12/09/2013
Pierre Péju
Pierre Péju, La diagonale du vide (Gallimard, 2009)
Pierre Péju sait dépeindre les atmosphères, paysages ou rapports humains avec une qualité de langue et de style devenus rares en littérature. Aussi, il n’est pas étonnant que le sujet de son dernier roman – un homme brillant qui plaque tout à la suite du décès d’un collègue et ami – lui convienne si bien. Sur ces terres sauvages de l’Ardèche, Marc Travenne va faire une rencontre qui bouleversera sa vie et l’empêchera peut-être de fuir la diagonale du vide … Peu importe si l’intrigue, alternant les sensations intimistes avec une sale affaire de services secrets demeure somme toute assez prévisible, car de même que dans ses précédents textes – La petite chartreuse surtout, chez le même éditeur – le désert intérieur traversé par des fulgurances imprévisibles, se trouve confronté à la vacuité de l’existence, à la mémoire douloureuse, mais aussi au glissement du temps qui peut préfigurer une réconciliation avec soi-même et avec les premiers battements d’un amour insoupçonné.
également disponible en format de poche (coll. Folio/Gallimard, 2011)
06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
11/09/2013
Le poème de la semaine
Philipe Jaccottet
Dis encore cela patiemment, plus patiemmentou avec fureur, mais dis encore,en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,sous l'étrivière du temps. Espère encore que le dernier cridu fuyard avant de s'abattre soit tel,n'étant pas entendu, étant faible, inutile,qu'il échappe, au moins lui sinon sa nuque,à l'espace où la balle de la mort ne dévie jamais,et par une autre oreille que la terre grande ouvertesoit recueilli, plus haut, non pas plus haut,ailleurs, pas même ailleurs: soit recueillipeut-être plus bas, comme une eauqui s'enfonce dans la poussière du jardin,comme le sang qui se disperse, fourvoyé,dans l'inconnu. Dernière chance pour toute victime sans nom:qu'il y ait, non pas au-delà des collinesou des nuages, non pas au-dessus du cielni derrière les beaux yeux clairs, ni cachédans les seins nus, mais on ne sait commentmêlé au monde que nous traversons,qu'il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,de cela que la voix ne peut nommer, de celaque rien ne mesure, afin qu'encoreil soit possible d'aimer la lumièreou seulement de la comprendre,ou simplement, encore, de la voirelle, comme la terre la recueille,et non pas rien que sa trace de cendre. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
10/09/2013
In memoriam
Bloc-Notes, 10 septembre / Les Saules
On se complaît souvent, sous nos latitudes, à opposer ladite grande littérature, et, péjorativement l'autre, la populaire. Or, pour ma part, relisant A.J. Cronin - aujourd'hui presque totalement oublié - je ne peux m'empêcher de penser à Dominique Fernandez qui, dans L'art de raconter (coll. Livre de poche/LGF, 2008), explique bien que la popularité de certains auteurs - mineurs, sur le plan du style - tient à leur talent pour raconter des histoires. A.J. Cronin - comme à la même époque Daphné du Maurier - est de ceux-là.
Mais qui est-il? Né en 1896 et mort en 1981, il est d'abord médecin des pauvres dans une région industrielle du pays de Galles, puis inspecteur des mines. En 1930, au repos forcé à la suite d'un ulcère gastro-duodénal, il écrit son premier roman: Le chapelier et son château. Plus de vingt titres suivront, avec un succès considérable, même en langue française.
Deux de ses oeuvres - parmi les plus réussies - ont été adaptées au cinéma: Sous le regard des étoiles (1940) dirigé par Carol Reed, avec Michael Redgrave et Margaret Lockwood, puis Les clés du royaume (1944) dirigé par John M. Stahl, avec Gregory Peck, Thomas Mitchell et Vincent Price. Le premier évoque le destin tragique des mineurs sur un mode engagé qui laisse un goût doux-amer et échappe à toute démagogie ou tentative moralisatrice; le second raconte l'histoire d'un prêtre missionnaire au caractère peu conventionnel et en proie aux critiques, ses efforts pour vivre et partager son appel à l'amour et à la tolérance, malgré la misère, les guerres et la famine qui sévissent de l'Ecosse à l'Extrême-Orient.
Toujours résolument tourné vers la pauvreté dont presque tous ses héros - rebelles contre l'ordre établi - sont issus, il signe aussi, avec Les années d'illusion, l'un de ses plus beaux romans: le récit de Duncan, un homme pas épargné par la vie, qui ambitionne d'être médecin par vocation, le deviendra, connaîtra la réussite et les honneurs, même si - comme son titre le sous-entend - les obstacles et les souffrances rencontrées ont laissé des traces en lui.
On peut ajouter le diptyque Les vertes années et Le destin de Robert Shannon, une émouvante histoire d'amour ainsi qu'une critique des milieux de la science -, sans oublier La citadelle, pour de nombreux lecteurs le plus beau de ses romans, et qui nous conte la vie d'un médecin qui veut faire progresser la médecine, refuse les arrangements d'usage au risque de déplaire à tous, se heurte aux anciens qui veulent préserver leur pouvoir et... leurs revenus! Un peu daté tout de même, bien que plaisant.
Lisez ou relisez A.J. Cronin! Absent des rayonnages de librairie - presque tous ses ouvrages sont épuisés - vous le trouverez, je l'espère, en bibliothèque. Sinon - via internet - sur Abebooks.fr entre autres, à coup sûr!
sources: Wikipedia - The Free Encyclopedia
A.J.Cronin:
Les années d'illusion (coll. Livre de poche/LGF, 2000)
Sous le regard des étoiles (coll. Livre de poche/LGF, 1994 - épuisé)
Les clés du royaume (coll. Livre de poche/LGF, 1989 - épuisé)
Les vertes années (coll. Livre de poche/LGF, 1975 - épuisé)
Le destin de Robert Shannon (coll. Livre de poche/LGF, 1995 - épuisé)
La citadelle (coll. Livre de poche/LGF, 1978 - épuisé)
01:15 Écrit par Claude Amstutz dans In memoriam, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature; romans; livres | | Imprimer | Facebook |
09/09/2013
Jean-Pierre Otte
La vie amoureuse des fleurs dont on fait les parfums (Julliard, 2009)
Sur les bancs de mon école, j’aurais bien voulu connaître un instituteur qui ressemble à Jean-Pierre Otte, car il raconte l’amour dans la nature comme d’autres la mythologie, avec une érudition impressionnante et une curiosité communicative. Ses livres se dévorent comme un roman – lisez L’épopée amoureuse du papillon chez le même éditeur – alliant la subtilité de ses observations à un style fluide, poétique, léger qui m’enchante et se prête à merveille aux langages de l’amour, omniprésent dans tous ses textes. Entre la violette, le papillon et la femme qui fascine l’auteur au propre comme au figuré, mon cœur balance avec allégresse !
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | | Imprimer | Facebook |
08/09/2013
Isabelle Stibbe
Bloc-Notes, 8 septembre / Curio - Cologny
1934. Bérénice, adolescente juive, entre au Conservatoire contre la volonté familiale. La jeune fille, au prénom prédestiné, entame sa formation théâtrale dans la classe de Louis Jouvet. Sa vie est désormais rythmée par l’apprentissage des plus grands rôles du répertoire; elle croise Jean Gabin, Jacques Copeau, Jean-Louis Barrault… Admise à la Comédie-Française, Bérénice de Lignières devient une comédienne de renom. La montée du fascisme en Europe, les tensions politiques en France, les rivalités professionnelles, les intrigues amoureuses, rien n’entache le bonheur de Bérénice. Mais au tout début de l’Occupation, avant même la promulgation des lois raciales, la maison de Molière exclut les Juifs de sa troupe. La brillante sociétaire, qui avait dissimulé ses origines, est alors rattrapée par son passé. Sous les ors et les velours de la Comédie-Française, au cœur du Paris de l’Occupation, vont se jouer les actes d’un drame inédit: celui d’une actrice célèbre prise au piège d’une impitoyable réalité. Une trajectoire captivante de femme et d’artiste qui rend justice, à sa façon, aux destins brisés par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale...
Une bien heureuse surprise que ce premier roman dont le titre, à lui seul, Bérénice 34-44, résume bien le destin tragique de Bérénice de Lignières, une rebelle face aux siens, puis aux règles érigées par le pouvoir en place de cette triste époque. Au nom de quoi donc? De l'art et du théâtre en particulier ici, défi permanent à la folie des hommes et arme indispensable capable d'exalter la vie: sa beauté, son sens, sa raison d'être, même si le bruit des bottes est tout proche. Jusqu'à quel point? Isabelle Stibbe restitue avec beaucoup de finesse, dans ce contexte historique précis, la confrontation inévitable entre la culture qui revendique sa liberté d'expression et la barbarie qui l'étouffe. Ainsi le camp choisi par son héroïne, prolongeant sa passion et ses convictions, quelles qu'en soient les conséquences sur sa destinée.
A ce portrait bouleversant - parachevé avec soin par ceux de Alain Baron et de Nathan Adelman, ses proches - il faut ajouter qu'on ne boude pas le plaisir de pénétrer en compagnie de Isabelle Stibbe dans les coulisses de la Comédie-Française, dont elle maîtrise parfaitement le sujet, ayant été responsable de ses publications, avant de rejoindre le Grand Palais, puis en qualité de secrétaire générale, l'Athénée Théâtre Louis Jouvet.
Malgré la gravité du sujet - si souvent abordé en littérature - l'auteur évite avec sa sensibilité délicate les clichés et les accents mélodramatiques. Tout au contraire, son récit est pudique, passionné, généreux, et nous fait chavirer - d'exultation en tristesse - du premier mot au dernier avec un incomparable bonheur.
Bérénice, ma femme de musique, j'arrête d'attendre. Un cargo part dans deux mois pour l'Amérique. C'est largement le temps que tu reçoives cette lettre et que tu fasses le voyage pour me rejoindre. Un mot de toi et nous partirons ensemble comme nous aurions dû le faire dès le début. Après il sera trop tard... (...) Nous ferons le trajet plein d'espoir comme les pionniers des temps passés. La statue de la Liberté nous ouvrira généreusement ses bras. L'apercevoir du bateau fera couler nos larmes de joie. Nous habiterons New York ou Los Angeles, nous fréquenterons les artistes qui ont déjà gagné l'Amérique: Darius Milhaud, Lion Feuchtwanger, Pierre Monteux, Otto Klemperer, Bruno Walter. Nous reconstituerons le Paris que nous aimons, celui d'avant la guerre où chaque café était la promesse de rencontrer un frère, où l'on pouvait partager entre artistes un beau soleil, une idée poétique au lieu de parler restrictions, bombardements et abris...
Un grand roman, un vrai!
Isabelle Stibbe, Bérénice 34-44 (Serge Safran, 2013)
18:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
Morceaux choisis - Kurt Tucholsky
Kurt Tucholsky
Pose les grandes lignes de ton voyage, et laisse-toi porter, pour le détail, par les reflets de l'heure. La plus grandiose curiosité qui soit, c'est le monde, regarde-le. Personne ne saurait en avoir une assez parfaite connaissance pour tout comprendre et tout estimer à sa juste valeur: aie le courage de dire que tu ne comprends rien à ceci ou cela.
Ne prends pas au tragique les petites difficultés du voyage; si restes coincé à une étape sans intérêt, sois heureux d'être en vie, regarde un peu les poules et les chèvres à l'air grave, et fais une petite causette avec le marchand de tabac. Détends-toi. Lâche les commandes. Et tombe en vrille dans le monde.Il est si beau: donne-toi à lui, il se donnera à toi.
Kurt Tucholsky, L'art de bien voyager, dans: Moments d'angoisse chez les riches - Chroniques allemandes (Héros-Limite, 2012)
traduit de l'allemand par Claude Porcell
08:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; chroniques; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
07/09/2013
Jules Grasset
Jules Grasset, Minuit à Sain-Germain (Héloïse d'Ormesson, 2008)
Démodé, le roman policier à la Simenon? Pas vraiment! Pour preuve ce petit bijou de Jules Grasset, avec une intrigue (jeune femme légère assassinée dans un palace, un mystérieux carnet de notes et des collections fétichistes!) captivante dès les premières lignes et qui tient en haleine jusqu’au bout. Les personnages sont crédibles, originaux, et on retrouve avec plaisir le très sympathique et sagace commissaire Mercier, déjà présent dans le titre précédent de cet auteur, Les violons du diable qui a obtenu le Prix du Quai des Orfèvres 2004 – une distinction rare pour un auteur qui est d’abord… médecin!
06:50 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
06/09/2013
Lire les classiques - Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine
O terre, vil monceau de boueOù germent d'épineuses fleurs,Rendons grâce à Dieu, qui secoueSur ton sein ses fraîches couleurs! Sans ces urnes où goutte à goutteLe ciel rend la force à nos pas,Tout serait désert, et la routeAu ciel ne s'achèverait pas. Nous dirions: A quoi bon poursuivreCe sentier qui mène au cercueil?Puisqu'on se lasse en vain à vivre,Mieux vaut s'arrêter sur le seuil. Mais pour nous cacher les distances,Sur le chemin de nos douleursTu sèmes le sol d'espérances,Comme on borde un linceul de fleurs! Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre,Où chantaient de si fraîches voix;Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendreCouvert de charbons noirs et froids, Ah!laisse refleurir encoreCes lueurs d'arrière-saison!Le soir d'été qui s'évaporeLaisse une pourpre à l'horizon. Oui, meurs en brûlant, ô mon âme,Sur ton bûcher d'illusions,Comme l'astre éteignant sa flammeS'ensevelit dans ses rayons!
Alphonse de Lamartine, Les fleurs, dans: Poésies diverses, précédé de: Méditations poétiques et Nouvelles méditations poétiques (coll. Poésie/Gallimard, 2000)
image: Schynige Platte, Oberland Bernois / Suisse (2007)
23:02 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Musica présente - 73 André Navarra
André Navarra
violoncelliste français, 1911 - 1988
*
Camille Saint-Saëns
Mélodies du Japon
(avec Annie d'Arco / arrang. André Navarra)
03:12 Écrit par Claude Amstutz dans Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | | Imprimer | Facebook |
05/09/2013
Lire les classiques - Emily Brontë
Emily Brontë
C’était l’un de ces sombres jours ennuagésQui traversent parfois la flambée de l’été,Où du ciel rien ne tombe, où la terre est tranquilleEt d’un vert plus profond se revêt la colline. Deux arbres dans un champ désertMe chuchotent un sortilège:Lugubre est le secret que leur sombre ramureAgite avec solennité. Qu’est-ce que la fumée sans relâche qui rouleLà-bas sur la pente fauve de la colline? Comme elle regardait, les nuages de ferS’écartant, le soleil brilla dans l’intervalle,Mais lugubrement étrange, et pâle et froid. Il ne jettera plus d’éclat,Sa triste course est achevée:J’ai vu, du froid soleil brillant,S’abîmer la lueur dernière. Ancien manoir d’Elbë, maintenant en ruine, solitaire,Maison où la voix de la vie jamais plus ne s’en reviendra,Salles sans couvert, désolées, où croissent la ronce et le lierre,Fenêtres aux cintres brisés où les vents de nuit mènent deuil,Demeure des défunts, des défunts d’un temps révolu.Emily Brontë, Poèmes - édition bilingue (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
traduit de l'anglais par Pierre Leyris
08:54 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |