03/10/2013
René Char
René Char, A la santé du serpent (Voix d'Encre, 2008)
A la santé du serpent est composé d'aphorismes de René Char insérés dans Le poème pulvérisé, publiés une première fois - avec une gravure d'Henri Matisse - dans la revue Fontaine, en 1947. Le texte est ensuite repris par les éditions Gallimard, dans Fureur et mystère. Le voici à nouveau mis en valeur dans la présente publication, caractérisée par une mise en page splendide, augmenté d'une trentaine d'acryliques sur papier de Jean Miotte - dont une reproduction détachable de l'artiste - qui illustrent à merveille les éclats solaires de l'écrivain. Les amoureux de poésie n'hésiteront pas à l'acquérir, malgré son prix de 32 euros, pas excessif, compte tenu de la qualité de l'ouvrage.
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. (René Char, extrait de A la santé du serpent)
07:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; beaux-livres | | Imprimer | Facebook |
03/08/2013
Morceaux choisis - René Char
René Char
merci à Josette Simone A
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?
René Char, Allégeance, dans: Eloge d'une soupçonnée, précédé d'autres poèmes 1973-1987 (coll. Poésie/Gallimard, 2001)
Poème lu par René Char
image: meknessiiya.skyrock.com
11:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
27/07/2013
La citation du jour
René Char
Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même. Nous devons seulement les empêcher de s'écraser comme les larmes, ou de refouler au plus profond. Un lit en premier les accueille: les mots rayonnent. Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis. Mais pas renoncer.
René Char, Le bâton de rosier, dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)
image: Katy Betz, Take Flight (mesalina.tumblr.com)
22:34 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | | Imprimer | Facebook |
20/06/2013
Philippe Jaccottet
Philippe Jaccottet, Une constellation tout près - Poètes d'expression française du XXe siècle (La Dogana, 2002)
Si vous n’ouvrez qu’une seule anthologie poétique de toute votre vie, alors choisissez celle-ci, subjective, longuement mûrie comme les fruits de la vigne. Aux côtés des incontournables dont l'auteur a souvent choisi des textes méconnus – Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Paul Valéry – vous en découvrirez d’autres, injustement oubliés – Charles Péguy, Paul-Jean Toulet, Edmond-Henri Crisinel – ou modernes – Pierre-Albert Jourdan, André Du Bouchet – dans cet ouvrage magnifiquement mis en pages. Un bel objet à la hauteur des émotions qu’il suscite.
Le langage de la poésie m'est toujours apparu comme celui qui rend le compte le plus juste de nos vies dans toutes leurs dimensions, celui qui peut réconcilier fumée et parfum; celui qui sait tirer un chant, ou une simple chanson, de nos peines légères ou violentes, de nos voyages - dans le temps, dans l'espace du dehors comme dans celui du dedans -, qui bâtit une musique même à partir de l'ombre et de l'absence, qui fait scintiller pour notre joie même la course des jours. Oui, cela brille, cela luit ou brûle dans la main ouverte. Une constellation tout près de nous, dans la main ouverte, dans le livre ouvert...
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Paul Valéry, Philippe Jaccottet, Pierre-Albert Jourdan, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
22/04/2013
Morceaux choisis - René Char
René Char
merci à Anne-Marie GB
la liberté naît, la nuit, n'importe où, dans un trou de mur, sur le passage des vents glacés.
Les étoiles sont acides et vertes en été; l'hiver elles offrent à notre main leur pleine jeunesse mûrie.
Si des dieux précurseurs, aguerris et persuasifs, chassant devant eux le proche passé de leurs actions et de nos besoins conjugués, ne sont plus nos inséparables, pas plus la nature que nous ne leur survivrons.
Tel regard de la terre met au monde des buissons vivifiants au point le plus enflammé. Et nous réciproquement.
Imitant de la chouette la volée feutrée, dans les rêves du sommeil on improvise l'amour, on force la douleur dans l'épouvante, on se meut parcellaire, on rajeunit avec une inlassable témérité.
O ma petite fumée s'élevant sur tout vrai feu, nous sommes les contemporains et le nuage de ceux qui nous aiment!
René Char, La nuit talismanique, dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)
07:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
04/04/2013
Le questionnaire Marcel Proust - 3/3
Mes peintres favoris?
Sandro Botticelli, Amedeo Modigliani, Vincent Van Gogh, J.M.W. Turner, Johannes Vermeer, Nicolas de Staël.
Mes héros dans la vie réelle?
Jésus-Christ, les anonymes, les justes, mes proches.
Mes noms favoris?
Catherine, puis les prénoms féminins qui se terminent en "a"...
Ce que je déteste par-dessus tout?
L'asservissement, la médiocrité, l'hypocrisie, la lâcheté, la trahison, l'indifférence.
Caractères historiques que je méprise le plus?
Toutes les formes de totalitarisme au nom du pouvoir, de l'ordre, de l'argent ou des croyances.
Le fait militaire que j'admire le plus?
Toutes les formes de résistance au mal.
La réforme que j'estime le plus?
La lutte pour l'indépendance et l'égalité des femmes.
Le don de la nature que je voudrais avoir?
La tempérance, la sociabilité, la patience.
Comment j'aimerais mourir?
De préférence sans trop souffrir, et vite...
Etat présent de mon esprit?
Comme une fleur épanouie, enraçinée dans la terre humide et fertile, inondée de soleil, auprès de mes amis visibles ou invisibles, sur ou sous la terre.
Fautes qui m'inspirent le plus d'indulgence?
Celles commises par amour.
Ma devise?
"Je n'ai pas peur, j'ai seulement le vertige." (René Char)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Le questionnaire Marcel Proust, Marcel Proust, René Char | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : autobiographie | | Imprimer | Facebook |
03/04/2013
Le questionnaire Marcel Proust - 2/3
Mes auteurs favoris en prose?
William Shakespeare (d'accord, c'est du théâtre, mais...), Thérèse d'Avila (et les autres auteurs de spiritualité carmélitaine), Bernard de Clairvaux, H.B. Stendhal, Emily Brontë, Albert Camus, Simone Weil, Marcel Proust, François Mauriac, puis: Fiodor Dostoievski, Alexandre Dumas, Erri de Luca, Mario Rigoni Stern, Charles-Albert Cingria, Gustave Roud, Georges Simenn et j'en oublie...
Mes poètes préférés?
Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Dante Alighieri, Giacomo Leopardi, Pétrarque, Rainer-Maria Rilke, Ossip Mandelstam, Anna Akhmatova, Fernando Pessoa, Mahmoud Darwich, Emily Dickinson, René Char, Louis Aragon, Paul Eluard, Maurice Chappaz, Jean-Michel Maulpoix, Abdellatif Laâbi, les auteurs de la Bible, et tant d'autres...
Mes héros dans la fiction?
Heatcliff ("Les hauts de Hurlevent"), Edmond Dantès ("Le comte de Monte Cristo"), Prospero ("La tempête").
Mes héroïnes favorites dans la fiction?
Cathy ("Les hauts de Hurlevent"), Tatiana ("Le songe d'une nuit d'été"), puis la Tosca et Carmen.
Mes compositeurs préférés?
Wolfgang-Amadeus Mozart, Franz Liszt, Jean-Sébastien Bach, Franz Schubert, Gustav Mahler, Ludwig van Beethoven, Joseph Haydn, Frédéric Chopin, Serge Rachmaninov, Antonio Vivaldi, Robert Schumann, Hector Berlioz, Alexander Scriabin, Bela Bartok, John Coltrane et (pour la chanson...) Barbara. Et ceux qu'il est injuste de ne pas mentionner...
(à suivre)
08:46 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Albert Camus, Alexander Scriabin, Anna Akhmatova, Barbara, Bela Bartok, Charles Baudelaire, Charles-Albert Cingria, Erri de Luca, François Mauriac, Franz Liszt, Franz Schubert, Frédéric Chopin, Georges Simenon, Guido Ceronetti, Gustave Roud, H.B. dit Stendhal, Hector Berlioz, Jean-Michel Maulpoix, Joseph Haydn, Le questionnaire Marcel Proust, Louis Aragon, Mahmoud Darwich, Mario Rigoni Stern, Maurice Chappaz, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, René Char, Robert Schumann, Serge Rachmaninov, Simone Weil, William Shakespeare, Wolfgang Amadeus Mozart | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : autobiographie | | Imprimer | Facebook |
11/02/2013
Morceaux choisis - Jocelyne François
Jocelyne François
Il est au soleil pâle, sur le seuil. Pâle lui aussi. Un tel changement s'est produit en lui qu'elle reste muette. Il y a presque huit mois qu'elle ne l'a vu. Et d'abord ses mains. Ses mains. Presque transparentes. Il tient ses bras le long de son corps. Et maintenant il ne lutte plus contre la voussure de son dos. Cependant il semble immense, amaigri et léger comme un grand corps de coquillage creux, avec son sourire comme déjeté de son visage et son regard qui renonce. Elle se tait, c'est lui qui commencera la conversation, elle ne sait plus comment car elle entend à peine. Ils rentrent. La pièce de travail lui paraît petite mais l'odeur n'a pas changé. Il tombe dans son fauteuil plus qu'il ne s'y assied.
Alors? dit-il. Où sont les allées de la parole, ce qui venait comme un vin coule d'une bouteille dont il force lui-même l'ouverture? Elle sent des mots bouger dans sa bouche, mais au lieu d'être faits d'air et de mouvements de langue, il ne sont qu'un conglomérat de gravier, de sable, de cendres et plus rien ne ressemble à rien et tout est dérivé. Une fatigue terrassante s'empare d'elle. Elle regarde ses joues creusées, ses mains posées à plat devant lui sur la table. Il dit à nouveau que c'est son dernier livre qu'elle a reçu, qu'il n'écrira plus. Non, je suis sûre que tu as écrit d'autres poèmes, ce que tu viens de traverser, tu n'a pas pu ne pas l'écrire.
Et il la regarde dans le trouble et la douleur. Viens près de moi!
Elle se lève et se tient debout le long de sa table. Il laisse aller sa tête contre elle, il s'enferme dans la chaleur de ses bras. Quel mal tu m'a fait... Tu ne sauras jamais le mal que tu m'as fait. Je ne te demandais presque rien.
Elle se tait. Nous voilà quatre ans en arrière, pense-t-elle, mais ce n'est jamais vrai. Aucun recul. Elle resserre ses bras sur lui. Ce n'est pas presque rien que tu me demandais. - Tu l'aimes donc à ce point? - Oui. Et toi je t'aime plus que moi-même. Jamais il n'en sera autrement. Même si cela te semble dérisoire, même si tu désires m'en punir, si tu inventes n'importe quoi pour m'en punir. Tu as déjà commencé et tu n'es pas près de finir, je le sais. Mais toujours je me dirai: c'est lui, sa douleur lui donne droit de me faire mal. Je ne peux pas partager l'amour, je préfère mourir. Je t'aurais aimé si je t'avais rencontré avant elle et peut-être en aurais-tu été embarrassé... peut-être aussi aurais-tu cessé d'errer, d'appeler. Nul ne sait. Pour moi l'amour est grave, insolent, brûlant, il refuse la mort, il la digère, il l'anéantit, il use du temps mais il n'est pas dans le temps, il ne laisse aucune place dans mon corps où tu pourrais à ton tour te coucher. Je ne t'en veux pas, pourquoi t'en voudrais-je? Tu es libre d'aller, de venir. Tu es libre d'ouvrir, de fermer. Et moi, pareil. Nous sommes deux mondes. Nous ne pouvons pas toujours à temps nous faire signe. Nous mourrons et si tu t'écartes de moi nous aurons perdu tout le temps qui reste. Personne ne me consolera de ta perte, personne ne remplacera ta présence. Un trou, un blanc. Ton nom quelque part, comme un coup. Je sais que tu n'accepteras pas, je l'ai vu. C'est ton désir qui te faisait mentir quand tu parlais d'amitié entre nous. Tu étais acculé à mentir mais ce n'est pas parce que j'ai vu tes mensonges que je t'ai moins aimé. Et je ne sais pas ce que c'est qu'un mensonge. Ceux qui ne désirent rien sont peut-être les seuls à ne jamais mentir. Pour Sarah, pour la rejoindre, j'ai menti à mort. J'ai eu si peur en mai, tu pouvais mourir. L'idée même de ta mort possible, je ne la supporte pas. Quand tu m'approchais, tes chiens de garde aboyaient.
D. surtout, lui que j'avais rencontré plusieurs fois devant toi, lui si timide, si courtois! Comme les choses changent... Pourtant je me bornais à demander de tes nouvelles, je n'aurais pas fait un seul pas vers toi. Tes cris avaient suffi à m'arrêter net. Je ne comprendrai jamais ni cela ni pourquoi nous sommes là en ce moment, longtemps après. Maintenant nous n'aurons plus que deux choses en commun, la poésie et la mort, c'est peut-être une seule et même chose. Les détails du temps tomberont en dehors de nous. Cela, je le comprends.
Elle parle sans rien voir. Yeux ouverts, ils sont comme fermés car elle ne regarde qu'un seul point de la pièce, le bas de la bibliothèque. Ainsi que l'image rétinienne s'efface en quelques secondes, les portes de bois sont devenues neutres puis elles ont disparu. Il ne bouge pas. Il est cette chaleur entre ses bras, ce poids dont elle ne porte pas la charge. Tout le contenu de ses pensées sur lui, sur eux, pourrait s'écouler sans qu'elle y prenne garde. Elle ne sait que la matière de sa propre voix, une espèce de douceur régulière où perce un début d'enrouement. Un bruit de voiture surgit, on roule dans l'allée de graviers.
A. revient, dit-il. Il se dresse, écarte ses bras, la regarde. Ne bouge pas, ne me reconduis pas. Je pars.
A. entre. Croisement, serrements de mains. Ils demeurent tous deux sur le seuil tandis qu'elle s'éloigne...
Jocelyne François, Les amantes ou Tombeau de C. (coll. Folio/Gallimard, 1998)
image 1: Henri Elwing, Jocelyne François et M.C. (doucementlematin.com)
image 2: Serge Assier, René Char aux Busclats (blogs.rue89.com)
07:45 Écrit par Claude Amstutz dans Jocelyne François, Littérature francophone, Morceaux choisis, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
25/01/2013
Actualité de la poésie
Bloc-Notes, 25 janvier / Les Saules
En littérature, quand je parle d'un roman, il m'est souvent facile de dévoiler le sujet, de raconter la vie de ses personnages, afin d'en exprimer la résonance et de susciter l'enthousiasme - ou le rejet - auprès des lecteurs possibles; de même pour les ouvrages scientifiques ou politiques en principe ancrés dans le concret, où prévaut l'analyse des faits et des actions, avec leurs répercussions éventuelles sur une manière de pensée ou de vivre. Rien de tel avec la musique ou la poésie: autour de ces deux arts de la solitude qui tutoient l'invisible, il est difficile de prolonger les lignes et d'échapper aux mots communs. Banal me direz-vous? Pourtant, derrière celle ou celui qui prononce ou écrit l'un de ces mots ordinaires pour commenter une sonate, un poème, se manifeste un accent de sincérité bien réel qui recouvre, à chaque fois, une réalité différente pour chacun, et dont la somme laisse présager un arc-en-ciel aux teintes méconnues dont les contours ne seront jamais évidents pour tout le monde. Et je n'échappe pas mieux que les autres à ce décalage entre l'intensité fusionnelle que suscite une note de musique ou un vers, et les limites du langage pour l'extérioriser et la partager. Ce qui explique qu'en règle générale, je préfère publier les textes des poètes plutôt que d'en parler. Ainsi, à propos de poésie dans cet article, je vais me contenter de vous présenter, sans plus, quelques belles parutions de découverte récente, appartenant à ce monde de la poésie, aussi nécessaire à l'âme que l'eau, le sang et les rêves.
Bona Mangangu - comme les autres auteurs mentionnés sur cette page à l'exception de Jean-Pierre Siméon - est connu des utilisateurs de Facebook, entre autres, à travers une suite d'articles que Jean-Louis Kuffer lui a consacré l'an dernier. Né en 1961 à Kinshasa, ce peintre et écrivain vit et travaille aujourd'hui à Sheffield, au Royaume-Uni. Ce que disent mes mains sur la toile, est son premier livre paru en langue française. Dans ce recueil, la plupart des poèmes de l'auteur s'imposent en miroir de peintures, de musiques - une autre de ses passions vives - ou d'autres écrivains pour filtrer la lumière qui le traverse. Dans certains vers, on peut y reconnaître un langage proche de celui de René Char: Sonde ton coeur, sa part irrésolue. Au fond de toi une étreinte ajournée hante l'azur de mon élan, ô toi la dérobée et la toujours désirée. Mon coeur pélerin entretient toujours la flamme des jours vagabonds que ton mutisme avait allumé. Très beau, n'est-ce pas?
Jean-Pierre Siméon - dont plusieurs poèmes ont été choisis sur La scie rêveuse - a obtenu le prix Max Jacob 2006 pour Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur. Un titre qui se définit lui-même dont voici une magnifique illustration: Toute vie est un paysage, tout amour sa rivière possible et puisse être la mort, cette chemise d'eau qui glisse du bras après la nage, et que soit la tristesse, cette lumière répandue dans l'herbe et qui fera le soir venu un autre ciel à la mémoire. Né à Paris en 1950, Jean-Pierre Siméon, auteur d'une quarantaine d'ouvrages pour adultes et enfants, mériterait enfin d'occuper une place plus juste au panthéon des poètes contemporains! Lisez-le, vous ne le regretterez pas...
Avec une préface de Paul Nwesla Biyong, le dernier recueil de Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore, convoque une fois encore la guerre et son cortège de sang qui semble se répéter à l'infini, pour dénoncer les dérives du pouvoir, le refus de la résignation, l'espoir aussi, davantage présent que dans ses oeuvres précédentes: Me voilà perdu aux multiples appels de l'inconnu. Appuyé, mais seul. Je suis las. Comme un oubli fort de ses cris. Je veux écrire le livre qui signe l'abandon des voix! Et puis, reprendre la route qui fait le pélerinage du doute pour remonter l'avalanche des espoirs. Je suis vivant. Et, plus loin il ajoute: Il faut sauver le grain qui veut grandir, celui du coeur et du vent. L'auteur signe ici son dixième ouvrage et lui aussi, il serait temps de reconnaître sa voix!
S'il n'est plus nécessaire de présenter Thierry Renard - lui aussi, souvent cité et publié sur La scie rêveuse - il faut signaler que sa démarche traduit toujours une grande générosité et une ouverture au monde des autres. Ainsi est né Un monde à l'envers, dialogue à deux voix avec Ahmed Kalouaz - auteur d'une trentaine de livres à ce jour - autour de la poésie, de visages lus, de politique, de femmes, de mémoire et de l'air du temps. L'un voulait changer le monde. L'autre le gagner, souligne Yvon Le Men dans sa préface. Deux auteurs et amis qui parlent en parrallèle et finissent par se croiser, s'épouser sans dérailler. Un bel extrait signé Ahmed Kalouaz, peut vous laisser entrevoir la tonalité de l'ouvrage: Une branche d'aubépine se balance dans l'air doux de janvier. Hier on m'a dit, voilà ton âge dans le sac. A prendre ou à laisser. J'ai laissé de peur de trop prendre. Pour marcher la tête haute j'ai besoin d'un tapis de fleurs d'hiver, d'une mousse verdâtre, d'un rugueux tronc d'amandier. Je laisse les mystères au temps. Mes lilas ont l'air si triste, et pourtant mai les verra refleurir. Mon âge est une vague. Un jour une larme, un autre le sourire. Je ne saurai plus courir comme hier et pourtant. Mon âge ? Qu'il entre, je l'attends. Une tasse pour l'amitié, une autre pour l'adieu. La douceur ira se lire sur d'autres bouches. Y répond, en confidence, Thierry Renard: C'est une chanson qui te ressemble, mon ami couvert de bras. Une chanson où les petits riens donnent le change, où les petits riens vont bien ensemble. Une chanson où quand tu n'es pas là je meurs. Où, quand tu n'es pas là, je pleure. Ah! mon ami, mon ami couvert de bras... Un vrai plaisir d'être la troisième voix - celle qui écoute - de cette lecture qui interroge, affirme et se souvient.
Pour conclure, voici Impoésie de Abed Manseur, poète algérien plus connu sous le nom de Nadire Seurman, sur Facebook où ses textes sont régulièrement publiés. Un auteur qui s'amuse avec les mots qu'il détourne et fait danser, dont l'écriture n'est simple qu'en apparence, comme le relève Thierry Renard dans sa préface. Un livre composé par Monique Delord, découvreuse attentive de poésie: Aux pieds de tes lettres sublimes je déposerai les armes, brûlant comme des champs d'honneur sur le vent porteur de flamme. Je t'enverrai les cendres de la guerre, je lyncherai tous ses livres d'histoire, n'en laisserai que ton univers. Je suis tes lunes où qu'elles aillent. Je suis toit sous ta belle étoile.
Assurément, parmi tous ses textes, il y a matière à ces étonnements heureux que la poésie sait nous réfléchir comme de fragiles rayons de soleil arrachés au néant...
Bona Mangangu, Ce que disent mes mains sur la toile (L'Harmattan, 2002)
Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, précédé de: Fresque peinte sur un mur obscur (Cheyne, 2002)
Patrick Berta Forgas, Le testament de Pandore (L'Harmattan, 2012)
Ahmed Kalouaz et Thierry Renard, Un monde à l'envers - Correspondances (Le bruit des autres, 2010)
Abed Manseur, Impoésie (Blurb, 2013)
image: Bona Mangangu, Pietas / Sheffield Institute of Arts, UK (bonamangangu.webs.com)
12:29 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
26/12/2012
Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan
Pierre-Albert Jourdan
Amitié, bonne déesse au long de sa vie, a désigné au poète cette maison dont les fondations touchent aux sources mêmes de son chant.
Les ombres d'oiseaux du platane palpitent sur le gravier blanc et leurs oeufs de soleil éclaboussent les murs. Au bord du pré les peupliers ont grandi. Ils distillent la tendresse venue d'un plateau dur aux coups.
L'amitié avec la terre s'alimente en secret aux froissements d'espace que font les corneilles entre gouffre et crépuscule. Elles apportent de leur voyage journalier l'image de cimes hautaines dont le nom évoque la fascination de la femme, telle qu'elle surgit d'entre les pins avec sa robe d'aiguilles.
La ruse innocente de la terre ferme, ici, le sentier pour que parlent encore les voix impavides.
Un rouge-gorge familier passe en sautillant, délégué du salut, oiseau pour défier le sommeil de la distance.
Pierre-Albert Jourdan, Les Busclats / A René Char, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)
image: René Char, Le trousseau de Moulin Premier, album souvenir de L'Isle-sur-Sorgues (La Table Ronde, 2009)
08:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Pierre-Albert Jourdan, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; prose; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |