20/03/2013
Morceaux choisis - Jules Supervielle
Jules Supervielle
Vous dont les yeux sont restés libres, Vous que le jour délivre de la nuit, Vous qui n’avez qu’à m’écouter pour me répondre, Donnez-moi des nouvelles du monde. Et les arbres ont-ils toujours Ce grand besoin de feuilles, de ramilles, Et tant de silence aux racines? Donnez-moi des nouvelles des rivières, J’en ai connu de bien jolies, Ont-elles encor cette façon si personnelle De descendre dans la vallée, De retenir l’image de leur voyage, Sans jamais consentir à s’arrêter. Donnez-moi des nouvelles des mouettes De celle-là surtout que je pensai tuer un jour. Comme elle eut une étrange façon, Le coup tiré, une bien étrange façon de repartir! Donnez-moi des nouvelles des lampes Et des tables qui les soutiennent Et de vous aussi tout autour, Porte-mains et porte-visages. Les hommes ont-ils encore Ces yeux brillants qui vous ignorent, La colère dans leurs sourcils Le cœur au milieu des périls? Mais vous êtes là sans mot dire. Me croyez-vous aveugle et sourd? Et voici la muraille, elle use le désir, On ne sait où la prendre, elle est sans souvenirs, Elle regarde ailleurs, et, lisse, sans pensées, C’est un front sans visage, à l’écart des années. Prisonniers de nos bras, de nos tristes genoux, Et le regard tondu, nous sommes devant nous Comme l’eau d’un bidon qui coule dans le sable Et qui dans un instant ne sera plus que sable. Déjà nous ne pouvons regarder ni songer, Tant notre âme est d’un poids qui nous est étranger. Nos cœurs toujours visés par une carabine Ne sauraient plus sans elle habiter nos poitrines. Il leur faut ce trou noir, précis de plus en plus, C’est l’œil d’un domestique attentif aux pieds nus. Œil plein de prévenance et profond, sans paupière, A l’aise dans le noir et l’excès de lumière. Si nous dormons il sait nous voir de part en part, Vendange notre rêve, avant nous veut sa part. Nous ne saurions lever le regard de la terre Sans que l’arme de bronze arrive la première, Notre sang a besoin de son consentement, Ne peut faire sans elle un petit mouvement. Elle est un nez qui flaire et nous suit à la piste Une bouche aspirant l’espoir dès qu’il existe, C’est le meilleur de nous, ce qui nous a quittés, La force des beaux jours et notre liberté.Jules Supervielle, Le forçat innocent, suivi de: Les amis inconnus (coll. Poésie/Gallimard, 2007)
image: www.fond-ecran-image.com
18:23 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Oui, les arbres ont toujours besoin de feuilles et de ramilles afin de pouvoir frémir et murmurer...
Oui, les rivières ondulent toujours dans les vallées, chargées de nuages et de fleurs, impatientes de sentir la mer.
Oui,les mouettes hurlent toujours au dessus des remparts de ma ville, et celle-là qui vous échappa veille sur la tombe du vieil homme.
Oui, les lampes éclairent encore nos visages fatigués.
Oui, les hommes sont toujours là, de l'autre côté de la muraille, les yeux tournés vers le ciel mais toujours enclins au mal.
Oui, ils ne veulent ni voir vos larmes, ni entendre votre plainte.
Oui, des pierres vous séparent, et ces hommes satisfaits, ne veulent pas vous connaître....
Écrit par : Claudine Redon | 25/03/2013
oui Claudine a bien résumé Jules Supervielle dans ce poème. J'y ajoute simplement qu'il y a beaucoup d'espérance dans ce poème comme dans toute son oeuvre
J'ai aimé...
Écrit par : ATTUEL Josette | 31/03/2013
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