01/02/2012
Le poème de la semaine
Louis Aragon
C'est une chose étrange à la fin que le mondeUn jour je m'en irai sans en avoir tout ditCes moments de bonheur ces midis d'incendieLa nuit immense et noire aux déchirures blondes. Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croitD'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-mêmeIls savent toucher l'herbe et dire je vous aimeEt rêver dans le soir où s'éteignent des voix. D'autres qui referont comme moi le voyageD'autres qui souriront d'un enfant rencontréQui se retourneront pour leur nom murmuréD'autres qui lèveront les yeux vers les nuages. II y aura toujours un couple frémissantPour qui ce matin-là sera l'aube premièreII y aura toujours l'eau le vent la lumièreRien ne passe après tout si ce n'est le passant. C'est une chose au fond, que je ne puis comprendreCette peur de mourir que les gens ont en euxComme si ce n'était pas assez merveilleuxQue le ciel un moment nous ait paru si tendre. Oui je sais cela peut sembler court un momentNous sommes ainsi faits que la joie et la peineFuient comme un vin menteur de la coupe trop pleineEt la mer à nos soifs n'est qu'un commencement. Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouchesLe sac lourd à l'échine et le cœur dévastéCet impossible choix d'être et d'avoir étéEt la douleur qui laisse une ride à la bouche. Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnieOù l'on porte rongeant votre cœur ce renardL'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma partPorté comme un enfant volé toute ma vie. Malgré la méchanceté des gens et les riresQuand on trébuche et les monstrueuses raisonsQu'on vous oppose pour vous faire une prisonDe ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre. Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fondMalgré ces nuits sans fin à regarder la haineMalgré les ennemis les compagnons de chaînesMon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font. Malgré l'âge et lorsque soudain le cœur vous flancheL'entourage prêt à tout croire à donner tortIndifférent à cette chose qui vous mordSimple histoire de prendre sur vous sa revanche. La cruauté générale et les saloperiesQu'on vous jette on ne sait trop qui faisant écoleMalgré ce qu'on a pensé souffert les idées follesSans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri. Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessuresLes séparations les deuils les camoufletsEt tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulaitDe toute sa croyance imbécile à l'azur. Malgré tout je vous dis que cette vie fut telleQu'à qui voudra m'entendre à qui je parle iciN'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merciJe dirai malgré tout que cette vie fut belle. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
à partager, à lire à dire ! merci Claude et décidément Aragon ...
Écrit par : gilda nataf | 01/02/2012
Votre blog, que je suis avec passion chaque jour, est une très heureuse merveille. Bravo et merci de nous faire partager toutes vos connaissances.
Je me permets de noter que ce poème d'Aragon a un titre : "Que la vie vaut d'être vécue" et que vous pourrez trouver la version intégrale ici :
http://nuageneuf.over-blog.com/categorie-11696650.html
Très cordialement.
Écrit par : JMT | 03/02/2012
Merci pour votre amour de la poésie et de Louis Aragon. Ce poème - que je ne connaissais pas - m'a été envoyé par une correspondante sur Facebook et m'a beaucoup ému. A la suite de votre invitation, je l'ai donc restitué dans sa version intégrale. Avec toutes mes amitiés, Claude
Écrit par : Claude Amstutz | 03/02/2012
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