07/02/2012
Morceaux choisis - Antonin Artaud
Antonin Artaud
Que la vie un jour devienne aussi belle que dans une simple toile de Van Gogh et pour moi ce sera assez. Et je ne pense pas que l'on puisse avoir quoique ce soit de plus à souhaiter. A moins d'être frotté de crime, de mysticisme, de piété, et d'obscénité.
Le café d'Arles dans la nuit est la restitution matérielle authentique de la vision d'un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de la conscience, c'est-à-dire de la malpropreté. Et ça n'a rien d'impressionniste, de symboliste, de romantique, de pré-raphaëlite, c'est au contraire d'un réalisme outrancier. D'une exactitude comme cinématographique d'ombres, de pans de détails éclairés. Tous les pavés de la vieille place nocturne sont chacun un simple trait carminé. La lumière est bien celle d'un gaz jaune, mais inexplicablement et merveilleusement fourré d'or. Et c'est plus vrai que la réalité.
Il y a au tout premier plan à gauche un store froissé de toile blanche, qui est comme un grumeau de lueurs en fusion, et au premier plan de l'autre côté, sorti de la nuit ambiante, un amandier semble redevenu vert. Et au-dessus le ciel, bleu de geai, où les étoiles sont comme des crachats pendus dans l'air ou des soufflets. C'est d'un grand peintre qui serait en même temps un metteur en scène passionné. Car le bizarre est que tout cela fait silence, et qu'il n'y a personne, que les tables et sur les tables toutes les soucoupes d'un café.
Quelle est la technique du peintre? La nature. Sa gamme chromatique, ses pinceaux, son dessin, sa recherche de certains effets. Et Van Gogh peint court, convulsé, resserré, appuyé, il simplifie, puis l hachure, et organise sa mélodie. Et chacune des toiles de Van Gogh peut répondre à un instrument particulier. Eh bien! Et ce n'est pas vrai!
Il ne hachure pas, n'organise pas, n'a pas de gamme, il peint court mais l'effet est long, et la touche plus qu'infinie, le dessin va à l'infini sous sa rotation qui ne fait que s'accélérer.
Il n'a pas de sens, pas de mélodie. Sa musique a quitté la toile, sa peinture a vidé la toile pour pénétrer dans notre vie.
Antonin Artaud, Dossier de Van Gogh - Oeuvres complètes, vol. XIII (Gallimard, 1974)
image: Van Gogh, Le café d'Arles
05:51 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; beaux-arts | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Quel beau texte. Il dit très bien, la solitude du peintre, mais c'est aussi la solitude de l'écrivain, donc la sienne, la solitude de tout artiste, face à l'oeuvre qu'il réalise. Il nous dit aussi que cette solitude est infinie, et donc l'artiste (quel que soit son art) est supposé ne pas être heureux. Dans toutes les grandes oeuvres, cela se constate, mais la conclusion : " sa musique a quitté la toile....pour pénétrer dans notre vie...." C'est émotionnel et sublime. L'oeuvre n'appartient à l'artiste que lorsqu'il la réalise. Nous l'offrant, la laissant entrer dans notre vie, il y a un vide, et peut être une certaine douleur....pour van Gogh en tout cas, oui, c'est vrai.
Écrit par : ATTUEL Josette | 07/02/2012
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