Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/12/2012

Le poème de la semaine

René Char

N'égraine pas le tournesol, 
Tes cyprès auraient de la peine, 
Chardonneret, reprends ton vol 
Et reviens à ton nid de laine.
 
Tu n'es pas un caillou du ciel 
Pour que le vent te tienne quitte. 
Oiseau rural; l'arc-en-ciel 
S'unifie dans la marguerite.
 
L'homme fusille, cache-toi; 
Le tournesol est son complice. 
Seules les herbes sont pour toi, 
Les herbes des champs qui se plissent.
 
Le serpent ne te connaît pas. 
Et la sauterelle est bougonne; 
La taupe, elle, n'y voit pas; 
Le papillon ne hait personne.
 
Il est midi, chardonneret.
Le séneçon est là qui brille.
Attarde-toi, va, sans danger: 
L'homme est rentré dans sa famille!
 
L'écho de ce pays est sûr. 
J'observe, je suis bon prophète; 
Je vois tout de mon petit mur, 
Même tituber la chouette.
 
Qui, mieux qu'un lézard amoureux, 
Peut dire les secrets terrestres?
O léger gentil roi des cieux, 
Que n'as-tu ton nid dans ma pierre!

 

Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

02:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/12/2012

Au bar à Jules - Du Zéro 1a

Un abécédaire - Z comme Zéro

0000523_aff_001_med.jpg

Plus jeune, j'ai toujours prétendu que si j'emporterais le gros lot de la Loterie Romande, j'ouvrirais une librairie: avec pour nom Zéro de conduite. Allusion au film de Jean Vigo, réalisé en 1933 - interdit jusqu'en 1945 - avec pour interprète principal Jean Dasté: une oeuvre subversive, largement autobiographique où le monde des adultes et les représentations du pouvoir qui l'accompagne, sont mis en pièces avec une férocité terriblement imaginative, drôle et grinçante à la fois.

Je n'ai, bien sûr, pas gagné le jackpot et mon projet ne s'est pas concrétisé! En 2009, lors de la création de mon blog, j'ai pensé réaliser ce rêve de jeunesse en empruntant le nom de Zéro de conduite. Peine perdue, car ce titre est protégé par copyright... Signe du destin? Certainement une intuition heureuse, car les multiples développements sur ces pages n'auraient pas tous correspondu à cette appellation jaillie de ma mémoire d'adolescent qui, depuis lors, a emprunté au gré de flux et de reflux successifs, des voies bien différentes.

Ainsi est née La scie rêveuse - titre d'un poème de René Char - qui n'a toutefois pas effacé le Zéro de conduite, dont subsiste la rébellion envers l'autorité, les rassemblements et les drapeaux de toutes sortes. Ce qui me fait dire, avec un large sourire malicieux, que si j'avais suvi mes appels à la vocation religieuse - à deux reprises, cette orientation a failli voir le jour: auprès des trappistes et des carmes - je n'aurais pas connu de difficultés insurmontables avec les deux premiers voeux: la pauvreté et la chasteté. En revanche, avec le troisième - l'obéissancej'aurais été recalé, sans l'ombre d'un doute! Ouf?

Un autre coup de pouce du destin a ainsi voulu que je demeure dans l'univers merveilleux des livres - lui aussi rebelle au conformisme ambiant - qui, sans regrets, m'a valu des rencontres et amitiés hors du commun ainsi qu'une appréhension étonnante et insolite du monde sensible. Un cadeau de la vie inappréciable, reçu, partagé et transmis à ce jour avec une infinie gratitude...

films

image 1: Jean Vigo, Zéro de conduite / 1933 (gaumont.fr)

image 2: Pierre-Henri Benoit, René Char  (rfi.fr)

09:07 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Films inoubliables, Le monde comme il va, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : films | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/06/2012

Morceaux choisis - René Char

René Char

littérature; poésie; livres

Hermétiques ouvriers,
en guerre avec mon silence,
même le givre vous offense
à la vitre associée!
Même une bouche que j'embrasse
sur sa muette fierté.
 
Partout j'entends implorer grâce
puis rugir et déferler;
fugitifs devant la torche,
agonie demain buisson.
 
Dans la ville où elle existe,
la foule s'enfièvre déjà.
La lumière qui lui ment
est un tambour dans l'espace.
 
Aux épines du torrent
Ma laine maintient ma souffrance.

René Char, Doléances du feutre (Les Cahiers de la Pléiade/Gallimard, 1949)

08:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/06/2012

Morceaux choisis - Henri Thomas

Henri Thomas

Photo_manuscrit_Le_dormeur_du_Val.JPG

Le poète parle, et tous les commentaires sur ses paroles sont vains, quand ce ne sont pas de lourdes âneries. Le lien entre le poète et qui l'écoute ne s'établit pas à travers la critique, il est infiniment plus direct, profond, ancien; les quatrains de la Fête des arbres et du Chasseur de René Char, les poèmes elliptiques et heurtés d'Armen Lubin, les merveilles précises de Supervielle, par exemple, agissent sur l'esprit comme ont dû le faire de très anciennes rhapsodies chantées sur les routes, un beau poème étant toujours comme ce fragment de statue exhumé, dont Rilke dit qu'il crie sans voix: Tu dois changer ta vie!

C'est ainsi que la poésie se défend, en créant son propre climat, comme le cinéma le sien avec ses cônes de rêves. Dans un monde pressé et catastrophique, elle est ralentissement et affirmation de ce qui demeure; elle peut être aussi l'accélération qui passe outre, vers une immobilité tragique. Mais en satisfaisant les immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise (Baudelaire), elle rejoint dans tous les cas le plus profond de l'homme. Qu'elle disparaisse (c'est toujours possible), tout semblerait pareil peut-être, comme le pastiche est pareil au texte vrai; on n'y verrait que du feu: bizarre perspective, presque tentante, comme tous les passages d'un règne à un autre.

Henri Thomas, Crin-crin critique (Les Cahiers dela Pléiade/Gallimard, 1949) 

image: Arthur Rimbaud, Le dormeur du val  / Manuscrit (fr.wikipedia.org)

11/03/2012

La citation du jour

René Char

René Char 4.jpg

Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long congé, l'arôme de la rose reste lié au souffle qui fut là. Nous sommes une fois encore sans expérience antérieure, nouveaux venus, épris. La rose! Le champs de ses allées éventerait même la hardiesse de la mort. Nulle grille qui s'oppose. Le désir resurgit mal de nos fronts évaporés. Celui qui marche sur la terre des pluies n'a rien à redouter de l'épine, dans les lieux finis ou hostiles. Mais s'il s'arrête et se recueille, malheur à lui! Blessé au vif, il vole en cendres, archer repris par la beauté.

René Char, Le front de la rose - La parole en archipel (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)

 

11:19 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/01/2012

Patrick Tafani

Bloc-Notes, 13 janvier / Les Saules

Tafani.jpg

Les poètes empruntent parfois des chemins inhabituels, audacieux ou escarpés pour dire leur sensibilité au monde et aux hommes. Comme de petits tableaux ou une succession de délicates épiphanies, Patrick Tafani cherche et creuse à travers l'oeuvre d'André de Richaud, Armel Guerne, Fernando Pessoa, Friedrich Hölderlin, Cesare Pavese, Charles-Ferdinand Ramuz, Camille Claudel, Stefan Zweig et d'autres encore, ce battement du temps, ce mouvement des couleurs qui désignent sa propre trace, vivante: images surgies des limbes, de son imaginaire et de sa mémoire ouvrant sur sa démarche poétique propre, aux antipodes d'une critique littéraire ou d'un inventaire exhaustif.

Curieusement, les plus beaux passages sont consacrés aux peintres. Sur Pierres Soulages, il note: Lumière arrêtée par les étincelles, par la couche de froid, jadis et à présent, étirée sous un feu primordial, le noir ici n'est jamais noirceur mais beauté béante à travers l'aubier d'une nuit repliée. Sur Nicolas de Staël: Les mille visage du peintre pour ce seul visage. Des fenêtres ouvertes, des rideaux levés pour écouter Webern. Près de ce monde qui déambule, un monde se fonde, une mer s'éloigne, des mouettes s'éploient vers les bâillons du ciel, un piano va jouer sa dernière partition. Puis il fera nuit, on entendra le silence s'élever et la nuit aura l'émotion de ses yeux

On regrettera peut-être l'absence de quelques repères concrets facilitant la lecture aux amoureux de poésie qui connaissent peu ou mal les grandes figures de l'art qui défilent sous nos yeux. Ainsi, le plus long - et peut-être le plus émouvant - des textes de Patrick Tafani, consacré à René Char, semblera parfois hermétique ou inaccessible à ceux qui ignorent son parcours et son oeuvre.

Restent ses poèmes qui jalonnent Etoiles de terre: Que ce soit sur des chemins de terre, des chemins de feuilles, des chemins de ronces, que ce soit sur un toucher de mousse, sur un pli d'écorce ou dans l'entière forêt, que ce soit à l'orée de ma fatigue ou aux confins des premiers orages, c'est vers toi que m'entraînent mes pas, que le regard se noircit pour te reconnaître ainsi dans ton vaste monde, encore souverain et railleur, toi mon extravagant arpenteur, coloriste à tes heures de mépris et d'ardeur, mimant mille fois pour le passant chimérique, ta désinvolture et ta mort, toi au passé mélancolique, au trait bleu de ma lèvre, entre le beige et le noir, la main heureuse de l'enfant.

Si cet ouvrage - par ailleurs très soigné dans sa présentation - vous intéresse, je vous suggère de prendre contact avec son auteur Patrick Tafani, dont l'adresse Internet est mentionnée ci-dessous. Sinon, Le blog de Patrick Tafani - dans les liens permanents de La scie rêveuse - vous permet un accès direct.

Patrick Tafani, Etoiles de terre (L'inaperçu, 2011)

le blog de Patrick Tafani: http://parelie.over-blog.com/ 

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/12/2011

Les cygnes de l'aube

Bloc-Notes, 26 décembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Au monde de la poésie, une agréable surprise nous parvenait en 2010 - voir la notice qui lui fut consacrée en juillet dernier - avec Le chant des larmes, une anthologie réunissant une vingtaine d'auteurs autour d'Abbassia Naïmi. Cette dernière récidive aujourd'hui avec Les cygnes de l'aube, où nous retrouvons avec plaisir quelques auteurs du précédent recueil, tels Xavier Lainé, Hamid Medah, Assia Benotmane, Réjean Blais, An Ishtar, Marie Hurtrel, Jean-Luc Moulin, Amel Tafsout et Michèle Minary.

Une littérature qu'on qualifierait volontiers d'engagée se fraie un chemin dans Les cygnes de l'aube, qui me rappelle après lecture deux grands hommes du vingtième siècle qui auraient pu être le fil conducteur de cette anthologie. Le premier, René Char, parlant de son pays, affirme: On ne croit pas à la bonne foi des vainqueurs. Le second, Léo Ferré, atteste: Les plus beaux chants sont les chants de revendications. Et la lutte continue... Chaque poète de ce présent recueil contribue avec sa sensibilité propre d'écriture, à ce tour du monde qui ose dire, se dresse contre l'indifférence, contre les fractures de l'âme et ses peurs, contre la barbarie et l'oppression, contre l'exclusion, contre l'oubli: Prenez vos armes, vos encriers. Lissez vos plumes, chargez stylos. Préparez-vous à lâcher vos mots, scande Philippe Correc. Lui répond à sa manière Aïcha Allagui: L'eau de la terre ne peut taire le volcan

Bien sûr, il y est aussi question d'amour, d'espoir, d'un possible rêve incertain à certaines heures et à d'autres, reflet d'une promesse faite à soi-même: Sois, vis, cours et deviens, la pluie n'est pas un bien. Sois, respire et espère, le vent sera ton frère. Sois, ris, pleure et soulage, le ciel est un rivage. Sois, prends, offre et échange, l'amour est un mélange... nous dit Jean-Luc Moulin.

Auteurs de France, de la Tunisie, de l'Algérie, du Maroc, des Etats-Unis, du Canada, de l'Ile Maurice, du Cameroun et du Congo, vous pourrez découvrir, outre les poètes déjà cités: Baya Boireau Chegra, Catherine Dietemann, Carjo Mouanda, Fatimah Motala, Chantal Rodier, Christophe Bregaint, Sadek Ruhmaly, Monique-Marie Ihry, Eliane Bianchi Weittmann, Makhlouf Boughareb, Claudine Lavit Lahlou, Patient Xavier Nong, Laetitia Gand, Cendrine Russeau, Christel Lacroix, Fatiha Begdouri et Zakaria Bouker.

A Abbassia Naïmi revient le dernier mot: Des cygnes se lèvent et clament: Libres nos ailes, elles sont les filles du vent. Rejoignez-nous ici, au pays de l'Aube nouvelle.

Souhaitons-lui d'être plus belle que celle d'aujourd'hui, sans les poètes déjà sur le point d'être effacée...

Les cygnes de l'aube - Le cercle des amoureux de la Poésie et de l'Edition (Lire et Méditer, 2011)

Le cercle des Amoureux de la Poésie: www.lecap-edition.fr/

00:27 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/12/2011

Le poème de la semaine

René Char

Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
 
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
 
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
 
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.
 
Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/11/2011

Actualité de la poésie 2/2

Bloc-Notes, 12 novembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Après avoir évoqué Yves Bonnefoy et Jean-Pierre Lemaire, c'est le poète grec Georges Séféris qui fait l'actualité avec Journal de bord, dont le texte original a paru dans sa version définitive en 1965, à Athènes. Chacun des trois recueils qui le composent est le reflet d'une épreuve subie, nous dit son traducteur, Vincent Barras: les prémices de la guerre (I), la guerre (II) et la crise chypriote (III). On pourrait citer tous les textes de cet ouvrage, tant la beauté de la langue nous entraîne dans le vertige de ses profondeurs: Rossignol timide, dans la respiration des feuilles, / toi qui offres la fraîcheur musicale du bois / aux corps séparés et aux âmes / de ceux qui savent qu'ils ne reviendront pas. / Voix aveugle, qui tâtonnes dans la mémoire surprise par la nuit / pas et gestes; je n'oserais dire baisers; / et l'amère tourmente de la captive effarouchée. Une pure merveille!

Deux anthologies de la poésie méritent aussi d'être citées dans ces colonnes. La première, intitulée Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française - préfacée par Antoine Gallimard - célébre les 100 ans de la prestigieuse maison d'édition. Si le choix des auteurs s'avère assez classique, celui des textes est plus original. On y retrouve aussi certains écrivains injustement oubliés tels Edmond Jabès, Georges SchehadéJean-Philippe Salabreuil ou Georges Perros dont ce court extrait vaut à lui seul ce plaisir de lecture: Ferme les yeux pour mieux la voir / Celle qui blesse ton regard / Celle que tu nommes ta vie / Et qui ne te rendra ses billes / Qu'au bout du grand aveuglement / Qu'au bout de ce monde en dérive / Là-bas, dans le soleil levant.  

La seconde anthologie est très différente dans sa conception et son contenu. Avec des textes choisis par Albine Novarino-Pothier et que les photographies de Michel Maïofiss illustrent avec beaucoup de fraîcheur, Une année de poésie - 365 jours de bonheur permet de retrouver chaque jour de l'année un poème choisi au fil des siècles, en harmonie avec les saisons. Délibérément, me semble-t-il, certains auteurs ont été écartés - René Char par exemple ou Paul Eluard et Louis Aragon réduits à une discrète présence - alors que d'autres sont exhumés par de nombreux poèmes, tels Leconte de L'Isle, Théophile Gautier, Albert Samain, Emile Verhaeren, Maurice Fombeure, Francis CarcoPaul-Jean Toulet ou encore parmi tant d'autres, Anne de Noailles: Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance, / Gai divertissement des guêpes sur le thym, / Tu écartes la mort, les ombres, le silence, / L'orage, la fatigue et la peur, cher matin... Une très belle anthologie - 52 euros, tout de même - et un objet séduisant à la hauteur de ces écrivains de tous les temps. Un livre de chevet à offrir - Noël est proche! - à tous les amoureux de poésie.

Enfin, pour en finir avec ce rapide survol de l'actualité poétique, voici un très court texte de Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke. Cet auteur, qui naît à Bâle en 1891 et s'éteint à Genève en 1974, nous dévoile un fragment de la vie quotidienne du poète qu'il a rencontré à Paris en 1924, ainsi que des réflexions judicieuses de Rainer Maria Rilke sur la littérature, l'art poétique, la création: La limite est dans le fini, l'achevé, et tout ce qui vit vraiment a quelque chose d'exclusif. La nature a un terrible sens de la hiérarchie et l'hirondelle ne se commet pas avec le moineau. Seul l'homme abolit les frontières et estompe l'unicité des formes.

Comme vous pouvez le constater: la poésie est loin d'être moribonde. Et voilà bien la plus réjouissante - et peut-être la seule - des certitudes en cette fin d'année ordinaire...   

Georges Séféris, Journal de bord (Héros-Limite, 2011)

Collectif, Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française (coll. Poésie/Gallimard, 2011)

Albine Novarino-Pothier et Michel Maïofiss, Une année de poésie - 365 jours de bonheur (Omnibus, 2011)

Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke (L'Anabase, 2011) 

image: Rossignol philomèle (http://www.jbnature.com/oiseaux/rossignolphilomele)

14/09/2011

Le poème de la semaine

René Char

Rivière trop tôt partie,
d'une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays
le visage de ta passion.
 
Rivière où l'éclair finit
et où commence ma maison,
Qui roule aux marches d'oubli
la rocaille de ma raison.
 
Rivière, en toi terre est frisson,
soleil anxiété.
Que chaque pauvre dans sa nuit
fasse son pain de ta moisson.
 
Rivière souvent punie,
rivière à l'abandon.
 
Rivière des apprentis
à la calleuse condition,
Il n'est vent qui ne fléchisse
à la crête de tes sillons.
 
Rivière de l'âme vide,
de la guenille et du soupçon,
Du vieux malheur qui se dévide,
de l'ormeau, de la compassion.
 
Rivière des farfelus,
des fiévreux, des équarrisseurs,
Du soleil lâchant sa charrue
pour s'acoquiner au menteur.
 
Rivière des meilleurs que soi,
rivière des brouillards éclos,
De la lampe qui désaltère l'angoisse
autour de son chapeau.
 
Rivière des égards au songe, 
rivière qui rouille le fer,
Où les étoiles ont cette ombre
qu'elles refusent à la mer.
 
Rivière des pouvoirs transmis
et du cri embouquant les eaux,
De l'ouragan qui mord la vigne
et annonce le vin nouveau.
 
Rivière au coeur jamais détruit
dans ce monde fou de prison,
Garde-nous violent
et ami des abeilles de l'horizon.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle