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04/08/2010

Le poème de la semaine

René Char


Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre

Où mène-t-il pour nous solliciter si fort

Quels arbres et quels amis sont vivants

Derrière l’horizon de ces pierres

Dans le lointain miracle de la chaleur


Nous sommes venus jusqu’ici

Car là où nous étions

Ce n’était plus possible

On nous tourmentait

Et on allait nous asservir


Le monde de nos jours

Est hostile aux transparents


Une fois de plus

Il a fallu partir

Et ce chemin qui ressemblait

A un long squelette

Nous a conduits à un pays

Qui n’avait que son souffle

Pour escalader l’avenir


Comment montrer sans les trahir

Les choses simples dessinées

Entre le crépuscule et le ciel


Par la vertu de la vie obstinée

Dans la boucle du temps artiste

Entre la mort et la beauté



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

10:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/05/2010

Le poème de la semaine

René Char


Je sais bien que les chemins marchent

Plus vite que les écoliers

Attelés à leur cartable

Roulant dans la glu des fumées

Où l’automne perd le souffle

Jamais douce à vos sujets

Est-ce vous que j’ai vu sourire

Ma fille ma fille je tremble

N’aviez-vous donc pas méfiance

De ce vagabond étranger

Quand il enleva sa casquette

Pour vous demander son chemin

Vous n’avez pas paru surprise

Vous vous êtes abordés

Comme coquelicot et blé

Ma fille ma fille je tremble


La fleur qu’il tient entre les dents

Il pourrait la laisser tomber

S’il consent à donner son nom

A rendre l’épave à ses vagues

Ensuite quelque aveu maudit

Qui hanterait votre sommeil

Parmi les ajoncs de son sang

Ma fille ma fille je tremble


Quand ce jeune homme s’éloigna

Le soir mura votre visage

Quand ce jeune homme s’éloigna

Dos voûté front bas et mains vides

Sous les osiers vous étiez grave

Vous ne l’aviez jamais été

Vous rendra-t-il votre beauté

Ma fille ma fille je tremble


La fleur qu’il gardait à la bouche

Savez-vous ce qu’elle cachait

Père un mal pur bordé de mouches

Je l’ai voilé de ma pitié

Mais ses yeux tenaient la promesse

Que je me suis faite à moi-même

Je suis folle je suis nouvelle

C’est vous mon père qui changez


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:25 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : anthologie; littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/03/2010

Perdue de vue

Bloc-Notes, 21 mars / Les Saules

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Sur un quai de gare, il vous semble croiser une amie perdue de vue, depuis combien de temps déjà? Dix ans, vingt ans? Vous reconnaissez sa démarche aérienne, son élégance, ce parfum entêtant qui flotte dans l'air, les dominantes rouges et jaunes de sa parure du jour, le balancement évasif de sa main allumant une cigarette. Alors: Vous plongez? Cédez-vous au plaisir de renouer avec un souvenir agréable, ou feignez-vous l'indifférence, de peur d'être déçu, de gâcher votre souvenir, parce que vous avez changé - dans votre tête, dans votre corps - et que pour elle, il doit en aller de même? Voilà bien le hic!

Je vous abandonne à ce dilemme cornélien et reviens aux livres, car avec eux, la même question se pose, implacablement. Tôt ou tard, j'ai pris le risque de caresser à nouveau certains volumes poussiéreux de ma bibliothèque, m'imprégnant de leur odeur particulière, avant de les feuilleter ou les relire. Frustré, rassuré, émerveillé par cette recherche du temps perdu? Cela, on ne le sait qu'après!

Par exemple, recherchant des textes pour mon anthologie poétique francophone du XXe siècle - Quelques traces de craie dans le ciel - j'ai relu bien des poèmes de Jean-Pierre Duprey, de Jean Daive ou Jacques Roubaud que j'aimais beaucoup. Aujourd'hui, ils ne dégagent plus de vibrations et leurs mots glissent entre mes doigts comme du sable que je ne cherche pas à retenir, malgré la beauté du style qui ne suffit plus à mon bonheur. Plus nuancé, mon attachement aux poèmes de Raymond Queneau, Jean Cocteau ou Pierre-Jean Jouve, dont le choix de textes s'est réduit au fil du temps qui passe.

Parfois, les auteurs sont demeurés présents, mais pas avec les mêmes textes: Chez Albert Camus, je préfère maintenant - et de beaucoup - La chute à L'étranger qui avait pourtant bouleversé mon adolescence. De même pour Georges Bernanos, dont Le journal d'un curé de campagne a failli m'envoyer au séminaire (!) alors qu'en ce 21mars 2010, c'est La nouvelle histoire de Mouchette qui m'émeut aux larmes, ou encore André Malraux dont L'espoir a cédé la place à La corde et les souris qui me laissait de marbre à vingt ans...

Pour certains - parmi les illustres ou les plus modestes - la magie n'a jamais cessé d'agir: René Char, Louis-Ferdinand Céline, François Mauriac, Colette, Georges Perros, Philippe Jaccottet, Maurice Chappaz, Antoine Blondin, Roger Nimier... ce qui tend à insinuer que les livres ne s'apparentent pas à l'immobilisme des pierres tombales mais sont en mouvement et nous tendent, souvent mieux que nos frères humains, un miroir où se reflètent, pour le meilleur ou pour le pire, nos brûlures et notre destin.

photographie: Nusch Eluard, par Man Ray (1935)

07/12/2009

La scie rêveuse

René Char 1.jpgS'assurer de ses propres murmures et mener l'action jusqu'à son verbe en fleur. Ne pas tenir ce bref feu de joie pour mémorable.

Cessons de lancer nos escarbilles au visage des dieux faillis. C'est notre regard qui s'emplit de larmes. Il en est qui courent encore, amants tardifs de l'espace et du retrait. Ainsi, dieux improbables, se veulent-ils peu diligents dans la maison mais empressés dans l'étendue.

Loi de rivière, loi au juste report, aux pertes compensées mais aux flancs déchirés, lorsque l'ambitieuse maison d'esprit croula, nous te reconnûmes et te trouvâmes bonne.

Souffle au sommeil derrière ses charrues: "Halte un moment: le lit n'est pas immense!"

Entends le mot accomplir ce qu'il dit. Sens le mot être à son tour ce que tu es. Et son existence devient doublement la tienne.

Seule des autres pierres, la pierre du torrent a le contour rêveur du visage enfin rendu.

 

René Char, Dans la pluie giboyeuse / Gallimard 1971

11:19 Écrit par Claude Amstutz dans La scie rêveuse, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |