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23/11/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j'entraîne avec moi plus d'un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d'en sortir même pour un moment ?
J'entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pèle-mêle, les passagers et les marins,
Et j'éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08/09/2011

Relire Supervielle 1b

Bloc-Notes, 8 septembre / Curio

En complément au roman Le voleur d'enfants de Jules Supervielle, voici un film d'animation en deux parties consacré à un autre de ses livres, L'enfant de la haute mer. Réalisé par Laetitia Gabrielli, Pierre Marteel, Mathieu Renoux, Max Tourret, en 2000. La musique est signée René Aubry.



Jules Supervielle, Le voleur d'enfants (coll. Folio/Gallimard, 1973)

Jules Supervielle, L'enfant de la haute mer (coll. Folio/Gallimard, 1972)

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Contes, Jules Supervielle, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; conte; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Relire Supervielle 1a

Bloc-Notes, 8 septembre / Curio

Jules Supervielle.jpg

Le colonel Philémon Bigua n'est pas un homme comme tout le monde. Avec son épouse Desposoria, ils aiment les enfants, mais par un caprice malheureux de la nature, ce don précieux est refusé à leur couple. Alors, en plein Paris, le colonel vole ceux des autres, les invite dans sa demeure qui ressemble à une caverne d'Ali Baba, les installe et partage avec eux ses incroyables aventures vécues en Amérique du Sud, ses rêves, ses jeux, son affection forte et rassurante. Sont-ils effrayés, ces enfants? Pas le moins du monde, car ils sont soustraits à la pauvreté, aux situations familiales douloureuses ou à l'ennui. Leurs parents, par ailleurs ne s'en plaignent pas, une fois le premier étonnement surmonté. Antoine Charnelet, par exemple, est conquis par cet être exubérant, chaleureux, débordant d'imagination qui, de son léger accent étranger, lui a murmuré, avec beaucoup d'émotion dans la voix: N'aie pas peur, je suis déjà ton ami et tu vas voir que tu me connais.

Il éprouvait de la sympathie pour son ravisseur, à cause de la tendresse et des mystérieux égards que le colonel témoignait à l'enfant et à ses camarades. Comme il aimait aussi des objets exotiques qui les entouraient et dont chacun était un regard, un encouragement au caprice, un tournant de la géographie.

Et la magie opère, pour le bonheur de tous, jusqu'au jour où Bigua veut inviter tous ses amis pour leur montrer Antoine, son préféré. Desposoria le met en garde: Mon chéri, l'insouciance où tu vis de certains de tes actes, que j'admire mais qui sont punis par la loi, me paraît parfois effrayante. Tu vas et viens tranquillement, tu manges, bois avec des enfants volés. Ne vaudrait-il pas mieux quitter Paris? On te cherche certainement. Et si les petits te dénonçaient! Le danger est installé dans nos meubles.

Le colonel se laisse convaincre et projette de retourner en Amérique du Sud, à la seule condition d'emmener avec les enfants une jeune fille de Paris. Interpellé par Herbin - un père alcoolique que Philémon fera soigner dans une clinique - son rêve se concrétise avec sa fille Marcelle, pâle, sensible, tremblante, aux attaches très fines et, dans le regard, une douceur qui déborde l'enfance. Elle-même n'est pas insensible à Bigua, avec ses yeux noirs et chargés: Il représentait pour Marcelle tout ce qui lui avait manqué chez sa mère: Le luxe, la bienveillance et les pays étrangers. (...) Elle le trouvait beau avec son visage sans transitions, sa peau très blanche et ses cheveux très noirs, beaucoup plus beau et plus viril que tous les hommes qu'elle avait vu entrer chez sa mère, essouflés par une joie toute proche, et avec cette hâte dans le regard.

Mais Marcelle n'est plus tout à fait une petite fille, et son charme innocent va ravager le coeur du colonel tombé fou amoureux d'elle: Elle me regarde et je la regarde vivre et me regarder. Sa petite blouse est légère. Mon avenir y est contenu qui sommeille et parfois ouvre un oeil pour savoir où j'en suis et se refermer... La joie progressivement cède le pas à la jalousie, au tourment, à l'intolérance et tandis que les premiers émois de Marcelle marquent son passage à l'adolescence et la rapprochent des camarades de son âge tout en l'éloignant de ce second père auquel elle n'a plus rien à dire, Philémon au comble du désespoir réalise qu'il aime Marcelle plus que tout au monde, bien qu'elle lui échappe de plus en plus: Je me verrai condamné à une solitude infernale, même si je volais les uns après les autres tous les enfants de la terre.

Ce conte que Jules Supervielle publie en 1926, nous dit avec beaucoup de poésie le pouvoir de l'imagination, mais aussi combien le choc de la réalité peut, parfois cruellement, l'anéantir à tout jamais, tel notre malheureux colonel Bigua pour lequel l'impossibilité de cristalliser ses rêves aboutit à l'impossibilité de vivre, désormais... 

Jules Supervielle, Le voleur d'enfants (coll. Folio/Gallimard, 1973)

00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Contes, Jules Supervielle, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; conte; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/07/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement:
Voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
 
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c'est encore moi.
C'est peut-être mon vrai moi-même.
C'est là que je me réfugie.
C'est peut-être là que tu es.
 
Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.
Je n'en connais pas bien l'usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.
Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.
J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe.
Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter.
Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes.
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons,
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible.
Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années,
Une grande vitesse acquise,
Une durable mélancolie
Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie.
Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance
Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde
Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète.
 
Ecoute-moi ! Cela presse.
Ils vont tous se décourager
Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés.
Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.
De tous côtés,
L'on prépare de bizarres distributeurs de sang, de plaintes et de larmes,
L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.
Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ?
T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation,
Ne sachant où donner de la tête
Laissant mourir sa clientèle ?
 
Ecoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres.
L'âme se plait dans notre corps,
Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe.
Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.
Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons,
Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.
Nous n'avons pas du tout le coeur aux batailles, aux généraux.
Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,
Une odeur de lait frais se mélant à l'odeur de l'herbe grasse.
 
Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.
Viens te délasser parmi nous.
La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,
Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu.
Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille
Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi,
Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité.
Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise.
Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe
Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.
Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.
Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense,
De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence
Avec la franchise de la terre et des diverses saisons,
Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons
Je ne suis pas sans excuses.
Veuille accepter mes pauvres ruses.
Tant de choses se préparent sournoisement contre nous.
Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu
Et d'être comme le taureau
Qui ne comprend pas ce qui se passe.
Le mène-t-on à l'abattoir,
Il ne sait où il va comme ça
Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front
Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument,
Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang
A vouloir tous s'occuper de lui ?
 
 Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

31/05/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle
 
Suffit d'une bougie
pour éclairer le monde 
Autour duquel ta vie
Fait sourdement sa ronde,
Coeur lent qui t'accoutumes
Et tu ne sais à quoi,
Coeur grave qui résumes
Dans le plus sûr de toi
Des terres sans feuillage,
Des routes sans chevaux,
Un vaisseau sans visages
Et des vagues sans eaux.
  
Mais des milliers d'enfants
Sur la place s'élancent
En poussant de tels cris
De leurs frêles poitrines
Qu'un homme à barbe noire,
- De quel monde venu? -
D'un seul geste les chasse
Jusqu'au fond de la nue.
Alors de nouveau, seul,
Dans la chair tu tâtonnes,
Coeur plus près du linceuil,
Coeur de grande personne.  
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle 
  

06:17 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |