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29/12/2012

Mes 12 étoiles de la littérature 2012

Bloc-Notes, 29 décembre / Les Saules

littérature; musique; livres

C''est aujourd'hui un plaisir de revisiter les passions partagées autour de tant de livres découverts au fil de l'année: ceux qui m'ont ému, surpris, étonné; ceux qui m'ont enrichi; ceux qui m'ont distrait. Et cela sans souci de hiérarchie ou de genre.

Bien que parus fin 2011, les deux premiers volumes des Oeuvres complètes de Charles-Albert Cingria (L'Age d'Homme) ont largement mérité d'obtenir l'étoile d'or, car ils nourrissent mes moments de lecture au quotidien, depuis leur parution et sans jamais me lasser. De courts récits semblables à des esquisses de tableaux - Fribourg, Lausanne, Ouchy, Paris ou Ravenne - auxquels se mêlent un sens de l'observation, une réflexion personnelle sur le temps, l'histoire et l'auteur, non dénuée d'humour.

Si les onze titres suivants obtiennent le même rang - ex-aequo, avec une étoile d'argent - je suis heureux de poursuivre ce voyage rétrospectif avec deux autres auteurs suisses que sont Douna Loup et Jean-Louis Kuffer: le premier avec Les lignes de ta paume (Mercure de France), un récit à deux voix transposé du réel - qui est à la fois une traversée du siècle et une exploration pertinente sur la liberté qu'attise la création artistique, en l'occurence la peinture - servi par une écriture chatoyante à la frontière de la poésie; pour le second, ses Chemins de traverse - Lectures du monde 2000-2005 (Olivier Morattel) m'ont accompagné comme les écrits de Charles-Albert Cingria, à tout heure du jour et de la nuit, par sa célébration de la vie, de l'amour et des arts dont son auteur me comble par sa générosité, son humour et son regard libertaire sur le monde.

Parmi les romans, je choisis trois récits plutôt intimistes. Les impurs de Caroline Boidé (Serge Safran) est ainsi une agréable surprise - une histoire d'amour avec en toile de fond l'Algérie des années 50 - de même que Je suis la marquise de Carabas de Lucile Bordes (Liana Lévi) - une plongée dans l'histoire de sa famille, la saga du Grand Théâtre Pitou et leur monde qui s'éteint - sans oublier Marie-Hélène Lafon qui, avec Les pays (Buchet-Chastel), conte l'histoire d'une fille du Cantal qui monte à Paris pour entreprendre des études, apprivoise pas à pas la réalité fragile de la ville, sans pour autant renier ses tendres campagnes. 

Un seul roman policier - bien qu'il soit davantage que cela - m'a enchanté: Prison avec piscine (Liana Levi) de Luigi Carletti, situé à la Villa Magnolia, dans un quartier résidentiel de Rome, et dont le héros a été victime d'un accident de moto dans sa jeunesse, le laissant invalide, pour toujours. Une atmosphère typiquement italienne et une intrigue originale autour de ce personnage attachant qui, en pleine conscience déclenche un mécanisme mortel bien au-delà de ses projets.

Autre orientation avec Alphabets (L'Arpenteur) de Claudio Magris, regroupant environ 80 chroniques parues dans le Corriere della Sera, à propos de littérature, de philosophie, des périodes charnières de l'histoire. Avec lui, à chaque page j'apprends quelque chose, sans pesanteur, reliant mon petit monde à l'universel. La poésie n'est pas oubliée avec Où vont les arbres de Vénus Khoury-Ghata, que le grand public append enfin à connaître, par le biais de ce prix Goncourt de la Poésie 2012 tout à fait mérité! 

Enfin, comme vous l'avez remarqué, la musique occupe une place importante dans mes loisirs. Aussi, ce n'est pas un hasard si je retiens trois titres en relation avec elle. Les grands violonistes du XXe siècle / vol. 1: de Kreisler à Kremer, 1875-1947 (Buchet-Chastel) signé Alain Lompech, est un trésor inestimable qui comble mes lacunes d'autodidacte, en texte et musique: 16 heures d'écoute! Une étrange histoire d'amour de Luigi Guarnieri (Actes Sud) est en revanche un roman - un récit serait plus juste - autour de Johannes Brahms et les époux Clara et Robert Schumann: une immersion fascinante dans leur univers. Pour en finir avec ce rapide survol, Sauver Mozart - Le journal d'Otto J. Steiner (Actes Sud) de Raphaël Jérusalmy, m'a séduit par cette fiction pure autour d'une supercherie - un manuscrit retrouvé du compositeur - servant de prétexte à raviver la mémoire de disparus, en pleine seconde guerre mondiale.

Il n'y a pas, dans ce coup d'oeil dans le rétroviseur, d'étoiles de bronze qui représentent, dans mon imaginaire, de plaisantes lectures, mais dont le parfum s'est rapidement altéré...

Par la fonction Recherche sur La scie rêveuse - vous pouvez retrouver tous ces ouvrages auquels j'ai consacré quelques lignes ou davantage, ainsi que des extraits, tout au long de cette année.

Belles heures de lecture à tous! 

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image: girlparker.com

28/12/2012

Lire les classiques - Friedrich Rückert 1b

Friedrich Rückert

Voici ce poème de Friedrich Rückert - Dédicace/Widmung - exalté dans le premier des 26 Lieder de Robert Schumann composant l'oeuvre Myrthen, Op 25. Le baryton Dietrich Fischer-Dieskau l'interprète ici, accompagné par le pianiste Jörg Demus.


 

Hédi et Fériel Kaddour, Robert Schumann - L'amour et la vie d'une femme (La Dogana, 2006)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Dietrich Fischer-Dieskau, Musique classique, Robert Schumann | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/12/2012

Frédéric Pajak

Bloc-Notes, 27 décembre / Les Saules

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En sa qualité d'écrivain, Frédéric Pajak ne ressemble vraiment à personne, et son dernier livre, Manifeste incertain, en est une démonstration supplémentaire. Récit autobiographique, poème, cahier de dessins, pamphlet, souvenirs, reportages, ou plutôt tout cela à la fois? Le fil conducteur de ce texte est Walter Benjamin auquel s'ajoutent quelques pages consacrées à Samuel Beckett, comme dans d'autres de ses précédents ouvrages, ont été placés sous son projecteur Friedrich Nietzsche, Cesar Pavese, Martin Luther et James Joyce.

Pourquoi ce Manifeste incertain? En préambule, Frédéric Pajak nous en livre la clef: La génération de l'après-guerre a perdu le fil de l'Histoire à force de reconstruire le monde. Et c'est vrai qu'elle l'a reconstruit et qu'elle a su faire règner la paix, comme un long soupir, en oubliant les temps mauvais. Maintenant nous vivons dans les restes de cette paix, et c'est avec ces restes que nous improvisons une société, une société qui efface les sociétés précédentes, une société sans mémoire. Il ajoute à sa réflexion: Evocation de l'Histoire effacée et et de la guerre du temps, tel est, exprimé de façon désarticulée, le propos du Manifeste. Ecrire contre l'oubli, tracer l'éphémère, l'incruster dans le papier comme l'image d'une lumineuse mélancolie.

Avec Walter Benjamin, Frédéric Pajak situe la responsabilité de l'écrivain et déborde de ce cadre trop strict pour lui afin d'ouvrir son champ de vision à la création toute entière: La création humaine surgit de la pénombre de nous-mêmes, de cette moiteur que l'on sent entre les doigts, entre les muscles entortillés sur le dessus de nos entrailles, cette pénombre plus épaisse que la purée des cailloux. Dans cette pénombre, on plonge par le soupirail. On y nage. On s'y enterre. La création du monde vient du fond de la terre, contrairement au travail qui vient du ciel. La création humaine est étrangère au labeur, aux tâches moitié domestiques moitié mécaniques. Elle n'a ni poids ni mesure, mais elle a tout le temps pour elle. Tout le temps? Peut-être. Pour l'heure, elle s'y étire, parfois sauvagement. Un mot chasse l'autre, une image en efface une autre, une pensée cesse de penser.

Dans cet enchevêtrement de miroirs entre histoire, imagination et réalité, il n'est pas certain que le lien entre les différents chapitres soit tout à fait évident pour le lecteur, mais à trop réfléchir, en lisant, n'échappe-t-on pas au gré des incertitudes de son auteur, à l'essentiel, à la trace brute et sauvage, pas encore polie, lissée par l'intelligence? Les plus beaux passages du Manifeste incertain touchent à la pensée propre et fissurée de Frédéric Pajak, davantage qu'à ses épisodes consacrés à Walter Benjamin, Rainer-Maria Rilke ou Samuel Beckett, bien que l'ensemble soit à prendre en considération. Ainsi - outre un extrait que vous pouvez retrouver sur La scie rêveuse, dans Morceaux choisis - le point culminant de son art est atteint avec les Esprits: Les Esprits, enfouis au plus profond de la terre, décident de revenir au monde. Ils ne sont ni des immortels ni des fantômes, mais simplement des Esprits. Ils forment une espèce de cohorte, portent chacun le nom d'un sentiment puissant. Ily a le Bonheur, le Désespoir, l'Appétit. Et puis la Fatigue, longue femme amaigrie, les yeux rougis de larmes, la coiffure comme une botte de foin brûlé. Dans la cohorte, il y a encore la Douleur, la Joie, la Peur, le Chagrin et d'autres encore...

Pour la suite de ce texte, je vous laisse en poursuivre la lecture dans le Manifeste incertain, premier volume d'un nouveau cycle, aux Editions Noir sur Blanc: un ouvrage singulier tantôt visuel et provocateur comme un film de Jean-Luc Godard, tantôt dépouillé à l'extrême comme un monologue de Samuel Beckett... Original, à vous d'en juger!

A ce jour, Frédéric Pajak, néà Suresnes en 1955, est l'auteur d'une vingtaine de livres, patrmi lesquels Le bon larron (Campiche, 1987), Martin Luther - l'inventeur de la solitude (L'aire, 1997), L'immense solitude - avec Friedrich Nietzsche et Cesar Pavese (Presses Universitaires de France, 1999), L'étrange beauté du monde (Noir sur Blanc, 2008 - avec Léa Lund) et En souvenir du monde (Noir sur Blanc, 2010 - avec Léa Lund).     

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Frédéric Pajak, Manifeste incertain, Volume 1 (Noir sur Blanc, 2012)

images: Frédéric Pajak, Dessins illustrant le texte : Manifeste incertain

07:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/12/2012

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

René Char 5.jpg

Amitié, bonne déesse au long de sa vie, a désigné au poète cette maison dont les fondations touchent aux sources mêmes de son chant.

Les ombres d'oiseaux du platane palpitent sur le gravier blanc et leurs oeufs de soleil éclaboussent les murs. Au bord du pré les peupliers ont grandi. Ils distillent la tendresse venue d'un plateau dur aux coups.

L'amitié avec la terre s'alimente en secret aux froissements d'espace que font les corneilles entre gouffre et crépuscule. Elles apportent de leur voyage journalier l'image de cimes hautaines dont le nom évoque la fascination de la femme, telle qu'elle surgit d'entre les pins avec sa robe d'aiguilles.

La ruse innocente de la terre ferme, ici, le sentier pour que parlent encore les voix impavides.

Un rouge-gorge familier passe en sautillant, délégué du salut, oiseau pour défier le sommeil de la distance.

Pierre-Albert Jourdan, Les Busclats / A René Char, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

image: René Char, Le trousseau de Moulin Premier, album souvenir de L'Isle-sur-Sorgues (La Table Ronde, 2009)

25/12/2012

Musica présente - 45 Chiara Banchini

Chiara Banchini

violoniste et chef d'orchestre suisse, née en 1946

*

Arcangelo Corelli

Concerto No 8, Op 6

(Ensemble 415)



03:46 Écrit par Claude Amstutz dans Chiara Banchini, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

Joyeux Noël

Que ce temps des fêtes vous apporte à toutes et à tous la réconciliation, l'espérance, la tendresse et la paix! Avec le concours des Moniales bénedictines de l'Abbaye Sainte Cécile, qui chantent avec recueillement et douceur ce Te Deum grégorien, hymne de joie et de reconnaissance! Vous pouvez en retrouver ci-dessous le texte en traduction française...


A Toi, Dieu, notre louange!
Nous t'acclamons: tu es Seigneur!
A Toi, Père éternel,
L'hymne de l'univers.
 
Devant Toi se prosternent les archanges,
Les anges et les esprits des cieux;
Ils Te rendent grâce;
Ils adorent et ils chantent:

Saint, Saint, Saint, le Seigneur,
Dieu de l'univers;
Le ciel et la terre sont remplis
De Ta gloire,
 
C'est Toi que les Apôtres glorifient,
Toi que proclament les prophètes,
Toi dont témoignent les martyrs;

C'est Toi que par le monde entier
L’Église annonce et reconnaît.
Dieu, nous T'adorons: Père infiniment saint,
Fils éternel et bien-aimé,
Esprit de puissance et de paix.
 
Christ, le Fils du Dieu vivant,
Le Seigneur de la gloire,
Tu n'as pas craint de prendre chair
Dans le corps d'une vierge pour libérer l'humanité captive.
 
Par ta victoire sur la mort,
Tu as ouvert à tout croyant les portes du Royaume;
Tu règnes à la droite du Père;
Tu viendras pour le jugement.
 
Montre-Toi le défenseur et l'ami
des hommes sauvés par Ton sang;
Prends-les avec tous les saints
Dans Ta joie et dans Ta lumière.

Sauve ton peuple, Seigneur,
Et bénis Ton héritage.
Dirige les tiens
Et conduis-les jusque dans l'éternité.
 
Chaque jour nous te bénissons
Et nous louons Ton nom à jamais
Et dans les siècles des siècles.

Daigne, Seigneur, en ce jour,
Nous garder de tout péché.
Aie pitié de nous, Seigneur,
Aie pitié de nous.
 
Que ta miséricorde soit sur nous, Seigneur,
Car nous avons mis en Toi notre espérance.
En Toi, Seigneur, j'ai mis mon espérance:
Que je ne sois jamais confondu.

00:59 Écrit par Claude Amstutz dans Chant sacré, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique; spiritualité | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/12/2012

Lire les classiques - Jehan Rictus

Jehan Rictus

lu par Monique Morelli



Seigneur Jésus, je pense à vous!
Ça m’prend comm’ça, gn’y a pas d’offense!
J’ suis mort’ de foid, j’ me quiens pus d’bout,
ce soir encor... j’ai pas eu d’chance.
 
Ce soir, pardi ! c’est Réveillon:
On n’ voit passer qu’des rigoleurs;
j’ gueul’rais « au feu » ou « au voleur »,
qu’personne il y f’rait attention.

Et vous aussi, Vierge Marie,
Sainte-Vierge, Mère de Dieu,
qui pourriez croir’que j’vous oublie,
ayez pitié du haut des cieux.

J’ suis là, Saint’-Vierge, à mon coin d’rue
où d’pis l’apéro, j’bats la semelle;
j’ suis qu’eune ordur’, qu’eun’ fill’perdue,
c’est la Charlotte qu’on m’appelle.

Sûr qu’avant d’vous causer preumière,
eun’femm’qu’est pus bas que l’ruisseau
devrait conobrer ses prières,
mais y m’en r’vient qu’ des p’tits morceaux.

Vierge Marie... pleine de grâce...
j’suis fauchée à mort, vous savez;
mes pognets, c’est pus qu’eun’ crevasse
et me v’là ce soir su’l’pavé.
 
Si j’entrais m’chauffer à l’église,
on m’ foutrait dehors, c’est couru;
ça s’voit trop que j’suis fill’soumise...
(oh ! mand’ pardon, j’ viens d’ dir’ « foutu. »)

T’nez, z’yeutez, c’est la Saint-Poivrot;
tout flamb’, tout chahut’, tout reluit...
les restaurants et les bistrots
y z’ont la permission d’la nuit.

Tout chacun n’pens’qu’à croustiller.
Y a plein d’ mond’dans les rôtiss’ries,
les épic’mards, les charcut’ries,
et ça sent bon l’boudin grillé.

Ça m’fait gazouiller les boïaux!
Brrr! à présent Jésus est né.
Dans les temps, quand c’est arrivé,
s’ y g’lait comme y gèle e’c’te nuit,
su’ la paill’ de vot’ écurie
v’s z’avez rien dû avoir frio,
Jésus et vous, Vierge Marie.

Bing !... on m’ bouscule avec des litres,
des pains d’quatr’livr’s, des assiett’s d’huîtres,
Non, r’gardez-moi tous ces salauds!

(Oh ! esscusez, Vierge Marie,
j’ crois qu’j’ai cor dit un vilain mot!)

N’est-c’ pas que vous êt’s pas fâchée
qu’eun’ fill’ d’amour plein’ de péchés
vous caus’ce soir à sa magnère
pour vous esspliquer ses misères?
Dit’s-moi que vous êt’s pas fâchée!

C’est vrai que j’ai quitté d’chez nous,
mais c’était qu’la dèche et les coups,
la doche à crans, l’dâb toujours saoul,
les frangin’s déjà affranchies....

(C’était h’un vrai enfer, Saint’-Vierge;
soit dit sans ête eune effrontée,
vous-même y seriez pas restée.)

C’est vrai que j’ai plaqué l’turbin.
Mais l’ouvrièr’gagn’pas son pain;
quoi qu’a fasse, elle est mal payée,
a n’ fait mêm’pas pour son loyer;

à la fin, quoi, ça décourage,
on n’a pus de cœur à l’ouvrage,
ni le caractère ouvrier.

J’ dois dire encor, Vierge Marie!
que j’ai aimé sans permission
mon p’tit... « mon béguin... » un voyou,
qu’ est en c’moment en Algérie,
rapport à ses condamnations.

(Mais quand on a trinqué tout gosse,
on a toujours besoin d’caresses,
on se meurt d’amour tout’sa vie:
on s’arr’fait pas que voulez-vous !)

Pourtant j’y suis encore fidèle,
malgré les aut’s qui m’ cour’nt après.
Y a l’ grand Jul’s qui veut pas m’laisser,
faudrait qu’avec lui j’me marie,
histoir’ comme on dit, d’l’engraisser.
Ben, jusqu’à présent, y a rien d’ fait;
j’ai pas voulu, Vierge Marie!
 
Enfin, je suis déringolée,
souvent on m’a mise à l’hosto,
et j’ m’ai tant battue et soûlée,
que j’en suis plein’de coups d’couteau.

Bref, je suis pus qu’eun’salop’rie,
un vrai fumier Vierge Marie!
(Seul’ment, quoi qu’on fasse ou qu’on dise
pour essayer d’se bien conduire,
y a quèqu’chos’qu’est pus fort que vous.)

Eh ! ben, c’est pas des boniments,
j’ vous l’jure, c’est vrai, Vierge Marie!
Malgré comm’ça qu’ j’aye fait la vie,
j’ai pensé à vous ben souvent.

Et ce soir encor ça m’rappelle
un temps, qui jamais n’arr’viendra,
ousque j’allais à vot’chapelle
les mois que c’était votre fête.

J’arr’vois vot’ bell’rob’bleue, vot’voile,
(mêm’ qu’il était piqué d’étoiles),
vot’ bell’ couronn’ d’or su’la tête
et votre trésor su’les bras.
 
Pour sûr que vous étiez jolie
comme eun’ reine, comme un miroir,
et c’est vrai que j’vous r’vois ce soir
avec mes z’yeux de gosseline;
c’est comm’ si que j’y étais... parole.
 
Seul’ment, c’est pus comme à l’école;
ces pauv’s callots, ce soir, Madame,
y sont rougis et pleins de larmes.

Aussi, si vous vouliez, Saint’-Vierge,
fair’ce soir quelque chos’pour moi,
en vous rapp’lant de ce temps-là,
ousque j’étais pas eune impie;
vous n’avez qu’à l’ver un p’tit doigt
et n’pas vous occuper du reste...

J’ vous d’mand’pas des chos’s... pas honnêtes!
Fait’s seul’ment que j’trouve et ramasse
un port’-monnaie avec galette
perdu par un d’ces muf’s qui passent
(à moi putôt qu’au balayeur!)

Un port’-lazagn’, Vierge Marie!
gn’y aurait-y d’dans qu’un larantqué,
ça m’aid’rait pour m’aller planquer
ça m’ permettrait d’attendre à d’main
et d’m’enfoncer dix ronds d’boudin!

Ou alorss, si vous pouez pas
ou voulez pas, Vierge Marie...
vous allez m’ trouver ben hardie,
mais... fait’s-moi de suit’ sauter l’pas!

Et pis... emm’nez-moi avec vous,
prenez-moi dans le Paradis
ousqu’y fait chaud, ousqu’y fait doux,
où pus jamais je f’rai la vie,

(sauf mon p’tit, dont j’suis pas guérie,
vous pensez qu’je n’arr’grett’rai rien
d’ Saint-Lago, d’la Tour, des méd’cins,
des barbots et des argousins!)

Ah ! emm’nez-moi, dit’s, emm’nez-moi
avant que la nuit soye passée
et que j’soye encor ramassée;
Saint’-Vierge, emm’nez-moi, j’vous en prie?

Je n’en peux pus de grelotter...
t’nez... allumez mes mains gercées
et mes p’tits souliers découverts;
j’n’ai toujours qu’mon costume d’été
qu’ j’ai fait teindre en noir pour l’hiver.

Voui, emm’nez-moi, dit’s, emm’nez-moi.
Et comme y doit gn’y avoir du ch’min
si des fois vous vous sentiez lasse
Vierge Marie, pleine de grâce,
de porter à bras not’ Seigneur,
(un enfant, c’est lourd à la fin),

Vous me l’repass’rez un moment,
et moi, je l’ port’rai à mon tour,
(sans le laisser tomber par terre),
comm’ je faisais chez mes parents
La p’tit’moman dans les faubourgs

quand j’trimballais mes petits frères.

Jehan Rictus, La Charlotte prie Notre-Dame durant la nuit du Réveillon, dans: Le coeur populaire (Le Geai Bleu, 2003)

Monique Morelli, Chansons poétiques et réalistes (EPM, 2011)

23/12/2012

Lire les classiques - Selma Lagerlöf

Selma Lagerlöf

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Il me faut expliquer comment les choses se passent à Marbacka le soir du réveillon. On a le droit de tirer une petite table au chevet de son lit et d'y poser une bougie, et puis l'on a le droit de lire aussi longtemps qu'on le désire. Et cela constitue le plus grand des plaisirs de Noël. Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau de Noël, un livre que l'on avait jamais vu auparavant et que personne d'autre dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l'on pourra en lire les pages l'une après l'autre, pour autant que l'on sache rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l'on a pas reçu de livre?

Selma Lagerlöf, Le livre de Noël (coll. Babel/Actes Sud, 2007)

image: Darren Thompson (darrenthompsonfineart.blogspot.com)

14:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Sur un air de fête

Bloc-Notes, 23 décembre / Les Saules

la scie rêveuse; facebook

A l'approche de ce temps des fêtes, vous êtes toutes et tous, chers amis fidèles ou de passage, présents à mon coeur. Vous êtes une part importante de ma joie intérieure, par votre présence, vos témoignages, vos signes d'amitié, vos commentaires ou suggestions: semblables à l'olivier, symbole de sagesse, de générosité et d'éternité...

A votre manière - inconsciemment, j'en suis sûr - vous me faites grandir, chaque jour. Au contraire, je m'en veux parfois de ne pas naviguer autant que je le voudrais sur les pages de vos sites et blogs, ou prends parfois un temps certain pour répondre à votre courrier: la faute à une balance inconstante du temps réparti entre mes proches, les tâches ingrates du quotidien, les plaisirs du jardin, la passion de la lecture et de la musique, enfin La scie rêveuse et Facebook

J'espère néanmoins faire mieux l'année prochaine et vous embrasse très fort, comme si vous étiez là, sous ma fenêtre... 

la scie rêveuse; facebook

images: Les Saules, Cologny (2011/2012)

10:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la scie rêveuse; facebook | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/12/2012

Morceaux choisis - Vénus Khoury-Ghata

Vénus Khoury-Ghata

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Ils flottent à la surface de la mémoire
s'infiltrent dans les murs avec les lunaisons
égorgent l'eau
démantèlent les pendules
Ils escaladent les racines
dévalent la pente des pluies
aspirent les vapeurs des puits
boivent d'un seul trait nos fleuves en crue
Ils enjambent les toits
plient les poutres
réveillent les enfants lovés dans leurs cils
pour leur faire écouter le bruit de leurs phalanges
Ils mangent la chair du jujubier
ligotent les bras du cyprès
et le convertissent en cierge.
 
Ils volent dans l'air des cimetières
renversent les sépultures
vident leur contenu dans les caniveaux
Ils neigent en flocons immobiles
soufflent en rafales inertes
nous les cueillons sur le rebord des hanches
nous les faisons macérer dans nos sueurs
essorons leurs larmes
les séchons sur des cordes tendues sous terre
Ils harnachent nos nuits
scellent nos rêves
nous enfourchent du côté oublieux du cœur
Ils vont entre écorce et noyer
forcent les portes de novembre
percent l’œil de la lucarne
signent nos miroirs de leurs buées
Ils s'éloignent dans leur corps
se terrent dans leurs chevilles
crient jusqu'à l'aine
besogneux ces morts lorsqu'ils rampent sous les prairies
pour ramasser les noix rejetés par l'été
qu'ils secouent comme hochets d'enfants.
 

Vénus Khoury-Ghata, Monologue du mort, dans: Anthologie personnelle (Actes Sud, 1997)

08:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |