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19/03/2012

Morceaux choisis - Jean Douassot

Jean Douassot (pseudonyme de Fred Deux)

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Je les recollerai, je les recollerai.

C'était ma litanie, un chant, un murmure et une promesse. Ils ne pouvaient pas rester ainsi, elle sous un arbre, moi à côté, et lui derrière les vitres. Nous ne pouvions pas continuer à nous buter. Je n'avais pas de sentiments pour l'un plus que pour l'autre, mais il était impensable pour moi que ces deux être ne puissent arriver à s'entendre. D'autant que ramenant tout au plus simple, je trouvais que le fait de m'avoir, de me retrouver en meilleure santé après cette longue absence, tout cela devait amener une détente, une entente, et aussi de la joie. Je me mis immédiatement à espérer une vie tranquille. La vie serait si belle et douce, si douce, oui, si douce.

Rien ne me paraissait impossible, et une force nouvelle me poussa en pensée vers le bistrot; mon père était juste, il avait raison de jouer aux cartes, de boire, de rentrer tard. L'homme doit rentrer tard, un homme qui n'a pas d'amis n'est pas un homme, et la mère doit l'attendre, ne rien dire, et se réjouir qu'après une journée de travail son homme aille se détendre. Donc le père est dans son droit. Je l'excusais en tout, et plus encore parce qu'il ignorait que nous l'attendions, que nous le pistions comme un lapin, que sa femme le traitait de fumier devant moi, son fils. La mère aussi était juste. Elle n'était qu'une femme, un peu coléreuse, mais bien vite, je ramènerais l'équilibre dans le camp. Ce qu'il fallait, c'était me laisser faire.

Sur ce point, aucun doute, j'aurai cartes blanches.

Relevant les yeux vers la vieille, je la retrouvai toujours tendue, de grosses larmes dégoulinant sur ses joues. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, son maquillage, qu'il m'était difficile de voir dans le noir, avait dû subir de grandes modifications, car deux traits noirs, distincts, partaient de ses yeux et descendaient vers la bouche. Ses lèvres me parurent pâles, ayant perdu leur teinture rouge, et une blancheur, qui ressemblait à l'écorce de l'arbre lui donnait une allure tragique.

Mère, dis-je en lui tirant la manche, mère.

Je m'arrêtai, ne sachant quoi dire de plus. Devais-je lui dire que j'allais tout arranger? Que je me chargerais d'eux? De les rendre heureux. Que j'allais dire: venez et regardez-moi, je suis votre fils, c'est bien d'avoir un fils, j'étais malade, ma mère était malade, nous étions tous malades, et nous voilà tous guéris. C'est bien d'être guéris. C'est bien d'être ensemble, j'étais malheureux là-bas, vous ne pouvez pas savoir comme j'étais malheureux...

Jean Douassot, La  Gana (Eric Losfeld, 1970)

image: Asylum - http://legrandclub.rds.ca

20:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

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