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27/12/2012

Frédéric Pajak

Bloc-Notes, 27 décembre / Les Saules

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En sa qualité d'écrivain, Frédéric Pajak ne ressemble vraiment à personne, et son dernier livre, Manifeste incertain, en est une démonstration supplémentaire. Récit autobiographique, poème, cahier de dessins, pamphlet, souvenirs, reportages, ou plutôt tout cela à la fois? Le fil conducteur de ce texte est Walter Benjamin auquel s'ajoutent quelques pages consacrées à Samuel Beckett, comme dans d'autres de ses précédents ouvrages, ont été placés sous son projecteur Friedrich Nietzsche, Cesar Pavese, Martin Luther et James Joyce.

Pourquoi ce Manifeste incertain? En préambule, Frédéric Pajak nous en livre la clef: La génération de l'après-guerre a perdu le fil de l'Histoire à force de reconstruire le monde. Et c'est vrai qu'elle l'a reconstruit et qu'elle a su faire règner la paix, comme un long soupir, en oubliant les temps mauvais. Maintenant nous vivons dans les restes de cette paix, et c'est avec ces restes que nous improvisons une société, une société qui efface les sociétés précédentes, une société sans mémoire. Il ajoute à sa réflexion: Evocation de l'Histoire effacée et et de la guerre du temps, tel est, exprimé de façon désarticulée, le propos du Manifeste. Ecrire contre l'oubli, tracer l'éphémère, l'incruster dans le papier comme l'image d'une lumineuse mélancolie.

Avec Walter Benjamin, Frédéric Pajak situe la responsabilité de l'écrivain et déborde de ce cadre trop strict pour lui afin d'ouvrir son champ de vision à la création toute entière: La création humaine surgit de la pénombre de nous-mêmes, de cette moiteur que l'on sent entre les doigts, entre les muscles entortillés sur le dessus de nos entrailles, cette pénombre plus épaisse que la purée des cailloux. Dans cette pénombre, on plonge par le soupirail. On y nage. On s'y enterre. La création du monde vient du fond de la terre, contrairement au travail qui vient du ciel. La création humaine est étrangère au labeur, aux tâches moitié domestiques moitié mécaniques. Elle n'a ni poids ni mesure, mais elle a tout le temps pour elle. Tout le temps? Peut-être. Pour l'heure, elle s'y étire, parfois sauvagement. Un mot chasse l'autre, une image en efface une autre, une pensée cesse de penser.

Dans cet enchevêtrement de miroirs entre histoire, imagination et réalité, il n'est pas certain que le lien entre les différents chapitres soit tout à fait évident pour le lecteur, mais à trop réfléchir, en lisant, n'échappe-t-on pas au gré des incertitudes de son auteur, à l'essentiel, à la trace brute et sauvage, pas encore polie, lissée par l'intelligence? Les plus beaux passages du Manifeste incertain touchent à la pensée propre et fissurée de Frédéric Pajak, davantage qu'à ses épisodes consacrés à Walter Benjamin, Rainer-Maria Rilke ou Samuel Beckett, bien que l'ensemble soit à prendre en considération. Ainsi - outre un extrait que vous pouvez retrouver sur La scie rêveuse, dans Morceaux choisis - le point culminant de son art est atteint avec les Esprits: Les Esprits, enfouis au plus profond de la terre, décident de revenir au monde. Ils ne sont ni des immortels ni des fantômes, mais simplement des Esprits. Ils forment une espèce de cohorte, portent chacun le nom d'un sentiment puissant. Ily a le Bonheur, le Désespoir, l'Appétit. Et puis la Fatigue, longue femme amaigrie, les yeux rougis de larmes, la coiffure comme une botte de foin brûlé. Dans la cohorte, il y a encore la Douleur, la Joie, la Peur, le Chagrin et d'autres encore...

Pour la suite de ce texte, je vous laisse en poursuivre la lecture dans le Manifeste incertain, premier volume d'un nouveau cycle, aux Editions Noir sur Blanc: un ouvrage singulier tantôt visuel et provocateur comme un film de Jean-Luc Godard, tantôt dépouillé à l'extrême comme un monologue de Samuel Beckett... Original, à vous d'en juger!

A ce jour, Frédéric Pajak, néà Suresnes en 1955, est l'auteur d'une vingtaine de livres, patrmi lesquels Le bon larron (Campiche, 1987), Martin Luther - l'inventeur de la solitude (L'aire, 1997), L'immense solitude - avec Friedrich Nietzsche et Cesar Pavese (Presses Universitaires de France, 1999), L'étrange beauté du monde (Noir sur Blanc, 2008 - avec Léa Lund) et En souvenir du monde (Noir sur Blanc, 2010 - avec Léa Lund).     

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Frédéric Pajak, Manifeste incertain, Volume 1 (Noir sur Blanc, 2012)

images: Frédéric Pajak, Dessins illustrant le texte : Manifeste incertain

07:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

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