont de planche sur la Retenue, passèrent près du chemin de fer et débouchèrent de nouveau place du Marché, où une querelle commença tout à coup entre le percepteur, M. Pimpesse, et le saleur, M. Tournevau, à propos d'un champignon comestible que l'un d'eux affirmait avoir trouvé dans les environs. Les esprits étant aigris par l'ennui, on en serait peut-être venu aux voies de fait si les autres ne s'étaient interposés. M. Pimpesse, furieux, se retira; et aussitôt une nouvelle altercation s'éleva entre l'ancien maire, M. Poulin, et l'agent d'assurances, M. Dupuis, au sujet des appointements du percepteur et des bénéfices qu'il pouvait se créer. Les propos injurieux pleuvaient des deux côtés, quand une tempête de cris formidables se déchaîna, et la troupe des matelots, fatigués d'attendre en vain devant une maison fermée, déboucha sur la place. Ils se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession, et ils vociféraient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de l'abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur diminuant comme un orage qui s'éloigne; et le silence se rétablit. M. Poulin et M. Dupuis, enragés l'un contre l'autre, partirent, chacun de son côté, sans se saluer. Les quatre autres se remirent en marche, et redescendirent instinctivement vers l'établissement Tellier. Il était toujours clos, muet, impénétrable. Un ivrogne, tranquille et obstiné, tapait des petits coups dans la devanture du café, puis s'arrêtait pour appeler à mi-voix le garçon Frédéric.

Voyant qu'on ne lui répondait point, il prit le parti de s'asseoir sur la marche de la porte, et d'attendre les événements. Les bourgeois allaient se retirer quand la bande tumultueuse des hommes du port parut au bout de la rue. Les matelots français braillaient la Marseillaise, les anglais le Rule Britania. Il y eut un mouvement général contre les murs, puis le flot de brutes reprit son cours vers le quai, où une bataille éclata entre les marins des deux nations. Dans la rixe, un Anglais eut le bras cassé, et un Français le nez fendu. L'ivrogne, qui était resté devant la porte, pleurait maintenant comme pleurent les pochards ou les enfants contrariés. Les bourgeois enfin se dispersèrent. Peu à peu le calme revint sur la cité troublée. De place en place, encore par instants, un bruit de voix s'élevait, puis s'éteignait dans le lointain. Seul, un homme errait toujours, M. Tournevau, le saleur, désolé d'attendre au prochain samedi; et il espérait on ne sait quel hasard, ne comprenant pas; s'exaspérant que la police laissât fermer ainsi un établissement d'utilité publique qu'elle surveille et tient sous sa garde. Il y retourna, flairant les murs, cherchant la raison; et il s'aperçut que sur l'auvent une pancarte était collée. Il alluma bien vite une allumette- bougie, et lut ces mots tracés d'une grande écriture inégale: Fermé pour cause de première communion. Alors il s'éloigna, comprenant bien que c'était fini...

Guy de Maupassant, La maison Tellier (coll. Livre de Poche, 2003)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/03/2012

Musica présente 6 - Jascha Heifetz

Jascha Heifetz

violoniste russe, 1901 - 1987

*

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Sérénade mélancolique, Op 26

(orchestre non identifié)


00:09 Écrit par Claude Amstutz dans Musica présente, Musique classique, Piotr Ilitch Tchaïkovski | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/03/2012

Annie François

Bloc-Notes, 22 mars / Les Saules

littérature; essai; livres

Voici un livre tout à fait épatant, pour vous, amoureux des livres! Souvenirs de ce qu'évoquent ces milliers de pages lues au cours d'une vie: rythmes de nos émotions intimes, échos de notre vie personnelle, dans le couple ou face à la maladie, à la solitude choisie ou subie. Une radiographie affective en miroir pour nous montrer la magie des couvertures, les odeurs de ces papiers de tout âge, la musique des feuillets enchantant nos heures silencieuses, la diversité des typographies selon la nature du livre et des genres. Il y est aussi question d'agacements - la verrue de l'objet du plaisir qu'on appelle code-barre -, de boulimie de lecture alternant avec ces jours de grêve que nous connaîtrons tous jusqu'au dernier jour, ou de ces ingérences extérieures qui gâchent notre félicité et s'approprient l'espace: les bruits de la ville au dehors, l'étranger à notre lecture qui parle au mauvais moment ou même silencieux, a le malheur de tourner ses propres pages.

Décapante et pleine d'humour, Annie François revisite avec une délicieuse sensualité notre mémoire autant que la sienne: à propos du prêt des livres, de l'importance des bibliothèques publiques ou de la pathologie du lecteur. Sur l'édition, elle nous présente une jolie image sur l'imperfection, qu'il faudrait encadrer au-dessus de nos forêts de papier: J'adore que le livre témoigne encore de la faillibilité humaine, du malencontreux hasard. Bien sûr, une lézarde qui fait son chemin à travers les lignes mobilise trop mon attention au détriment de la lecture. Mais elles me fascinent, ces incongruités qui me sont pourtant aussi précieuses qu'aux philatélistes les varietés des timbres.

Alors, les bouquins: une passion exclusive, un vice ou une vertu, un objet de jalousie pour les uns autant que de personnes ou l'atelier secret de ceux qui - comme Georges Perros - pensent que la vraie vie est dans la littérature? Annie François nous en dessine les contours. A nous d'en faire notre propre tableau, avec ces balbutiements de pinceaux et de couleurs qui ne ressemblent à rien d'autre que ce que nous sommes devant notre bibliothèque ou les devantures des librairies: un peu toxicomanes, exaspérants, sectaires, mais aussi amoureux, comblés, heureux. C'est-à-dire uniques, pour tout dire...

Annie François, éditrice au Seuil, nous a quittés en juin 2009. Elle nous laisse, outre Bouquiner - Autobiobibliographie (2000), Fanes, épluchuchures et trognons (Le Zouave, 2000), Clopin-clopant - Autobacographie (Seuil, 2002), Scènes de ménage au propre et au figuré (Seuil, 2004), Contes pour lardons et moutardes (Gallimard Jeunesse, 2007) et Mine de rien - Autobobographie et De Guerre lasse (Seuil, 2012) qui vient de paraître en librairie. Il sera présenté dans ces colonnes, au cours du mois prochain.

Dans la catégorie Morceaux choisis, ici-même, sur La scie rêveuse, vous pouvez retrouver deux extraits de ce merveilleux bouquin.   

Annie François, Bouquiner (coll. Points/Seuil, 2012)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/03/2012

Le poème de la semaine

Edmond Jabès

Je ne cesserai pas
de chanter les cloches des rencontres muettes,
les bras des divans parfumés,
les grandes chutes d'oiseaux ressemblants,
les éternels miroirs vibrants.
 
Je ne cesserai pas
de chanter la morsure rouge des lèvres,
l'épaule insoumise, les aisselles surprises,
les seins toujours à l'heure
aux rendez-vous nocturnes.
 
Je ne cesserai pas
de chanter ton visage poudré de cendre,
le dernier naufrage
à l'aube soufflée des lampes,
ta nuque échappée à l'étreinte,
tes pas que rien ne trahit.
 
Je ne cesserai pas
de chanter tes hanches profondes,
tes chevilles noyées dans les nuages,
tant de pensées vagabondes,
tant de fumée divine.
 
Je ne cesserai pas
de chanter ta chevelure courante
aux pieds des arbres solitaires
blessés de feuilles et d'oeillères.
 
Je ne cesserai pas
de chanter la rue, le parc, la mer,
car je te connais,
car je t'aime et te connais.
 
Je ne cesserai pas
d'apprendre à rire,
à peindre et rire
dans le fond des palais;
car je te crains,
car je t'aime et te crains.
 
Je ne cesserai pas
de forger des serrures,
des cadenas et des ceintures
tout au long du ciel,
car je te garde,
car je t'aime et te garde.
 
Je ne cesserai pas
de couper tes mains, 
tes bras et tes poings
pour que jamais l'adieu
ne remonte sur l'eau.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/03/2012

Morceaux choisis - Jean Douassot

Jean Douassot (pseudonyme de Fred Deux)

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Je les recollerai, je les recollerai.

C'était ma litanie, un chant, un murmure et une promesse. Ils ne pouvaient pas rester ainsi, elle sous un arbre, moi à côté, et lui derrière les vitres. Nous ne pouvions pas continuer à nous buter. Je n'avais pas de sentiments pour l'un plus que pour l'autre, mais il était impensable pour moi que ces deux être ne puissent arriver à s'entendre. D'autant que ramenant tout au plus simple, je trouvais que le fait de m'avoir, de me retrouver en meilleure santé après cette longue absence, tout cela devait amener une détente, une entente, et aussi de la joie. Je me mis immédiatement à espérer une vie tranquille. La vie serait si belle et douce, si douce, oui, si douce.

Rien ne me paraissait impossible, et une force nouvelle me poussa en pensée vers le bistrot; mon père était juste, il avait raison de jouer aux cartes, de boire, de rentrer tard. L'homme doit rentrer tard, un homme qui n'a pas d'amis n'est pas un homme, et la mère doit l'attendre, ne rien dire, et se réjouir qu'après une journée de travail son homme aille se détendre. Donc le père est dans son droit. Je l'excusais en tout, et plus encore parce qu'il ignorait que nous l'attendions, que nous le pistions comme un lapin, que sa femme le traitait de fumier devant moi, son fils. La mère aussi était juste. Elle n'était qu'une femme, un peu coléreuse, mais bien vite, je ramènerais l'équilibre dans le camp. Ce qu'il fallait, c'était me laisser faire.

Sur ce point, aucun doute, j'aurai cartes blanches.

Relevant les yeux vers la vieille, je la retrouvai toujours tendue, de grosses larmes dégoulinant sur ses joues. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, son maquillage, qu'il m'était difficile de voir dans le noir, avait dû subir de grandes modifications, car deux traits noirs, distincts, partaient de ses yeux et descendaient vers la bouche. Ses lèvres me parurent pâles, ayant perdu leur teinture rouge, et une blancheur, qui ressemblait à l'écorce de l'arbre lui donnait une allure tragique.

Mère, dis-je en lui tirant la manche, mère.

Je m'arrêtai, ne sachant quoi dire de plus. Devais-je lui dire que j'allais tout arranger? Que je me chargerais d'eux? De les rendre heureux. Que j'allais dire: venez et regardez-moi, je suis votre fils, c'est bien d'avoir un fils, j'étais malade, ma mère était malade, nous étions tous malades, et nous voilà tous guéris. C'est bien d'être guéris. C'est bien d'être ensemble, j'étais malheureux là-bas, vous ne pouvez pas savoir comme j'étais malheureux...

Jean Douassot, La  Gana (Eric Losfeld, 1970)

image: Asylum - http://legrandclub.rds.ca

20:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

La citation du jour

Alain

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Nous vivons sur une mince couche d'humanité au-dessus d'un abîme de barbarie ; il s'agit de nous maintenir dans cette pénible position.

Alain, Propos sur les pouvoirs - Elements d'éthique politique (coll. Folio Essais/Gallimard, 1985)

07:39 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/03/2012

Morceaux choisis - Jean-Pierre Siméon

Jean-Pierre Siméon 

littérature; poésie

La joie n'appartient à personne
les chemins la respirent
et les nuits et leurs aubes si proches
et nos épaules tout habillées de vent
est-ce elle
allons
qui se retire quand l'heure soudain
est un jardin qui se fige
n'est-ce pas nous
plutôt rugueux et impénétrables
qui nous absentons
nous qui prononçâmes dans un rire imprudent
le mot de trop

non
notre joie n'est pas nôtre
pourquoi sinon durerait-elle en les autres
quand nous-mêmes à nous-mêmes
nous mourons
nous l'avons bien embrassée et tant de fois
la chose heureuse
nous l'avons crue à nous bien sûr
comme on croit sien un printemps
quand on sent monter en soi
une eau rebelle et bienfaisante

mais c'est croire cela
que la source n'existe
que pour nos lèvres or
tout existe hors de nous
la joie aussi donc et son corps de rivière
allez si vous voulez enfants
cueillir la truite dans l'eau claire
et puis regardez-la mourir
dans vos mains nues
langage perdu
langage à jamais perdu
qui nous donnait le monde

allons c'est dit amis
marchons droit dans les chemins chantants
et respirons le chant
et respirons l'arbre et l'oiseau et la terre
donnons-nous vertigineux
aux strophes de la lumière bue
par les branches
ayons le coeur bien tendre
le pas ivre et la pensée errante
promeneurs naïfs
dans la vie innombrable
marchons silencieux

et la joie doit venir
elle viendra bonne fille implacablement
oh laissons-la venir
compagne jaillissant d'un buisson inconnu
et donnons-lui nos mains sans mot dire
sans rien croire
spérant seulement que notre visage
en elle se repose
et qu'un instant
par quel amour sans nom
nous ne vivions que d'être

nous aurons ce jour-là
les yeux lavés de tout désir
de tout regret
nous irons dans la beauté d'un matin
le long d'une rivière
entre douleur et douleur
le coeur battu
le coeur recommençant
et nous la saurons alors la joie libre
et sans attente
comme un dernier souffle frais
peut-être
au revers de la nuit.

 Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)

image: Marc Chagall, La maison des splendeurs

 

Actualité de la poésie

Bloc-Notes, 18 mars / Les Saules

Thierry Renard.jpg

Comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, la poésie est intensément présente sur le réseau social de Facebook qui m'a ainsi permis de faire plus ample connaissance avec des grands noms de la littérature classique ou contemporaine - tels, pêle-mêle: Alphonse de Lamartine, Anne de Noailles, Abdellatif Laâbi ou Emily Dickinson - et davantage encore avec des auteurs que je n'aurais jamais lus sans la magie de cette toile lumineuse à ses heures et qui recèle de nombreux trésors de plume, pour peu qu'on éprouve le plaisir de les savoir partagés et multipliés à travers ces incomparables amitiés nouées autour de la poésie.

C'est ainsi que je me suis glissé entre les pages de ces jeunes talents - ou moins jeunes mais absents des grandes chaînes de librarie - avec les deux anthologies Le chant des larmes et Les cygnes de l'aube, sous la direction de Abbassia Naïmi, déjà présentés dans ces colonnes. Aujourd'hui, voici quelques récentes acquisitions susceptibles de vous intéresser, même si elles ne sont pas parues au cours de ces derniers mois!

Marie Hurtrel est artiste peintre dans l'Indre - voir ses oeuvres dans les liens de La scie rêveuse - mais se consacre également à l'écriture. On ne vit pas de son art, mais l'art est notre vie, chiche d'un côté et riche en l'autre, écrit-elle sur son site Internet: des mots qui éclairent sa démarche et son ouverture à tous les horizons. Lézards de poussière ressemble un peu au vol du cormoran qui survole les terres amères - celles qui attisent la violence, la révolte, l'injustice - mais aussi les territoires de l'intime, germe d'espoir, de douceur, de paix: Comment te dire ce que tu dis, comment te dire quel ciel je vois, comment écrire cette larme qui ne pleure pas, cette perle des yeux qui te chante?  

Avec Patrick Berta Forgas, né à Montreuil, vous ne rencontrez pas un nouveau venu en littérature. Auteur d'une dizaine de recueils poétiques, il signe avec La chambre des hommes des textes aux contours sombres: le vertige de l'enfer, la brûlure du silence, la mémoire des cassures, les hommes fragiles, les simulacres et les cris, l'ombre des guerres. C'est aussi le chant de la terre perdue, aimée, attendue: Je sais l'effort du vent pour soulager la mer. Je sais la douleur du souvenir rangée au chant amer. Ou encore: L'ombre est l'artère noire de la lumière et le corps du monde, un silence qui pleure ses cris.

Jean-Philippe Miginiac, pour sa part, est à la fois photographe, historien, archéologue, grand admirateur de Paul Eluard, passionné de musique classique et poète lui-même. Dans les liens de La scie rêveuse, vous pouvez aussi découvrir l'ensemble de ses oeuvres. Musiques imaginaires célèbre les amours, la terre, mais aussi la colère devant cette armée des ombres qui incarne pour lui ces fragments d'injustices: le visage des exilés, des étrangers, des mendiants, des rebelles au rythme de leurs infortunes. Si demain, ami, quelqu'un s'inquiète de mon absence, dis-lui que je suis parti dans la nuit chercher d'autres mots, sans attendre que sèche l'encre de mes poèmes, et sans que les dieux en soient informés, dis-lui que je suis parti me perdre où je voulais

Kadour Naïmi - frère de Abbasssia Naïmi - est l'auteur d’essais et de colloques autour du théâtre, réalisateur pour le cinéma et la télévision, poète, prosateur et dramaturge. Il écrit en langue italienne, dont Les mots d'amour, poèmes pleins d'ardeur et de tendresse, pénétrant tels les rayons matinaux du soleil, cet au-delà des sentiments épousant sa variété de couleurs: Si tu veux être mon soleil, je serai ta planète. Si tu veux être mon vent, je serai ta bannière. Si tu veux être mon oasis, je serai ton eau. D'autres pages évoquent l'exil, avec amertume, mais sans haine: Pour ne pas périr, j'ai besoin d'aimer.

Pour les deux derniers auteurs, leur lueur discrète est déjà connue de ceux que la passion de la poésie habite. Véritable passeur en littérature, producteur d'émissions radiophoniques, Thierry Renard a publié à ce jour une trentaine d'ouvrages, parmi lesquels Il neige sur ta face. Toute la vie y remue dans cette poésie du quotidien, où se confondent les rêves, les réminiscences du football, les doutes de l'écrivain, les misères du monde, et la neige - en filigrane tout au long de ce recueil - et l'amour aux formes d'un coeur de lierre. Le mal est fait, le moindre mal. Ecrire est un verbe qui m'est avec le temps devenu familier. Ecrire est un verbe dont j'interroge encore le sens et qui donne du sens à ma vie. La roue tourne, la chance aussi. Avant j'étais zéro, aujourd'hui je ne vole pas bien haut. Demain j'irai sans ma vie lasse, petite cendre dans le vent.

Quant à Jean-Pierre Siméon, on lui doit une quarantaine de livres: recueils de poèmes, essais littéraires, pièces de théâtre et ouvrages destinés aux jeunes. Traité des sentiments contraires explore l'ombre et la lumière, la douleur et l'apaisement, la blessure et la joie: Silence maintenant, immobile et obstiné silence, c'est l'instant timide en vous, l'instant effarouché, où vient tout le ciel immense trouver son appui. On appellerait bien cela un bonheur sans usure, une phrase dans l'air parfaite comme la neige.

Dans la catégorie Morceaux choisis de ce jour, vous trouverez un extrait de ce livre.

Un poème, c'est quoi au juste? C'est presque rien, un silence, une idée, un amour, un élan, une fuite, quelques gouttes d'encre sur la page blanche. (Thierry Renard)

Thierry Renard, Il neige sur ta face (Le bruit des autres, 2001)

Marie Hurtrel, Lézards de poussière (Lire et Méditer, 2011)

Patrick Berta Forgas, La chambre des hommes (L'Harmattan, 2009)

Jean-Philippe Miginiac, Musiques imaginaires (TheBookEdition/J.P.Miginiac, 2010)

Kadour Naïmi, Mots d'amour (Lire et Méditer, 2011)

Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)

image: Thierry Renard (Maxime Roccisano, 2009)

22:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/03/2012

Victor Lanoux

témoignage; livresVictor Lanoux, Laisser flotter les rubans (Le Cherche Midi, 2009)

Qui ne connaît la série TV de Louis la Brocante, l’une des plus attachantes du petit écran ? En revanche, ils sont nombreux à ignorer le terrible accident dont Victor Lanoux fut victime en 2007. Ce livre en est le témoin, pour tous ceux qui ont traversé semblable épreuve, mais aussi pour ses proches et amis, fidèles dans ces moments difficiles. Sa perception est subtile, sa lucidité émouvante. Un accent de sincérité rayonne entre les lignes de ce récit jamais voisin de la soumission ou de la rancoeur. Sous nos yeux étonnés, voici une belle leçon de vie, de courage et d’amitié ! Merci Monsieur Lanoux ou merci Louis Roman ?

11:43 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

La citation du jour

André Suarès

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Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l'homme libre. Si l'homme tourne décidément à l'automate, s'il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d'un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l'esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l'effort et l'attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l'imagination particulières; tout y sera, moins l'esprit. Cette loi est celle du troupeau.

André Suarès, Autour du livre - Valeurs et autres écrits historiques vol. 2 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)

image: Vasil Qesari

07:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |