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10/07/2013

Luigi Carletti

Bloc-Notes, 10 juillet / Curio - Cologny

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En Italie - contrairement à la France - le calcio est à bien des égards une radiographie de la société contemporaine, comme le démontre avec beaucoup d'habileté et d'originalité Luigi Carletti avec Six femmes au foot. Toute l'action de ce roman se déroule en une journée, au stade Giuseppe-Meazza - ou San Siro, si vous préférez - lors du derby opposant l'Inter Milan au Milan AC, avec à la clef un possible titre de champion d'Italie à l'issue de la partie. Tout autour de l'arène, la foule aspire au combat et invoque ses héros: Kakà et Materazzi, Balotelli et Seedorf. Si elle le pouvait elle déboulerait des gradins pour les étreindre, les embrasser et s'imprégner de leur sueur. Dans deux heures tout sera terminé. Mais maintenant, des hommes se dressent contre d'autres hommes. Des hommes aux visages transfigurés, prêts à sacrifier toute idée de dignité. Et puis des femmes. Nombreuses. La plupart ne font qu'escorter leurs compagnons, par devoir dominical. D'autres sont ici en habituées, par passion. Mais certaines d'entre elles ne sont pas venues pour voir le match.

Six femmes que tout sépare vont être ainsi, malgré elles, les marionnettes d'un destin qui, le temps d'une fête sportive, les conduira à se rencontrer: pour le meilleur ou pour le pire? Il y a Letizia qui cache un Beretta sous la veste de son tailleur et un Glock 26 à sa cheville droite; Guendalina, belle comme une sainte ou une madone avec ses longs cils et ses lèvres pleines; Annarosa, qui accompagne son mari pour comprendre la crise que traverse leur couple; Lola, la meilleure et la plus belle reporter à la radio, brésilienne de surcroît; Renata, une handicapée en fauteuil roulant qui espère un miracle nommé Materazzi; Gemma enfin, qui parle à son défunt mari, immergée dans ce fleuve humain.

Chacun de ces protagonistes cache soigneusement une part d'ombre qui, le moment venu, rendra le paysage méconnaissable et ceux qui s'y fondent, à tout jamais. Sans vous raconter toute l'histoire - ce serait vraiment dommage - sachez que si ce roman conduit comme un bolide s'apparente à un polar dont la progression dramatique est remarquablement construite, Luigi Carletti y mêle d'autres visages de la réalité italienne, ainsi qu'il l'a fait dans Prison avec piscine: la frontière incertaine entre le bien et le mal, le handicap, l'immigration et la clandestinité, le racisme ordinaire, la volonté d'être autre. Le monde dans lequel nous vivons n'est qu'une vaste foire aux apparences. Chacun de nous, au fond, aimerait passer pour quelqu'un d'autre. C'est un mécanisme naturel, même les plantes et les animaux y obéissent. En général, on le fait pour améliorer son existence. Parfois, c'est une question de survie.

Luigi Carletti pointe aussi du doigt les politiques, évoquant au-delà du rêve multiculturel qui se matérialise sur le terrain, une déshumination qui expose ses dérives identitaires: Si ces nègres et autres crève-la-faim nous envahissent, les coupables sont une bande d'hypocrites qui veulent avoir l'air ouvert et démocrate et leur ont fait croire qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent chez nous! dit Renata, autrefois renversée par deux nigérians exploités par des mafieux. 

Toujours aussi proche des marginaux, des écorchés et des exclus, l'auteur nous parle aussi d'une femme disparue en mer, partie avec son rêve dans le ventre, morte là où deux mers se rejoignent en séparant deux mondes et deux idées du monde

Toute la douleur méditerranéenne prend ainsi, imperceptiblement, le pas sur l'intrigue proprement dite et s'achève tel un conte, semblable à une mer soudain lavée de son sang et qui perpétue l'illusion que malgré la foudre bleue, rien n'a vraiment changé.

Certains signes ont un sens. Ils en ont presque toujours un... 

Luigi Carletti, Six femmes au foot (Liana Levi, 2013)

Luigi Carletti, Prison avec piscine (Liana Levi, 2012)

image: Marco Materazzi (spaziointer.it)

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